Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 19 novembre 2020, 19-17.197, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 novembre 2020




Cassation


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 862 F-D

Pourvoi n° K 19-17.197




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 NOVEMBRE 2020

La société Menuiseries Alu Prod, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° K 19-17.197 contre l'arrêt rendu le 23 novembre 2018 par la cour d'appel de Saint-Denis (chambre civile tribunal de grande instance), dans le litige l'opposant à Mme W... D..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Menuiseries Alu Prod, de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de Mme D..., après débats en l'audience publique du 6 octobre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 23 novembre 2018), O... D... a consenti à la société Menuiseries Alu Prod (la société MAP) un bail verbal portant sur un local à usage commercial.

2. Le 2 septembre 2015, le bailleur, aux droits duquel se trouve Mme D..., a délivré à la locataire un commandement, visant la condition résolutoire, de payer la taxe d'enlèvement des ordures ménagères au titre des années 2014 et 2015,

3. La locataire a saisi le tribunal de grande instance en annulation de ce commandement et le bailleur a sollicité la résiliation du bail en se prévalant d'autres manquements de la locataire.


Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

4. La société MAP fait grief à l'arrêt de constater l'acquisition de la condition résolutoire à ses torts exclusifs, d'ordonner son expulsion et de fixer une indemnité d'occupation, alors :

« 1°/ qu'en matière de bail commercial, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ne peut être mise à la charge du preneur qu'en vertu d'une stipulation du bail ; qu'en retenant, pour prononcer la résolution du bail commercial et condamner la Sarl Menuiserie Alu Prod au paiement de la taxe d'enlèvement des déchets, que si en principe le propriétaire du logement au 1er janvier de l'année d'imposition doit payer cet impôt, le propriétaire-bailleur a le droit de récupérer le montant de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères sur le locataire ainsi qu'en dispose l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 7 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ;

2°/ qu'en matière de bail commercial, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ne peut être mise à la charge du preneur qu'en vertu d'une stipulation du bail ; qu'en retenant, pour prononcer la résolution du bail commercial et condamner la Sarl Menuiserie Alu Prod au paiement de la taxe d'enlèvement des déchets, que dès lors que le preneur occupe les lieux, paie le loyer et dispose des commodités pour l'enlèvement de ses déchets, la récupération de cette taxe est nécessairement incluse dans le contrat, quand le bail verbal ne mettait pas à la charge du preneur cette taxe, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour :

Vu l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989 et l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

5. Selon le premier de ces textes, applicable aux locations de locaux à usage d'habitation ou à usage mixte professionnel et d'habitation, et constituant la résidence principale du preneur, celui-ci est obligé de payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus. Selon le second, les conventions légalement formées ne peuvent être révoquées que du consentement mutuel de ceux qui les ont faites ou pour les causes que la loi autorise.

6. Pour prononcer la résolution du bail, l'arrêt retient que le propriétaire bailleur a, selon les termes de l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989, le droit de récupérer le montant de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères sur le locataire et que la récupération de cette taxe est nécessairement incluse dans le contrat, de sorte que le commandement de payer délivré le 2 septembre 2015 à la société Menuiserie Alu Prod est parfaitement valable et entraîne la résolution du bail.

7. En statuant ainsi, en l'absence d'une stipulation expresse mettant à la charge du locataire commercial la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen unique, pris en ses troisième et cinquième branches

Enoncé du moyen

8. La société MAP fait grief à l'arrêt de constater l'acquisition de condition résolutoire à ses torts exclusifs, d'ordonner son expulsion et de fixer une indemnité d'occupation, alors :

« 3°/ que la résolution d'une convention ne peut être prononcée qu'en raison de l'inexécution par l'une des parties de ses obligations ; que dans le bail commercial, l'obligation de souscrire un contrat d'assurance locative doit être stipulée par le contrat ; qu'en affirmant, pour constater l'acquisition de la condition résolutoire aux torts exclusifs de société Menuiserie Alu Prod, preneur, que cette société avait manqué à ses obligations contractuelles en n'assurant pas le local contrairement aux règles en la matière, quand le bail verbal ne mettait aucune obligation de souscrire un contrat d'assurance locative à la charge de la société Menuiserie Alu Prod, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

5°/ que la résolution d'une convention ne peut être prononcée qu'en raison de l'inexécution par l'une des parties de ses obligations ; qu'en affirmant, pour constater l'acquisition de la condition résolutoire aux torts exclusifs de la société Menuiserie Alu Prod, preneur, que cette société avait déposé des gravats sur le terrain loué et était passée sur le chemin privé du voisin et non pas par l'impasse des [...] pour accéder aux locaux loués, quand le bail verbal ne faisait peser aucune obligation sur le preneur relativement aux gravats et à l'accès aux locaux loués par l'impasse des [...], la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

9. Selon le premier de ces textes, les conventions légalement formées ne peuvent être révoquées que du consentement mutuel de ceux qui les ont faites ou pour les causes que la loi autorise. Selon le second, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

10. Pour déclarer acquise la condition résolutoire aux torts exclusifs du preneur, l'arrêt retient que la société MAP a manqué à ses obligations contractuelles en n'assurant pas pendant les deux premières années le local, contrairement aux règles en la matière, en effectuant des dépôts de gravats à l'extrémité nord du parking et en passant sur un chemin privé et non pas par l'impasse qui dessert utilement les locaux.

11. En statuant ainsi, alors que le bail verbal ne faisait peser sur le preneur aucune obligation de souscrire un contrat d'assurance locative ni d'obligation relative aux gravats et à l'accès aux locaux, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la quatrième branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis autrement composée ;

Condamne Mme D... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme D... et la condamne à payer à la société Menuiseries Alu Prod la somme de 3 000 euros.

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour la société Menuiseries Alu Prod

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir constaté l'acquisition de la condition résolutoire aux torts exclusifs de la société Menuiserie Alu Prod, ordonné l'expulsion de la société Menuiserie Alu Prod ainsi que celle de tout occupant dans les lieux de son chef du local situé [...] au besoin avec le concours de la force publique, condamné la société Menuiserie Alu Prod à verser à Mme W... D.... venant aux droits de M. O... D... décédé, une indemnité d'occupation de 2 000,00 € par mois à compter de la signification de cette décision et jusqu'à libération des lieux, enjoint à la société Menuiserie Alu Prod de nettoyer le terrain loué dans les deux mois de la signification du présent arrêt et passé ce délai à peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard pendant un mois, passé lequel délai sera à nouveau fait droit, condamné la société Menuiserie Alu Prod à payer à Mme W... D..., venant aux droits de M. O... D... la somme de 3 088.00 € correspondant à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères pour les années 2014 et 2015 et rejeté la demande en dommages et intérêts,

AUX MOTIFS QUE

chaque partie se rejette la responsabilité sur l'origine de la non signature du bail.

Le document rédigé et signé par M. O... D... (bailleur) également signé le 3 septembre 2014 par M. E... gérant de la Sarl Menuiserie Alu Prod (MAP) établit que le bailleur s'engageait à établir un bail écrit.

Les "mails" échangés du 16 octobre au 22 décembre 2014 entre M. E..., gérant de la MAP et le notaire Me T..., rédacteur des premiers projets de bail montrent que la société MAP désirait également un bail écrit à la demande notamment de Groupama qui sollicitait un contrat écrit pour assurer le bien. Dans l'impossibilité de connaître l'imputabilité du défaut de signature du bail, les premiers juges ont constaté que le bailleur avait entériné le bail verbal en acceptant les loyers puis en confiant au cabinet Habilis la gestion de ce bail.

Si les parties sont liées par un bail verbal, elles sont en désaccord sur certaines de leurs obligations, ce qui explique sans doute l'absence de signature d'un bail écrit puisque le dernier projet de bail préparé par la société Habilis (pièce n°4 de l'appelante) signé le 2 avril 2015 par M. O... D... n'a jamais été signé par la société MAP, sans doute parce que ce projet prévoyait le paiement de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) comme le prévoyaient également les projets antérieurs du notaire Me T....

La Sarl Menuiserie Alu Prod considère qu'elle n'est pas tenue à cette taxe non prévue contractuellement. Cependant, si en principe le propriétaire du logement au 1er janvier de l'année d'imposition doit payer cet impôt, le propriétaire bailleur a le droit de récupérer le montant de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères sur le locataire ainsi qu'en dispose l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989.

Dès lors que le preneur occupe les lieux, paie le loyer et dispose des commodités pour l'enlèvement de ses déchets, la récupération de cette taxe est nécessairement incluse dans le contrat de sorte que le commandement de payer délivré le 2 septembre 2015 à la Sarl Menuiserie Alu Prod est parfaitement valable et entraîne la résolution du bail.

Cette résolution du bail est d'autant plus justifiée en raison des manquements par la Sarl Menuiserie Alu Prod à ses obligations contractuelles. En effet pendant les deux premières années, la Sarl MAP n'a pas assuré le local contrairement aux règles en la matière. Le cabinet Habilis lui a d'ailleurs réclamé le justificatif par courrier du 20 mars, courriels des 19 mai et 18 juin 2015.

Par ailleurs, le constat d'huissier du 12 octobre 2016 établi à la demande de Mme D... fait état de la présence de gravats à l'extrémité nord est du parking, situation confirmée par la brigade de l'environnement dans un courriel adressé le 2 août 2017 au terme duquel la brigade atteste être intervenue autour de l'entreprise MAP et avoir constaté les nombreux dépôts effectués par la Sarl Menuiserie Alu Prod.

Il doit être également relevé que le fait pour la Sarl MAP de passer sur le chemin privé de Mme O... et non par l'impasse des [...] qui dessert utilement les locaux ne saurait, comme le soutient la Sarl MAP, avoir pour origine la présence d'un fil électrique trop bas empêchant le passage des camionnettes, dans la mesure où ce fil électrique était présent dès l'origine du bail et que le preneur pouvait en faire son affaire personnelle.

Ainsi, eu égard à ces éléments, il convient d'infirmer le jugement critiqué, de constater la résolution du bail sur la base du commandement de payer, d'ordonner l'expulsion de la Sarl Menuiserie Alu Prod et de fixer l'indemnité d'occupation à hauteur de 2 000,00 € par mois.

Compte tenu de l'état des lieux, la Sarl Menuiserie Alu Prod devra nettoyer le terrain sous astreinte et verser à Mme D... la somme de 3088,00 € correspondant au montant de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères pour les années 2014 et 2015.

La demande de dommages et intérêts sollicite par Mme D. à hauteur de 10 000,00 € n'est pas justifiée et sera rejetée. De même la demande en dommages et intérêts formulée par la Sarl Menuiserie Alu Prod à hauteur de 5000,00 € sera rejetée pour les mêmes raisons,

1° ALORS QU'en matière de bail commercial, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ne peut être mise à la charge du preneur qu'en vertu d'une stipulation du bail ; qu'en retenant, pour prononcer la résolution du bail commercial et condamner la Sarl Menuiserie Alu Prod au paiement de la taxe d'enlèvement des déchets, que si en principe le propriétaire du logement au 1er janvier de l'année d'imposition doit payer cet impôt, le propriétaire-bailleur a le droit de récupérer le montant de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères sur le locataire ainsi qu'en dispose l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 7 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989,

2° ALORS QU'en matière de bail commercial, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ne peut être mise à la charge du preneur qu'en vertu d'une stipulation du bail ; qu'en retenant, pour prononcer la résolution du bail commercial et condamner la Sarl Menuiserie Alu Prod au paiement de la taxe d'enlèvement des déchets, que dès lors que le preneur occupe les lieux, paie le loyer et dispose des commodités pour l'enlèvement de ses déchets, la récupération de cette taxe est nécessairement incluse dans le contrat, quand le bail verbal ne mettait pas à la charge du preneur cette taxe, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016,

3° ALORS QUE la résolution d'une convention ne peut être prononcée qu'en raison de l'inexécution par l'une des parties de ses obligations ; que dans le bail commercial, l'obligation de souscrire un contrat d'assurance locative doit être stipulée par le contrat ; qu'en affirmant, pour constater l'acquisition de la condition résolutoire aux torts exclusifs de société Menuiserie Alu Prod, preneur, que cette société avait manqué à ses obligations contractuelles en n'assurant pas le local contrairement aux règles en la matière, quand le bail verbal ne mettait aucune obligation de souscrire un contrat d'assurance locative à la charge de la société Menuiserie Alu Prod, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016,

4° ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; que la Sarl Menuiserie Alu Prod, preneur, faisait valoir qu'elle était couverte par son assurance « responsabilité civile professionnelle » pendant toute la période de sa location et que l'obligation d'assurance du locataire était ainsi satisfaite (conclusions d'intimée et d'appelant incident (2) notifiées le 12 mars 2018, p. 10, §8) ; qu'en se bornant à affirmer que la société Menuiserie Alu Prof n'avait pas assuré le local contrairement aux règles de la matière, sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile,

5° ALORS QUE la résolution d'une convention ne peut être prononcée qu'en raison de l'inexécution par l'une des parties de ses obligations ; qu'en affirmant, pour constater l'acquisition de la condition résolutoire aux torts exclusifs de société Menuiserie Alu Prod, preneur, que cette société avait déposé des gravats sur le terrain loué et était passée sur le chemin privé du voisin et non pas par l'impasse des [...] pour accéder aux locaux loués, quand le bail verbal ne faisait peser aucune obligation sur le preneur relativement aux gravats et à l'accès aux locaux loués par l'impasse des [...], la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.ECLI:FR:CCASS:2020:C300862
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