Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 4 novembre 2020, 19-17.911, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 novembre 2020




Cassation partielle


Mme MOUILLARD, président



Arrêt n° 618 F-P+B

Pourvoi n° M 19-17.911







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 4 NOVEMBRE 2020

L'Autorité des marchés financiers (AMF) autorité administrative indépendante , dont le siège est [...] , en la personne de son président, domicilié en cette qualité audit siège, a formé le pourvoi n° M 19-17.911 contre l'ordonnance rendue le 29 mai 2019 par le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 15), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société AB science, société anonyme, dont le siège est chez M. O... E..., [...] , dont le siège social est [...] ,

2°/ à M. P... K...,

3°/ à M. G... F...,

4°/ à Mme T... Q...,

5°/ à M. S... L...,

domiciliés tous quatre chez M. O... E..., [...] ,

défendeurs à la cassation.

Partie intervenante :

- l'ordre des avocats du barreau de Paris, dont le siège est [...] ,

La société AB science, MM. F... et L... et Mme Q... ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

M. K... a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La société AB science, MM. F... et L... et Mme Q..., demandeurs à un pourvoi incident, invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

M. K..., demandeur à un pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Daubigney, conseiller, les observations de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de l'Autorité des marchés financiers, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de l'ordre des avocats du barreau de Paris, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. K..., de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société AB science, de MM. F... et L... et de Mme Q..., et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Daubigney, conseiller rapporteur, M. Guérin, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Intervention

1. Il est donné acte à l'ordre des avocats du barreau de Paris de son intervention volontaire au soutien de la société AB science, M. F..., Mme Q..., M. L... et M. K....

Faits et procédure

2. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 29 mai 2019), un juge des libertés et de la détention a, sur le fondement des articles L. 465-1, L. 465-3 et L. 621-12 du code monétaire et financier autorisé des enquêteurs de l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) à procéder à des visites et des saisies dans des locaux susceptibles d'être occupés par les sociétés AB science (la société AB) et AMY situés [...] , dans des locaux et dépendances situés [...] susceptibles d'être occupés par M. K..., dans des locaux et dépendances situés [...] susceptibles d'être occupés par M. L..., dans des locaux et dépendances situés [...] susceptibles d'être occupés par M. F..., ainsi que dans des locaux et dépendances situés [...] susceptibles d'être occupés par Mme Q..., en vue de rechercher la preuve de manquements d'initiés ou de délits d'initiés.

3. La société AB, M. F..., Mme Q..., M. L... et M. K... ont relevé appel de l'ordonnance d'autorisation et exercé un recours contre le déroulement des opérations de visite, effectuées le 26 avril 2018.

Sur les premiers moyens des pourvois incidents, rédigés en termes similaires ou identiques, réunis, qui sont préalables

Enoncé des moyens

4. La société AB, M. F..., Mme Q..., M. L... et M. K... font grief à l'ordonnance du premier président d'autoriser les visites et saisies sollicitées par l'AMF, alors :

« 1°/ que les visites et saisies domiciliaires, qui constituent une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et du domicile, doivent être strictement nécessaires et proportionnées au but recherché par l'autorité de poursuite, et ne peuvent donc être valablement mises en oeuvre que s'il n'est pas possible à ladite autorité de parvenir à son but par des moyens moins contraignants ; qu'il suit de là qu'en matière de recherche des preuves des infractions de marché, le recours, par l'AMF, à la visite domiciliaire prévue à l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, est subsidiaire à la mise en oeuvre de l'article L. 621-10 du même code et réservée strictement aux cas où la mise en oeuvre des procédés permis par ce dernier texte est insuffisante ; qu'en retenant au contraire que la procédure prévue à l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ne serait pas subsidiaire par rapport aux autres procédures pouvant être utilisées, le conseiller délégué par le premier président de la cour d'appel de Paris a violé ce texte, par fausse interprétation, ensemble l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que le juge doit vérifier, d'une manière concrète et effective, le caractère proportionné de l'atteinte au droit au respect de la vie privée et du domicile résultant d'une visite domiciliaire ; qu'en affirmant que l'AMF n'avait pas à rendre compte de son choix de recourir à la procédure de visite domiciliaire et en s'affranchissant lui-même de tout contrôle effectif et circonstancié du caractère proportionné ou non de l'atteinte résultant d'une telle mesure, le conseiller délégué a de plus fort violé les textes susvisés.

3°/ que les visites et saisies domiciliaires, qui constituent une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et du domicile, doivent être strictement nécessaires et proportionnées au but recherché par l'autorité de poursuite, et ne peuvent donc être valablement mises en oeuvre que s'il n'est pas possible à ladite autorité de parvenir à son but par des moyens moins contraignants ; qu'il suit de là qu'en matière de recherche des preuves des infractions de marché, le recours, par l'AMF, à la visite domiciliaire prévue à l'article L. 621-12 du code monétaire et financier est subsidiaire à la mise en oeuvre de l'article L. 621-10 du même code et réservé strictement aux cas où la mise en oeuvre des procédés permis par ce dernier texte est insuffisante ; qu'en retenant au contraire que la procédure prévue à l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ne serait pas subsidiaire par rapport aux autres procédures pouvant être utilisées, la cour d'appel a violé ce texte, par fausse interprétation, ensemble l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ qu'il appartient au juge des libertés et de la détention de vérifier qu'est fondée la demande d'autorisation d'effectuer des visites, de procéder à la saisie de documents et au recueil ; d'où il suit qu'en se déterminant par une référence à l'absence d'obligation de l'AMF de justifier de son choix de recourir à la procédure de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier et à la circonstance que le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris avait validé ce choix, la cour, pourtant saisie par l'effet dévolutif de l'appel, a refusé d'exercer son office et commis un déni de justice, en violation des articles 4 du code civil et 12 du code de procédure civile ;

5°/ qu'il appartient au juge des libertés et de la détention de vérifier qu'est fondée la demande d'autorisation d'effectuer des visites, de procéder à la saisie de documents et au recueil ; d'où il suit qu'en se bornant à rappeler l'article 8, § 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sans examiner la situation de fait qui lui était soumise à partir de laquelle il était soutenu que les mesures autorisées par le juge des libertés et de la détention étaient manifestement disproportionnées quant aux buts poursuivis, la cour d'appel a refusé de trancher le litige et commis un déni de justice, en violation des articles 4 du code civil et 12 du code de procédure civile ;

6°/ qu'à tout le moins, en ne recherchant pas, comme elle y était invitée si les mesures autorisées par le juge des libertés et de la détention n'étaient pas ici clairement disproportionnées par rapport aux buts poursuivis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier. »

Réponse de la Cour

5. Aucun texte ne subordonne la saisine de l'autorité judiciaire pour l'application de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier à l'exercice préalable d'autres procédures et les dispositions de ce texte, qui organisent le droit de visite des enquêteurs de l'AMF et le recours devant le premier président de la cour d'appel, assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et du droit d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la décision prescrivant la visite avec les nécessités de la lutte contre les manquements et infractions aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de marché et la divulgation illicite d'informations privilégiées ou tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs et du bon fonctionnement des marchés ou relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, de sorte que l'ingérence qu'il prévoit dans le droit au respect de la vie privée et des correspondances n'est pas, en elle-même, disproportionnée au regard du but légitime poursuivi. Il s'ensuit que le premier président, qui a relevé que la mesure prévue par l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ne revêtait pas un caractère subsidiaire, a statué à bon droit sans avoir à justifier autrement la proportionnalité de la mesure qu'il confirmait.

6. Les moyens ne sont donc pas fondés.

Sur les seconds moyens des pourvois incidents, rédigés en termes pour partie similaires, réunis, qui sont préalables

Enoncé des moyens

7. La société AB, M. F..., M. L..., Mme Q... et M. K... font grief à l'ordonnance du premier président de déclarer les saisies régulières, alors :

« 1°/ que le secret médical étant général et absolu, une visite domiciliaire dans les locaux d'une entreprise pharmaceutique spécialisée dans la recherche médicale et maniant comme telle des informations couvertes par le secret médical doit, à peine de nullité, avoir lieu en présence d'un magistrat et d'un membre du conseil de l'ordre des médecins, dès l'instant qu'elle est susceptible de mettre les agents de l'autorité effectuant la visite en contact avec des documents ou informations couverts par le secret ; qu'il suit de là que la visite est intégralement nulle, lorsqu'elle a eu lieu hors la présence d'un magistrat et d'un membre du conseil de l'ordre des médecins et a donné lieu à la saisie de documents couverts par le secret médical, peu important que ces documents soient marginaux dans la masse des documents saisis ou qu'ils n'aient donné lieu à aucune utilisation ; que le conseiller délégué du premier président de la cour d'appel de Paris avait constaté que, lors des opérations de visite réalisées dans les locaux de la société AB, des courriels couverts par le secret médical avaient été saisis, ce dont il résultait que la visite avait mis les agents de l'AMF en contact avec des informations couvertes par le secret médical et qu'elle était irrégulière, pour n'avoir pas eu lieu en présence d'un magistrat et d'un membre du conseil de l'ordre des médecins ; qu'en retenant néanmoins, pour refuser d'annuler l'intégralité des opérations de visite et cantonner leur nullité à la seule saisie des courriels en cause, que la protection spécifique du secret médical n'avait pas vocation à s'appliquer, le conseiller délégué, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 621-12, alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale ;

2°/ que le juge doit assurer un respect strict et effectif du secret médical, ce qui lui impose, en cas de visite domiciliaire dans les locaux d'une entreprise pharmaceutique spécialisée dans la recherche médicale, de vérifier de manière concrète que les éléments saisis par l'autorité ayant effectué la visite étaient, soit exclus du champ du secret, soit anonymisés ; qu'en se déterminant pourtant par la considération que la collecte de données cliniques de patients par une société pharmaceutique était "censée être effectuée de manière anonymisée", pour en déduire que la visite n'avait pas lieu d'être annulée pour défaut de présence d'un représentant de l'ordre des médecins, donc en s'affranchissant de tout contrôle effectif du caractère secret ou non des documents et informations auxquels avait pu accéder l'AMF à l'occasion de la visite, le conseiller délégué a violé, par refus d'application, l'article 56-3 du code de procédure pénale et l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ;

3°/ qu'en se déterminant par la considération que la collecte de données cliniques de patients par une société pharmaceutique était "censée être effectuée de manière anonymisée", de sorte qu'il "ne sembl[ait] pas", au cas présent, qu'il soit nécessaire d'appliquer la protection spécifique du secret médical, le conseiller délégué a statué par des motifs hypothétiques, en méconnaissance de l'article 455 du code de procédure civile.

4°/ que l'officier de police judiciaire veille au respect du secret professionnel et des droits de la défense conformément aux dispositions du troisième alinéa de l'article 56 du code de procédure pénale qui prescrit la présence de la personne responsable de l'ordre à laquelle appartient l'intéressé (art. 56-3) ; qu'ainsi, la présence d'un membre du conseil de l'ordre des médecins s'impose lorsque les opérations de visite domiciliaire et de saisie sont autorisées par le juge des libertés et de la détention dans une société pharmaceutique détentrice d'informations à caractère médical, peu important que certaines informations puissent être anonymisées, de sorte qu'en statuant comme elle l'a fait, à l'aide d'une considération inopérante, la cour d'appel a violé les articles L. 621-12 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale ;

5°/ que les motifs inintelligibles équivalent à un défaut de motifs ; qu'en affirmant que, "sauf cas très exceptionnel, les articles L. 621-21, alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale
n'ont pas vocation à s'appliquer, ce qui ne semble pas être le cas en l'espèce", la cour d'appel a statué par une considération inintelligible, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

6°/ que le motif dubitatif équivaut à un défaut de motifs ; qu'ainsi, en toute hypothèse, en affirmant que "ce ne semble pas être le cas en l'espèce", la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

7°/ que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit applicables ; qu'en ne précisant pas dans quel "cas très exceptionnel" les articles L. 621-12, alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale auraient vocation à s'appliquer aux visites domiciliaires, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 12 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Le secret médical couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé. Il est institué dans l'intérêt des patients et s'impose à tout médecin.

9. Selon l'article 56-3 du code de procédure pénale, les perquisitions dans le cabinet d'un médecin sont effectuées par un magistrat et en présence de la personne responsable de l'ordre des médecins ou de son représentant.

10. Après avoir relevé que la société AB était une société pharmaceutique ayant pour objet la recherche, le développement et la commercialisation d'une classe de molécules thérapeutiques utilisées dans le traitement des cancers, des maladies inflammatoires ou neurodégénératives, l'ordonnance énonce que la collecte de données cliniques de patients par une société pharmaceutique est censée être effectuée de manière anonymisée, de sorte que, sauf cas exceptionnel, qui ne semble pas être le cas en l'espèce, les articles L. 621-21 alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale entourant d'une protection spécifique les visites domiciliaires et les perquisitions réalisées dans le cabinet d'un médecin n'ont pas vocation à s'appliquer. Ayant ensuite relevé que trois courriels saisis dans la messagerie de M. K... contenaient des demandes de conseils formulées par des particuliers qui y dévoilaient leur identité et la pathologie dont ils étaient atteints, le premier président, estimant que ces informations étaient couvertes par le secret médical, en a annulé la saisie. En l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance, dont il résulte que l'établissement visité ne pouvait être assimilé à un cabinet médical et que, hormis les trois courriels précités, les appelants ne démontraient pas que d'autres documents comportant des données couvertes par le secret médical auraient pu y être appréhendés, le premier président a statué à bon droit.

11. Les moyens ne sont donc pas fondés.

Sur le premier moyen du pourvoi principal

12. L'AMF fait grief à l'ordonnance du premier président de déclarer les opérations de visite et saisie régulières, à l'exception de trois courriels des 17 avril 2018, 12 janvier 2018 et 8 janvier 2017, et de lui faire interdiction d'en faire un quelconque usage, alors :

« 1°/ que pour statuer comme il l'a fait, l'auteur de l'ordonnance attaquée relève que "sauf cas très exceptionnel, les articles L. 621-12 alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale entourant d'une protection spécifique les visites domiciliaires et les perquisitions réalisées dans le cabinet d'un médecin, n'ont pas vocation à s'appliquer, ce qui ne semble pas être le cas en l'espèce" ; qu'en statuant ainsi par des motifs inintelligibles équivalant à un défaut de motifs, l'auteur de l'ordonnance attaquée, n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile qu'il a violé ;

2°/ que le motif dubitatif équivaut au défaut de motifs ; qu'en statuant par le motif dubitatif, à le supposer même intelligible, selon lequel ce ne semble pas être le cas en l'espèce", l'auteur de l'ordonnance attaquée a derechef violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'à supposer qu'il faille comprendre que l'espèce n'aurait pas correspondu au cas "très exceptionnel" dans lequel les articles L. 621-12, alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale pourraient s'appliquer à des visites domiciliaires réalisées hors le cabinet d'un médecin, l'auteur de l'ordonnance attaquée, faute d'avoir précisé le fondement juridique de sa décision, n'aurait pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et aurait violé l'article 12 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

13. Le moyen, qui critique, non les motifs justifiant l'annulation de la saisie de trois courriels mais ceux ayant conduit le premier président à déclarer régulières les autres saisies effectuées dans les locaux de la société AB sans qu'il ait été fait application des dispositions de l'article 56-3 du code de procédure pénale, est inopérant.

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

14. L'AMF fait grief à l'ordonnance du premier président de déclarer les opérations de visite et saisies du 26 avril 2018 régulières à l'exception des courriels protégés par le privilège légal et de lui interdire d'en faire un usage quelconque, alors :

« 1°/ que constitue la divulgation à un tiers d'une correspondance par courrier électronique le fait pour l'expéditeur de ce courrier électronique d'en rendre destinataire en copie une autre personne que son destinataire principal ; qu'en relevant, d'une part, qu'il ressort de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 la condition que l'avocat doit être l'expéditeur ou le destinataire du courriel, ce qui n'exclurait pas que d'autres correspondants apparaissent en qualité de destinataire ou expéditeur, tout en admettant, d'autre part, que le fait de divulguer, notamment par voie de transfert, à des tiers des correspondances couvertes par le secret professionnel leur fait perdre la protection du privilège légal, l'auteur de l'ordonnance attaquée, qui a statué par des motifs incohérents, équivalant à un défaut de motifs, n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile qu'il a violé ;

2°/ que dans le cas où le client d'un avocat rend un tiers destinataire en copie d'un courrier électronique qu'il adresse à cet avocat, seul un examen in concreto de ce courrier électronique est de nature à révéler s'il entre dans les prévisions de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 ; qu'en décidant au contraire qu'il ressort de ce texte la condition que l'avocat doit être l'expéditeur ou le destinataire du courriel, ce qui n'exclurait pas que d'autres correspondants apparaissent en qualité de destinataire ou expéditeur, la seule exception étant que l'avocat ne figure qu'en copie, l'auteur de l'ordonnance attaquée a violé par fausse interprétation l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 ;

3°/ qu'il appartenait aux requérants de verser aux débats les courriers électroniques qu'ils prétendaient ne pouvoir être saisis en précisant pour chacun les raisons qui les auraient rendus insaisissables ; qu'en l'absence de cette production, à laquelle ne pouvait se substituer une simple liste de ces courriers, même assortie de la précision de la qualité de leurs expéditeurs et destinataires, l'auteur de l'ordonnance attaquée, qui n'était pas en mesure de vérifier s'ils étaient couverts par le secret professionnel, ne pouvait que rejeter la demande de restitution dont il était saisi ; qu'en décidant le contraire, il a violé l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, ensemble l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ;

4°/ qu'en se déterminant par voie de disposition générale sur la portée de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, sans même procéder à une analyse, fût-elle sommaire, de la pièce 16 des requérants, l'auteur de l'ordonnance attaquée a privé sa décision de base légale au regard de ce texte, ensemble l'article L. 621-12 du code monétaire et financier. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 :

15. Selon ce texte, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci et les correspondances échangées entre le client et son avocat sont couvertes par le secret professionnel.

16. Pour annuler la saisie des correspondances constituant la pièce n° 16 des appelants, le premier président, après avoir indiqué les avoir examinées concrètement, a constaté que seuls les courriels échangés entre les dirigeants et salariés des entreprises visitées et leurs avocats étaient couverts par le secret, que les échanges entre deux correspondants pour lesquels un avocat était en copie ne pouvaient bénéficier de la protection légale, que seuls les échanges où un avocat était expéditeur ou destinataire du courriel pouvait bénéficier de cette protection et que le fait, pour les sociétés, de divulguer à des tiers des correspondances couvertes par le secret professionnel leur faisait perdre la protection attachée au secret.

17. En se déterminant ainsi, sans identifier précisément les correspondances en cause et sans indiquer ce qu'il résultait de leur examen concret, alors que l'AMF contestait la liste des messages produite par les appelants en faisant valoir qu'elle ne permettait pas d'identifier précisément qui étaient les auteurs ou les destinataires des courriels en cause et, faute de permettre un examen concret, ne pouvait se substituer à leur production, le premier président a privé sa décision de base légale.

Et sur le troisième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

18. L'AMF fait grief à l'ordonnance du premier président de déclarer les opérations de visite et saisies du 26 avril 2018 régulières à l'exception des documents antérieurs au 1er septembre 2014 et de lui interdire d'en faire un usage quelconque, alors :

« 1°/ que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ne comportait aucune restriction temporelle au champ de la saisie des documents et qu'il appartenait aux demandeurs au recours d'établir, pour chacun d'eux, en quoi ils ne seraient pas entrés dans les prévisions de l'autorisation ; qu'en statuant comme il l'a fait par des motifs revenant à inverser la charge de la preuve, l'auteur de l'ordonnance attaquée a violé l'article 1353 du code civil, ensemble l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ;

2°/ qu'en statuant comme il l'a fait, sans procéder à aucune analyse, même sommaire, de ces documents, l'auteur de l'ordonnance attaquée, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur les raisons pour lesquelles ces documents ne seraient pas entrés dans les prévisions de l'autorisation, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 621-12 du code monétaire et financier :

19. S'il résulte de ce texte que les enquêteurs de l'AMF ne peuvent appréhender que les documents se rapportant aux agissements prohibés retenus par l'ordonnance d'autorisation de visite et saisies domiciliaires, il ne leur est pas interdit de saisir des documents pour partie utiles à la preuve desdits agissements.

20. Pour annuler la saisie de documents antérieurs au 1er septembre 2014, le premier président, après avoir relevé que des éléments préalables au début de la période d'enquête, fixé au 1er septembre 2014, pouvaient être de nature à apporter un éclairage aux soupçons de délits d'initiés, a retenu qu'il était difficile de voir en quoi les saisies antérieures à cette date étaient susceptibles d'apporter un quelconque éclairage aux agissements précités.

21. En se déterminant ainsi, sans préciser, par une analyse concrète des pièces saisies par les enquêteurs de l'AMF, en quoi la saisie de celles-ci n'entrait pas dans le champ de l'autorisation délivrée par le juge des libertés et de la détention, le premier président a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elle déclare irrégulière la saisie des courriels protégés par le privilège légal et des documents antérieurs au 1er septembre 2014, en ordonne la restitution aux requérants et interdit à l'AMF d'en faire un quelconque usage, l'ordonnance rendue le 29 mai 2019, entre les parties, par le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant le premier président de la cour d'appel de Paris ;

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la ordonnance partiellement cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Ohl et Vexliard, avocat aux Conseils, pour l'Autorité des marchés financiers.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

En ce que l'ordonnance attaquée, après avoir déclaré les opérations de visite et saisie en date du 26 avril 2018 régulières, a fait exception pour trois courriels en date des 17 avril 2018, 12 janvier 2018 et 8 janvier 2017 (pièces 15 des écritures des requérants) en précisant que l'ensemble de ces courriels seront annulés et restitués aux requérants avec l'interdiction pour l'AMF d'en faire un quelconque usage ;

Aux motifs qu'il convient de rappeler que la société AB Science est une société pharmaceutique dont l'activité repose sur la recherche, le développement et la commercialisation d'inhibiteurs de tyrosine kinase, à savoir une classe de molécules thérapeutiques utilisées dans le traitement des cancers, des maladies inflammatoires et des maladies neurodégénératives en santé humaine et animale.
Il est constant également que la collecte de données cliniques de patients par une société pharmaceutique est censée être effectuée de manière anonymisée.
Dès lors, sauf cas très exceptionnel, les articles L.621-21 alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale entourant d'une protection spécifique les visites domiciliaires et les perquisitions réalisées dans le cabinet d'un médecin, n'ont pas vocation à s'appliquer, ce qui ne semble pas être le cas en l'espèce.
S'agissant des trois mails saisis dans la messagerie de M. K..., (pièce 15 des requérants), il s'agit non pas de données cliniques relatifs à un patient, mais de demandes spontanées de conseils, effectuées auprès de M. K... par des particuliers atteints, soit eux-mêmes soit un de leurs proches, par une pathologie. Dans la mesure où ces demandeurs ont dévoilé leur identité et la pathologie dont ils seraient atteints, I'examen in concreto de ces trois courriels en date du 17/04/2018, 12/01/2018 et 08/06/2017 nous conduit à faire droit à l'annulation de ces trois courriels.
Dès lors, les trois mails précités seront annulés avec l'interdiction pour I'AMF d'en faire un quelconque usage, sans que pour autant que cela entraîne I'annulation de la totalité des opérations de visite et saisie, réalisées dans les locaux d'AB Science le 26 avril 2018.
Ce moyen sera rejeté, à l'exception des trois courriels précités, lesquels seront écartés (ordonnance attaquée, p. 19, deux derniers alinéas et p. 20, quatre premiers alinéas) ;

1°/ Alors que pour statuer comme il l'a fait, l'auteur de l'ordonnance attaquée relève que « sauf cas très exceptionnel, les articles L.621-21 [lire L. 621-12] alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale entourant d'une protection spécifique les visites domiciliaires et les perquisitions réalisées dans le cabinet d'un médecin, n'ont pas vocation à s'appliquer, ce qui ne semble pas être le cas en l'espèce » ; qu'en statuant ainsi par des motifs inintelligibles équivalant à un défaut de motifs, l'auteur de l'ordonnance attaquée, n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile qu'il a violé ;

2°/ Alors au surplus que le motif dubitatif équivaut au défaut de motifs ; qu'en statuant par le motif dubitatif, à le supposer même intelligible, selon lequel « ce ne semble pas être le cas en l'espèce », l'auteur de l'ordonnance attaquée a derechef violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ Et alors en tout état de cause que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'à supposer qu'il faille comprendre que l'espèce n'aurait pas correspondu au cas « très exceptionnel » dans lequel les articles L.621-12, alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale pourraient s'appliquer à des visites domiciliaires réalisées hors le cabinet d'un médecin, l'auteur de l'ordonnance attaquée, faute d'avoir précisé le fondement juridique de sa décision, n'aurait pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et aurait violé l'article 12 du code de procédure civile.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

En ce que l'ordonnance attaquée, après avoir déclaré les opérations de visite et saisie en date du 26 avril 2018 régulières, a fait exception pour les courriels protégés par le privilège légal (pièce 16 des écritures des requérants), en précisant que l'ensemble de ces courriels seront annulés et restitués aux requérants avec l'interdiction pour l'AMF d'en faire un quelconque usage ;

Aux motifs qu'iI est constant que la loi du 31 décembre 1971 en son article 66-5 énonce « en toute matière, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client où destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre I'avocat et ses confrères à l'exception de celles portant la mention "officielle"
les notes d'entretien et, plus généralement toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ».
Ce principe essentiel n'est nullement contesté. De même qu'il est acquis que cette protection concerne également les correspondances échangées avec un avocat étranger et couvre également son activité de conseil. Cependant, ce principe n'est pas absolu et souffre de plusieurs exceptions.
Il convient de relever que seuls font l'objet du privilège légal les mails échangés entre dirigeants et salariés des sociétés visitées et les avocats. Ainsi, les courriels échangés entre les avocats et experts comptables ne bénéficient pas de la protection accordée à la confidentialité des correspondances avocat/client. De même, s'agissant de certains courriels, il ne peut pas être admis que les échanges entre deux correspondants, avec en copie jointe un avocat, puissent bénéficier de la protection légale relative à la confidentialité des échanges avocat/client, sauf à dénaturer cette protection légale. En effet, il suffirait pour une société d'échanger des mails avec une autre société avec, en copie conforme, un destinataire qui aurait la qualité d'avocat pour que tout échange puisse bénéficier de ce privilège légal. II en ressort la condition que l'avocat doit être l'expéditeur ou le destinataire du courriel, ce qui n'exclut pas que d'autres correspondants apparaissent en qualité de destinataire ou expéditeur, la seule exception étant, comme nous l'avons indiqué précédemment, que l'avocat ne figure qu'en copie.
Enfin, le fait pour les sociétés de divulguer (par voie de transfert notamment) à des tiers des correspondances couvertes par le secret professionnel, leur fait perdre la protection du privilège légal.
Ainsi, la demande de restitution des correspondances saisies dans le cadre de la visite domiciliaire du 26 avril 2018 couvertes par le secret professionnel, telle que sollicitée par les requérants (pièces 16 des requérants), examinée in concreto, en application des principes et exceptions susmentionnés, sera acceptée avec l'interdiction pour l'AMF d'en faire un quelconque usage.
Ce moyen sera retenu (ordonnance attaquée, p. 20, quatre derniers alinéas et p. 21, deux premiers alinéas) ;

1°/ Alors que constitue la divulgation à un tiers d'une correspondance par courrier électronique le fait pour l'expéditeur de ce courrier électronique d'en rendre destinataire en copie une autre personne que son destinataire principal ; qu'en relevant, d'une part, qu'il ressort de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 la condition que l'avocat doit être l'expéditeur ou le destinataire du courriel, ce qui n'exclurait pas que d'autres correspondants apparaissent en qualité de destinataire ou expéditeur, tout en admettant, d'autre part, que le fait de divulguer, notamment par voie de transfert, à des tiers des correspondances couvertes par le secret professionnel leur fait perdre la protection du privilège légal, l'auteur de l'ordonnance attaquée, qui a statué par des motifs incohérents, équivalant à un défaut de motifs, n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile qu'il a violé ;

2°/ Alors que dans le cas où le client d'un avocat rend un tiers destinataire en copie d'un courrier électronique qu'il adresse à cet avocat, seul un examen in concreto de ce courrier électronique est de nature à révéler s'il entre dans les prévisions de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 ; qu'en décidant au contraire qu'il ressort de ce texte la condition que l'avocat doit être l'expéditeur ou le destinataire du courriel, ce qui n'exclurait pas que d'autres correspondants apparaissent en qualité de destinataire ou expéditeur, la seule exception étant que l'avocat ne figure qu'en copie, l'auteur de l'ordonnance attaquée a violé par fausse interprétation l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 ;

3°/ Alors qu'il appartenait aux requérants de verser aux débats les courriers électroniques qu'ils prétendaient ne pouvoir être saisis en précisant pour chacun les raisons qui les auraient rendus insaisissables ; qu'en l'absence de cette production, à laquelle ne pouvait se substituer une simple liste de ces courriers, même assortie de la précision de la qualité de leurs expéditeurs et destinataires, l'auteur de l'ordonnance attaquée, qui n'était pas en mesure de vérifier s'ils étaient couverts par le secret professionnel, ne pouvait que rejeter la demande de restitution dont il était saisi ; qu'en décidant le contraire, il a violé l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, ensemble l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ;

4°/ Et alors, par surcroît et en tout état de cause qu'en se déterminant par voie de disposition générale sur la portée de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, sans même procéder à une analyse, fût-elle sommaire, de la pièce 16 des requérants, l'auteur de l'ordonnance attaquée a privé sa décision de base légale au regard de ce texte, ensemble l'article L. 621-12 du code monétaire et financier.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

En ce que l'ordonnance attaquée, après avoir déclaré les opérations de visite et saisie en date du 26 avril 2018 régulières, a fait exception pour les documents antérieurs au 1er septembre 2014 et a précisé que l'ensemble de ces courriels seront annulés et restitués aux requérants avec l'interdiction pour l'AMF d'en faire un quelconque usage ;

Aux motifs que s'il est établi dans l'ordonnance du JLD de Paris que le début de la période d'enquête est fixé au 1er septembre 2014, il n'en demeure pas moins que les présomptions de manquements d'initié semblent se caractériser à compter du 20 janvier 2017, date de réception par la société AB Science du rapport d'inspection intégré.
Il est constant que des éléments antérieurs au début de la période d'enquête peuvent être de nature à apporter un éclairage aux soupçons d'agissements prohibés. En l'espèce, ces manquements auraient été commis les 27 et 31 mars 2017 par la société AB Science, le 31 mars 2017 par M. P... K..., les 8 et 20 mars 2017 par M. G... F..., les 10 et 11 mai 2017 par Mme T... Q..., et le 31 mars 2017 par M. S... L....
Or, il est difficile de voir en quoi les saisies antérieures au 1er septembre 2014 seraient susceptibles d'apporter un quelconque éclairage aux agissements précités, lesquels auraient été commis plus de deux années et demi plus tard.
En conséquence, la saisie des documents antérieurs au 1er septembre 2014 sera annulée et ceux-ci seront restitués aux requérants avec l'interdiction pour I'AMF d'en faire un quelconque usage.
Ce moyen sera admis (ordonnance attaquée, p. 21) ;

1°/ Alors que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ne comportait aucune restriction temporelle au champ de la saisie des documents et qu'il appartenait aux demandeurs au recours d'établir, pour chacun d'eux, en quoi ils ne seraient pas entrés dans les prévisions de l'autorisation ; qu'en statuant comme il l'a fait par des motifs revenant à inverser la charge de la preuve, l'auteur de l'ordonnance attaquée a violé l'article 1353 du code civil, ensemble l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ;

2°/ Et alors en toute hypothèse qu'en statuant comme il l'a fait, sans procéder à aucune analyse, même sommaire, de ces documents, l'auteur de l'ordonnance attaquée, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur les raisons pour lesquelles ces documents ne seraient pas entrés dans les prévisions de l'autorisation, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier. Moyens produits à un pourvoi incident par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société AB science, MM. F... et L... et Mme Q....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'ordonnance confirmative attaquée D'AVOIR autorisé les enquêteurs de l'Amf en charge de l'enquête Amf n°2017.41 ouverte par décision du Secrétaire général de l'Amf du 11 septembre 2017 sur le marché du titre et l'information financière de la société AB Science à compter du 1er septembre 2014 à effectuer la visite domiciliaire des lieux suivants : - domicile de M. P... K... situé [...], - domicile de M. S... L... situé [...], - siège social de la société AB Science et de la société AMY SAS situés [...] ; et dans l'hypothèse où l'accès à leurs messageries électroniques personnelles et leurs téléphones personnels n'est pas possible depuis le siège d'AB Science : - domicile de M. G... F... situé [...], - domicile de Mme T... Q... situé [...] ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE sur le caractère mal fondé de l'ordonnance rendue par le jld du tribunal de grande instance de Paris le 23 avril 2018, le jld n'a pas vérifié le bien-fondé de la requête qui lui a été soumise par l'Amf le 17 avril 2018 ; qu'il convient de rappeler que dans le cadre de l'enquête préparatoire, le champ d'application des dispositions de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier doit être relativement étendu, étant précisé qu'à ce stade, aucune accusation n'est formulée ; qu'il s'agit simplement d'apprécier, pour le jld saisi, s'il existe de simples présomptions d'agissements frauduleux, en l'espèce des manquements d'initié au sens des articles 8 et 14 du règlement européen nº 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché et des infractions pénales relatives aux délits d'initiés au sens des articles L. 465-1 et L. 465-3 du code monétaire et financier (et non pas des preuves ou d'éléments ayant une valeur probante) ; qu'au cas présent, il convient de relever que le jld saisi a disposé de 6 jours entre la présentation de la requête et de ses annexes (17 avril 2018) et la signature de son ordonnance (23 avril 2018), ce qui a laissé le temps pour examiner in concreto les pièces soumises à son appréciation ; qu'il a pu relever l'existence d'un rapport d'inspection intégré, reçu le 20 janvier 2017 par la société AB Science, comprenant les trois rapports individuels finalisés sur les trois sites inspectés et reprenant les déficiences relatives aux essais cliniques, déjà détaillés par ces derniers ; que par ailleurs, il a retenu que M. S... A..., l'inspecteur de l'ANSM ayant réalisé les trois inspections précitées de fin 2016 avait indiqué, dans un courriel du 23 janvier 2017 relatif à une téléconférence, que « pour mastocytose ça devait conduire à un avis défavorable » ; qu'en outre, le 22 février 2017, le CHMP avait tenu une réunion par téléconférence sur la demande d'AMM du masitinib dans la mastocycose, à laquelle avait participé M. S... A... ; que la tendance « très défavorable » de l'opinion des rapporteurs du CHMP a semblé se confirmer au regard de ces deux comptes rendus, faits le jour même suite à la téléconférence (
) ; qu'enfin, il a relevé que le 7 mars 2017, à la demande d'AB Science, une téléconférence avait eu lieu de 13 heures à 14 heures entre le rapporteur, le co-rapporteur et leurs assesseurs du CHMP, les inspecteurs en charge du rapport , des membres de l'European Medical Agency (ci-après EMA) et la société AB Science, représentée par son PDG M. P... K... et son directeur financier M. G... F... ; qu'à cette occasion, le rapporteur et le co-rapporteur ont apparemment exprimé à AB Science leur opinion défavorable sur sa demande d'autorisation de mise sur le marché, fondée notamment sur les conclusions du rapport intégré d'inspection du 20 janvier 2017 ; que ces éléments non connus du public ont été mis en perspective avec le fait que : - la société AB Science avait effectué deux opérations de placements privés les 27 et 31 mars 2017; - M. P... K... avait cédé des titres AB Science le 31 mars 2017, lui permettant de réaliser une économie de perte d'un montant de 2 100 928 € ; - M. G... F..., le directeur financier, avait vendu des titres les 8 et 20 mars 2017, lui permettant de réaliser une économie de perte de 100 981 € ; - Mme T... Q..., la responsable opérations cliniques, avait cédé des titres les 10 et 11 mai 2017, lui permettant de réaliser une économie de perte de 31 750 € ; M. S... L..., le directeur de la stratégie clinique et professeur de médecine en hématologie à l'[...], avait vendu des titres le 31 mars 2017, lui permettant de réaliser une économie de perte de 149 000 € ; que le jld précisait dans son ordonnance que l'ANSM avait publié, le 11 mai 2017, sa décision de suspension des essais cliniques d'AB Science en France et que suite à cette annonce, le cours du titre AB Science avait été suspendu du 12 au 15 mai 2017 et avait repris le 16 mai 2017 à 10,16 € et clôturé à 11,10 €, en baisse de 32,70% par rapport au cours précédent et que le lendemain, la société AB Science avait publié l'avis négatif rendu par l'EMA sur la demande d'autorisation de mise sur le marché du masitinib dans l'indication de la mastocytose systémique ; que dès lors, c'était à bon droit que le Jld de Paris a relevé au moins une présomption simple d'une éventuelle commission des infractions prévues et réprimées par les articles L. 465-1 et L. 465-3 du code monétaire et financier, à savoir l'utilisation et la communication d'une information privilégiée ; que ce moyen sera rejeté ; que sur le caractère manifestement disproportionné quant aux buts poursuivis des visites domiciliaires autorisées par le jld du tribunal de grande instance de Paris le 23 avril 2018 ; qu'en l'espèce, les mesures autorisées par le jld aux termes de son ordonnance du 23 avril 2018 étaient manifestement disproportionnées quant aux buts poursuivis ; qu'il est constant que l'Amf n'a pas à rendre compte de son choix de recourir à la procédure, dite lourde, de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, laquelle n'a pas un caractère subsidiaire (et qui a été validée par le jld saisi) par rapport aux autres procédures pouvant être utilisées, comme celle de l'enquête simple ; que sur le caractère disproportionné de la mesure et l'atteinte subséquente au respect de la vie privée et familiale, il convient de rappeler que l'article 8 de la Convention EDH, tout en énonçant le droit au respect de sa vie privée et familiale, est tempérée par son paragraphe 2 qui dispose que « il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui » ; que ce moyen sera écarté ; qu'en conséquence, l'ordonnance du jld de Paris du 23 avril 2018 sera confirmée en toutes ses dispositions (ordonnance attaquée, p. 17 à 20).

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE dans le cadre de l'enquête n°2017.41 ouverte par décision du secrétaire général de l'Amf du 11 septembre 2017 sur le marché du titre et l'information financière de la société AB Science à compter du 1er septembre 2014, la direction des enquêtes de l'Amf a pu observer que l'ANSM a publié le 11 mai 2017 sa décision de suspension des essais cliniques d'AB Science en France, que suite à cette annonce le cours du titre AB Science a été suspendu du 12 au 15 mai 2017 et a repris le 16 mai 2017 à 10,16 € et clôturé à 11,10 € en baisse de 32 ,70% par rapport au cours d'avant annoncé, que le 17 mai 2017 la société AB Science a publié l'avis négatif rendu par l'EMA (European Medical Agency) sur la demande d'autorisation de mise sur le marché du masitinib dans l'indication de la mastocytose systémique ; que la décision de suspension des essais cliniques prononcée par l'ANSM a fait suite notamment aux résultats d'investigations réalisées par l'ANSM) la demande de l'EMA au mois de novembre 2016, dans le cadre de la demande d'autorisation de mise sur le marché du masitinib dans le traitement de la mastocytose systémique présentée par la société AB Science, qu'il apparaît que suite à ces investigations la société AB Science a été informée par l'ANSM, au plus tôt le 20 janvier 2017 et au plus tard le 7 mars 2017, que les rapporteurs de l'EMA allaient probablement rendre un avis négatif, cet avis étant déterminant dans le vote de la Commission européenne qui décide des autorisations de mise sur le marché ; qu'alors que l'avis négatif des rapporteurs de l'EMA était connu de la société AB Science mais n'avait pas été rendu public : - la société AB Science a réalisé deux opérations de placements privés les 27 et 31 mars 2017; M. P... K... a cédé des titres Ab Science le 31 mars 2017, lui permettant de réaliser une économie de pertes d'un montant de 2.100.928 euros ; - M. G... F..., le directeur financier, a cédé des titres les 8 et 20 mars 2017, lui permettant de réaliser une économie de perte de 100.981 euros ; - Mme T... Q..., la responsable opérations cliniques, a cédé des titres les 10 et 11 mai 2017, lui permettant de réaliser une économie de perte de 31.750 euros ; - M. S... L..., le directeur de la stratégie clinique et professeur de médecine en hématologie à l'[...], a cédé des titres le 31 mars 2017, lui permettant de réaliser une économie de perte de 149.000 euros ; que l'exercice par l'Amf des seuls pouvoirs prévues à l'article L.621-10 du code monétaire et financier pourrait ne pas suffire pour accéder aux documents et informations nécessaires à la manifestation de la vérité et éviter toute déperdition de preuves ; que dès lors, la requête apparaît fondée, les éléments et pièces invoqués étant de nature à justifier les visites domiciliaires demandées en application de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier aux fins de saisie des messageries électroniques personnelles et de tous documents utiles à la manifestation de la vérité et susceptibles de caractériser l'utilisation et/ou la communication d'une information privilégiée telles que définies aux termes des articles L. 465-1 et L. 465-3 du code monétaire et financier (ordonnance du jld, pp. 1 et 2) ;

ALORS QUE les visites et saisies domiciliaires, qui constituent une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et du domicile, doivent être strictement nécessaires et proportionnées au but recherché par l'autorité de poursuite, et ne peuvent donc être valablement mises en oeuvre que s'il n'est pas possible à ladite autorité de parvenir à son but par des moyens moins contraignants ; qu'il suit de là qu'en matière de recherche des preuves des infractions de marché, le recours, par l'Amf, à la visite domiciliaire prévue à l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, est subsidiaire à la mise en oeuvre de l'article L. 621-10 du même code et réservée strictement aux cas où la mise en oeuvre des procédés permis par ce dernier texte est insuffisante ; qu'en retenant au contraire que la procédure prévue à l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ne serait pas subsidiaire par rapport aux autres procédures pouvant être utilisées, le conseiller délégué par le premier président de la cour d'appel de Paris a violé ce texte, par fausse interprétation, ensemble l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE le juge doit vérifier, d'une manière concrète et effective, le caractère proportionné de l'atteinte au droit au respect de la vie privée et du domicile résultant d'une visite domiciliaire ; qu'en affirmant que l'Amf n'avait pas à rendre compte de son choix de recourir à la procédure de visite domiciliaire et en s'affranchissant lui-même de tout contrôle effectif et circonstancié du caractère proportionné ou non de l'atteinte résultant d'une telle mesure, le conseiller délégué a de plus fort violé les textes susvisés.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'ordonnance attaquée D'AVOIR déclaré les opérations de visite et saisie en date du 26 avril 2018 régulières ;

AUX MOTIFS QU'à titre principal, sur la nullité totale des opérations de visite et saisie réalisées par l'Amf sur le fondement de l'ordonnance rendue par le jld du tribunal de grande instance de Paris le 23 avril 2018, qu'il convient de rappeler que la société AB Science est une société pharmaceutique dont l'activité repose sur la recherche, le développement et la commercialisation d'inhibiteurs de tyrosine kinase, à savoir une classe de molécules thérapeutiques utilisées dans le traitement des cancers, des maladies inflammatoires et des maladies neurodégénératives en santé humaine et animale ; qu'il est constant également que la collecte de données cliniques de patients par une société pharmaceutique est censée être effectuée de manière anonymisée ; que dès lors, sauf cas très exceptionnel, les articles L. 621-[12] alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale entourant d'une protection spécifique les visites domiciliaires et les perquisitions réalisées dans le cabinet d'un médecin, n'ont pas vocation à s'appliquer, ce qui ne semble pas être le cas en l'espèce (ordonnance attaquée, p. 20) ;

ALORS, EN PREMIER LIEU, QUE le secret médical étant général et absolu, une visite domiciliaire dans les locaux d'une entreprise pharmaceutique spécialisée dans la recherche médicale et maniant comme telle des informations couvertes par le secret médical doit, à peine de nullité, avoir lieu en présence d'un magistrat et d'un membre du conseil de l'ordre des médecins, dès l'instant qu'elle est susceptible de mettre les agents de l'autorité effectuant la visite en contact avec des documents ou informations couverts par le secret ; qu'il suit de là que la visite est intégralement nulle, lorsqu'elle a eu lieu hors la présence d'un magistrat et d'un membre du conseil de l'ordre des médecins et a donné lieu à la saisie de documents couverts par le secret médical, peu important que ces documents soient marginaux dans la masse des documents saisis ou qu'ils n'aient donné lieu à aucune utilisation ; que le conseiller délégué du premier président de la cour d'appel de Paris avait constaté que, lors des opérations de visite réalisées dans les locaux de la société AB Science, des courriels couverts par le secret médical avaient été saisis, ce dont il résultait que la visite avait mis les agents de l'Amf en contact avec des informations couvertes par le secret médical et qu'elle était irrégulière, pour n'avoir pas eu lieu en présence d'un magistrat et d'un membre du conseil de l'ordre des médecins ; qu'en retenant néanmoins, pour refuser d'annuler l'intégralité des opérations de visite et cantonner leur nullité à la seule saisie des courriels en cause, que la protection spécifique du secret médical n'avait pas vocation à s'appliquer, le conseiller délégué, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 621-12, alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale ;

ALORS, EN DEUXIEME LIEU, QUE le juge doit assurer un respect strict et effectif du secret médical, ce qui lui impose, en cas de visite domiciliaire dans les locaux d'une entreprise pharmaceutique spécialisée dans la recherche médicale, de vérifier de manière concrète que les éléments saisis par l'autorité ayant effectué la visite étaient, soit exclus du champ du secret, soit anonymisés ; qu'en se déterminant pourtant par la considération que la collecte de données cliniques de patients par une société pharmaceutique était « censée être effectuée de manière anonymisée », pour en déduire que la visite n'avait pas lieu d'être annulée pour défaut de présence d'un représentant de l'ordre des médecins, donc en s'affranchissant de tout contrôle effectif du caractère secret ou non des documents et informations auxquels avait pu accéder l'Amf à l'occasion de la visite, le conseiller délégué a violé, par refus d'application, l'article 56-3 du code de procédure pénale et l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ;

ALORS, EN TROISIEME LIEU ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU'en se déterminant par la considération que la collecte de données cliniques de patients par une société pharmaceutique était « censée être effectuée de manière anonymisée », de sorte qu'il « ne sembl[ait] pas », au cas présent, qu'il soit nécessaire d'appliquer la protection spécifique du secret médical, le conseiller délégué a statué par des motifs hypothétiques, en méconnaissance de l'article 455 du code de procédure civile. Moyens produits à un pourvoi incident par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour M. K....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention de Paris en date du 23 avril 2018 ;

AUX MOTIFS QUE sur le caractère manifestement disproportionné quant aux buts poursuivis des visites domiciliaires autorisées par le JLD de Paris le 23 avril 2018, qu'en l'espèce, les mesures autorisées par le JLD du TGI de Paris aux termes de son ordonnance du 23 avril 2018 étaient manifestement disproportionnées quant aux buts poursuivis ; qu'il est constant que l'AMF n'a pas à rendre compte de son choix de recourir à la procédure, dite lourde, de l'article L. 621-12 du CMF, laquelle n'a pas un caractère subsidiaire (et qui a été validée par le JLD saisi) par rapport aux autres procédures pouvant être utilisées comme celle de l'enquête simple ; que, sur le caractère disproportionné de la mesure et l'atteinte subséquente au respect de la vie privée et familiale, il convient de rappeler que l'article 8 de la CESDH, tout en énonçant le droit au respect de la vie privée et familiale, est tempéré par son paragraphe 2 qui dispose qu'"il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui" ; que ce moyen sera écarté ;

ALORS, DE PREMIERE PART, QUE les visites et saisies domiciliaires, qui constituent une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et du domicile, doivent être strictement nécessaires et proportionnées au but recherché par l'autorité de poursuite, et ne peuvent donc être valablement mises en oeuvre que s'il n'est pas possible à ladite autorité de parvenir à son but par des moyens moins contraignants ; qu'il suit de là qu'en matière de recherche des preuves des infractions de marché, le recours, par l'AMF, à la visite domiciliaire prévue à l'article L. 621-12 du code monétaire et financier est subsidiaire à la mise en oeuvre de l'article L. 621-10 du même code et réservé strictement aux cas où la mise en oeuvre des procédés permis par ce dernier texte est insuffisante ; qu'en retenant au contraire que la procédure prévue à l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ne serait pas subsidiaire par rapport aux autres procédures pouvant être utilisées, la cour d'appel a violé ce texte, par fausse interprétation, ensemble l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

ALORS, DE DEUXIEME PART, et en toute hypothèse, QU'il appartient au juge des libertés et de la détention de vérifier qu'est fondée la demande d'autorisation d'effectuer des visites, de procéder à la saisie de documents et au recueil ; d'où il suit qu'en se déterminant par une référence à l'absence d'obligation de l'AMF de justifier de son choix de recourir à la procédure de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier et à la circonstance que le juge des libertés et de la détention du TGI de Paris avait validé ce choix, la cour, pourtant saisie par l'effet dévolutif de l'appel, a refusé d'exercer son office et commis un déni de justice, en violation des articles 4 du code civil et 12 du code de procédure civile ;

ALORS, DE TROISIEME PART, et en toute hypothèse, QU'il appartient au juge des libertés et de la détention de vérifier qu'est fondée la demande d'autorisation d'effectuer des visites, de procéder à la saisie de documents et au recueil ; d'où il suit qu'en se bornant à rappeler l'article 8, § 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sans examiner la situation de fait qui lui était soumise à partir de laquelle il était soutenu que les mesures autorisées par le juge des libertés et de la détention étaient manifestement disproportionnées quant aux buts poursuivis, la cour d'appel a refusé de trancher le litige et commis un déni de justice, en violation des articles 4 du code civil et 12 du code de procédure civile ;

ALORS, DE QUATRIEME ET DERNIERE PART, et en toute hypothèse, QU'à tout le moins, en ne recherchant pas, comme elle y était invitée (concl. p. 28 et s.) si les mesures autorisées par le juge des libertés et de la détention n'étaient pas ici clairement disproportionnées par rapport aux buts poursuivis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR déclaré les opérations de visite et saisie en date du 26 avril 2018 régulières ;

AUX MOTIFS QUE, à titre principal, sur la nullité totale des opérations de visite et saisie réalisées par l'AMF sur le fondement de l'ordonnance rendue par le JLD du TGI de Paris le 23 avril 2018, qu'il convient de rappeler que la société AB Science est une société pharmaceutique dont l'activité repose sur la recherche, le développement et la commercialisation d'inhibiteurs de tyrosine kinase, à savoir une classe de molécules thérapeutiques utilisées dans le traitement des cancers, des maladies inflammatoires et des maladies neurodégénératives en santé humaine et animale ; qu'il est constant également que la collecte de données cliniques de patients par une société pharmaceutique est censée être effectuée de manière anonymisée ; que dès lors, sauf cas très exceptionnel, les articles L. 621-21, alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale entourant d'une protection spécifique les visites domiciliaires et les perquisitions réalisées dans le cabinet d'un médecin, n'ont pas vocation à s'appliquer, ce qui ne semble pas être le cas en l'espèce ;

ALORS, DE PREMIERE PART, QUE le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; que pour refuser d'annuler l'intégralité des opérations de saisie pratiquées par l'AMF pour violation des dispositions de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier et de l'article 56-3 du code de procédure pénale, la cour d'appel affirme, sans en justifier sur la base d'une quelconque disposition légale ou en fait, qu'il « est constant que la collecte de données cliniques de patients par une société pharmaceutique est censée être effectuée de manière anonymisée », en quoi elle méconnaît les exigences de l'article 12 du code de procédure civile ;

ALORS, DE DEUXIEME PART, QUE l'officier de police judiciaire veille au respect du secret professionnel et des droits de la défense conformément aux dispositions du troisième alinéa de l'article 56 du code de procédure pénale qui prescrit la présence de la personne responsable de l'ordre à laquelle appartient l'intéressé (art. 56-3) ; qu'ainsi, la présence d'un membre du conseil de l'ordre des médecins s'impose lorsque les opérations de visite domiciliaire et de saisie sont autorisées par le juge des libertés et de la détention dans une société pharmaceutique détentrice d'informations à caractère médical, peu important que certaines informations puissent être anonymisées, de sorte qu'en statuant comme elle l'a fait, à l'aide d'une considération inopérante, la cour d'appel a violé les articles L. 621-12 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QUE l'officier de police judiciaire veille au respect du secret professionnel et des droits de la défense conformément aux dispositions du troisième alinéa de l'article 56 du code de procédure pénale qui prescrit la présence de la personne responsable de l'ordre à laquelle appartient l'intéressé (art. 56-3) ; qu'en refusant d'annuler la totalité des opérations de visite et de saisie réalisées par l'AMF sur le fondement de l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris le 23 avril 2018, après avoir pourtant constaté qu'il avait été procédé à la saisie de trois courriels couverts par le secret médical dans les locaux de la société AB Science et qu'ainsi la présence d'un membre du conseil de l'ordre s'imposait, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé les articles L. 621-12 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale ;

ALORS, DE QUATRIEME PART, QUE les motifs inintelligibles équivalent à un défaut de motifs ; qu'en affirmant que, « sauf cas très exceptionnel, les articles L. 621-21, alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale
n'ont pas vocation à s'appliquer, ce qui ne semble pas être le cas en l'espèce », la cour d'appel a statué par une considération inintelligible, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

ALORS, DE CINQUIEME PART, QUE le motif dubitatif équivaut à un défaut de motifs ; qu'ainsi, en toute hypothèse, en affirmant que « ce ne semble pas être le cas en l'espèce », la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

ALORS, DE SIXIEME ET DERNIERE PART, QUE le juge tranche le litige conformément aux règles de droit applicables ; qu'en ne précisant pas dans quel « cas très exceptionnel » les articles L. 621-12, alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale auraient vocation à s'appliquer aux visites domiciliaires, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 12 du code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2020:CO00618
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