Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 23 septembre 2020, 19-18.031, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 23 septembre 2020




Cassation


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 653 FS-P+B+I

Pourvoi n° S 19-18.031




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 SEPTEMBRE 2020

L'établissement public Bordeaux métropole, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° S 19-18.031 contre l'arrêt rendu le 4 avril 2019 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Etablissements A. Gré et Cie, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Djikpa, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'établissement public Bordeaux métropole, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Etablissements A. Gré et Cie, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 23 juin 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Djikpa, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Bech, Boyer, conseillers, Mmes Guillaudier, Georget, Renard, conseillers référendaires, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 4 avril 2019), par acte authentique des 27 et 29 novembre 2012, la société Etablissements A. Gré et Cie a vendu à la communauté urbaine de Bordeaux trois parcelles nécessaires à la réalisation de travaux d'extension d'une ligne de tramway, qui avaient été préalablement déclarés d'utilité publique.

2. Se plaignant d'une pollution du sol d'origine industrielle, la communauté urbaine de Bordeaux a, après expertise, assigné la société Etablissements A. Gré et Cie en indemnisation de son préjudice, sur le fondement des articles 1116, 1603, 1641 du code civil et L. 125-7 et L. 514-20 du code de l'environnement.

3. L'établissement public Bordeaux métropole est venu aux droits de la communauté urbaine de Bordeaux.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. L'établissement public Bordeaux métropole fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement, alors « que, si une cession amiable intervenue après la déclaration d'utilité publique produit les mêmes effets que l'ordonnance d'expropriation et éteint les droits réels et personnels existant sur l'immeuble concerné, elle n'en reste pas moins un contrat de vente de droit privé qui peut être annulé, rescindé ou résolu dans les conditions de droit commun ; qu'en relevant, pour rejeter les demandes en paiement formées par l'établissement Bordeaux Métropole sur le fondement de la garantie des vices cachés, de la non-conformité et de la violation par la société Etablissements A. Gré et Cie de son obligation d'information que la cession étant intervenue après la déclaration d'utilité publique, les règles relatives au contrat de vente ne s'appliquaient pas, la cour d'appel a violé par fausse application les articles L. 220-2, L. 222-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et par refus d'application, les articles 1134, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, 1582, 1604, 1641 du code civil et L. 512-40 du code de l'environnement dans sa version applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

6. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

7. Si la cession amiable consentie après déclaration d'utilité publique produit, en application de l'article L. 222-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, des effets identiques à ceux de l'ordonnance d'expropriation et éteint, par elle-même et à sa date, tout droit réel ou personnel existant sur les biens cédés, elle demeure néanmoins un contrat de droit privé (3e Civ., 26 octobre 1971, pourvoi n° 70-10.962, Bull. III, n° 513).

8. Pour rejeter la demande en paiement de l'établissement Bordeaux métropole, l'arrêt retient que la cession amiable après déclaration d'utilité publique produit les mêmes effets que l'ordonnance d'expropriation et que, dès lors, les règles relatives à la vente ne s'appliquant pas, l'établissement Bordeaux métropole ne peut invoquer, au soutien de ses prétentions indemnitaires, la garantie des vices cachés ou les obligations d'information, de délivrance conforme et celles tirées de l'article L. 514-20 du code de l'environnement.

9. En statuant ainsi, alors que la cession consentie après une déclaration d'utilité publique par la société Etablissements A. Gré et Cie était un contrat de vente de droit privé, susceptible d'ouvrir droit à une action fondée sur la garantie des vices cachés ou sur la violation des obligations légales pesant sur le vendeur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;

Condamne la société Etablissements A. Gré et Cie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois septembre deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la l'établissement public Bordeaux métropole.

L'arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a rejeté les demandes en paiement formées par l'Etablissement public Bordeaux Métropole à l'encontre de la société Etablissements à Gré et Cie ;

AUX MOTIFS QUE « sur les vices cachés et les violations des obligations d'information, de délivrance conforme et de l'article L. 512-40 du code de l'environnement, l'article L. 514-20 du code de l'environnement énonce que lorsqu'une installation soumise à autorisation a été exploitée sur un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d'en informer par écrit l'acheteur ; qu'il l'informe également, pour autant qu'il les connaisse, des dangers ou inconvénients importants qui résultent de l'exploitation ; qu'à défaut, et si une pollution constatée rend le terrain impropre à la destination précisée dans le contrat, dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la pollution, l'acheteur a le choix de demander la résolution de la vente ou de se faire restituer une partie du prix ; qu'il peut aussi demander la réhabilitation du site aux frais du vendeur, lorsque le coût de cette réhabilitation ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente ; que ce texte ne s'applique cependant pas aux installations soumises à déclaration (arrêt de la Troisième chambre civile de la Cour de cassation du 16 juin 2009) ; que l'ampleur de la pollution constitue un vice caché, au sens de l'article 1641 du code civil, rendant l'immeuble impropre à sa destination dès lors que toute construction reste risquée pour la santé ou la sécurité tant des participants au chantier que des futurs utilisateurs (arrêt de la Troisième chambre civile de la Cour de cassation du 6 juin 2006) ; que l'acte notarié des 27 et 29 novembre 2012 utilise régulièrement le terme de vendeur et évoque le paiement du prix des parcelles cédées ; que cependant, comme l'a justement souligné la décision entreprise, l'acquisition des parcelles litigieuses résulte d'une volonté administrative d'expropriation afin de permettre la construction d'une ligne de tramway ; que ce souhait s'est notamment concrétisé par l'arrêté préfectoral du 24 décembre 2010 déclarant les travaux d'utilité publique, le dépôt de l'enquête parcellaire au mois de décembre 2011 et la promulgation de l'arrêté du 11 juin 2012 donnant délégation au président de la CUB pour l'acquisition des droits immobiliers nécessaires à son édification ; que si la parcelle ayant supporté la maison de gardien, impactée par la pollution décrite ci-dessus, n'a effectivement pas été initialement concernée par la déclaration d'utilité publique précitée, son intégration a postériori dans l'acte des 27/29 novembre 2012 démontre qu'elle fait pleinement partie de l'opération d'expropriation concernant l'ensemble des propriétés concernées ; qu'à la suite de la délivrance de ces actes administratifs, la CUB a versé à la SARL A. Gré deux indemnités complémentaires, la première d'un montant de 137.500 € correspondant à la prise en charge financière du rescindement de l'entrepôt et de la démolition des constructions impactées par l'emprise (arrêté du 11 juin 2012), la seconde de 22.132,31 € correspondant à la prise en charge par la propriétaire des travaux de modification de l'installation électrique à l'intérieur du site (arrêté du12 octobre 2012) ; que le versement d'indemnités de remploi consiste à indemniser le vendeur d'un préjudice est un mécanisme juridique prévu en matière d'expropriation et non de vente au sens des articles 1582 et suivants du code civil ; qu'il a pour objet de dédommager le propriétaire qui n'avait pas manifesté la volonté de vendre les propriétés concernées ; qu'il convient dès lors d'observer que la promesse unilatérale de cession du 4 juin 2012 ainsi que l'acte authentique comprend expressément une indemnité de remploi qui est calculée sur l'indemnité d'expropriation ; que la page 17 de l'acte notarié susvisé fait expressément référence à la déclaration d'utilité publique alors qu'aucune clause générale relative à la garantie des vices cachés n'y figure ; que certes, le juge de l'expropriation n'est pas intervenu pour fixer le montant de l'indemnité d'expropriation ; que le recours au juge est cependant facultatif dans la mesure où la procédure d'expropriation prévoit spécifiquement une possibilité d'accord amiable entre les parties concernées et que cette procédure ne serait menée à son terme « qu'en cas de désaccord profond » comme le précisent les services communautaires dans leur réponse à leur correspondance du maire du de la commune de Bègles ; que les cessions amiables consenties après déclaration d'utilité publique et les mesures d'expropriation menées jusqu'à leur terme produisent les mêmes effets sur le plan juridique, en l'occurrence l'extinction de tout droit réel ou personnel existant sur les immeubles concernés ; que le prix d'acquisition versé à la SARL A. Gré correspond en réalité à l'indemnisation intégrale du préjudice résultant de la dépossession ; que l'appelante ne peut ignorer avoir agi en vertu de la procédure d'expropriation dans la mesure où elle vise elle-même l'ancien R. 11-22 du code de l'expropriation et l'enquête parcellaire dans son courrier du 31 octobre 2011 adressé à la gérante de la SARL A. Gré ; que cette correspondance, qui notifie la DUP à son destinataire, utilise également le terme d'expropriant ; que les considérations de l'établissement Bordeaux Métropole relatives au coût supérieur du montant de l'acquisition des parcelles litigieuses à l'estimation réalisée par France Domaine sont sans incidence sur les éléments relevés ci-dessus, ce dernier organisme admettant lui-même que l'écart du prix, qualifié d'acceptable, n'est pas significatif ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la cession amiable est intervenue après la déclaration d'utilité publique ; que le contrat conclu entre les deux parties est de droit commun qui produit toutefois les mêmes effets que l'ordonnance d'expropriation ; que dès lors, en l'absence d'application des règles relatives à la vente, c'est à bon droit que le premier juge a considéré que le l'établissement Bordeaux Métropole ne pouvait invoquer l'application des textes susvisés ainsi qu'un manquement aux obligations d'information et de délivrance conforme au soutien de ses prétentions indemnitaires ; que le jugement sera donc confirmé par substitution de motifs » (arrêt pp. 8 et 9) ;

ALORS QUE, premièrement, si une cession amiable intervenue après la déclaration d'utilité publique produit les mêmes effets que l'ordonnance d'expropriation et éteint les droits réels et personnels existant sur l'immeuble concerné, elle n'en reste pas moins un contrat de vente de droit privé qui peut être annulé, rescindé ou résolu dans les conditions de droit commun ; qu'en relevant, pour rejeter les demandes en paiement formées par l'établissement Bordeaux Métropole sur le fondement de la garantie des vices cachés, de la non-conformité et de la violation par la société Etablissements à Gré et Cie de son obligation d'information que la cession étant intervenue après la déclaration d'utilité publique, les règles relatives au contrat de vente ne s'appliquaient pas, la cour d'appel a violé par fausse application les articles L. 220-2, L. 222-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et par refus d'application, les articles 1134, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, 1582, 1604, 1641 du code civil et L. 512-40 du code de l'environnement dans sa version applicable au litige ;

ALORS QUE, deuxièmement, il ne peut y avoir de transfert de propriété dans le cadre d'une procédure d'expropriation que si l'immeuble en cause, à la suite de la phase administrative, a fait l'objet d'un arrêté de cessibilité ; qu'en relevant pour dire que la cession du 29 novembre 2012 était intervenue dans la cadre d'une procédure d'expropriation, que l'acquisition résultait d'une volonté administrative d'expropriation et faisait pleinement partie de l'opération d'expropriation, que des indemnités de remploi avait été versées à la société Etablissements à Gré et Cie et que les actes visaient la déclaration d'utilité publique qui avait été notifiée à la société et que le prix correspondait, en réalité, à l'indemnisation du préjudice résultant de la dépossession, ce qui excluait l'application des règles relatives au contrat de vente, cependant que ces circonstances étaient insuffisantes à conclure que la cession était intervenue dans le cadre d'une procédure d'expropriation dont elle ne serait qu'une modalité, s'il n'était pas constaté que le terrain en cause avait fait l'objet d'un arrêté de cessibilité, ce qu'elle n'a pas fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1 et L. 132-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. ECLI:FR:CCASS:2020:C300653
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