Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 9 juillet 2020, 19-13.612, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 juillet 2020




Rejet


M. CHAUVIN, président,



Arrêt n° 437 F-D

Pourvoi n° P 19-13.612






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUILLET 2020

La société [...] notaires associés, société civile professionnelle, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° P 19-13.612 contre l'arrêt rendu le 15 janvier 2019 rectifié le 7 février 2019 par la cour d'appel d'Amiens (chambre baux ruraux), dans le litige l'opposant :

1°/ au Groupement foncier agricole de la Ferme [...], groupement foncier agricole, dont le siège est [...] ,

2°/ à la société de la Ferme de [...], exploitation agricole à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dagneaux, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de société [...] notaires associés, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat du Groupement foncier agricole de la Ferme [...], après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dagneaux, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens,15 janvier 2019 rectifié le 7 février 2019), par acte notarié du 22 avril 2009, le groupement foncier agricole de la Ferme de [...] (le GFA) a donné à bail rural à long terme à l'EARL de la Ferme de [...] différentes parcelles de terre.

2. Par déclaration du 31 mai 2016, le GFA a sollicité la convocation devant le triibunal paritaire des baux ruraux de l'EARL de la Ferme de [...] et de la SCP [...], titulaire d'un office notarial (la SCP), aux fins d'annulation des clauses relatives au montant du fermage figurant à l'acte.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La SCP fait grief à l'arrêt de déclarer illicites les clauses relatives au fermage, de les annuler et d'ordonner une expertise, alors :

« 1°/ qu'est valable la clause d'un bail rural qui fixe un fermage en unités monétaires et en fonction d'éléments extérieurs à la volonté des parties et étrangers aux produits de l'activité du preneur ; qu'en jugeant illégale la clause du bail rural qui fixe le montant du fermage à l'hectare à la somme de « 150 euros, remboursement des impôts fonciers compris », en précisant par ailleurs que le preneur supportait la part légale de l'impôt foncier car elle n'exprimerait pas le fermage en monnaie, bien que cette clause ait fixé le fermage en unités monétaires en intégrant à la somme globale de 150 euros la part de l'impôt foncier pouvant être légalement mise à la charge du preneur, de sorte que le fermage ne variait qu'en considération du montant de l'impôt foncier, lui-même exprimé en unités monétaires, la cour d'appel a violé l'article L. 411-11 du code rural et de la pêche maritime ;

2°/ que la clause qui prévoit que le fermage était de 150 euros à l'hectare « remboursement des impôts fonciers compris » est claire et permet déterminer le fermage stricto sensu, obtenu par la déduction du montant de l'impôt foncier par ailleurs mis à la charge du preneur de la somme ainsi ; qu'en affirmant que cette clause opérerait une « confusion » entre le fermage stricto sensu et la part de l'impôts foncier, la cour d'appel l'a dénaturée, en méconnaissance du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

3°/ que le contrat de bail prévoit « un fermage à l'hectare de (
) 150 euros, remboursement des impôts fonciers compris, soit un fermage annuel de (
)
35 748,43 euros » ; qu'en affirmant que cette première clause aboutirait à « faire dépendre cette somme globale (150 euros) des maxima et minima fixés par l'autorité administrative », quand cette somme était fixe et que le fermage ne dépend que du montant de l'impôt foncier par ailleurs mis à la charge du preneur, la cour d'appel l'a dénaturée, en méconnaissance du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

4°/ que la clause qui prévoit que le fermage est de 150 euros à l'hectare « remboursement des impôts fonciers compris », permet déterminer le fermage stricto sensu, obtenu par la déduction du montant de l'impôt foncier par ailleurs mis à la charge du preneur de la somme ainsi visée ; qu'en affirmant que cette clause ne permettait pas de vérifier que le montant du fermage stricto sensu était compris entre les minima et maxima réglementaires comme le prescrit l'article L. 411-11 du code rural et de la pêche maritime, la cour d'appel l'a dénaturée, en méconnaissance du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

5°/ que la clause qui prévoit que le fermage est de 150 euros à l'hectare « remboursement des impôts fonciers compris », permet de déterminer le fermage stricto sensu, obtenu par la déduction du montant de l'impôt foncier par ailleurs mis à la charge du preneur de la somme ainsi visée ; qu'en affirmant que cette clause ne permettait pas d'actualiser le montant du fermage stricto sensu en fonction de la variation de l'indice des fermages comme le prescrit l'article L. 411-11 du code rural et de la pêche maritime, la cour d'appel l'a dénaturée, en méconnaissance du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause. »

Réponse de la Cour

4. La cour d'appel a retenu, à bon droit, qu'il résulte des dispositions d'ordre public des articles L. 411-11 et L. 411-12 du code rural et de la pêche maritime que le loyer des terres nues et des bâtiments d'exploitation est fixé en monnaie entre des maxima et des minima arrêtés par l'autorité administrative, que ce loyer, ainsi que les maxima et les minima, sont actualisés chaque année selon la variation d'un indice national des fermages et que le fermage, payable en espèces, ne peut comprendre, en sus du prix ainsi calculé, aucune redevance ou service de quelque nature que ce soit.

5. Ayant relevé que les stipulations du bail exprimaient clairement que celui-ci était consenti "moyennant un fermage à l'hectare de cent cinquante euros (150 €), remboursement des impôts fonciers compris'', de sorte que cette détermination du prix fusionnait, en une somme globale, le remboursement partiel d'une charge pesant sur le propriétaire et le loyer dû par le preneur, alors que l'impôt foncier n'entre pas dans les critères d'évaluation du fermage, ni dans l'assiette de son indexation légale, elle en a exactement déduit, sans dénaturation, que ces stipulations étaient contraires aux exigences impératives des textes précités et devaient être annulées.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la SCP [...] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société [...] et la condamne à payer au GFA de la Ferme de [...] la somme de 3 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, signé par M. Echappé, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société [...]


IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré illicites les clauses du bail rural du 22 avril 2009 ci-après : « en application de l'article L. 411-11 du code rural et de l'arrêté de Monsieur le Préfet du département de l'Oise, le présent bail est consenti et accepté : moyennant un fermage à l'hectare de CENT CINQUANTE EUROS (150 €), remboursement des impôts fonciers compris soit un fermage annuel de TRENTE CINQ MILLE SEPT CENT QUARANTE HUIT EUROS QUARANTE TROIS CENTIMES (35 748,45 €) » ; « Etant précisé que le fermage ci-dessous comprend le remboursement des impôts fonciers », d'AVOIR prononcé la nullité de ces clauses et, avant-dire droit sur le montant du fermage, d'AVOIR ordonné une expertise en vue d'en déterminer le montant à compter de la conclusion du bail ;

AUX MOTIFS QUE sur l'action pour illicéité du fermage ; (
) qu'il résulte du jugement qui reprend les demandes et les moyens des parties que le GFA de la ferme de [...] a saisi au visa et sur le fondement de l'article L. 411-11 du code rural le tribunal d'une demande en nullité de la clause querellée et n'a pas entendu se placer dans le cadre d'une action en révision du prix du fermage prévue par l'article L. 411-13 du même code ; que devant la cour, le GFA de la ferme de [...] n'ayant pas modifié le fondement juridique de son action, le moyen d'irrecevabilité défendu par l'EARL de la ferme de [...] tenant à sa tardiveté au motif qu'elle n'a pas été introduite au cours de la troisième année du bail comme le prescrit l'article L. 411-13 et qui est propre à l'action en révision du montant du fermage, est inopérant ; que l'article L. 411-11 du code rural prévoit que le loyer des terres nues et des bâtiments d'exploitation est fixé en monnaie entre des maxima et des minima arrêtés par l'autorité administrative et que ce loyer ainsi que les maxima et les minima sont actualisés chaque année selon la variation d'un indice national des fermages ; qu'en vertu de l'article L. 411-12 du même code, le prix du bail est payable en espèces ; que le fermage ne peut comprendre en sus du prix calculé comme indiqué à l'article L. 411-11, aucune redevance ou service de quelque nature que ce soit ; que l'article L. 411-14 de ce code dispose que les dispositions des articles L. 411-11 à L. 411-13 sont d'ordre public ; qu'enfin aux termes de l'article L. 415-3 de ce code, l'impôt foncier reste à la charge exclusive du propriétaire mais les dépenses afférentes aux voies communales et aux chemins ruraux sont supportées par le preneur ; qu'à cet effet, il est mis à sa charge au profit du bailleur une fraction du montant global de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la taxe foncière sur les propriétés non bâties portant sur les biens pris à bail ; qu'à défaut d'accord amiable entre les parties, cette fraction est fixée à un cinquième ; que la loi en prévoyant que le montant du fermage est fixé entre les maxima et minima arrêtés par l'autorité administrative a entendu créer une distinction entre les fermages stricto sensu seuls visés par ces maxima et minima et la part de l'impôt foncier pouvant être mise à la charge du preneur en dehors des règles de fixation du fermage ; que pour marquer cette distinction, le législateur a fait figurer les textes relatifs au fermage stricto sensu au sein d'une sous-section intitulée « prix du bail » figurant au chapitre I qui traite du régime du droit commun du titre I consacré au statut du fermage et du métayage ; que les dispositions relatives à la part de l'impôt foncier pouvant être mise à la charge du preneur sont pour leur part insérées dans le chapitre V intitulées « dispositions diverses et d'application » ; que le montant de 150 € figurant aux deux clauses litigieuses certes exprimé en monnaie opère une confusion entre le fermage stricto sensu et la part de l'impôt foncier ; que la clause litigieuse aboutit ainsi à faire dépendre cette somme globale des maxima et minima fixés par l'autorité administrative alors même que l'article L. 411-11 du code rural ne prévoit l'application des maxima et des minima qu'au montant du fermage stricto sensu et en aucun cas à la part de l'impôt foncier ; que du fait de cette confusion, le montant du fermage stricto sensu n'est pas exprimé en monnaie contrairement aux prescriptions impératives de l'article L. 411-11 du code rural ; que, par ailleurs, ces clauses ne permettent pas d'actualiser le montant du fermage stricto sensu en fonction de la variation de l'indice des fermages comme le prescrit l'article L. 411-11 du code rural, mais ont pour effet de le faire modifier en fonction du montant de l'impôt foncier, lui-même dépendant de plusieurs paramètres que sont l'assiette cadastrale des biens loués, le taux d'imposition de la commune, de l'intercommunalité, de la chambre d'agriculture, de la taxe foncière et de remembrement, des frais de confection de rôle ; qu'il résulte de ce qui précède que les clauses litigieuses qui contreviennent aux dispositions de l'article L. 411-11 du code rural sont illicites ; que le statut du fermage instaure un ordre public dit d'équilibre dont le preneur comme le bailleur sont fondés à se prévaloir ; que l'acceptation par le GFA de la ferme de [...] des paiements effectués par l'EARL de la ferme de [...] ne suffit pas à emporter sa renonciation à se prévaloir du caractère illicite du fermage en dehors de tout autre acte de sa part manifestant sa volonté non équivoque ; que, pour les motifs qui précèdent, il y a lieu d'accueillir son action pour fermage illicite sur le fondement de l'article L. 411-11 du code rural ; que l'illicéité de la clause fixant le montant du fermage et de la clause complémentaire relative aux impôts, à défaut d'accord des parties pour voir fixer un fermage conforme aux dispositions de l'article L. 411-11 du code rural qui serait entériné par la cour, impose de le fixer judiciairement ;

1°) ALORS QU'est valable la clause d'un bail rural qui fixe un fermage en unités monétaires et en fonction d'éléments extérieurs à la volonté des parties et étrangers aux produits de l'activité du preneur ; qu'en jugeant illégale la clause du bail rural qui fixe le montant du fermage à l'hectare à la somme de « 150 euros, remboursement des impôts fonciers compris », en précisant par ailleurs que le preneur supportait la part légale de l'impôt foncier car elle n'exprimerait pas le fermage en monnaie, bien que cette clause ait fixé le fermage en unités monétaires en intégrant à la somme globale de 150 euros la part de l'impôt foncier pouvant être légalement mise à la charge du preneur, de sorte que le fermage ne variait qu'en considération du montant de l'impôt foncier, lui-même exprimé en unités monétaires, la cour d'appel a violé l'article L. 411-11 du code rural et de la pêche maritime ;

2°) ALORS QU'en toute hypothèse, la clause qui prévoit que le fermage était de 150 euros à l'hectare « remboursement des impôts fonciers compris » est claire et permet déterminer le fermage stricto sensu, obtenu par la déduction du montant de l'impôt foncier par ailleurs mis à la charge du preneur de la somme ainsi ; qu'en affirmant que cette clause opérerait une « confusion » entre le fermage stricto sensu et la part de l'impôts foncier, la cour d'appel l'a dénaturée, en méconnaissance du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

3°) ALORS QU'en toute hypothèse, le contrat de bail prévoit « un fermage à l'hectare de (
) 150 euros, remboursement des impôts fonciers compris, soit un fermage annuel de (
) 35 748,43 euros » (contrat de bail, p. 11) ; qu'en affirmant que cette première clause aboutirait à « faire dépendre cette somme globale (150 euros) des maxima et minima fixés par l'autorité administrative », quand cette somme était fixe et que le fermage ne dépend que du montant de l'impôt foncier par ailleurs mis à la charge du preneur, la cour d'appel l'a dénaturée, en méconnaissance du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

4°) ALORS QU'en toute hypothèse, la clause qui prévoit que le fermage est de 150 euros à l'hectare « remboursement des impôts fonciers compris », permet déterminer le fermage stricto sensu, obtenu par la déduction du montant de l'impôt foncier par ailleurs mis à la charge du preneur de la somme ainsi visée ; qu'en affirmant que cette clause ne permettait pas de vérifier que le montant du fermage stricto sensu était compris entre les minima et maxima réglementaires comme le prescrit l'article L. 411-11 du code rural et de la pêche maritime, la cour d'appel l'a dénaturée, en méconnaissance du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

5°) ALORS QU'en toute hypothèse, la clause qui prévoit que le fermage est de 150 euros à l'hectare « remboursement des impôts fonciers compris », permet de déterminer le fermage stricto sensu, obtenu par la déduction du montant de l'impôt foncier par ailleurs mis à la charge du preneur de la somme ainsi visée ; qu'en affirmant que cette clause ne permettait pas d'actualiser le montant du fermage stricto sensu en fonction de la variation de l'indice des fermages comme le prescrit l'article L. 411-11 du code rural et de la pêche maritime, la cour d'appel l'a dénaturée, en méconnaissance du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause.ECLI:FR:CCASS:2020:C300437
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