Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 juillet 2020, 18-21.681, Publié au bulletin
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 juillet 2020, 18-21.681, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 18-21.681
- ECLI:FR:CCASS:2020:SO00678
- Publié au bulletin
- Solution : Rejet
Audience publique du mercredi 08 juillet 2020
Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, du 26 juin 2018- Président
- M. Cathala
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 678 FS-P+B
Pourvoi n° P 18-21.681
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
La société Rhenus Logistics Satl, société par actions simplifiée, dont le siège est [...], a formé le pourvoi n° P 18-21.681 contre l'arrêt rendu le 26 juin 2018 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. P... G..., domicilié [...],
2°/ à Pôle emploi de Molsheim, dont le siège est [...],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Rhenus Logistics Satl, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. G..., et l'avis de Mme Rémery, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, M. Sornay, M. Rouchayrole, Mme Mariette, conseillers, M. David, Mmes Ala, Thomas-Davost, conseillers référendaires, Mme Rémery, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 26 juin 2018), M. G... a été engagé le 29 octobre 2007 par la société Rhenus Logistics Satl en qualité de conducteur poids lourds.
2. Le salarié a été en arrêt à la suite d'un accident du travail, du 11 juillet au 18 octobre 2015.
3. Il a été licencié pour faute grave le 16 novembre 2015, aux motifs d'une absence injustifiée de longue durée à compter du jour de sa visite de reprise le 20 octobre 2015, et un refus d'appliquer les procédures internes de l'entreprise, pour avoir refusé de signer une fiche de demande de congés reportés et une fiche de demande de récupération imposés par l'employeur.
4. Contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en ses troisième à cinquième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
6. L'employeur fait grief à l'arrêt de juger dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement du salarié, de le condamner à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, au titre des retenues sur salaires afférentes à l'absence du salarié à compter du 20 octobre 2015, ainsi qu'à rembourser aux organismes payeurs les allocations de privation d'emploi servies au salarié dans la limite de six mois, alors :
« 1°/ que l'obligation pesant sur l'employeur d'organiser l'ordre des départs en congés et d'en avertir les salariés deux mois à l'avance et, à titre individuel, un mois à l'avance, sans être admis à imposer au salarié la prise de congés hors de la période légale ou conventionnelle ne concerne que le congé annuel légal ; que lorsque l'employeur et le salarié, de leur accord exprès, ont accepté le report du congé annuel d'une année sur l'autre, la détermination des dates de prise effective de ce congé reporté relève du pouvoir de direction de l'employeur ; qu'en l'espèce, il ressort des termes de la lettre de licenciement rappelés par la cour d'appel, comme des écritures des parties, que les congés que la société Rhenus Logistics Satl avait prétendu imposer à M. G... le 20 octobre 2015, à l'issue de la suspension de son contrat de travail pour accident du travail, et jusqu'au 9 novembre suivant, et dont le refus avait justifié son licenciement, étaient des congés reportés et non son congé annuel légal, de sorte que l'employeur n'était soumis à aucun délai de prévenance ou obligation de respecter une période de prise de congés ; qu'en jugeant cependant que l'employeur était fautif pour n'avoir "pas prévu suffisamment à l'avance l'ordre et la période des départs en congé de ses salariés de manière à ce que M. G... ne soit pas contraint de prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés en retard, et ce le jour de sa reprise à la suite d'un accident du travail", la cour d'appel a violé les articles L. 3141-1, L. 3141-3 et D. 3141-1 du code du travail ;
2°/ qu'il résulte des dispositions des articles L. 3121-24 et D. 3121-10 du code du travail que l'employeur peut, en l'absence de demande du salarié de prise de la contrepartie obligatoire en repos, imposer à ce salarié, dans le délai maximum d'un an, le ou les jours de prise effective de repos ; qu'en l'espèce, il ressort des termes de la lettre de licenciement rappelés par la cour d'appel, comme des écritures des parties, qu'après refus, par M. G..., de la prise de congés payés reportés, la société Rhenus Logistics Satl lui avait demandé de prendre des congés de récupération, ce que ce dernier avait également refusé bien qu'il fût créancier de 796 heures à ce titre ; qu'en jugeant cependant que l'employeur était fautif pour n'avoir "pas prévu suffisamment à l'avance l'ordre et la période des départs en congé de ses salariés de manière à ce que M. G... ne soit pas contraint de prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés en retard, et ce le jour de sa reprise à la suite d'un accident du travail", la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
7. Eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, les droits à congés reportés ou acquis ont la même nature, de sorte que les règles de fixation de l'ordre des départs en congé annuel s'appliquent aux congés annuels reportés.
8. Ayant constaté qu'il résultait des termes de la lettre de licenciement que l'employeur avait entendu contraindre le salarié à prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés payés en retard, en lui imposant sans délai de prévenance de solder l'intégralité de ses congés reportés, la cour d'appel a pu en déduire que l'exercice abusif par l'employeur de son pouvoir de direction privait le refus du salarié de caractère fautif.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Rhenus Logistics Satl aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Rhenus Logistics Satl ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Rhenus Logistics Satl
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement de M. G... par la société Rhenus logistics, condamné la société Rhenus logistics à verser à M. G... les sommes de 4 840,40 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents, 3 510,43 € à titre d'indemnité de licenciement, 29 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, 1 735,30 € au titre des retenues sur salaires afférentes à l'absence du salarié à compter du 20 octobre 2015, 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à rembourser aux organismes payeurs les allocations de privation d'emploi servies à M. G... dans la limite de six mois ;
AUX MOTIFS QUE "La lettre de licenciement est ainsi libellée :
"Monsieur,
Pour les motifs qui vous ont été exposés lors de votre entretien préalable du 10 novembre 2015 en présence de Monsieur Y... et pour lesquels vous n'avez pas fourni d'explication satisfaisante, nous entendons par la présente vous notifier votre licenciement pour faute grave.
Nous vous reprochons une absence injustifiée de longue durée et un refus d'appliquer les procédures internes de l'entreprise.
Vous étiez en arrêt suite à un accident du travail jusqu'au 19 octobre 2015. Vous avez passé une visite de reprise auprès du médecin du travail le 20 octobre 2015. Le jour même, vous avez déposé votre fiche d'aptitude au service exploitation.
A... B... vous a demandé de signer une fiche de congés : l'exploitation ne vous avait en effet pas intégré au planning, ne sachant pas si vous seriez apte à reprendre votre poste.
Vous avez refusé.
P... W... vous a formulé la même demande. Vous avez à nouveau refusé et vous avez quitté l'entreprise. Vous êtes revenu l'après-midi et avez refusé de signer une fiche de demande de récupération.
Lors de l'entretien préalable, vous avez confirmé votre refus. Vous estimez que les congés payés et les récupérations ne peuvent être imposés par l'employeur.
M. Y... a confirmé lors de l'entretien préalable que vous aviez déjà signé par le passé des feuilles de récupération à la demande de vos supérieurs hiérarchiques.
Au jour de votre reprise du travail le 20 octobre 2015, vous totalisiez 796 heures de récupération à prendre (le compteur est déjà majoré) et 24,5 jours de congés reportés en plus des congés acquis sur la nouvelle période.
Or, c'est à l'employeur de décider des dates de prises des congés reportés. Les heures de récupération sont elles aussi intégrées dans le planning établi par l'exploitation.
Vous ne pouviez pas, par conséquent, refuser de prendre les congés payés décidés par l'exploitation. L'explication qui vous a été donnée à votre retour est parfaitement légitime. En refusant de signer le document de demande de congés, vous avez tenté de porter atteinte à l'autorité qui s'attache à la fonction de vos supérieurs hiérarchiques.
Le document de demande de congés est conservé dans le dossier du salarié pour éviter tout litige ultérieur sur le nombre de jours de congés ou d'heures de récupération décomptées.
Vous avez refusé de vous conformer à la procédure interne. Votre licenciement prend effet ce jour (...)" ;
QUE "La cour rappelle que, s'il appartient à l'employeur de décider des périodes de congés de ses salariés dans l'exercice de son pouvoir de direction, il résulte également des articles L. 3141-1 et suivants du code du travail que l'employeur est tenu d'organiser les congés payés de ses salariés et de les mettre en mesure de prendre dans des conditions adaptées l'intégralité des congés auxquels ils ont droit ;
QU'en l'espèce, la société Rhenus logistics ne justifie pas avoir correctement exercé ses prérogatives à ce titre et prévu suffisamment à l'avance l'ordre et la période des départs en congés de ses salariés de manière à ce que M. G... ne soit pas contraint de prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés en retard, et ce le jour de sa reprise suite à un accident du travail ;
QUE l'exercice, par l'employeur, de son pouvoir de direction apparaît dès lors abusif, ce qui suscite à tout le moins un doute sur le caractère fautif du refus par l'appelant de prendre ses congés et jours de récupération qui doit lui profiter ;
QUE par ailleurs, il est suffisamment établi que M. G... a quitté l'entreprise le jour de sa reprise parce qu'il n'avait pas été intégré au planning de travail par son employeur, ce qui caractérise un manquement de ce dernier à son obligation de fournir du travail à son salarié, étant observé que la société Rhenus logistics ne justifie pas avoir été dans l'incapacité de prévoir ou d'intégrer à son planning le retour de l'appelant ;
QU'il en résulte que le licenciement de M. G... est sans cause réelle et sérieuse. De même, la retenue sur salaire effectuée au titre de son absence à compter du 20 octobre 2015 est irrégulière ; que le jugement entrepris sera confirmé à ce titre (
)" (arrêt p. 4 alinéas 1 à 5).
1°) ALORS QUE l'obligation pesant sur l'employeur d'organiser l'ordre des départs en congés et d'en avertir les salariés deux mois à l'avance et, à titre individuel, un mois à l'avance, sans être admis à imposer au salarié la prise de congés hors de la période légale ou conventionnelle ne concerne que le congé annuel légal ; que lorsque l'employeur et le salarié, de leur accord exprès, ont accepté le report du congé annuel d'une année sur l'autre, la détermination des dates de prise effective de ce congé reporté relève du pouvoir de direction de l'employeur ; qu'en l'espèce, il ressort des termes de la lettre de licenciement rappelés par la cour d'appel, comme des écritures des parties, que les congés que la société Rhenus logistics avait prétendu imposer à M. G... le 20 octobre 2015, à l'issue de la suspension de son contrat de travail pour accident du travail, et jusqu'au 9 novembre suivant, et dont le refus avait justifié son licenciement, étaient des congés reportés et non son congé annuel légal, de sorte que l'employeur n'était soumis à aucun délai de prévenance ou obligation de respecter une période de prise de congés ; qu'en jugeant cependant que l'employeur était fautif pour n'avoir "pas prévu suffisamment à l'avance l'ordre et la période des départs en congé de ses salariés de manière à ce que M. G... ne soit pas contraint de prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés en retard, et ce le jour de sa reprise à la suite d'un accident du travail", la cour d'appel a violé les articles L. 3141-1, L. 3141-3 et D. 3141-1 du code du travail ;
2°) ALORS en outre QU' il résulte des dispositions des articles L. 3121-24 et D. 3121-10 du code du travail que l'employeur peut, en l'absence de demande du salarié de prise de la contrepartie obligatoire en repos, imposer à ce salarié, dans le délai maximum d'un an, le ou les jours de prise effective de repos ; qu'en l'espèce, il ressort des termes de la lettre de licenciement rappelés par la cour d'appel, comme des écritures des parties, qu'après refus, par M. G..., de la prise de congés payés reportés, la société Rhenus logistics lui avait demandé de prendre des congés de récupération, ce que ce dernier avait également refusé bien qu'il fût créancier de 796 heures à ce titre ; qu'en jugeant cependant que l'employeur était fautif pour n'avoir "pas prévu suffisamment à l'avance l'ordre et la période des départs en congé de ses salariés de manière à ce que M. G... ne soit pas contraint de prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés en retard, et ce le jour de sa reprise à la suite d'un accident du travail", la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
3°) ALORS subsidiairement QU'en matière de licenciement pour motif disciplinaire, la lettre de licenciement fixe les termes du litige quant aux faits reprochés et aux conséquences que l'employeur entend en tirer ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que la lettre de licenciement du 16 novembre 2015 reprochait au salarié, à titre de faute grave, d'avoir refusé, le jour de la visite de reprise, de prendre des congés payés reportés ou des jours de récupération que l'employeur entendait lui imposer à l'issue de son arrêt de travail pour accident du travail, motif pris que "l'exploitation ne [l'avait] pas intégré au planning, ne sachant pas [s'il serait] déclaré apte à reprendre son poste" ; qu'en retenant, pour exclure toute faute du salarié, un abus de l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction, déduit de son manquement à une obligation générale de "prévoir suffisamment à l'avance l'ordre et la période de départ en congés de ses salariés" qui l'aurait conduit à imposer à M. G... de "prendre du jour au lendemain l'intégralité de ses congés en retard", la cour d'appel, qui a dénaturé les termes du litige, a violé les articles L. 1236-1 du code du travail, 4 et 5 du code de procédure civile ;
4°) ALORS subsidiairement QUE la bonne foi contractuelle est présumée ; que l'abus de l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction ne peut résulter que de la démonstration par le salarié de ce qu'une décision a été prise pour des raisons étrangères à l'intérêt de l'entreprise ou mise en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle ; qu'en prétendant déduire l'exercice abusif, par la société Rhenus logistics, de son pouvoir de direction dans la fixation des congés reportés de ce "
que
la société Rhenus logistics ne justifie pas avoir été dans l'incapacité de prévoir ou d'intégrer à son planning le retour de l'appelant" la cour d'appel, qui a renversé la charge de la preuve, a violé les articles L. 1222-1 du code du travail, 1134 devenu 1103 et 1104 et 1315 devenu 1353 du code civil ;
5°) ALORS très subsidiairement QUE l'employeur, tenu d'une obligation de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité en prenant en considération les propositions de mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique et mentale des travailleurs que le médecin du travail est habilité à faire en application de l'article L. 4624-1 du code du travail ; qu'en retenant à l'appui de sa décision "
que la société Rhenus logistics ne justifie pas avoir été dans l'incapacité de prévoir ou d'intégrer à son planning le retour de l'appelant" sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette incapacité ne résultait pas de l'incertitude de l'employeur quant aux résultats de la visite de reprise et, après sa réalisation, des nécessités d'adapter l'organisation du travail aux restrictions d'aptitude émises par ce praticien, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.ECLI:FR:CCASS:2020:SO00678
SOC.
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 678 FS-P+B
Pourvoi n° P 18-21.681
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
La société Rhenus Logistics Satl, société par actions simplifiée, dont le siège est [...], a formé le pourvoi n° P 18-21.681 contre l'arrêt rendu le 26 juin 2018 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. P... G..., domicilié [...],
2°/ à Pôle emploi de Molsheim, dont le siège est [...],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Rhenus Logistics Satl, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. G..., et l'avis de Mme Rémery, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, M. Sornay, M. Rouchayrole, Mme Mariette, conseillers, M. David, Mmes Ala, Thomas-Davost, conseillers référendaires, Mme Rémery, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 26 juin 2018), M. G... a été engagé le 29 octobre 2007 par la société Rhenus Logistics Satl en qualité de conducteur poids lourds.
2. Le salarié a été en arrêt à la suite d'un accident du travail, du 11 juillet au 18 octobre 2015.
3. Il a été licencié pour faute grave le 16 novembre 2015, aux motifs d'une absence injustifiée de longue durée à compter du jour de sa visite de reprise le 20 octobre 2015, et un refus d'appliquer les procédures internes de l'entreprise, pour avoir refusé de signer une fiche de demande de congés reportés et une fiche de demande de récupération imposés par l'employeur.
4. Contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en ses troisième à cinquième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
6. L'employeur fait grief à l'arrêt de juger dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement du salarié, de le condamner à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, au titre des retenues sur salaires afférentes à l'absence du salarié à compter du 20 octobre 2015, ainsi qu'à rembourser aux organismes payeurs les allocations de privation d'emploi servies au salarié dans la limite de six mois, alors :
« 1°/ que l'obligation pesant sur l'employeur d'organiser l'ordre des départs en congés et d'en avertir les salariés deux mois à l'avance et, à titre individuel, un mois à l'avance, sans être admis à imposer au salarié la prise de congés hors de la période légale ou conventionnelle ne concerne que le congé annuel légal ; que lorsque l'employeur et le salarié, de leur accord exprès, ont accepté le report du congé annuel d'une année sur l'autre, la détermination des dates de prise effective de ce congé reporté relève du pouvoir de direction de l'employeur ; qu'en l'espèce, il ressort des termes de la lettre de licenciement rappelés par la cour d'appel, comme des écritures des parties, que les congés que la société Rhenus Logistics Satl avait prétendu imposer à M. G... le 20 octobre 2015, à l'issue de la suspension de son contrat de travail pour accident du travail, et jusqu'au 9 novembre suivant, et dont le refus avait justifié son licenciement, étaient des congés reportés et non son congé annuel légal, de sorte que l'employeur n'était soumis à aucun délai de prévenance ou obligation de respecter une période de prise de congés ; qu'en jugeant cependant que l'employeur était fautif pour n'avoir "pas prévu suffisamment à l'avance l'ordre et la période des départs en congé de ses salariés de manière à ce que M. G... ne soit pas contraint de prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés en retard, et ce le jour de sa reprise à la suite d'un accident du travail", la cour d'appel a violé les articles L. 3141-1, L. 3141-3 et D. 3141-1 du code du travail ;
2°/ qu'il résulte des dispositions des articles L. 3121-24 et D. 3121-10 du code du travail que l'employeur peut, en l'absence de demande du salarié de prise de la contrepartie obligatoire en repos, imposer à ce salarié, dans le délai maximum d'un an, le ou les jours de prise effective de repos ; qu'en l'espèce, il ressort des termes de la lettre de licenciement rappelés par la cour d'appel, comme des écritures des parties, qu'après refus, par M. G..., de la prise de congés payés reportés, la société Rhenus Logistics Satl lui avait demandé de prendre des congés de récupération, ce que ce dernier avait également refusé bien qu'il fût créancier de 796 heures à ce titre ; qu'en jugeant cependant que l'employeur était fautif pour n'avoir "pas prévu suffisamment à l'avance l'ordre et la période des départs en congé de ses salariés de manière à ce que M. G... ne soit pas contraint de prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés en retard, et ce le jour de sa reprise à la suite d'un accident du travail", la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
7. Eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, les droits à congés reportés ou acquis ont la même nature, de sorte que les règles de fixation de l'ordre des départs en congé annuel s'appliquent aux congés annuels reportés.
8. Ayant constaté qu'il résultait des termes de la lettre de licenciement que l'employeur avait entendu contraindre le salarié à prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés payés en retard, en lui imposant sans délai de prévenance de solder l'intégralité de ses congés reportés, la cour d'appel a pu en déduire que l'exercice abusif par l'employeur de son pouvoir de direction privait le refus du salarié de caractère fautif.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Rhenus Logistics Satl aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Rhenus Logistics Satl ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Rhenus Logistics Satl
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement de M. G... par la société Rhenus logistics, condamné la société Rhenus logistics à verser à M. G... les sommes de 4 840,40 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents, 3 510,43 € à titre d'indemnité de licenciement, 29 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, 1 735,30 € au titre des retenues sur salaires afférentes à l'absence du salarié à compter du 20 octobre 2015, 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à rembourser aux organismes payeurs les allocations de privation d'emploi servies à M. G... dans la limite de six mois ;
AUX MOTIFS QUE "La lettre de licenciement est ainsi libellée :
"Monsieur,
Pour les motifs qui vous ont été exposés lors de votre entretien préalable du 10 novembre 2015 en présence de Monsieur Y... et pour lesquels vous n'avez pas fourni d'explication satisfaisante, nous entendons par la présente vous notifier votre licenciement pour faute grave.
Nous vous reprochons une absence injustifiée de longue durée et un refus d'appliquer les procédures internes de l'entreprise.
Vous étiez en arrêt suite à un accident du travail jusqu'au 19 octobre 2015. Vous avez passé une visite de reprise auprès du médecin du travail le 20 octobre 2015. Le jour même, vous avez déposé votre fiche d'aptitude au service exploitation.
A... B... vous a demandé de signer une fiche de congés : l'exploitation ne vous avait en effet pas intégré au planning, ne sachant pas si vous seriez apte à reprendre votre poste.
Vous avez refusé.
P... W... vous a formulé la même demande. Vous avez à nouveau refusé et vous avez quitté l'entreprise. Vous êtes revenu l'après-midi et avez refusé de signer une fiche de demande de récupération.
Lors de l'entretien préalable, vous avez confirmé votre refus. Vous estimez que les congés payés et les récupérations ne peuvent être imposés par l'employeur.
M. Y... a confirmé lors de l'entretien préalable que vous aviez déjà signé par le passé des feuilles de récupération à la demande de vos supérieurs hiérarchiques.
Au jour de votre reprise du travail le 20 octobre 2015, vous totalisiez 796 heures de récupération à prendre (le compteur est déjà majoré) et 24,5 jours de congés reportés en plus des congés acquis sur la nouvelle période.
Or, c'est à l'employeur de décider des dates de prises des congés reportés. Les heures de récupération sont elles aussi intégrées dans le planning établi par l'exploitation.
Vous ne pouviez pas, par conséquent, refuser de prendre les congés payés décidés par l'exploitation. L'explication qui vous a été donnée à votre retour est parfaitement légitime. En refusant de signer le document de demande de congés, vous avez tenté de porter atteinte à l'autorité qui s'attache à la fonction de vos supérieurs hiérarchiques.
Le document de demande de congés est conservé dans le dossier du salarié pour éviter tout litige ultérieur sur le nombre de jours de congés ou d'heures de récupération décomptées.
Vous avez refusé de vous conformer à la procédure interne. Votre licenciement prend effet ce jour (...)" ;
QUE "La cour rappelle que, s'il appartient à l'employeur de décider des périodes de congés de ses salariés dans l'exercice de son pouvoir de direction, il résulte également des articles L. 3141-1 et suivants du code du travail que l'employeur est tenu d'organiser les congés payés de ses salariés et de les mettre en mesure de prendre dans des conditions adaptées l'intégralité des congés auxquels ils ont droit ;
QU'en l'espèce, la société Rhenus logistics ne justifie pas avoir correctement exercé ses prérogatives à ce titre et prévu suffisamment à l'avance l'ordre et la période des départs en congés de ses salariés de manière à ce que M. G... ne soit pas contraint de prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés en retard, et ce le jour de sa reprise suite à un accident du travail ;
QUE l'exercice, par l'employeur, de son pouvoir de direction apparaît dès lors abusif, ce qui suscite à tout le moins un doute sur le caractère fautif du refus par l'appelant de prendre ses congés et jours de récupération qui doit lui profiter ;
QUE par ailleurs, il est suffisamment établi que M. G... a quitté l'entreprise le jour de sa reprise parce qu'il n'avait pas été intégré au planning de travail par son employeur, ce qui caractérise un manquement de ce dernier à son obligation de fournir du travail à son salarié, étant observé que la société Rhenus logistics ne justifie pas avoir été dans l'incapacité de prévoir ou d'intégrer à son planning le retour de l'appelant ;
QU'il en résulte que le licenciement de M. G... est sans cause réelle et sérieuse. De même, la retenue sur salaire effectuée au titre de son absence à compter du 20 octobre 2015 est irrégulière ; que le jugement entrepris sera confirmé à ce titre (
)" (arrêt p. 4 alinéas 1 à 5).
1°) ALORS QUE l'obligation pesant sur l'employeur d'organiser l'ordre des départs en congés et d'en avertir les salariés deux mois à l'avance et, à titre individuel, un mois à l'avance, sans être admis à imposer au salarié la prise de congés hors de la période légale ou conventionnelle ne concerne que le congé annuel légal ; que lorsque l'employeur et le salarié, de leur accord exprès, ont accepté le report du congé annuel d'une année sur l'autre, la détermination des dates de prise effective de ce congé reporté relève du pouvoir de direction de l'employeur ; qu'en l'espèce, il ressort des termes de la lettre de licenciement rappelés par la cour d'appel, comme des écritures des parties, que les congés que la société Rhenus logistics avait prétendu imposer à M. G... le 20 octobre 2015, à l'issue de la suspension de son contrat de travail pour accident du travail, et jusqu'au 9 novembre suivant, et dont le refus avait justifié son licenciement, étaient des congés reportés et non son congé annuel légal, de sorte que l'employeur n'était soumis à aucun délai de prévenance ou obligation de respecter une période de prise de congés ; qu'en jugeant cependant que l'employeur était fautif pour n'avoir "pas prévu suffisamment à l'avance l'ordre et la période des départs en congé de ses salariés de manière à ce que M. G... ne soit pas contraint de prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés en retard, et ce le jour de sa reprise à la suite d'un accident du travail", la cour d'appel a violé les articles L. 3141-1, L. 3141-3 et D. 3141-1 du code du travail ;
2°) ALORS en outre QU' il résulte des dispositions des articles L. 3121-24 et D. 3121-10 du code du travail que l'employeur peut, en l'absence de demande du salarié de prise de la contrepartie obligatoire en repos, imposer à ce salarié, dans le délai maximum d'un an, le ou les jours de prise effective de repos ; qu'en l'espèce, il ressort des termes de la lettre de licenciement rappelés par la cour d'appel, comme des écritures des parties, qu'après refus, par M. G..., de la prise de congés payés reportés, la société Rhenus logistics lui avait demandé de prendre des congés de récupération, ce que ce dernier avait également refusé bien qu'il fût créancier de 796 heures à ce titre ; qu'en jugeant cependant que l'employeur était fautif pour n'avoir "pas prévu suffisamment à l'avance l'ordre et la période des départs en congé de ses salariés de manière à ce que M. G... ne soit pas contraint de prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés en retard, et ce le jour de sa reprise à la suite d'un accident du travail", la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
3°) ALORS subsidiairement QU'en matière de licenciement pour motif disciplinaire, la lettre de licenciement fixe les termes du litige quant aux faits reprochés et aux conséquences que l'employeur entend en tirer ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que la lettre de licenciement du 16 novembre 2015 reprochait au salarié, à titre de faute grave, d'avoir refusé, le jour de la visite de reprise, de prendre des congés payés reportés ou des jours de récupération que l'employeur entendait lui imposer à l'issue de son arrêt de travail pour accident du travail, motif pris que "l'exploitation ne [l'avait] pas intégré au planning, ne sachant pas [s'il serait] déclaré apte à reprendre son poste" ; qu'en retenant, pour exclure toute faute du salarié, un abus de l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction, déduit de son manquement à une obligation générale de "prévoir suffisamment à l'avance l'ordre et la période de départ en congés de ses salariés" qui l'aurait conduit à imposer à M. G... de "prendre du jour au lendemain l'intégralité de ses congés en retard", la cour d'appel, qui a dénaturé les termes du litige, a violé les articles L. 1236-1 du code du travail, 4 et 5 du code de procédure civile ;
4°) ALORS subsidiairement QUE la bonne foi contractuelle est présumée ; que l'abus de l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction ne peut résulter que de la démonstration par le salarié de ce qu'une décision a été prise pour des raisons étrangères à l'intérêt de l'entreprise ou mise en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle ; qu'en prétendant déduire l'exercice abusif, par la société Rhenus logistics, de son pouvoir de direction dans la fixation des congés reportés de ce "
que
la société Rhenus logistics ne justifie pas avoir été dans l'incapacité de prévoir ou d'intégrer à son planning le retour de l'appelant" la cour d'appel, qui a renversé la charge de la preuve, a violé les articles L. 1222-1 du code du travail, 1134 devenu 1103 et 1104 et 1315 devenu 1353 du code civil ;
5°) ALORS très subsidiairement QUE l'employeur, tenu d'une obligation de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité en prenant en considération les propositions de mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique et mentale des travailleurs que le médecin du travail est habilité à faire en application de l'article L. 4624-1 du code du travail ; qu'en retenant à l'appui de sa décision "
que la société Rhenus logistics ne justifie pas avoir été dans l'incapacité de prévoir ou d'intégrer à son planning le retour de l'appelant" sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette incapacité ne résultait pas de l'incertitude de l'employeur quant aux résultats de la visite de reprise et, après sa réalisation, des nécessités d'adapter l'organisation du travail aux restrictions d'aptitude émises par ce praticien, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.