Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 24 juin 2020, 17-28.067, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC. CM COUR DE CASSATION ______________________ Audience publique du 24 juin 2020 Cassation Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen faisant fonction de président Arrêt n° 476 F-D Pourvoi n° J 17-28.067 Aide juridictionnelle totale en demande au profit de Mme N... T.... Admission du bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation en date du 14 mars 2019. R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E _________________________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________ ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 24 JUIN 2020 Mme N... T..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° J 17-28.067 contre l'arrêt rendu le 29 septembre 2017 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (9e chambre C), dans le litige l'opposant : 1°/ à la société Les Délices, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , 2°/ à M. U... V..., domicilié [...] , pris en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société les Délices, 3°/ à l'AGS CGEA Toulouse, dont le siège est [...] , défendeurs à la cassation. La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt. Le dossier a été communiqué au procureur général. Sur le rapport de M. Duval, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme T..., et après débats en l'audience publique du 12 mai 2020 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Duval, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre, la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt. Faits et procédure 1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 29 septembre 2017), Mme T... a été engagée, à compter du 19 août 2013, par la société Mas de Castel, devenue la société Les Délices (la société), en qualité de commis de cuisine suivant un contrat unique d'insertion stipulant une période d'essai. 2. Contestant la rupture de son contrat de travail, la salariée a saisi la juridiction prud'homale. 3. Le 6 janvier 2017, la société a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde, M. V... étant désigné mandataire judiciaire. Après l'adoption d'un plan de sauvegarde le 23 janvier 2018, la procédure a été clôturée le 19 septembre 2018. Examen des moyens Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche Enoncé du moyen 4. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et non-respect de la procédure de licenciement, alors « que la rupture d'un contrat de travail se situe à la date où l'employeur a manifesté auprès du salarié sa volonté d'y mettre fin et lui a notifié sa décision ; qu'en jugeant que Mme T... avait nécessairement été prévenue de la rupture de la période d'essai dès lors qu'elle ne s'était pas présentée à son travail, sans établir que l'employeur aurait manifesté sa volonté de mettre fin à la période d'essai avant son expiration, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-19 et L. 1221-21 et du code du travail. » Réponse de la Cour Vu les articles L. 1221-19, L. 1221-21, L. 1221-25 et L. 1231-1 du code du travail : 5. Il résulte de ces textes d'une part que si chacune des parties peut discrétionnairement et, sauf dispositions particulières, sans forme, mettre fin aux relations contractuelles pendant la période d'essai, la rupture doit être explicite et, d'autre part, que la rupture du contrat de travail se situe à la date à laquelle son auteur manifeste la volonté d'y mettre fin. 6. Pour débouter la salariée de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail, l'arrêt retient que si les documents de fin de contrat ont été établis le 30 octobre 2013, ils mentionnent tous le 19 octobre 2013 comme étant le dernier jour travaillé. Il ajoute que la salariée ne disconvient pas ne s'être plus rendue sur son lieu de travail à compter du 20 octobre 2013, que cet élément est conforté par les attestations produites par l'employeur et qu'elle n'explique pas les motifs qui l'auraient conduite à ne plus se présenter à son travail à partir de cette date. L'arrêt en déduit que cette absence ne peut s'expliquer que par la rupture de la période d'essai dont la salariée avait forcément été prévenue et que celle-ci est dès lors intervenue pendant le délai de 60 jours fixé contractuellement de sorte qu'aucun abus de l'employeur ne peut être relevé. 7. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser que l'employeur avait, de manière explicite, manifesté sa volonté de mettre fin à la période d'essai avant la date de son expiration, la cour d'appel a violé les textes susvisés. Et sur le second moyen Enoncé du moyen 8. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour absence de visite médicale d'embauche, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en jugeant que la circonstance que l'employeur offrait une indemnisation de 100 euros ne dispensait pas la salariée de rapporter la preuve du préjudice subi, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. » Réponse de la Cour Vu l'article 4 du code de procédure civile : 9. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, qui sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. 10. Pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de visite d'embauche, l'arrêt retient que l'employeur ne conteste pas n'avoir pas mis en œuvre les démarches permettant l'examen médical d'embauche ; que la circonstance que l'employeur offre une somme de 100 euros à titre de dédommagement ne dispense pas la salariée qui sollicite la somme de 1 000 euros, de faire la preuve du préjudice qu'elle aurait subi du fait de ce manquement ; que défaillante sur ce point, il convient de la débouter de sa demande. 11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'employeur reconnaissait l'existence du préjudice dont la salariée demandait la réparation, la cour d'appel, à qui il appartenait seulement de l'évaluer, a méconnu l'objet du litige et violé le texte susvisé. PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ; Condamne la société Les Délices aux dépens ; En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Les Délices à payer à la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret la somme de 3 000 euros ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre juin deux mille vingt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt Moyens produits par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour Mme T... PREMIER MOYEN DE CASSATION Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté Mme T... de ses demandes de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et non-respect de la procédure de licenciement ; AUX MOTIFS QUE sur la rupture du contrat de travail ; que la SAS qui convient que le contrat de travail comportait une période d'essai de 60 jours expirant donc le 19 octobre 2013, soutient que c'est à tort que le jugement a retenu, suivant la thèse de la salariée, que le contrat de travail avait été rompu le 30 octobre 2013 au motif que l'attestation pôle-emploi a été établie à cette date ; que rappelant que la preuve peut se faire par tout moyen, il précise que compte-tenu des relations de confiance existant entre les parties, il avait signifié verbalement à la salariée début octobre que son contrat serait rompu le 19 suivant après sa journée de travail ; qu'il expose pour justifier de la réalité de la rupture ainsi intervenue que la salariée ne s'est plus présentée sur les lieux de son travail postérieurement au 19 octobre ; qu'elle n'a jamais sollicité de rappel de salaire pour la période 20 au 30 octobre 2013 ; que les documents de fin de contrat font état du dernier jour travaillé comme étant le 19 octobre 2013 ; que l'attestation de B... J..., salariée de l'établissement confirme ces éléments de même que les attestations de deux personnes s'étant rendues en cuisine à la mi-octobre et n'ayant pas constaté la présence de N... T... ; que pour sa part, l'intimée soutient que la preuve testimoniale n'est pas admise pour justifier du fait juridique que constitue la rupture d'une période d'essai ; que la notification de la rupture de la période d'essai ne peut pas revêtir la forme d'une déclaration orale - que la circonstance qu'elle ait cessé son activité professionnelle le 19 octobre ne signifie pas qu'elle ait été informée qu'il s'agissait d'une rupture de la période d'essai ce qu'elle n'a appri[s] qu'à la réception de l'attestation pôle-emploi ; que la loi n'impose pas de formalisme pour procéder à la rupture de la période d'essai ; Attendu que la preuve de la rupture abusive repose sur le salarié ; qu'en l'espèce, N... T... indique que celle-ci est abusive du seul fait que l'attestation pôle emploi aurait été établie le 30 octobre 2013 ce qui selon elle prouverait que la rupture est intervenue à cette date, soit après l'expiration du délai fixé contractuellement au 19 octobre 2013 ; que les documents de fin de contrat, attestation pôle-emploi, certificat de travail et bulletin de salaire s'ils ont été établis le 30 octobre 2013, portent tous en mention du dernier jour travaillé, le 19 octobre 2013 ; que N... T... ne disconvient pas ne s'être plus rendue dans la société à compter du 20 octobre 2013, élément conforté par les attestations produites par l'employeur, sans expliquer par ailleurs les motifs qui l'auraient conduit à ne plus se présenter à son travail à partir de cette date ; que dans ces conditions, la cour estime que cette absence ne peut s'expliquer que par la rupture de la période d'essai dont la salariée avait forcément été prévenue ; que celle-ci est dès lors intervenue pendant le délai de 60 jours fixé contractuellement de sorte qu'aucun abus de l'employeur ne peut être relevé ; qu'il y a lieu par suite, en infirmant la décision de débouter l'intimée de ses demandes en dommages-intérêts au titre de la rupture prétendument abusive et de l'irrégularité de la procédure ; 1°) ALORS QUE si une rupture de période d'essai peut intervenir verbalement, il en va différemment lorsqu'une clause contractuelle prévoit qu'elle ne pourra intervenir que par écrit ; qu'en jugeant qu'il résultait de l'absence de la salariée à compter du 20 octobre 2013 qu'elle avait été prévenue de ce que la période d'essai était rompue à compter du 19 octobre 2013, sans rechercher s'il ne résultait pas expressément du contrat de travail que la rupture de la période d'essai ne pouvait intervenir que par lettre recommandée avec accusé de réception, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, dans sa rédaction applicable à la cause, ensemble les articles L. 1221-19 et L. 1221-21 et du code du travail ; 2°) ALORS QU'en toute hypothèse, la rupture d'un contrat de travail se situe à la date où l'employeur a manifesté auprès du salarié sa volonté d'y mettre fin et lui a notifié sa décision ; qu'en jugeant que Mme T... avait nécessairement été prévenue de la rupture de la période d'essai dès lors qu'elle ne s'était pas présentée à son travail, sans établir que l'employeur aurait manifesté sa volonté de mettre fin à la période d'essai avant son expiration, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-19 et L. 1221-21 et du code du travail ; 3°) ALORS QU'en toute hypothèse, en jugeant que l'« absence [de la salariée à compter du 20 octobre] ne peut s'expliquer que par la rupture de la période d'essai dont la salariée avait forcément été prévenue » (arrêt, p. 5, § 3) pour débouter Mme T... de ses prétentions, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs hypothétiques et a violé l'article 455 du code de procédure civile ; 4°) ALORS QU'en toute hypothèse sauf disposition conventionnelle ou contractuelle contraire, toute période d'essai exprimée en jours se décompte en jours calendaires ; qu'en jugeant que la période d'essai finissait le 19 octobre 2013 tandis qu'elle constatait que le délai contractuellement prévu était de 60 jours et qu'il avait commencé à courir le 19 août 2013, de sorte qu'il expirait le 12 octobre 2013, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles L. 1221-19 et L. 1221-21 du code du travail ensemble les articles 641 et 642 du code de procédure civile ; 5°) ALORS QU'en toute hypothèse, les dispositions du code de procédure civile, propres à la computation des délais de procédure, ne s'appliquent pas au calcul de la durée d'une période d'essai ; qu'en jugeant que Mme T... avait travaillé le 19 octobre 2013, dernier jour de la période d'essai, quand, à supposer que le délai de la période d'essai ait été de deux mois, la période d'essai expirait le 18 octobre 2013, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles 641 et 642 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 1221-19 et L. 1221-21 et du code du travail. SECOND MOYEN DE CASSATION Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Mme T... de sa demande de dommages et intérêts pour absence de visite médicale d'embauche ; AUX MOTIFS QUE l'article R. 4624-10 dans sa rédaction applicable au moment du recrutement prévoit que le salarié bénéficie d'un examen médical avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai par le médecin du travail; que l'employeur ne conteste pas n'avoir pas mis en oeuvre les démarches permettant l'examen médical d'embauche ; que la circonstance que l'employeur offre une somme de 100 € à titre de dédommagement ne dispense pas la salariée qui sollicite la somme de 1000 €, de faire la preuve du préjudice qu'elle aurait subi du fait de ce manquement ; que défaillante sur ce point, il convient de la débouter de sa demande et donc d'infirmer le jugement de première instance ; ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en jugeant que la circonstance que l'employeur offrait une indemnisation de 100 euros ne dispensait pas la salariée de rapporter la preuve du préjudice subi, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2020:SO00476
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