Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 17 juin 2020, 19-10.464, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 juin 2020




Rejet


M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 277 F-P+B

Pourvoi n° S 19-10.464




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 JUIN 2020

1°/ M. Q... L...,

2°/ M. V... L...,

tous deux domiciliés [...] ,

ont formé le pourvoi n° S 19-10.464 contre l'arrêt rendu le 13 septembre 2018 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (8e chambre A), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme S... G..., épouse D..., domiciliée [...] ,

2°/ à M. C... N..., domicilié [...] , pris en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de MM. V... et Q... L...,

3°/ à l'ordre des avocats du barreau d'Ajaccio, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de MM. L..., de la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat de Mme G..., et après débats en l'audience publique du 25 février 2020 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 septembre 2018), MM. V... et Q... L..., assignés à cette fin par Mme G..., épouse D..., ont été mis en redressement judiciaire, M. N... étant désigné en qualité de mandataire judiciaire.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. MM. V... et Q... L... font grief à l'arrêt de constater leur état de cessation des paiements au 13 septembre 2018 et d'ouvrir leur redressement judiciaire, alors que :

« 1°/ la situation de surendettement est caractérisée par l'impossibilité manifeste de faire face à l'ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir ; qu'une telle situation ne peut être régie que par les dispositions du livre VII du code de la consommation et est exclusive de l'application des dispositions du livre VI du code de commerce relatif aux difficultés des entreprises ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé qu'il ressortait du rapport de M. N... que "les débiteurs ont été condamnés sur la base d'un engagement personnel qu'ils avaient fait en qualité de caution de la dette de leur père" de sorte que la question du lien entre la dette des consorts L... et leur activité professionnelle antérieure à leur entrée en Selarl "se pose" et qu'il n'existait aucun autre passif ; qu'en décidant néanmoins que MM. V... et Q... L... étaient éligibles à une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires à raison de l'impossibilité supposée de faire face à ce seul passif, de nature non professionnelle, la cour d'appel a violé l'article L. 631-1 du code de commerce par fausse application ;

2°/ subsidiairement, la demande d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires est, à peine d'irrecevabilité qui doit être soulevée d'office, exclusive de toute autre demande ; qu'en l'espèce, la demanderesse sollicitait la condamnation de MM. V... et Q... L... au paiement de sommes au titre de ses frais irrépétibles ; qu'en ouvrant leur redressement judiciaire, la cour d'appel a violé les articles R. 631-2 et R. 640-1 du code de commerce ;

3°/ la cessation des paiements suppose une impossibilité du débiteur de faire face au passif exigible avec son actif disponible ; qu'en se déterminant par des motifs impropres à caractériser l'impossibilité dans laquelle se trouvaient MM. V... et Q... L... de faire face, chacun, à leur passif exigible avec leur actif disponible, dont elle ne précisait par la consistance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 631-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

3. En premier lieu, il résulte, d'une part, des dispositions de l'article L. 711-3 du code de la consommation que le dispositif de traitement des situations de surendettement prévu par ce même code n'est pas applicable lorsque le débiteur relève des procédures instituées par le livre VI du code de commerce et, d'autre part, de l'article L. 631-2 de ce dernier code, que la procédure de redressement judiciaire est applicable, notamment, à toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, sans qu'il y ait lieu de distinguer suivant la nature de l'endettement invoqué.

4. L'arrêt constate que la société que MM. V... et Q... L... indiquent avoir constituée pour exercer leur activité professionnelle n'étant pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés, il n'est pas établi que ces deux avocats ont effectivement cessé leur activité à titre individuel, ce dont il résulte qu'il est indifférent que la créance de Mme D... soit dépourvue de lien avec l'activité professionnelle de MM. L....

5. Ainsi, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que MM. V... et Q... L... relèvent, chacun, d'une procédure collective instituée par le code de commerce.

6. En second lieu, si, aux termes des articles R. 631-2, alinéa 2, et R. 640-1, alinéa 2, du code de commerce la demande d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire formée par un créancier est, à peine d'irrecevabilité, exclusive de toute autre demande, à l'exception d'une demande subsidiaire d'ouverture d'une procédure de liquidation ou de redressement judiciaire, ces textes n'interdisent toutefois pas au créancier poursuivant de présenter, en outre, une demande de remboursement de frais hors dépens en application de l'article 700 du code de procédure civile.

7. En conséquence, la demande étant recevable, l'arrêt n'encourt pas le grief du moyen.

8. En troisième lieu, la cour d'appel, après avoir caractérisé l'ancienneté de la dette des consorts L..., constatée par un arrêt du 22 novembre 2005, et le fait que ceux-ci n'en contestent pas le caractère exigible, a énuméré les multiples et diverses voies d'exécution vainement exercées, tant sur des biens que sur des créances, par Mme D..., depuis 2007, pour recouvrer sa créance. Ayant ainsi fait ressortir l'impossibilité pour MM. V... et Q... L... de faire face à leur passif exigible avec leur actif disponible, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne MM. V... et Q... L... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour MM. Q... et V... L...

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR constaté l'état de cessation des paiements de V... L... et de Q... L..., fixé la date de la cessation des paiements de V... L... au 13 septembre 2018, fixé la date de cessation des paiements de Q... L... au 13 septembre 2018 et ordonné l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'endroit de V... L... et de Q... L... ;

AUX MOTIFS QUE la Cour d'appel est saisie de l'ensemble de l'affaire par suite de l'effet dévolutif de l'appel interjeté du jugement du 24 octobre 2017 qui avait statué au fond de sorte qu'elle a l'obligation de vider le litige ; qu'en conséquence, la Cour de céans est fondée à statuer sur l'ensemble des points qui lui sont déférés ; qu'aux termes de l'article L.631-2 alinéa 1er du Code de commerce « La procédure de redressement judiciaire est applicable à toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale, à tout agriculteur, à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi qu'à toute personne morale de droit privé » ; que, de même, l'article L.640-2 du Code de commerce dispose que « La procédure de liquidation judiciaire est applicable à toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale, à tout agriculteur, à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi qu'à toute personne morale de droit privé » ; que s'agissant du moyen évoqué en première instance et tenant à la cessation de leur activité exercée en leur nom propre par V... et Q... L... avec reprise sous forme de SELARL, il y a lieu d'observer qu'une telle modification ne fait pas obstacle, en application des articles L.631-5 et L.640-3 du Code de commerce, au prononcé d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire à leur égard à condition que « tout ou partie de leur passif provient de cette dernière (l'activité professionnelle cessée) » ; qu'en l'espèce, il n'est pas rapporté la preuve par les appelants de ce qu'ils aient effectivement cessé leur activité d'avocat à titre personnel, indépendamment de la création de la SELARL dont l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés d'Ajaccio n'était pas effectuée au 12 septembre 2017, selon attestation du greffe du tribunal de commerce d'Ajaccio, aucun document n'étant versé aux débats en cause d'appel par V... et Q... L... permettant de considérer cette formalité essentielle comme ayant été accomplie ; qu'il ressort du rapport de Me C... N... que « les débiteurs ont été condamnés sur la base d'un engagement personnel qu'ils avaient fait en qualité de caution de la dette de leur père » de sorte que la question du lien entre la dette des Consorts L... et leur activité professionnelle antérieure à leur entrée en SELARL se pose ; qu'il s'ensuit que si l'état de cessation des paiements est constaté à l'endroit de chacun des deux appelants, ils sont éligibles à une procédure collective de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ; que dans leurs conclusions, les appelants font grief au jugement critiqué d'avoir prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au seul vu du passif exigible mais sans apprécier les actifs disponibles des deux avocats concernés ; qu'il se déduit de cette assertion que Q... et V... L... ne contestent ni l'existence d'un passif exigible, ni le montant de celui-ci ; qu'ainsi, aux termes du rapport de Me C... N..., èsqualités, en date du 12 décembre 2017, il apparaît que les Consorts L... sont redevables d'une somme actualisée au 10 octobre 2017, à 332 432,15 € en application d'un arrêt de la Cour d'appel de ce siège du 22 novembre 2005 (pièce n°1 de Me N...) ; que cet arrêt a donné lieu à un pourvoi en cassation qui a été radié le 26 juin 2006 de sorte que la décision du 12 décembre 2017 est définitive et constitue un titre exécutoire rendant la créance de S... G... épouse D... certaine et exigible ; que le commissaire-priseur désigné pour procéder à l'inventaire de l'actif de V... L... et de Q... L... a, le 17 novembre 2017, établi un procès-verbal de difficulté au motif qu'il n'était pas parvenu à entrer en contact avec les débiteurs ; que cependant, il est admis que la créance de S... G... épouse D... constitue la seule dette pesant sur les Consorts L... ; que par ailleurs, au vu du chiffre d'affaires retenu par le mandataire judiciaire dans son rapport, le résultat net de V... L... pour l'exercice professionnel 2016 est de 46 385 € tandis que celui de Q... L... est de 45 435 € ; que Me C... N... indique avoir été avisé qu'un protocole serait en cours d'élaboration concrétisant l'accord des parties pour mettre un terme au litige avec règlement d'une somme de 200 000 € pour solde de tout compte ; que toutefois, tant les Consorts L... dans leurs dernières écritures que S... G... épouse D... dans les siennes ne font état d'une telle solution transactionnelle ; qu'en conséquence, la mise en oeuvre des dispositions de l'article L.631-16 du Code de commerce, telle qu'envisagée par le mandataire judiciaire dans son rapport, ne peut prospérer à ce stade de la procédure ; que par ailleurs, si les tentatives infructueuses de recouvrement de la créance caractérisées par le commandement aux fins de saisie-vente du 27 février 2007, les procès-verbaux de saisie-attribution établis le 27 mars 2015, le 11 juin 2015 et le 21 septembre 2015 et les procès-verbaux de saisie-attribution et de saisie de droits d'associés et de valeurs mobilières dressés les 31 mars 2015 et 16 avril 2016 à l'encontre de Q... L... et des 17 mars 2016 et du 17 avril 2016 à l'endroit de V... L... ainsi que l'absence de production en cause d'appel par les débiteurs de toute situation comptable concernant chacun d'entre eux et l'ancienneté même de la dette, militent pour l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, il n'est pas pour autant établi que le redressement judiciaire de V... L... et de Q... L... soit manifestement impossible à partir du moment où tous deux poursuivent leur activité d'avocat et que, comme précédemment indiqué, la créance de S... G... épouse D... est la seule dette dont les Consorts L... sont solidairement responsables ; qu'en conséquence, cet ensemble d'éléments doit conduire à constater que l'état de cessation des paiements existe au jour où la Cour statue et qu'il y a lieu d'ordonner l'ouverture de procédures de redressement judiciaire à l'égard de V... L... et de Q... L... ;

1°) ALORS QUE la situation de surendettement est caractérisée par l'impossibilité manifeste de faire face à l'ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir ; qu'une telle situation ne peut être régie que par les dispositions du Livre VII du Code de la consommation et est exclusive de l'application des dispositions du Livre VI du Code de commerce relatif aux difficultés des entreprises ; qu'en l'espèce, la Cour a relevé qu'il ressortait du rapport de Me C... N... que « les débiteurs ont été condamnés sur la base d'un engagement personnel qu'ils avaient fait en qualité de caution de la dette de leur père » de sorte que la question du lien entre la dette des Consorts L... et leur activité professionnelle antérieure à leur entrée en SELARL « se pose » et qu'il n'existait aucun autre passif ; qu'en décidant néanmoins que V... L... et Q... L... étaient éligibles à une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires à raison de l'impossibilité supposée de faire face à ce seul passif, de nature non professionnelle, la Cour a violé l'article L. 631-1 du Code de commerce par fausse application ;

2°) ALORS, subsidiairement, QUE la demande d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires est, à peine d'irrecevabilité qui doit être soulevée d'office, exclusive de toute autre demande ; qu'en l'espèce, la demanderesse sollicitait la condamnation de V... L... et de Q... L... au paiement de sommes au titre de ses frais irrépétibles ; qu'en ouvrant le redressement judiciaire de V... L... et celui de Q... L..., la Cour a violé les articles R. 631-2 et R. 640-1 du Code de commerce ;

3°) ALORS, en tous cas, QUE la cessation des paiements suppose une impossibilité du débiteur de faire face au passif exigible avec son actif disponible ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'impossibilité dans laquelle se trouvaient V... et Q... L... de faire face, chacun, à leur passif exigible avec leur actif disponible, dont elle ne précisait par la consistance, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 631-1 du Code de commerce. ECLI:FR:CCASS:2020:CO00277
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