Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 28 mai 2020, 19-14.156, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 mai 2020




Cassation


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 346 FS-P+B+I

Pourvoi n° E 19-14.156



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 MAI 2020

M. A... U..., domicilié [...], agissant en son nom propre et en qualité de représentant de l'indivision U..., a formé le pourvoi n° E 19-14.156 contre l'arrêt rendu le 11 janvier 2019 par la cour d'appel de Rennes (2e chambre), dans le litige l'opposant au groupement foncier agricole des Rouges Terres de la Forêt, dont le siège est [...], défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Barbieri, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. U..., de la SCP Didier et Pinet, avocat du groupement foncier agricole des Rouges Terres de la Forêt, après débats en l'audience publique du 10 mars 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Barbieri, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, M. Parneix, Mmes Dagneaux, Provost-Lopin, M. Jessel, conseillers, Mme Collomp, M. Béghin, Mme Schmitt, conseillers référendaires, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes,11 janvier 2019), par acte du 20 juin 1983, le groupement foncier agricole des Rouges Terres de la Forêt (le GFA) a pris à bail des terres dont M. U... et sa soeur sont indivisaires.

2. Plusieurs instances ont opposé M. U... au GFA sur la détermination du prix du fermage et sur son paiement, ainsi que sur la consistance du vignoble. Un précédent arrêt a ainsi condamné le GFA à remettre en état une parcelle et a ordonné une astreinte.

3. Par assignation du 26 janvier 2017, M. U... a saisi le juge de l'exécution en liquidation de l'astreinte et en prononcé d'une nouvelle.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. U... fait grief à l'arrêt de déclarer ses demandes irrecevables, alors « que tout indivisaire peut prendre seul les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis même si elles ne présentent pas un caractère d'urgence ; que constitue un acte conservatoire l'action tendant à la liquidation d'une astreinte avec obligation de remise en état du bien indivis ; qu'en jugeant que M. U... ne pouvait prétendre agir seul en liquidation de l'astreinte dont était assortie la condamnation du GFA des Rouges Terres à replanter les parcelles indivises, la cour d'appel a violé l'article 815-2 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 815-2, alinéa 1, du code civil :

5. Aux termes de ce texte, tout indivisaire peut prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis, même si elles ne présentent pas un caractère d'urgence.

6. Pour déclarer irrecevables les prétentions de M. U..., l'arrêt retient qu'un indivisaire peut effectuer seul les actes d'administration relatifs aux biens indivis s'il est titulaire d'au moins deux tiers des droits indivis ou s'il bénéficie d'un mandat tacite après avoir pris en main la gestion des biens indivis au su des autres et sans opposition de leur part et relève que M. U... ne justifie pas d'un tel mandat en vue d'exercer des mesures d'exécution forcée relatives aux biens indivis.

7. En statuant ainsi, alors que l'action engagée, en ce qu'elle avait pour objet la liquidation d'une astreinte prononcée en vue d'assurer la remise en état de biens indivis, constituait un acte conservatoire que tout indivisaire peut accomplir seul, la cour d'appel a violé le texte susvisé, par refus d'application.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;

Condamne le GFA des Rouges Terres de la Forêt aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du GFA des Rouges Terres de la Forêt et le condamne à payer à M. U... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, signé par M. Echappé, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mai deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. U....

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré M. A... U... irrecevable en toutes ses prétentions ;

AUX MOTIFS QUE reprenant la fin de non-recevoir qu'il avait développée devant le premier juge, le GFA des Rouges Terres soutient, au visa de l'article 32 du code de procédure civile, que M. U... ne justifie pas de sa qualité à représenter l'indivision successorale constituée entre lui et sa soeur, Mme I... U..., et dont dépendent les terres litigieuses ; que l'appelant souligne notamment que M. U... ne peut se prévaloir d'un mandat tacite au sens de l'article 815-3 du code civil et invoque à cet égard la décision rendue le 20 mars 2017 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Nantes qui a déclaré celui-ci irrecevable en sa demande en paiement des fermages pour défaut de qualité à agir ; que M. U... conclut à la confirmation de la décision attaquée en ce qu'elle l'a déclaré recevable en sa demande après avoir retenu qu'il était fondé, par application de l'article 815-3 alinéa 4 du code civil, à se prévaloir d'un mandat tacite couvrant les actes d'administration effectués dans l'intérêt de l'indivision ; qu'ainsi que l'a énoncé exactement le premier juge, il résulte des dispositions de l'article L. 111-9 du code des procédures civiles d'exécution que l'exercice d'une mesure d'exécution forcée est considéré comme un acte d'administration ; que selon les dispositions de l'article 815-3 du code civil, un indivisaire peut effectuer seul les actes d'administration relatifs aux biens indivis s'il est titulaire d'au moins deux tiers des droits indivis ou, en application du dernier alinéa, s'il justifie avoir pris en main la gestion des biens indivis au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, bénéficiant ainsi d'un mandat tacite ; qu'il est constant que M. U... n'étant propriétaire indivis qu'à hauteur de 50%, il ne peut prétendre agir seul en liquidation de l'astreinte dont est assortie la condamnation du GFA des Rouges Terres à replanter les parcelles indivises qu'à charge pour lui de démontrer qu'il a reçu mandat de sa soeur, coïndivisaire, pour exercer cette action ; que contrairement à ce qui a été jugé en première instance, la qualité de mandataire de M. U... ne saurait se déduire des décisions antérieurement rendues entre les mêmes parties dès lors que cette question n'avait pas été soumise aux juridictions statuant en matière de baux ruraux et que les décisions du juge de l'exécution du 24 juillet 2017, dont le jugement attaqué, ne sont pas définitives ; que par ailleurs, M. U... ne produit aucune pièce démontrant que sa soeur était informée des différentes procédures concernant les biens indivis qu'il avait lui-même engagées ou dans lesquelles il avait défendu et, en particulier, de l'action faisant l'objet de la présente instance ; que le seul document évoquant la position de Mme I... U... est constitué par un courrier rédigé en son nom par son notaire le 21 août 1997, adressé à M. A... U..., aux termes duquel elle s'interrogeait sur l'opportunité d'agir contre le GFA des Rouges Terres pour avoir paiement des fermages impayés et précisait que l'accord de son frère serait nécessaire pour engager une procédure de recouvrement ; qu'il ne ressort nullement de cette correspondance que Mme I... U... était informée d'éventuelles actions exercées par M. U... contre le preneur, sa teneur démontrant à l'inverse qu'elle n'en savait rien ; que le courrier daté du 27 septembre 2006 et adressé par le conseil de M. U... à l'avocat de Mme I... U... n'est pas plus probant dès lors qu'il ne suffit pas à établir la connaissance que cette dernière avait des procédures en cours ni, surtout, l'absence de toute opposition de sa part ; qu'il doit être relevé que Mme I... U... n'est intervenue dans aucune des procédures antérieures dont il est justifié devant la cour, que ce soit volontairement ou après mise en cause, et qu'il en est de même dans le cadre de la présente instance ; que par conséquent et à défaut de justifier de l'existence d'un mandat donné par son coïndivisaire aux fins de l'autoriser à exercer des mesures d'exécution forcée relatives aux biens indivis, M. U... doit être déclaré irrecevable en toutes ses prétentions ; que le jugement dont appel sera donc infirmé ;

1) ALORS QUE tout indivisaire peut prendre seul les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis même si elles ne présentent pas un caractère d'urgence ; que constitue un acte conservatoire l'action tendant à la liquidation d'une astreinte avec obligation de remise en état du bien indivis ; qu'en jugeant que M. U... ne pouvait prétendre agir seul en liquidation de l'astreinte dont était assortie la condamnation du GFA des Rouges Terres à replanter les parcelles indivises, la cour d'appel a violé l'article 815-2 du code civil ;

2) ALORS QUE l'astreinte n'est pas une mesure d'exécution forcée ; qu'en l'espèce, l'action diligentée par M. U... tendait à la liquidation d'une astreinte et au prononcé d'une nouvelle astreinte ; qu'en affirmant que cette action constituait une mesure d'exécution forcée considérée comme un acte d'administration, pour en déduire qu'elle ne pouvait être exercée sans l'accord des autres indivisaires, la cour d'appel a violé les articles 815-2 du code civil et L. 111-9 du code des procédures civiles d'exécution ;

3) ALORS, en toute hypothèse, QUE l'autorité de la chose jugée est attachée à ce que le jugement a tranché dans son dispositif ; que par un jugement du 30 septembre 2010, devenu définitif, le tribunal paritaire des baux ruraux de Nantes a condamné M. U... « représentant l'indivision U... » à payer au GFA des Rouges Terres la somme de 27.165,65 euros au titre des sommes restant dues après déduction des fermages versés et de la provision de 41.926,88 euros ; qu'en affirmant que M. U... ne détenait pas de mandat pour procéder au nom de l'indivision à une action aux fins de liquidation d'astreinte et de prononcé d'une nouvelle astreinte, la cour d'appel qui a méconnu l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 30 septembre 2010, a violé les articles 1351, devenu 1355, du code civil et 480 du code de procédure civile ;

4) ALORS QUE l'autorité de la chose jugée est attachée à ce que le jugement a tranché dans son dispositif ; que par un jugement du 24 juillet 2017, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nantes a déclaré M. U..., « ès qualités de représentant de l'indivision U..., recevable en ses demandes » de moratoire et de compensation au titre de la somme de 27.165,65 euros restant due après déduction des fermages versés ; qu'en affirmant que M. U... ne détenait pas de mandat pour procéder au nom de l'indivision à une action aux fins de liquidation d'astreinte et de prononcé d'une nouvelle astreinte, la cour d'appel qui a méconnu l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 24 juillet 2017, a violé les articles 1351, devenu 1355, du code civil et 480 du code de procédure civile ;

5) ALORS QUE la connaissance d'un acte par un avocat dans le cadre de l'exercice de son mandat, suffit à établir que son mandant en a eu personnellement connaissance ; que par lettre du 27 septembre 2006 adressée à Me Y..., avocat de Mme U..., Me H..., avocat de M. U... (pièce n° 26), a confirmé que son client agissait pour le compte de l'indivision U... pour faire respecter devant les tribunaux les obligations nées du bail consenti au GFA des Rouges Terres ; qu'en affirmant que le courrier du 27 septembre 2006, adressé par le conseil de M. U... à l'avocat de Mme U... n'établissait pas la preuve que cette dernière avait connaissance des procédures en cours ni l'absence de toute opposition de sa part, la cour d'appel a violé l'article 1998 du code civil, ensemble l'article 815-3 du même code. ECLI:FR:CCASS:2020:C300346
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