Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 20 mai 2020, 19-13.806, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 20 mai 2020




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 422 F-D

Pourvoi n° Z 19-13.806






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MAI 2020

1°/ Mme Q... W...,

2°/ M. L... W...,

3°/ M. Y... W..., agissant tant en son nom propre qu'en qualité de tuteur d'G... W...,

domiciliés tous trois [...],

ont formé le pourvoi n° Z 19-13.806 contre l'arrêt rendu le 17 janvier 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-6, anciennement dénommée 10e chambre), dans le litige les opposant :

1°/ au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, dont le siège est [...] ,

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Var, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Talabardon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ortscheidt, avocat de M. L... W..., Mme Q... W... et M. Y... W..., tant en son nom personnel qu'ès qualités, de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, après débats en l'audience publique du 26 février 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Talabardon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 janvier 2019), en 1989, M. G... W..., alors âgé de 13 ans, a été victime d'un accident dans lequel était impliqué un véhicule dont le conducteur n'a pas été identifié.

2. Un jugement du 30 mai 1996, opposable au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le FGAO), a fixé le montant de ses préjudices.

3. Ayant invoqué une aggravation de son état de santé, M. G... W..., représenté par son tuteur, ainsi que ses parents, M. et Mme L... et Q... W..., et son frère, M. Y... W..., (les consorts W...) ont obtenu en référé la désignation d'un expert médical, puis ont assigné en mars 2013 la caisse primaire d'assurance maladie du Var afin d'obtenir l'indemnisation de cette aggravation. Le FGAO est intervenu volontairement à l'instance.

4. Un jugement du 27 mai 2014, confirmé par un arrêt du 10 décembre 2015, a ordonné un complément d'expertise, confié au même expert, avec pour objet, notamment, de déterminer la date d'apparition de l'aggravation et celle de sa consolidation.

5. Après le dépôt du rapport d'expertise complémentaire, les consorts W... ont sollicité une nouvelle indemnisation au titre de l'assistance tierce personne en invoquant une "aggravation situationnelle" de ce préjudice, découlant de l'impossibilité, pour les parents de la victime, de continuer à assurer cette assistance, en raison de leur vieillissement, et de la nécessité d'y substituer une aide humaine professionnelle.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Les consorts W... font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande d'indemnisation au titre d'une aggravation des besoins de M. G... W... en tierce personne, alors :

« 1°/ que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée à une nouvelle action tendant à la réparation d'un préjudice inconnu au moment de la demande initiale et sur lequel il n'avait pu être statué ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, comme elle y était invitée, si en ce qu'il avait fait droit à la demande des consorts W... de fixer le coût de l'assistance en tierce personne à 60 francs de l'heure hors charges, le jugement du 30 mai 1996 n'avait pas ainsi pris en considération la nature strictement familiale de l'aide humaine apportée à ce titre à M. G... W... par Mme Q... W..., sa mère, et qu'ainsi le préjudice tiré de la nécessité de remplacer cette aide humaine familiale par une tierce personne professionnelle ne constituait pas un préjudice inconnu au moment de la demande initiale et sur lequel le jugement du 30 mai 1996 n'avait pas statué, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 480 du code de procédure civile et 1382 devenu 1240 du code civil ;

2°/ que la circonstance que la victime soit atteinte d'une incapacité permanente de 95 % n'exclut pas la possibilité d'une aggravation de son dommage ; qu'en écartant la demande de réparation du préjudice complémentaire lié à un changement matériel dans les conditions d'existence de M. G... W..., tout en indemnisant les aménagements intérieurs du logement familial liés à la nécessité d'adapter celui-ci à la présence d'une tierce personne professionnelle, consistant en l'aménagement d'une chambre déjà existante, d'une salle d'eau et de toilettes individuelles, la mise en place d'un rail pour lève-personne et de protections d'angle en PVC, ce dont il résultait que le préjudice lié à la nécessité de substituer par une tierce personne professionnelle l'aide humaine familiale jusqu'alors assurée auprès de M. G... W... par Mme Q... W..., sa mère, constituait un préjudice inconnu au moment de la demande initiale et sur lequel le jugement du 30 mai 1996 n'avait pas statué, la cour d'appel, qui n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient, a violé l'article 480 du code de procédure civile et l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;

3°/ que le juge est tenu de répondre aux moyens opérants des conclusions des parties ; que les consorts W... soutenaient qu'il résultait du rapport établi le 31 mai 2011, par M. H..., ergothérapeute, agissant en qualité de sapiteur de l'expert médical désigné par ordonnance de référé du 17 mars 2009, que dans la vie courante, M. G... W... nécessitait l'assistance d'une tierce personne ayant la qualité d'auxiliaire de vie spécialisée et qualifiée dans la prise en charge des troubles du comportement et de la communication que ce dernier présentait, ce qui induisait une charge financière complémentaire, inconnue au moment de la demandée initiale, qui n'avait pas été indemnisée par le jugement du 30 mai 1996 ; qu'en écartant la demande d'indemnisation complémentaire formulée au titre de l'assistance d'une tierce personne qualifiée sans répondre à ce moyen opérant des conclusions des consorts W..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Après avoir énoncé à bon droit qu'une nouvelle demande d'indemnisation n'est recevable, sans heurter l'autorité de la chose jugée, que si elle concerne soit un préjudice nouveau, distinct du préjudice indemnisé de façon irrévocable par un jugement ou une transaction, soit une aggravation du préjudice, et rappelé que l'expert avait indiqué, dans son rapport complémentaire, que tant le taux du déficit fonctionnel permanent de M. G... W..., fixé à 95 %, que le besoin d'assistance en tierce personne, à raison de 24 heures par jour, demeuraient inchangés, la cour d'appel a constaté que l'intéressé ne justifiait pas d'une aggravation de son handicap ou de son préjudice rendant nécessaire une assistance par tierce personne accrue ou différente depuis le jugement du 30 mai 1996.

8. La cour d'appel a ensuite relevé que ce jugement, dont ni les motifs, ni le dispositif ne faisaient référence à une assistance familiale ou spécialisée, ou, encore, à un coût horaire, charges comprises ou hors charges, avait fixé l'indemnisation de ce préjudice en tenant compte de l'espérance de vie de M. G... W..., afin de lui permettre de s'assurer quotidiennement les services d'une tierce personne à titre permanent, que cette aide humaine soit dispensée par l'entourage familial ou par une aide extérieure.

9. Ayant ainsi procédé à la recherche dont l'omission est invoquée par la première branche du moyen et répondu aux conclusions prétendument délaissées, la cour d'appel a exactement déduit de ses constatations que la demande d'indemnisation complémentaire au titre de l'assistance tierce personne se heurtait à l'autorité de la chose jugée et était irrecevable.

10. Le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. L... W..., Mme Q... W... et M. Y... W..., tant en son nom personnel qu'en sa qualité de tuteur de M. G... W..., aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mai deux mille vingt.





MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour Mme W... et MM. L... et Y... W...


Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevable la demande d'indemnisation au titre d'une aggravation des besoins de M. G... W... en tierce personne formulée par Mme Q... W..., M. L... W... et M. Y... W... agissant en son nom personnel et ès qualités de tuteur de G... W... ;

AUX MOTIFS QUE selon jugement du 30 mai 1996, le tribunal de grande instance de Toulon a considéré que G... W... était en état de dépendance totale vis à vis de son entourage, qu'il ne pouvait manger seul, ni se recouvrir seul la nuit et qu'il apparaissait dès lors évident qu'une tierce personne 24h/24h était nécessaire à sa surveillance ; qu'il a jugé que le chiffre retenu de 6.396.253,60 francs correspondait au calcul pratiqué en la matière ; qu'aucun autre référence à une assistance familiale ou spécialisée ou encore à un coût horaire, charges comprises ou hors charges, n'est visée par le jugement tant dans la motivation retenue que dans son dispositif ; que le docteur U..., expert judiciaire désigné par jugement du 27 mai 2014 du tribunal de grande instance de Toulon, confirmé par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 10 décembre 2015 a établi son rapport le 7 avril 2017, dans lequel il fait état d'une aggravation en raison de trois chirurgies dont deux au niveau du rachis lombaire, en février 1995 et en novembre 1995, et une chirurgie du membre supérieur droit en janvier 1997 ; que l'expert a notamment indiqué que le déficit fonctionnel permanent reste fixé à 95 % sans aggravation du taux, le besoin en tierce personne reste constant à raison de 24h par jour ; qu'en réponse à un dire du 4 avril 2017 de Me V..., l'expert a estimé qu'il n'y avait pas de perte d'autonomie du fait d'une altération des préhensions, aucun soin n'a été rendu nécessaire par les chirurgies réalisées dans le but d'améliorer la fonction ; que l'expert a par ailleurs considéré que les chirurgies n'ont eu aucun impact en terme de perte d'autonomie et n'ont pas nécessité d'aide complémentaire, en ajoutant je rappelle que le DFP, a été évalué à 95 % et que l'état fonctionnel actuel ne justifierait plus un tel taux ; qu'une demande nouvelle d'indemnisation n'est recevable, sans heurter l'autorité de la chose jugée, que si elle concerne soit un préjudice nouveau, distinct du préjudice indemnisé de façon irrévocable par jugement ou transaction, soit une aggravation du préjudice ; que l'autorité de la chose jugée peut donc être opposée lorsque des événements postérieurs ne sont pas venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; qu'en l'espèce M. G... W... ne justifie pas d'une aggravation de son handicap ou de son préjudice rendant nécessaire une assistance par tierce personne accrue ou différente depuis le jugement du 30 mai 1996 ; que l'aggravation situationnelle alléguée par M. G... W... ne résulte donc pas en l'espèce d'une dégradation de son état de santé mais d'un changement de son environnement familial, sa mère qui jusque là assurait l'aide humaine à ses côtés, n'étant plus en mesure d'assumer cette charge en raison de la maladie d'[...] dont elle est désormais atteinte ; que le jugement du 30 mai 1996 a fixé l'indemnisation de l'assistance par tierce personne en tenant compte de l'espérance de vie de M. G... W..., pour lui permettre de s'assurer quotidiennement les services d'une tierce personne à titre permanent ; que le montant alors alloué tient compte de l'intégralité de l'indemnisation de cette aide humaine, qu'elle soit dispensée par l'entourage familial ou par une aide extérieure ; qu'en conséquence la demande de réévaluation de la rente, uniquement fondée sur le vieillissement prévisible et l'altération des facultés cognitives de sa mère, si ce n'est prévisible mais à tout le moins possible, se heurte à l'autorité de chose jugée et elle est donc irrecevable ;

1°) ALORS QUE l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée à une nouvelle action tendant à la réparation d'un préjudice inconnu au moment de la demande initiale et sur lequel il n'avait pu être statué ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, comme elle y était invitée, si en ce qu'il avait fait droit à la demande des consorts W... de fixer le coût de l'assistance en tierce personne à 60 francs de l'heure hors charges, le jugement du 30 mai 1996 n'avait pas ainsi pris en considération la nature strictement familiale de l'aide humaine apportée à ce titre à M. G... W... par Mme Q... W..., sa mère, et qu'ainsi le préjudice tiré de la nécessité de remplacer cette aide humaine familiale par une tierce personne professionnelle ne constituait pas un préjudice inconnu au moment de la demande initiale et sur lequel le jugement du 30 mai 1996 n'avait pas statué, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 480 du code de procédure civile et 1382 devenu 1240 du code civil ;

2°) ALORS QUE la circonstance que la victime soit atteinte d'une incapacité permanente de 95 % n'exclut pas la possibilité d'une aggravation de son dommage ; qu'en écartant la demande de réparation du préjudice complémentaire lié à un changement matériel dans les conditions d'existence de M. G... W..., tout en indemnisant les aménagements intérieurs du logement familial liés à la nécessité d'adapter celui-ci à la présence d'une tierce personne professionnelle, consistant en l'aménagement d'une chambre déjà existante, d'une salle d'eau et de toilettes individuelles, la mise en place d'un rail pour lève-personne et de protections d'angle en PVC, ce dont il résultait que le préjudice lié à la nécessité de substituer par une tierce personne professionnelle l'aide humaine familiale jusqu'alors assurée auprès de M. G... W... par Mme Q... W..., sa mère, constituait un préjudice inconnu au moment de la demande initiale et sur lequel le jugement du 30 mai 1996 n'avait pas statué, la cour d'appel, qui n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient, a violé l'article 480 du code de procédure civile et l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;

3°) ALORS QUE le juge est tenu de répondre aux moyens opérants des conclusions des parties ; que les consorts W... soutenaient qu'il résultait du rapport établit le 31 mai 2011, par M. H..., ergothérapeute, agissant en qualité de sapiteur de l'expert médical désigné par ordonnance de référé du 17 mars 2009, que dans la vie courante, M. G... W... nécessitait l'assistance d'une tierce personne ayant la qualité d'auxiliaire de vie spécialisée et qualifiée dans la prise en charge des troubles du comportement et de la communication que ce dernier présentaient, ce qui induisait une charge financière complémentaire, inconnue au moment de la demandée initiale, qui n'avait pas été indemnisée par le jugement du 30 mai 1996 (conclusions, p. 8) ; qu'en écartant la demande d'indemnisation complémentaire formulée au titre de l'assistance d'une tierce personne qualifiée sans répondre à ce moyen opérant des conclusions des consorts W..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2020:C200422
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