Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 12 mars 2020, 18-26.080, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 mars 2020




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 334 F-D

Pourvoi n° V 18-26.080

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. et Mme T....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 18 octobre 2018.






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 MARS 2020

1°/ M. U... T...,

2°/ Mme P... T...,

domiciliés tous deux [...],

ont formé le pourvoi n° V 18-26.080 contre l'arrêt rendu le 12 décembre 2017 par la cour d'appel de Lyon (sécurité sociale), dans le litige les opposant à la caisse d'allocations familiales de l'Ain, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Coutou, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. et Mme T..., de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la caisse d'allocations familiales de l'Ain, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 février 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Coutou, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties, en application de l'article 1015 du code de procédure civile ;

Vu les articles 1er, § 2, et 23 A de la Convention générale sur la sécurité sociale conclue le 5 janvier 1950 entre la France et la Yougoslavie, publiée par le décret n° 51-457 du 19 avril 1951, applicable dans les relations entre la France et le Kosovo en vertu de l'accord sous forme d'échange de lettres des 4 et 6 février 2013, publié par le décret n° 2013-349 du 24 avril 2013 ;

Attendu, selon le premier de ces textes, seul applicable au droit à prestations du chef de l'enfant qui réside également sur le territoire français, que les ressortissants français ou kosovar qui n'ont pas la qualité de travailleur salarié ou assimilé au sens des législations de sécurité sociale comprises dans le champ d'application de la Convention, sont soumis respectivement aux législations concernant les prestations familiales énumérées à l'article 2 de la Convention, applicables au Kosovo et en France, et en bénéficient dans les mêmes conditions que les ressortissants de chacun de ces pays ; que, selon le second, les travailleurs salariés ou assimilés de nationalité française ou kosovare occupés sur le territoire de l'un de ces Etats ont le droit, pour leurs enfants résidant sur le territoire de l'autre Etat, à des allocations familiales dans les conditions qui seront fixées d'un commun accord ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. et Mme T..., de nationalité kosovare (les allocataires), sont entrés en France en 2006 avec leurs enfants L... et L..., nés respectivement au Kosovo en [...] et [...]; qu'une troisième enfant, R..., est née à Lyon en [...] ; que la caisse d'allocations familiales de l'Ain (la caisse) leur ayant refusé le bénéfice des allocations familiales au titre des enfants L... et L..., ils ont sollicité une mesure de regroupement familial « sur place » au titre de leurs deux premiers enfants, qui leur a été refusée par le préfet de l'Ain ; que, titulaires d'une carte de résident de longue durée, ils ont sollicité le réexamen de leur dossier par la caisse, qui a confirmé son refus ; qu'ils ont saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale ;

Attendu que pour rejeter leur recours, l'arrêt rappelle que les allocataires revendiquent en premier lieu la convention générale entre la France et la Yougoslavie sur la sécurité sociale signée le 5 janvier 1950 mais que la caisse précise que s'agissant des prestations familiales il y a lieu de se référer aux articles 23, 23A et 23B qui ne régissent que les travailleurs salariés exerçant leur activité dans un autre état que celui où résident leurs enfants ou ceux détachés avec leur famille dans un autre pays que le leur et que la situation professionnelle des allocataires ne peut être retenue comme étant une situation de travailleur détaché, et retient qu'il ressort de l'attestation de la préfecture de l'Ain du 9 avril 2009 que les enfants sont entré en France au plus tard en même temps que l'un de leur parent autorisé à se maintenir sur le territoire sur le fondement de l'alinéa 11 de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et non de l'alinéa 7, de sorte que les allocataires sont mals fondés à invoquer les dispositions de la convention générale entre la France et la Yougoslavie sur la sécurité sociale signée le 5 janvier 1950 ;

Qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que les enfants résidaient en France avec les allocataires, ce dont il résultait que ces derniers pouvaient prétendre au bénéfice des prestations familiales dans les mêmes conditions que les allocataires de nationalité française, la cour d'appel a violé les textes susvisés, le premier par refus d'application, le second par fausse application ;

PAR CES MOTIFS; la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;

Condamne la caisse d'allocations familiales de l'Ain aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. et Mme T...

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré mal fondé le recours de parents étrangers (M. et Mme T..., les exposants) en vue d'obtenir le versement de prestations familiales pour leurs deux fils aînés également étrangers (L... et L...) et de les avoir en conséquence déboutés de leurs demandes à ce titre ;

AUX MOTIFS QUE la caisse d'allocations familiales avait refusé le bénéfice des prestations familiales pour les enfants L... et L... pour la raison que ces derniers ne pouvaient démontrer une entrée régulière en France et ne justifiaient pas d'une attestation préfectorale indiquant qu'ils étaient entrés en même temps que leur parents ; que M. et Mme T... estimaient que cette position méconnaissait les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH) ; qu'ils faisaient valoir que la jurisprudence de la Cour de cassation qui tolérait une limitation au principe d'égalité de traitement relatif aux prestations familiales lorsqu'elle revêtait un caractère objectif justifié par la nécessité dans un Etat démocratique d'exercer un contrôle des conditions d'accueil des enfants, était intervenue pour des enfants arrivés en France postérieurement à leurs parents et en dehors de la procédure de regroupement familial ; qu'or tel n'était pas le cas de leurs propres enfants, qui étaient arrivés en France en même temps que leurs parents ; que M. et Mme T... faisaient valoir que leurs enfants étaient en situation régulière et qu'ils avaient d'ailleurs déjà eu l'occasion de ressortir et de rentrer à nouveau en France puisqu'ils disposaient d'un document de circulation établi par la préfecture ; que, plus, ils avaient sollicité dès 2010 le regroupement familial "sur place" pour lequel ils avaient reçu un avis favorable de enquêteur, non suivi toutefois par le préfet ; qu'ainsi, selon eux, ils subissaient une différence de traitement qui n'était basée sur aucune justification objective et raisonnable et ce alors qu'il n'existait aucune possibilité concrète de faire régulariser leur situation ; que M. et Mme T... estimaient par ailleurs que la convention internationale des droits de l'Enfant (CIDE) (articles 9.1 et 26) et la Charte des droits fondamentaux (articles 24 et 34) avaient été violées puisqu'elles prévoyaient un droit aux prestations de sécurité sociale et la prise en considération de l'intérêt supérieur de l'enfant ; qu'ils soutenaient ainsi que la décision de la caisse d'allocations familiales « (revenait) à solliciter l'éloignement des enfants T... de leurs parents » ; que la caisse faisait valoir en réponse que la position des parents allait à l'encontre de celle de la Cour de cassation qui avait retenu à plusieurs reprises l'absence d'atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale garanti par les articles 8 et 14 de la CEDH et la nécessité de l'Etat d'exercer un contrôle des conditions d'accueil des enfants ; qu'elle précisait que la haute juridiction s'était notamment déterminée en considération de l'absence de violation de l'article 3-1 de la CIDE relatif à l'intérêt supérieur de l'enfant ; qu'elle précisait que les deux premiers enfants des époux T... étaient entrés en France de façon irrégulière de sorte que le certificat médical de l'OFII prévu dans le cadre du regroupement familial n'avait pu être produit et que par ailleurs les parents ne produisaient pas l'attestation préfectorale indiquant que les enfants étaient entrés en même temps que les parents titulaires d'un titre de séjour pris sur le fondement de l'article L. 313-11 alinéa 7 du CESEDA ; qu'elle rappelait en outre que le Conseil Constitutionnel avait, le 15 décembre 2005, décidé que l'article 89 de la loi de financement de la sécurité sociale complétant l'article L. 512-2 du code de la sécurité sociale n'était pas contraire à la constitution ; que l'article D. 512-2 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue du décret n° 2009-331 du 25 mars 2009, applicable au présent litige, donnait une liste exhaustive de titres de séjour réguliers exigés pour ouvrir le droit aux prestations familiales au bénéfice des enfants étrangers ; que la régularité de l'entrée et du séjour des enfants étrangers que le bénéficiaire avait à charge et au titre desquels il demandait des prestations familiales était justifiée par la production de l'un de ces documents ; qu'il n'était pas discuté que M. et Mme T... n'avaient pu fournir aucune de ces pièces ; qu'ils estimaient que l'exigence de produire un certificat médical délivré par l'OFII était en particulier, disproportionnée dans la mesure où il n'existait pas de possibilité concrète de faire régulariser leur situation ; que, toutefois, il était constant que l'exigence par le texte précité de la production d'un des documents attestant d'une entrée régulière des enfants étrangers en France, et notamment pour les enfants entrés au titre du regroupement familial, du certificat médical délivré par l'OFII, qui revêtait un caractère objectif justifié par la nécessité dans un Etat démocratique d'exercer un contrôle des conditions d'accueil des enfants, ne portait pas atteinte au droit à la vie familiale garanti par les articles 8 et 14 de la CEDH, ni plus qu'à l'intérêt supérieur de l'enfant, sans qu'il y eût lieu de faire une distinction selon que les enfants étaient arrivés en France avec leurs parents ou postérieurement à ces derniers ; que ces dispositions avaient en outre été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil Constitutionnel (décision n° 2005-528 du 15 décembre 2005) qui avait toutefois formulé une réserve afin de préciser que « lorsqu'il sera(it) procédé, dans le cadre de la procédure de regroupement familial, à la régularisation de la situation d'un enfant déjà entré en France, cet enfant devra(it) ouvrir droit aux prestations familiales » (pour procédure de regroupement familial "surplace") ; qu'en l'espèce le regroupement familial surplace n'avait pas été accepté ainsi qu'il ressortait du jugement du tribunal administratif du 31 mai 2010 ; qu'en outre, le 8 septembre 2015, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) avait décidé que le refus d'attribuer les allocations familiales aux requérants était dû, non pas à leur seule nationalité ou à tout autre critère couvert par l'article 14, mais au non-respect par eux des règles applicables au regroupement familial prévues par le livre IV du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), ces dernières constituant une différence de traitement reposant sur une justification objective et raisonnable ; que ces moyens devaient donc être rejetés comme l'avaient indiqué les premiers juges ;

ALORS QUE les articles L. 512-1, L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale portent une atteinte disproportionnée au droit à l'égalité de traitement, à la non-discrimination et à la vie familiale garantis par les articles 1, 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et méconnaissent les dispositions de l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant dès lors qu'ils conduisent à refuser l'octroi de prestations familiales à des enfants sur le seul fondement de leur nationalité et subordonnent à la preuve de leur entrée régulière sur le territoire français le bénéfice de telles prestations, quand leurs parents sont pourtant entrés régulièrement en France et y résident pareillement ; qu'en déclarant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 512-1, L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale, 1, 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

ALORS QUE , en outre, les articles L. 512-1, L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale portent une atteinte disproportionnée à ces mêmes principes dès lors qu'ils conduisent à refuser l'octroi de prestations familiales à des enfants étrangers arrivés en France au plus tard en même temps que leurs parents en situation régulière sur le territoire, résidant en France depuis douze ans, y travaillant, ayant une fille française pour être née en France, tous les enfants étant scolarisés en France, lesquels ne peuvent obtenir la régularisation de la situation de leurs enfants via le regroupement familial, refus conduisant les enfants à être renvoyés dans leur pays d'origine et séparés de leurs parents ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 512-1, L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale, 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990.ECLI:FR:CCASS:2020:C200334
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