Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 mars 2020, 18-23.682, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 mars 2020




Rejet


M. CATHALA, président



Arrêt n° 401 FS-P+B sur le premier moyen

Pourvoi n° P 18-23.682




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 MARS 2020

M. J... R..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° P 18-23.682 contre l'arrêt rendu le 6 septembre 2018 par la cour d'appel d'Angers (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme P... V..., domiciliée [...], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. R..., de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme V..., et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 février 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, conseillers, Mme Lanoue, MM. Joly, Le Masne de Chermont, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 6 septembre 2018), Mme V... a été engagée par M. R... le 2 juillet 2012 par contrat de professionnalisation en qualité d'assistante dentaire. Elle a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement le 7 octobre 2013, et licenciée pour faute grave le 25 octobre 2013.

2. Soutenant avoir été victime de harcèlement sexuel, la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 12 octobre 2015 en contestant son licenciement.

3. Par jugement définitif du 28 juillet 2016, le tribunal correctionnel d'Angers a relaxé l'employeur des fins de la poursuite pour harcèlement sexuel.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la salariée avait été victime de harcèlement sexuel, que son licenciement était nul, et de le condamner à des dommages-intérêts alors :

« 1°/ que le juge civil ne peut méconnaître ce qui a été jugé certainement et nécessairement par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action publique et de l'action civile ; qu'en l'espèce, le juge répressif a, par jugement du 28 juillet 2016, devenu irrévocable, relaxé M. R... des fins de poursuites de harcèlement sexuel au préjudice de Mme V... ; que dès lors, la cour d'appel ne pouvait au contraire retenir de tels faits à son égard ; qu'en conséquence, la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur l'action portée devant la juridiction civile et les articles 1355 du code civil et 4 du code de procédure pénale ;

2°/ qu' il résulte des motifs du jugement correctionnel du 28 juillet 2016 que la matérialité des faits de harcèlement sexuel et la culpabilité de celui auquel ils étaient imputés ne sont pas établies, à défaut pour l'enquête d'avoir révélé des « faits précis dont les autres assistantes dentaires auraient pu être témoins et concernant Mme V... », notant en outre que « Mme V... n'a jamais déposé plainte pour harcèlement sexuel, démontrant ainsi qu'elle ne se sentait pas victime de comportements déplacés de son employeur à son égard ou ne lui imputait pas d'avoir cherché ses faveurs sexuelles » ; que ces faits, nécessaires à la décision pénale, desquels il résulte que l'élément matériel n'est pas établi, s'imposent au juge civil ; qu'en décidant néanmoins que le harcèlement moral était caractérisé au motif erroné que le tribunal correctionnel ne serait entré en voie de relaxe qu'en raison du défaut d'élément intentionnel, la cour d'appel a violé les articles 1355 du code civil et 4 du code de procédure pénale et les principes susvisés. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles 1351 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 480 du code de procédure civile, que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé.

6. La cour d'appel a relevé qu'en l'espèce, le jugement de relaxe du tribunal correctionnel était fondé sur le seul défaut d'élément intentionnel.

7. La caractérisation de faits de harcèlement sexuel en droit du travail, tels que définis à l'article L. 1153-1, 1°, du code du travail, ne suppose pas l'existence d'un élément intentionnel.

8. Par conséquent, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la décision du juge pénal, qui s'est borné à constater l'absence d'élément intentionnel, ne privait pas le juge civil de la possibilité de caractériser des faits de harcèlement sexuel de la part de l'employeur.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen :

Enoncé du moyen

10. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement nul alors « qu'un licenciement ne peut être annulé que si le motif du licenciement est prohibé par les dispositions légales ou s'il y a eu violation d'une liberté fondamentale ; qu'ainsi, un salarié victime de harcèlement sexuel ne peut invoquer la nullité de son licenciement pour ce motif que si celui-ci est en lien avec ce harcèlement sexuel ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que la salariée n'a porté plainte pour harcèlement qu'après la mise en oeuvre de la procédure de licenciement motivée par ses fautes professionnelles, lesquelles avaient déjà donné lieu à un avertissement et que la salariée, qui souhaitait valider sa formation, n'avait pas fait savoir à l'employeur ce qu'elle lui reprochait ; qu'à défaut de constater que le licenciement de Mme V... aurait un quelconque lien avec les prétendus faits de harcèlement sexuel qu'elle aurait subis, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision de l'annuler au regard des articles L. 1153-2 et suivants et L. 1235-3-1 du code du travail qu'elle a violés. »

Réponse de la Cour

11. Ayant constaté que les liens de subordination et a fortiori de tutorat inhérents à la formation que la salariée suivait, en contrat de professionnalisation, l'empêchant de quitter le cabinet sous peine de perdre également la possibilité d'obtenir son diplôme, l'avaient logiquement et naturellement retenue dans l'expression de ses plaintes jusqu'à la mise à pied conservatoire et qu'au demeurant, elle avait déclaré à l'officier de police lors de la plainte que lorsqu'elle avait voulu parler à l'employeur de ses propos, il lui avait répondu qu'elle devait « se décoincer », la cour d'appel a fait ressortir le lien entre les faits de harcèlement sexuel qu'elle constatait et le licenciement, justifiant ainsi légalement sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. R... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. R... et le condamne à payer à Mme V... la somme de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mars deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. R....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que Mlle V... avait été victime de harcèlement sexuel de la part de M. R..., que son licenciement était nul et d'AVOIR condamné M. R... à verser à Mlle V... des dommages et intérêts au titre du licenciement nul et au titre du harcèlement sexuel, ainsi qu'une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité légale de licenciement ;

AUX MOTIFS QUE l'employeur fait valoir que le 28 juillet 2016, le tribunal correctionnel d'Angers a jugé de l'absence de fait précis pouvant caractériser un harcèlement sexuel et que cette décision a autorité de chose jugée au pénal qui s'impose au juge civil ; or, s'agissant des faits de harcèlement sexuel, la relaxe en matière pénale, lorsqu'elle intervient sur le seul motif du défaut d'élément intentionnel, ne lie pas le juge civil ; le juge prud'homal doit alors procéder à une analyse propre des faits qui lui sont soumis ; en l'espèce, le jugement du tribunal correctionnel d'Angers conclut que "faute de caractériser l'élément intentionnel du délit, J... R... sera relaxé du chef de poursuite" ; la relaxe étant intervenue au seul motif que l'élément intentionnel faisait défaut, la cour d'appel, dans le cadre de la présente procédure, est donc libre d'analyser les faits qui lui sont soumis, comme l'ont été les premiers juges ;

1° ALORS QUE le juge civil ne peut méconnaître ce qui a été jugé certainement et nécessairement par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action publique et de l'action civile ; qu'en l'espèce, le juge répressif a, par jugement du 28 juillet 2016, devenu irrévocable, relaxé M. R... des fins de poursuites de harcèlement sexuel au préjudice de Mme V... ; que dès lors, la Cour d'appel ne pouvait au contraire retenir de tels faits à son égard ; qu'en conséquence, la Cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur l'action portée devant la juridiction civile et les articles 1355 du Code civil et 4 du Code de procédure pénale ;

2° ALORS QU' en tout état de cause il résulte des motifs du jugement correctionnel du 28 juillet 2016 que la matérialité des faits de harcèlement sexuel et la culpabilité de celui auquel ils étaient imputés ne sont pas établies, à défaut pour l'enquête d'avoir révélé des « faits précis dont les autres assistantes dentaires auraient pu être témoins et concernant Melle V... », notant en outre que « Mlle V... n'a jamais déposé plainte pour harcèlement sexuel, démontrant ainsi qu'elle ne se sentait pas victime de comportements déplacés de son employeur à son égard ou ne lui imputait pas d'avoir cherché ses faveurs sexuelles » ; que ces faits, nécessaires à la décision pénale, desquels il résulte que l'élément matériel n'est pas établi, s'imposent au juge civil ; qu'en décidant néanmoins que le harcèlement moral était caractérisé au motif erroné que le Tribunal correctionnel ne serait entré en voie de relaxe qu'en raison du défaut d'élément intentionnel, la Cour d'appel a violé les articles 1355 du Code civil et 4 du Code de procédure pénale et les principes susvisés.

SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que Mlle V... avait été victime de harcèlement sexuel de la part de M. R..., que son licenciement était nul et d'AVOIR condamné M. R... à verser à Mlle V... des dommages et intérêts au titre du licenciement nul et du harcèlement sexuel, ainsi qu'une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité légale de licenciement ;

AUX MOTIFS QU'il résulte de l'ensemble de ces éléments, que le harcèlement sexuel au sens du code du travail est parfaitement caractérisé ; il s'ensuit, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs, que le licenciement de Mme P... V... doit être déclaré comme étant nul, par voie d'infirmation du jugement ; l'appelant sera en conséquence débouté de ses demandes ;

ALORS QU' un licenciement ne peut être annulé que si le motif du licenciement est prohibé par les dispositions légales ou s'il y a eu violation d'une liberté fondamentale ; qu'ainsi, un salarié victime de harcèlement sexuel ne peut invoquer la nullité de son licenciement pour ce motif que si celui-ci est en lien avec ce harcèlement sexuel ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que la salariée n'a porté plainte pour harcèlement qu'après la mise en oeuvre de la procédure de licenciement motivée par ses fautes professionnelles, lesquelles avaient déjà donné lieu à un avertissement et que la salariée, qui souhaitait valider sa formation, n'avait pas fait savoir à l'employeur ce qu'elle lui reprochait ; qu'à défaut de constater que le licenciement de Mlle V... aurait un quelconque lien avec les prétendus faits de harcèlement sexuel qu'elle aurait subis, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision de l'annuler au regard des articles L.1153-2 et suivants et L.1235-3-1 du Code du travail qu'elle a violés. ECLI:FR:CCASS:2020:SO00401
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