Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 mars 2020, 18-24.473, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 mars 2020




Rejet


Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 257 F-D

Pourvoi n° Y 18-24.473




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 MARS 2020

La société Tibco services, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Y 18-24.473 contre l'arrêt rendu le 28 septembre 2018 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. N... S..., domicilié [...] ,

2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Tibco services, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. S..., après débats en l'audience publique du 28 janvier 2020 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, M. Ricour, conseiller, l'avis de Mme Rémery, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 28 septembre 2018), M. S... a été engagé le 20 février 2007 en qualité de technicien par la société Infotec aux droits de laquelle vient la société Tibco services (la société).

2. Il a été affecté auprès de la société cliente Adeo et travaillait sur la commune de [...].

3. Le 17 septembre 2014, le salarié s'est vu indiquer qu'il n'était plus affecté auprès de la société Adeo, mais qu'il devait rejoindre l'agence de Lens à compter du 1er octobre 2014.

4. Il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail le 22 janvier 2015.

Examen des moyens

Sur le premier moyen pris en ses cinquième et sixième branches, et sur le second moyen, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

6. La société fait grief à l'arrêt de dire que la rémunération du salarié s'élevait sur la période des douze derniers mois à la somme de 2 384 euros, de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, et de le condamner en conséquence à payer au salarié des sommes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité conventionnelle de licenciement et du rappel de prime trimestrielle, alors :

« 1°/ que le contrat de travail prévoyait expressément qu'en raison de la nature des fonctions du salarié, appelé à exercer des missions auprès de clients, en cas d'arrêt du contrat client, le lieu de travail du salarié sera au siège social de la société à Lens" ; qu'il en résulte que le salarié avait expressément accepté d'être affecté au sein du siège social situé à Lens, lors de l'arrêt de sa prestation chez un client ; qu'en considérant néanmoins, pour retenir que la mutation du salarié à l'agence de Lens en raison de la demande du client Adeo de mettre fin à son détachement en son sein constituait une modification de son contrat, que cette clause n'était applicable qu'à l'expiration du contrat client et que le contrat client avec la société Adeo n'a pas été arrêté, cependant que cette clause était parfaitement applicable à toute réaffectation du salarié à l'issue du détachement chez un client, quel qu'en soit le motif, la cour d'appel violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article L. 1221-1 du code du travail ;

2°/ que la mutation d'un salarié non soumis à une obligation de mobilité n'emporte modification du contrat que si le nouveau lieu de travail se situe dans un secteur géographique différent ; que le changement de secteur géographique doit être apprécié objectivement, de manière identique pour tous les salariés, sans tenir compte de la situation personnelle de chacun d'entre eux en termes de trajet ; qu'en l'espèce, il est constant que M. S... était détaché au sein de l'entreprise Adeo situé à Ronchin et qu'à la suite d'une demande du client Adeo, la société a dû le réaffecter, de manière provisoire, sur un poste situé à Lens, séparé de seulement 31 kilomètres de son ancien lieu de travail ; que, pour juger que cette mutation emportait modification du contrat, la cour d'appel a retenu que, si la distance entre la ville de Lens et celle de [...] n'était pas considérable dans l'absolu, les deux villes relèvent de deux bassins d'emplois différents dont les accès sont malaisés non seulement en voiture, mais aussi en transport en commun, avec pour effet dans les deux cas d'allonger considérablement le temps de transport du salarié ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à faire ressortir que les deux villes relèvent objectivement de deux secteurs géographiques différents en dépit de la faible distance qui les sépare, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction alors en vigueur et l'article L. 1221-1 du code du travail ;

3°/ que le paiement, même répété, d'une prime non prévue au contrat n'a pas pour effet de rendre cette prime obligatoire ; qu'en l'espèce, il est constant que le salarié a perçu, à cinq reprises, entre mars 2013 et avril 2014, une prime dite « exceptionnelle » de 600 euros dont le paiement n'était prévu ni par son contrat de travail ni par un avenant à ce contrat ; qu'en considérant que cette prime constituait, compte tenu de la constance et de la régularité des versements, un élément de salaire et non une prime discrétionnaire et que l'employeur ne pouvait cesser de la verser à compter d'avril 2014, sans au demeurant expliquer le fondement du caractère obligatoire de cette prime, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction alors en vigueur et l'article L. 1221-1 du code du travail ;

4°/ si elle n'est pas prévue par la loi, le statut collectif ou le contrat de travail du salarié, une prime ne présente un caractère obligatoire qu'à la condition de résulter d'un engagement clair et non équivoque de l'employeur ; qu'en relevant, par motifs réputés adoptés, que M. X..., Responsable de Production Nord, a indiqué dans un courrier électronique du 1er octobre 2013, que la prime exceptionnelle versée correspondait à la mission ROC, la cour d'appel n'a pas caractérisé un engagement de l'employeur de verser cette prime ni pendant toute cette mission, ni surtout au-delà de la mission ROC ; qu'en conséquence, elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction alors en vigueur et de l'article L. 1221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. C'est par une interprétation souveraine des termes de la clause contenue au contrat de travail, que son ambiguïté rendait nécessaire, que la cour d'appel a retenu qu'elle ne s'appliquait qu'en cas de rupture du contrat avec le client.

8. En l'état de ses constatations relatives à la distance séparant les deux sites et aux moyens de transport les desservant, la cour d'appel, qui a relevé qu'ils étaient situés dans des bassins d'emploi différents, a pu décider qu'ils ne faisaient pas partie du même secteur géographique et que le changement d'affectation du salarié constituait une modification de son contrat de travail.

9. La cour d'appel, qui a constaté qu'une prime trimestrielle de 600 euros avait été versée au salarié chaque trimestre à compter du 1er mars 2014 et qu'elle lui avait été accordée en contrepartie de ses nouvelles fonctions de responsable opérationnel client, a fait ressortir l'existence d'un engagement unilatéral de l'employeur.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Tibco services aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Tibco services et la condamne à payer à M. S... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre mars deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Tibco services


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la rémunération de M. N... S... s'élevait sur la période des 12 derniers mois à la somme de 2.384 €, prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail conclu entre M. S... et la société Tibco Services aux torts de l'employeur avec effet au 3 février 2015, d'AVOIR, en conséquence, condamné la Société Tibco services à verser à M. S... les sommes de 16.000 euros de dommages et intérêts au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, 4.768 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 476,80 euros au titre des congés payés afférents, 4.744,16 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement et 2.000 euros à titre de rappel de prime trimestrielle et d'AVOIR ordonné à la société Tibco Services de rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômage que l'organisme a versées à M. N... S... du jour de son licenciement et ceci dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage ;

AUX MOTIFS QUE « s'agissant d'abord de la modification du lieu de travail. Il sera rappelé d'une part, que la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu, et d'autre part que dès lors que le changement de lieu de travail intervient dans un secteur géographique distinct de celui dans lequel travaille habituellement le salarié, il y a modification de son contrat de travail, la mutation ne pouvant alors intervenir sans l'accord du salarié. En l'espèce, le contrat de travail du 19 février 2007 de M. S... dans une clause sur le « lieu de travail » stipule que « Dans un premier temps, le salarié intégrera une équipe en place chez un de nos clients. Dans ce cadre son lieu de travail initial sera situé sur Lezennes. En cas d'arrêt du contrat client, le lieu de travail du salarié sera au siège social de la société à Lens. Le salarié sera en outre amené à effectuer des déplacements. Il déclare par avance accepter tous déplacements ainsi que toute mutation de son lieu de travail lié à un changement de siège social de la société. Le salarié déclare accepter expressément cette mobilité ». Il résulte de cette clause que les parties n'ont pas entendu contractualiser le lieu de travail à Lezennes, lequel a été indiqué au titre de simple information, et que M. S... s'est engagé à rejoindre le siège social à Lens, comme lieu de travail, en cas d'arrêt du contrat client. Toutefois, contrairement à ce que soutient la société, M. S..., qui est resté au même lieu de travail pendant 7 ans, n'exerçait pas des fonctions supposant par essence une mobilité, laquelle ne peut de toute façon qu'être temporaire, lorsqu'elle a lieu au-delà d'un même secteur géographique. La cour en déduit que dès lors que le contrat client avec la société Adeo n'avait pas été arrêté, M. S... n'était pas tenu rejoindre le siège social à Lens en application de la clause du contrat, mais seulement pour le cas où Lens ressortirait du même secteur géographique que [...] (siège de la société Adeo). Sur ce point, outre que la prévision d'une clause spéciale au contrat plaide déjà pour une réponse négative, la cour relève en tout état de cause que indépendamment de la seule distance kilométrique entre les deux lieux, qui n'est pas considérable dans l'absolu, la ville de Lens et celle de [...] relèvent de bassins d'emplois différents dont les accès respectifs sont malaisés non seulement en transports en commun, mais aussi en voiture du fait de conditions de circulation difficiles aux heures de pointe, avec donc pour effet, dans les deux cas, d'allonger considérablement le temps de transports de M. S.... La cour en conclut que la société Tibco a imposé à M. S... un changement de lieu dans un autre secteur géographique, qu'elle a donc modifié unilatéralement son contrat, ce qui constitue un manquement à ses obligations, lequel, à lui seul, n'est toutefois pas suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifier la résiliation judiciaire. S'agissant de la modification de la rémunération. La cour relève que, comme le montrent ses bulletins de paie, M. S... a perçu une prime dite exceptionnelle de 600 euros, en mars 2013, en juin 2013, en septembre 2013, en décembre 2013 et en avril 2014 au lieu de mars 2014, suite à un « oubli » de M. F... X..., responsable de production Nord. La cour en a déduit que, indépendamment même de savoir à ce stade si elle était liée à la promotion de M. S... en tant que « ROC », cette prime dite exceptionnelle constituait, au regard de la constance et de la régularité des versements, un élément de salaire et non une prime discrétionnaire, de sorte que l'employeur ne pouvait ainsi modifier la rémunération du salarié en cessant comme il l'a fait, de verser cette prime à compter d'avril 2014. La cour en a déduit que la société a commis, indépendamment même de toute modification unilatérale du contrat, un manquement qui, sans être suffisamment grave en soi pour empêcher la poursuite du contrat de travail, n'en demeure pas moins, en dépit de son ancienneté, un manquement sérieux et ceci d'autant plus que M. S... a protesté à plusieurs reprises contre l'absence de versement de la prime. S'agissant de la modification unilatérale des fonctions et du poste. La cour a relevé que M. S... a été embauché initialement en qualité de technicien Coefficient 275 niveau 2.1 de la grille des Etam, que par avenant du 19 février 2007, il est devenu « technicien support » avec la position 2.1, coefficient 275 statut Etam, que par une note de service du 21 octobre 2009 il s'est vu confier à compter du 1er novembre 2009 « l'animation et la responsabilité de l'ensemble de l'équipe » et, enfin et surtout, que par une lettre de mission du 20 février 2013 qu'il a signée, il s'est vu confier des fonctions pour la période du 1er mars 2013 au 30 juin 2013 dont les « missions principales » correspondent exactement aux missions d'un « Responsable opérationnel client » (ROC). La cour en a déduit que contrairement à ce que soutient la société Tibco, M. S... s'est vu confier, au plus tard à partir du 1er mars 2013, les fonctions de « Responsable opérationnel client », fonctions qu'il a exercées, et que son contrat a ainsi été modifié par cette lettre de mission signée par les deux parties, peu important que cette modification n'ait pas donné lieu à un avenant formel et peu important aussi que la lettre de mission du 17 septembre 2013 pour une mission de ROC pour la période du 1er juillet 2013 au 31 octobre 2013 n'ait pas été signée, la première lettre de mission du 20 février 2013 ne comportant aucun motif censé justifier le caractère seulement temporaire de la mission en question, celle-ci ne pouvait être qu'à durée indéterminée. La cour en conclut que M. S... s'est vu confier les fonctions de ROC au plus tard le 1er mars 2013 pour une durée indéterminée, comme le confirment au demeurant différents mails que M. S... verse aux débats, de telle sorte qu'en considérant par la suite que M. S... n'avait pas les fonctions de ROC, la société Tibco a modifié unilatéralement son contrat et commis un nouveau manquement. La cour estime que ces différents manquements de la société Tibco sont, ajoutés les uns aux autres, suffisamment graves au point d'empêcher la poursuite de la relation de travail et donc de justifier la résiliation judiciaire aux torts de la société, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres manquements invoqués à cet égard. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. S... aux torts de la société Tibco Services avec effet à la date de la notification du licenciement intervenu le 3 février 2015 » ;

ET QUE « la prime trimestrielle de 600 euros ayant été accordée à M. S... en contrepartie de ses nouvelles fonctions contractuelles de ROC et cette prime étant devenue un élément de sa rémunération, la société Tibco est redevable à M. S... d'une somme de 2000 euros correspondant aux primes de juin, septembre et décembre 2014 et à la part proportionnelle de la prime pour le mois de janvier 2015 » ;

ET AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES, EN LES SUPPOSANT ADOPTÉS, QUE « l'employeur n'apporte pas la preuve de l'arrêt du contrat avec la société Adeo ni de changement du siège social de la société ; que l'attestation de Monsieur L... en date du 22 octobre 2014 fait référence à une demande de remplacement mais n'évoque pas l'éventualité de l'arrêt du contrat entre la société ADEO SERVICES et la société TIBCO SERVICES et par conséquent le Conseil considère qu'elle ne constitue pas la preuve de l'arrêt du contrat client ; que seul un changement de lieu de travail dans le même secteur géographique constitue une simple modification des conditions de travail ; Vu que la ville de [...] et la ville de [...], lieu de travail de Monsieur N... S..., sont séparées de plus de 40 kilomètres ; le Conseil considère que la ville de Lens n'est pas située dans la même zone géographique du domicile du demandeur et de la ville de [...] où Monsieur N... S... était initialement affecté. Le Conseil dit et juge qu'il y a eu modification unilatérale et substantielle des clauses du contrat de travail entre Monsieur N... S... et la société TIBCO constituant un manquement grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail. En conséquence le Conseil dit et juge que la demande de résiliation judiciaire de Monsieur N... S... est bien fondée aux torts exclusifs de la société TIBCO SERVICES suite à la modification du lieu de travail. b) Sur la modification de la rémunération. Vu les articles L. 1221-1 et suivants du Code du Travail qui disposent des modalités du contrat de travail ; Vu les bulletins de salaires de Monsieur N... S... qui notifient le versement d'une prime constante de 600,00 euros tous les trois mois, de mars 2013 au mois d'avril 2014 ; Vu le courriel en date du 1er octobre 2013 adressé par Monsieur X... responsable de production Nord, qui indique que la prime correspond à la mission ROC (Responsable Opérationnel de Compte) de Monsieur N... S... ; Le Conseil considère que la prime répétitive de 600,00 euros est attachée à la mission ROC de Monsieur N... S... et qu'elle fait partie intégrante de son salaire. Attendu que la rémunération du salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord. Le Conseil considère que l'interruption du versement de la prime constitue une modification unilatérale des conditions de rémunération du demandeur constituant un manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail, qui justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail au tort de la société TIBCO SERVICES. En conséquence, le Conseil dit et juge bien fondée la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail entre Monsieur N... S... et la société TIBCO SERVICES. Sur la modification des fonctions. Vu l'article L. 1221-1 et suivants du Code du Travail qui disposent des modalités du contrat de travail. Vu la note de service de la société TIBCO du 21 octobre 2009 qui dispose que Monsieur N... S... prend en charge l'animation et la responsabilité de l'ensemble de l'équipe, ce qui correspond aux définitions des missions notifiées sur la fiche de fonction de Responsable Opérationnel Client ; Vu les lettres de mission du 20 février 2013 et du 17 septembre 2013 de la société TIBCO qui confirme les missions de Monsieur N... S... ; Vu les mails de Monsieur P... en date du 12 décembre 2012, de Monsieur L... en date du 18 décembre 2012 et de Monsieur X... en date du 29 octobre 2013 et du 6 décembre 2013 qui confirment les fonctions de Monsieur N... S... ; que la lettre en date du 9 janvier 2015 de la société TIBCO signée de Monsieur K... notifie l'attribution d'un poste de technicien au sein de l'agence de Lens. Le Conseil considère que la proposition à Monsieur N... S... d'un poste de technicien constitue une rétrogradation de ses fonctions. Que le courriel de Monsieur V... en date du 17 septembre 2014 confirme le changement de mission de Monsieur N... S.... Le Conseil considère que la modification unilatérale des fonctions de Monsieur N... S... constitue un manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail. En conséquence, le Conseil dit et juge bien fondée la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail entre Monsieur N... S... et la société TIBCO SERVICES, au tort exclusif de l'employeur » ;

1. ALORS QUE le contrat de travail prévoyait expressément qu'en raison de la nature des fonctions du salarié, appelé à exercer des missions auprès de clients, « en cas d'arrêt du contrat client, le lieu de travail du salarié sera au siège social de la société à Lens » ; qu'il en résulte que M. S... avait expressément accepté d'être affecté au sein du siège social situé à Lens, lors de l'arrêt de sa prestation chez un client ; qu'en considérant néanmoins, pour retenir que la mutation de M. S... à l'agence de Lens en raison de la demande du client Adeo de mettre fin à son détachement en son sein constituait une modification de son contrat, que cette clause n'était applicable qu'à l'expiration du contrat client et que le contrat client avec la société Adeo n'a pas été arrêté, cependant que cette clause était parfaitement applicable à toute réaffectation du salarié à l'issue du détachement chez un client, quel qu'en soit le motif, la cour d'appel violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article L. 1221-1 du code du travail ;

2. ALORS QUE la mutation d'un salarié non soumis à une obligation de mobilité n'emporte modification du contrat que si le nouveau lieu de travail se situe dans un secteur géographique différent ; que le changement de secteur géographique doit être apprécié objectivement, de manière identique pour tous les salariés, sans tenir compte de la situation personnelle de chacun d'entre eux en termes de trajet ; qu'en l'espèce, il est constant que M. S... était détaché au sein de l'entreprise Adeo situé à Ronchin et qu'à la suite d'une demande du client Adeo, la société Tibco Services a dû le réaffecter, de manière provisoire, sur un poste situé à Lens, séparé de seulement 31 kilomètres de son ancien lieu de travail ; que, pour juger que cette mutation emportait modification du contrat, la cour d'appel a retenu que, si la distance entre la ville de Lens et celle de [...] n'était pas considérable dans l'absolu, les deux villes relèvent de deux bassins d'emplois différents dont les accès sont malaisés non seulement en voiture, mais aussi en transport en commun, avec pour effet dans les deux cas d'allonger considérablement le temps de transport de M. S... ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à faire ressortir que les deux villes relèvent objectivement de deux secteurs géographiques différents en dépit de la faible distance qui les sépare, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction alors en vigueur et l'article L. 1221-1 du code du travail ;

3. ALORS QUE le paiement, même répété, d'une prime non prévue au contrat n'a pas pour effet de rendre cette prime obligatoire ; qu'en l'espèce, il est constant que M. S... a perçu, à cinq reprises, entre mars 2013 et avril 2014, une prime dite « exceptionnelle » de 600 euros dont le paiement n'était prévu ni par son contrat de travail, ni par un avenant à ce contrat ; qu'en considérant que cette prime constituait, compte tenu de la constance et de la régularité des versements, un élément de salaire et non une prime discrétionnaire et que l'employeur ne pouvait cesser de la verser à compter d'avril 2014, sans au demeurant expliquer le fondement du caractère obligatoire de cette prime, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction alors en vigueur et l'article L. 1221-1 du code du travail ;

4. ALORS QUE si elle n'est pas prévue par la loi, le statut collectif ou le contrat de travail du salarié, une prime ne présente un caractère obligatoire qu'à la condition de résulter d'un engagement clair et non équivoque de l'employeur ; qu'en relevant, par motifs réputés adoptés, que M. X..., Responsable de Production Nord, a indiqué dans un courrier électronique du 1er octobre 2013, que la prime exceptionnelle versée correspondait à la mission ROC, la cour d'appel n'a pas caractérisé un engagement de l'employeur de verser cette prime ni pendant toute cette mission, ni surtout au-delà de la mission ROC ; qu'en conséquence, elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction alors en vigueur et de l'article L. 1221-1 du code du travail ;

5. ALORS QUE les parties au contrat peuvent, sans motif, convenir de l'affectation provisoire du salarié sur une mission d'une durée déterminée ; qu'à l'expiration de la durée contractuellement fixée pour cette mission temporaire, le replacement du salarié dans ses fonctions initiales n'emporte pas modification du contrat ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que M. S... s'est vu confier des fonctions de « Responsable opérationnel client » par une première lettre de mission du 20 février 2013 signée des deux parties, pour une période courant du 1er mars au 30 juin 2013, puis par une seconde lettre de mission du 17 septembre 2013, non signée mais acceptée par le salarié, pour une période du 1er juillet au 31 octobre 2013 ; qu'en jugeant qu'en l'absence de motif censé justifier le caractère seulement temporaire de la mission en question, cette dernière ne peut être qu'à durée indéterminée, de sorte qu'en considérant par la suite que M. S... n'avait pas les fonctions de Responsable Opérationnel Client, la société Tibco Services a modifié unilatéralement son contrat, cependant que l'employeur n'a pas à justifier des motifs du caractère temporaire d'une mission particulière acceptée par le salarié, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction alors en vigueur et l'article L. 1221-1 du code du travail ;

6. ALORS QUE selon la fiche de poste de Responsable Opérationnel Contrat, le salarié qui occupe ce poste « assure la gestion (planification, escalade, suivi) des prestations au quotidien. Il assure le reporting quotidien et hebdomadaire avec son homologue client, ainsi que les comités de suivi. Il a un rôle de supervision et d'animation opérationnelle des intervenants. Il coordonne les contraintes de planification et s'assure de la tenue des engagements. Il est le point d'entrée privilégié des équipes de production vis-à-vis du contexte spécifique client » ; qu'en se bornant à relever, pour dire que M. S... occupait un poste de Responsable Opérationnel Client, que la note de service du 21 octobre 2009 dispose qu'il prend en charge l'animation et la responsabilité de l'ensemble de l'équipe, ce qui correspond aux définitions des missions notifiées sur la fiche de fonction de Responsable Opérationnel Client, cependant que de telles constatations sont radicalement insuffisantes à couvrir l'étendue des responsabilités du poste telles que définies dans cette fiche de poste, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction alors en vigueur et l'article L. 1221-1 du code du travail.


SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Tibco Services à verser à M. S... 1.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice distinct subi du fait de la dégradation des conditions de travail suite à la discrimination dont il a été victime en raison de son état de santé ;

AUX MOTIFS QUE « au soutien de sa demande de 15.000 euros de dommages et intérêts pour préjudice distinct, M. S... soutient que par son action, la société Tibco a contribué à dégrader ses conditions de travail, que son attitude a été particulièrement déloyale, puisqu'elle a eu des conséquences sur son état de santé le contraignant à se mettre en arrêt de travail à compter du mois d'octobre 2014, qu'en outre la décision de le relever de ses fonctions chez Adeo a été prise en raison de son arrêt maladie d'avril 2014, de sorte qu'il a subi une discrimination en raison de son état de santé. Il ressort de l'article L. 1134-1 du code du travail que le salarié qui invoque une discrimination doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, à charge, au vu de ces éléments, à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. En l'espèce, M. S... fait valoir que la société n'a pas accepté son arrêt de travail pour maladie et qu'elle a cherché à le sanctionner en décidant unilatéralement de le relever de ses fonctions auprès du client Adeo et que dans ce contexte il est donc manifeste que les conditions de travail se sont dégradées au retour de son arrêt maladie. La cour relève d'abord que M. S... ne présente pas d'éléments précis, notamment quant aux dates de son arrêt maladie, et qu'en fait il a été en arrêt maladie ordinaire du 22 avril au 30 juin 2014 c'est à dire après qu'il se soit plaint, le 31 mars 2014, de ne pas avoir perçu sa prime trimestrielle, de telle sorte que ses conditions de travail ont commencé à se dégrader avant même son retour d'arrêt maladie. En revanche, la cour constate ensuite que la décision prise par la société Tibco de relever M. S... de ses fonctions chez la société Adeo est bien postérieure à son retour d'arrêt maladie, de sorte que cet élément de fait est suffisamment précis pour laisser supposer l'existence d'une discrimination directe en raison de l'état de santé de M. S.... Pour justifier sa décision, la société Tibco fait valoir qu'elle n'a fait que respecter la volonté de son client Adeo de ne plus avoir M. S... en détachement. A cet égard, la cour précise que l'employeur ne peut se contenter de se retrancher derrière la volonté d'une société cliente pour justifier une discrimination directe et qu'en l'espèce les raisons qu'elle invoque comme étant celles de la société cliente pour se séparer de M. S... ("afin de se mettre en conformité avec les contraintes réglementaires d'utilisation des ressources externes dans le cadre de prestations techniques", le fait d'avoir entendu l'émission de "doutes sur certaines compétences du collaborateur [...]" "ce dernier ne leur apportait pas satisfaction sur plusieurs points") sont toutes beaucoup trop vagues, imprécises et empruntes de subjectivité, pour pouvoir constituer des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La cour en conclut que la décision de muter M. S... de la société Adeo, au siège social de la société Tibco à Lens a été prise en raison de son état de santé et que M. S... a donc été victime d'une discrimination directe, laquelle lui a causé un préjudice distinct de celui qui a été réparé au titre de la résiliation judiciaire et que la cour évalue en l'espèce à a somme de 1.000 euros ;

ALORS QU'en application de l'article L. 1134-1 du code du travail, lorsque le salarié établit des faits laissant supposer une discrimination, il appartient à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'en l'espèce, pour justifier sa décision de mettre fin au détachement de M. S... auprès de la société Adeo, la société Tibco Services faisait valoir qu'elle n'avait fait que respecter la volonté de son client Adeo de ne plus avoir M. S... en détachement ; qu'en affirmant que l'employeur ne peut se contenter de se retrancher derrière la volonté d'une société cliente pour justifier une discrimination directe, et en refusant en conséquence de tenir compte des éléments objectifs apportés par l'employeur pour démontrer que la mutation du salarié à Lens était motivée par une décision qui lui était totalement extérieure et donc par hypothèse étrangère à toute discrimination, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 1134-1 du code du travail.ECLI:FR:CCASS:2020:SO00257
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