Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 27 février 2020, 18-14.305, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

JT



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 27 février 2020




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 166 F-D

Pourvoi n° W 18-14.305




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 FÉVRIER 2020

1°/ la société [...] , société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,

2°/ la société JSA, dont le siège est [...] , en la personne de M. I... Q..., agissant dans sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [...] ,

ont formé le pourvoi n° W 18-14.305 contre l'arrêt rendu le 25 janvier 2018 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (4e chambre A), dans le litige les opposant :

1°/ à M. P... G..., domicilié [...] ,

2°/ à M. C... A..., domicilié [...] ,

3°/ à M. L... SK... ,

4°/ à Mme K... S... épouse SK... ,

domiciliés tous deux [...],

5°/ à M. T... U...,

6°/ à Mme D... X... épouse U...,

domiciliés tous deux [...],

7°/ à M. B... W..., domicilié [...] ,

8°/ à Mme E... V..., domiciliée [...] ,

9°/ à M. O... V..., domicilié [...] ,

10°/ à M. F... H..., domicilié [...] ,

11°/ à M. C... Y... N..., domicilié [...] ,

12°/ à Mme R... J... veuve M..., domiciliée [...] ,

13°/ à M. KX... GC...,

14°/ à Mme KY... TQ... épouse GC...,

domiciliés tous deux [...],

15°/ à M. KB... WR... XZ...,

16°/ à Mme YC... WA... épouse XZ...,

domiciliés tous deux [...],

17°/ à M. HB... IB..., domicilié [...] ,

18°/ à la société HG Dujardin, dont le siège est [...] ,

19°/ à la société Sunshine, société civile immobilière, dont le siège est [...] ,

20°/ à M. QV... PT..., domicilié [...] ,

21°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence des Pins, dont le siège est [...] , représenté par M. LK... QI..., administrateur judiciaire, domicilié [...] ,

22°/ à la société [...] , société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Schmitt, conseiller référendaire, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société [...] et de la société JSA, en qualité de liquidateur de la société [...] , de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat du syndicat des copropriétaires de la résidence des Pins, de la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat de M. G..., de M. A..., de M. et Mme SK... , de M. et Mme U..., de M. W..., de M. et Mme V..., de M. H..., de M. N..., de M. et Mme GC..., de M. et Mme XZ..., de M. IB... et de la société HG Dujardin, après débats en l'audience publique du 21 janvier 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Schmitt, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 janvier 2018), la société [...] est propriétaire de lots dans la résidence des Pins, soumise au statut de la copropriété.

2. M. G..., M. A..., M. et Mme SK..., M. et Mme U..., M. W..., M. et Mme V..., M. H..., M. N..., Mme J..., M. et Mme GC..., M. et Mme XZ..., M. IB... et la SCI HG Dujardin, propriétaires de lots dans la même résidence, ont assigné le syndicat des copropriétaires de cette résidence et la société [...] en interdiction, faite à cette dernière, de poursuivre dans l'immeuble une activité commerciale de location saisonnière. La société JSA, liquidateur de la société [...] , a été appelée en intervention forcée.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société [...] fait grief à l'arrêt de lui faire interdiction sous astreinte de louer ses lots ou de les faire occuper par sa clientèle, alors :

« 1°/ que le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires sur leurs parties privatives en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l'immeuble, telle qu'elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation ; que toute stipulation contraire est réputée non écrite ; qu'en interdisant purement et simplement, au vu du règlement de copropriété de la copropriété de la résidence des Pins, lequel a été établi le 22 août 1950 et modifié le 8 février 1951, à la société [...] de louer, donc de donner à bail, les trente-neuf lots de copropriété dont elle est titulaire dans la résidence des Pins et aussi de permettre à l'un quelconque de ses clients d'occuper à quelque titre que ce soit ces mêmes lots, la cour d'appel, qui assujettit le droit de propriété de la société [...] à une amputation et non pas seulement à une restriction, amputation qui est générale et absolue et qui excède manifestement ce que peuvent justifier la destination contractuelle, le caractère ou la situation de la résidence des Pins, a violé les articles 8, alinéa 2, et 43 de la loi du 10 juillet 1965 ;

2°/ que toute personne a droit au respect de ses biens ; que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; que le droit de propriété emporte, au profit de la partie qui le détient, le droit de jouir de la chose qui en forme l'objet et donc d'en percevoir les fruits civils, tels que l'article 584 du code civil les définit ; qu'en interdisant purement et simplement à la société [...] de donner à bail les trente-neuf lots privatifs dont elle est détentrice dans la copropriété de la résidence des Pins et aussi de permettre à sa clientèle d'occuper ces mêmes lots à quelque titre que ce soit, la cour d'appel, qui prive objectivement la société [...] de la substance même de son droit de propriété sur eux, a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse au moyen

4. Ayant constaté que la société [...] se livrait à une activité commerciale de location à la journée ou à la semaine d'appartements et de studios et retenu, appréciant souverainement la destination de l'immeuble,
que le règlement de copropriété de la résidence des Pins réservait les bâtiments à l'usage exclusif d'habitation et que l'utilisation des locaux à titre
professionnel était autorisée sous réserve que l'activité professionnelle ait été exercée dès l'origine, dans des locaux annexes à ceux servant à l'habitation du propriétaire, ce qui excluait que les appartements soient utilisés au titre d'une activité commerciale, la cour d'appel a pu en déduire qu'il devait être fait interdiction à la société [...] de louer ses lots privatifs ou de les faire occuper par sa clientèle, alors que celle-ci ne précise pas, concrètement, en quoi la mesure d'interdiction la priverait objectivement de la substance même de son droit de propriété sur ses lots.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société JSA, en qualité de liquidateur de la société [...] , aux dépens.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société JSA, en qualité de liquidateur de la société [...] , et la condamne à payer à M. G..., à M. A..., à M. et Mme SK..., à M. et Mme U..., à M. W..., à M. et Mme V..., à M. H..., à M. N..., à M. et Mme GC..., à M. et Mme XZ..., à M. IB... et à la SCI HG Dujardin la somme globale de 3 000 euros, et au syndicat des copropriétaires de la résidence des Pins la somme de 3 000 euros.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour la société [...] et la société JSA, en qualité de liquidateur de la société [...]

Le pourvoi fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR prononcé contre la société [...] (sas) l'interdiction, sous une astreinte de 3 000 € par jour, de louer les lots privatifs dont elle est détentrice dans la copropriété de la [...], sise au n° [...] , ou encore de les faire occuper par sa clientèle ;

AUX MOTIFS QUE « le règlement de copropriété de l'ensemble immobilier "[...]" réserve les bâtiments à l'usage exclusif d'habitation, la clause selon laquelle les chambres de débarras, les caves et les garages ne pourront être vendus qu'à des personnes déjà propriétaires traduisant la volonté de conserver aux bâtiments un caractère résidentiel et de standing ; [que] l'utilisation des locaux à titre professionnel est également autorisée sous réserve que l'activité professionnelle ait été exercée dès l'origine et dans les locaux annexes à ceux servant à l'habitation du propriétaire, ce qui renforce encore l'intention du rédacteur du règlement d'affecter les bâtiments à l'habitation et, sous certaines conditions, à l'habitation concurremment à l'exercice d'une profession, excluant ainsi que les appartements soient utilisés dans le cadre d'une activité commerciale » (cf. arrêt attaqué, p. 11, 3e alinéa) ; que « la sas [...] se sert elle-même du caractère prestigieux de la [...], située dans un quartier historique de la ville de Cannes et répertoriée à l'inventaire général du patrimoine culturel de la région Paca depuis 1982, pour attirer sa clientèle étrangère ; [qu']elle ne saurait dès lors, au simple motif que cet ancien hôtel de luxe, construit en 1872, et divisé en appartements en 1950, nécessite des travaux de réfection et d'entretien, prétendre que les bâtiments sont insalubres au point que le standing de la résidence n'a rien de particulier et son environnement quelconque ; [que] les stipulations du règlement de copropriété, qui affectent les locaux privatifs de cet ensemble immobilier de standing à l'usage d'habitation, n'apparaissent pas dès lors contraires à l'article 8 de la loi du 10 juillet 1965 ; [qu']il s'ensuit que c'est à juste titre que le premier juge a considéré que l'activité commerciale exercée par la sa [...] dans ses lots est contraire à la destination de l'immeuble, telle qu'elle résulte du règlement de propriété ; [qu']il convient d'ajouter que ce sont bien trente-neuf appartements sur les soixante que compte la résidence, qui sont affectés à l'exercice d'une activité commerciale de location en meublé, ce qui génère d'inévitables nuisances pour les copropriétaires, inhérentes aux allées et venues perpétuelles des clients (cris et vociférations la nuit dans les étages, dégradations, arrestation d'un individu recherché par la police, scènes de violence
), ainsi qu'il ressort des attestations et des coupures de presse versées aux débats » (cf. arrêt attaqué, p. 11, 4e alinéa, lequel s'achève p. 12) ;

1. ALORS QUE le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires sur leurs parties privatives en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l'immeuble, telle qu'elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation ; que toute stipulation contraire est réputée non écrite ; qu'en interdisant purement et simplement, au vu du règlement de copropriété de la copropriété de la [...], lequel a été établi le 22 août 1950 et modifié le 8 février 1951, à la société [...] (sas) de louer, donc de donner à bail, les trente-neuf lots de copropriété dont elle est titulaire dans la [...] et aussi de permettre à l'un quelconque de ses clients d'occuper à quelque titre que ce soit ces mêmes lots, la cour d'appel, qui assujettit le droit de propriété de la société [...] (sas) à une amputation et non pas seulement à une restriction, amputation qui est générale et absolue et qui excède manifestement ce que peuvent justifier la destination contractuelle, le caractère ou la situation de la [...], a violé les articles 8, alinéa 2, et 43 de la loi du 10 juillet 1965 ;

2. ALORS QUE toute personne a droit au respect de ses biens ; que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; que le droit de propriété emporte, au profit de la partie qui le détient, le droit de jouir de la chose qui en forme l'objet et donc d'en percevoir les fruits civils, tels que l'article 584 du code civil les définit ; qu'en interdisant purement et simplement à la société [...] (sas) de donner à bail les trente-neuf lots privatifs dont elle est détentrice dans la copropriété de la [...] et aussi de permettre à sa clientèle d'occuper ces mêmes lots à quelque titre que ce soit, la cour d'appel, qui prive objectivement la société [...] (sas) de la substance même de son droit de propriété sur eux, a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.ECLI:FR:CCASS:2020:C300166
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