Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 27 février 2020, 18-24.772, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

FB


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 27 février 2020




Cassation


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 140 FS-P+B+I

Pourvoi n° Y 18-24.772




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 FÉVRIER 2020

1°/ M. K... L..., domicilié [...],

2°/ M. T... L..., domicilié [...],

3°/ la société [...], société civile d'exploitation agricole, dont le siège est [...],

ont formé le pourvoi n° Y 18-24.772 contre l'arrêt rendu le 20 septembre 2018 par la cour d'appel de Rouen (chambre de la proximité, section paritaire), dans le litige les opposant :

1°/ à l'établissement public foncier de Normandie (EPFN), dont le siège est [...],

2°/ à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de Normandie, dont le siège est [...], venant aux droits de la SAFER Haute-Normandie,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Barbieri, conseiller, les observations de la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat de MM. K... et T... L... et de la société [...], de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de l'établissement public foncier de Normandie, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Normandie, et l'avis de Mme Valdès-Boulouque, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 21 janvier 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Barbieri, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, M. Parneix, Mmes Andrich, Dagneaux, Provost-Lopin, M. Jessel, conseillers, Mmes Corbel, Collomp, M. Béghin, Mme Schmitt, conseillers référendaires, Mme Valdès-Boulouque, premier avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Sur le second moyen, qui est préalable :

Vu l'article L. 411-2 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 221-2 du code de l'urbanisme ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que l'exploitant bénéficiaire de la concession temporaire de terres agricoles acquises par une personne publique pour la constitution d'une réserve foncière ne bénéficie d'aucun droit né du statut des baux ruraux que si l'immeuble est repris en vue de son utilisation définitive dans une opération d'aménagement ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 20 septembre 2018), que, conformément à un arrêté de déclaration d'utilité publique du 31 janvier 1975, l'établissement public foncier de Normandie (l'établissement) a acquis des parcelles de terre en vue de la constitution d'une réserve foncière ; qu'entre le 8 décembre 1993 et l'année culturale 2013-2014, M. L..., son fils et la société civile d'[...] (les consorts L...) ont conclu chaque année avec l'établissement une concession d'occupation précaire de ces terrains en vue de leur exploitation ; que, par lettre du 10 juillet 2014, l'établissement les a informés qu'il projetait de céder les terrains à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Normandie (la SAFER) et qu'ils devaient les libérer à la fin de la saison ; que, par déclaration du 10 juin 2015, les consorts L... ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en reconnaissance d'un bail statutaire ;

Attendu que, pour rejeter la demande des consorts L..., l'arrêt retient que le régime des biens constituant une réserve foncière gérée par une personne publique n'accorde au preneur aucun droit à se maintenir dans les lieux ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé l'abandon du projet d'urbanisme justifiant la constitution de la réserve foncière, de sorte que, les biens n'ayant pas été repris par l'établissement en vue de leur utilisation définitive, le statut d'ordre public des baux ruraux ne pouvait être écarté, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;

Condamne l'établissement public foncier de Normandie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'établissement public foncier de Normandie et la demande de la SAFER de Normandie et condamne l'établissement public foncier de Normandie à payer à MM. K... et T... L... et à la société [...] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour MM. K... et T... L... et la société [...].

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir rejeté l'ensemble des prétentions, fins et conclusions de M. K... L..., M. T... L... et la SCEA L... et d'avoir déclaré irrecevable la demande en annulation de la vente des parcelles par l'EPFN à la SAFER intervenue le 15 décembre 2014 ;

AUX MOTIFS QUE

« Sur la qualification des conventions passées entre MM. L... et la SCEA [...], d'une part, et l'EPFN, d'autre part

L'article L. 411-1 du code rural dispose que : "toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l'article L. 311-1 est régie par les dispositions du présent titre, sous les réserves énumérées à l'article L. 411-2.

Cette disposition est d'ordre public."

L'article L. 411-2 dispose, quant à lui, que : "les dispositions de l'article L. 411-1 ne sont pas applicables :

- aux conventions conclues en application de dispositions législatives particulières, [...]

- aux conventions d'occupation précaire [...]

3)° tendant à l'exploitation temporaire d'un bien dont l'utilisation principale n'est pas agricole ou dont la destination agricole doit être changée." (étant précisé que les passages de cet article placées sous [...] ne concernent pas le litige ou ne sont pas revendiquées comme s'y appliquant par les parties).

La création d'une réserve foncière est prévue et réglementée par les articles L. 221-1 et suivants du code de l'urbanisme.

Or, l'article L. 221-2 du code de l'urbanisme dispose notamment que les immeubles acquis pour la constitution de réserves foncières ne peuvent faire l'objet que de concessions temporaires qui ne confèrent au preneur aucun droit de renouvellement et aucun droit à se maintenir dans les lieux lorsque l'immeuble est repris en vue de son utilisation définitive.

Il s'agit d'une disposition législative particulière faisant obstacle à l'application du statut du fermage aux occupations des parcelles, relevant du 1er alinéa de l'article L. 411-2 du code rural et non de son dernier alinéa.

En l'espèce, il est constant que l'arrêté ministériel du 22 janvier 1971 portant création de la zone d'aménagement différé du Mesnil-Roux et l'arrêté préfectoral du 31 janvier 2015 [lire 1975] déclarant d'utilité publique l'acquisition des parcelles en litige ont constitué une réserve foncière.

Dès lors, l'EPFN n'était autorisée qu'à passer des conventions d'occupation précaire, ce régime excluant le statut des baux ruraux et n'accordant donc au preneur aucun droit à se maintenir dans les lieux ou à préempter en cas de cession.

Les conventions signées rappelaient expressément ces modalités. Ainsi, les conventions du 8 décembre 1993 et du 26 septembre 2007 contiennent la stipulation suivante : "le concessionnaire reconnaît expressément que cette convention exclut l'application des articles L. 411-1 et suivants du code rural, ne lui confère aucun droit au renouvellement au maintien dans les lieux en cas de reprise de l'immeuble, sous réserve d'un préavis de deux mois".

Les conventions passées pour les autres années culturales sont intitulées "occupation précaire" et comportent la mention "accepte l'attribution à titre précaire des parcelles ci-dessus désignées aux conditions indiquées pour la saison [suit l'année en cours]".

MM. L... et la SCEA L... ne peuvent valablement soutenir qu'ils étaient presque contraints de passer de telles conventions. L'obligation pesait sur l'ensemble des contractants puisqu'elle trouve son origine dans des dispositions légales d'ordre public autant que le statut du fermage dans son domaine d'intervention, les concessionnaires conservant cependant la possibilité de ne pas contracter.

Ils ne peuvent pas non plus arguer de la durée de la constitution de la réserve foncière sans mise en oeuvre pendant près de 40 ans du projet initial pour lequel elle avait été créée, aucun texte ne prévoyant de déchéance de sa constitution et l'existence même de la réserve foncière ayant pour effet d'exclure l'application du statut du fermage et le juge judiciaire ne disposant d'aucun pouvoir pour déduire de la non-réalisation du projet initial qu'à partir d'une certaine durée, l'abandon du projet a entraîné la cessation de la réserve foncière.

Il s'ensuit qu'aucune requalification en bail rural des concessions d'occupation précaire consenties aux appelants ne peut être envisagée.

Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef. » (arrêt, p. 7, Sur la qualification des conventions, à p. 8, dernier al.) ;

« Sur la nullité de la vente des terres par l'EPFN à la SAFER

(...)

L'EPFN fait valoir que les appelants n'auraient pas qualité à agir en nullité de la vente.

L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention.

Or, en l'espèce, les appelants n'ont pas d'intérêt personnel à l'annulation de la vente, celle-ci ne pouvant modifier en rien leurs droits. Une telle annulation serait même contraire à leurs intérêts puisqu'ils ont été choisis par la SAFER, organisme chargé de la répartition des terres agricoles, comme acquéreurs des parcelles qu'ils occupaient à titre précaire, non visées par la présente procédure (soit sur la commune de Barentin, la parcelle [...] et les parcelles [...] et 386 issues de la division de la parcelle [...], sur la commune de Pissy-Poville, les parcelles [...] (ancienne parcelle [...] ), [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...] et [...].

Leur demande d'annulation de la vente sera donc déclarée irrecevable, ce qui empêche de l'examiner au fond. » (arrêt, p. 9)

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE

« Sur l'existence d'un bail rural au profit de Monsieur K... L..., Monsieur T... L... et la SCEA L... :

L'article L. 411-1 du code rural définit le bail rural comme une mise à disposition à titre onéreux, d'un immeuble agricole, avec pour destination voulue d'exercer une activité agricole définie à l'article L. 311-1.

Le bail rural suppose d'abord l'existence d'un accord des parties sur le principe d'une location. Les parties ont pu faire le choix de soumettre leur convention au statut du fermage. A défaut de choix clair, le louage sera qualifié de bail à ferme dès que les conditions énoncées par l'article L. 411-1 sont réunies. La preuve de l'existence de tels contrats peut être rapportée par tous moyens. L'existence d'un bail à ferme est prouvée dès lors qu'est mis en évidence le caractère onéreux de la mise à disposition des parcelles par le propriétaire et le comportement de l'occupant en véritable fermier réalisant l'entretien et le nettoyage des lieux.

L'article L. 411-2 du code rural exclut, toutefois, l'application des dispositions sus visées, notamment aux conventions conclues en application de dispositions législatives particulières.

L'article L. 221-2 du code de l'urbanisme dispose que les immeubles acquis pour la constitution de réserves foncières ne peuvent faire l'objet que de concessions temporaires qui ne confèrent au preneur aucun droit de renouvellement et aucun droit à se maintenir dans les lieux lorsque l'immeuble est repris en vue de son utilisation définitive. Il a été jugé que le fait que le concessionnaire ait exploité l'immeuble pendant longtemps ne fait pas obstacle à ce régime dérogatoire et ne permet pas de requalifier la convention en bail rural, sans qu'il soit possible, pour le juge judiciaire de contrôler si les conditions permettant la constitution d'une telle réserve foncière sont bien réunies.

En l'espèce, les parcelles litigieuses ont été acquises par L'ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER DE NORMANDIE, personne publique, dans le cadre de la mise en oeuvre de la Déclaration d'Utilité Publique en vue de la constitution de réserves foncières aux fins de la création de la ZAD de MESNIL-ROUX. Ces parcelles apparaissent par suite, soumises au régime des réserves foncières, sans contrôle, par le juge judiciaire de la régularité de leur constitution ou de leur affectation. Par application des articles L. 411-2 du code rural et L. 221-2 du code de l'urbanisme, elles sont soumises à un régime exclusif du statut du fermage.

En tout état de cause, Monsieur K... L..., Monsieur T... L... et la SCEA L... ont signé, chaque année, une convention intitulée "concession d'occupation précaire", dont l'objet est un droit de jouissance à titre précaire et révocable, stipulant reconnaître que l'autorisation accordée ne leur confère aucun des droits reconnus aux locataires par le statut du fermage. Ils ont exprimé ainsi et réitéré chaque année jusqu'au 3 juillet 2013, pour l'année culturale 2013-2014, une volonté claire de conclure une convention d'occupation précaire et choisi sans ambiguïté de ne pas soumettre la convention au statut du bail rural. Ni les redevances, acquittées chaque année, mais ce, conformément aux prévisions contractuelles, en contrepartie du bénéfice d'un droit de jouissance précaire et révocable, ni la durée de l'occupation, certes longue, ne suffisent à créer l'équivoque sur ses intentions, expressément réitérées chaque année.

Dès lors, Monsieur K... L..., Monsieur T... L... et la SCEA L... apparaissant mal fondés à solliciter une interprétation de leur volonté contractuelle en vue d'une requalification des conventions,

En conséquence, il y a lieu de rejeter la demande aux fins de reconnaissance d'un bail verbal au profit de Monsieur K... L..., Monsieur T... L... et la SCEA L... et les demandes subséquentes. » (jugement, p. 4, Sur l'existence d'un bail rural
, à p. 5, al. 5) ;

1°) ALORS QUE le juge qui constate que la demande dont il est saisi est irrecevable excède ses pouvoirs en statuant ensuite au fond ; qu'après avoir déclaré irrecevable la demande en annulation de la vente des parcelles par l'EPFN à la SAFER intervenue le 15 décembre 2014, l'arrêt, confirmant le jugement, a débouté M. K... L..., M. T... L... et la SCEA L... de l'ensemble de leurs prétentions, fins et conclusions; qu'en statuant ainsi la cour d'appel a excédé ses pouvoirs , en violation des articles 122 et 562 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE l'intérêt à agir du demandeur n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action et l'existence du droit invoqué par le demandeur n'est pas une condition de recevabilité de son action, mais de son succès ; qu'en déclarant irrecevable l'action des consorts L..., pour défaut d'intérêt à agir, par la considération qu'aucune requalification en bail rural des concessions d'occupation précaire qui leur avaient été consenties ne pouvant être envisagée, ils n'avaient pas d'intérêt personnel à l'annulation de la vente, celle-ci ne pouvant modifier leurs droits, la cour d'appel, qui a subordonné la recevabilité des actions des demandeurs à la démonstration préalable de leur bien-fondé, a violé l'article 31 du code de procédure civile, ensemble l'article 122 du même code.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir rejeté l'ensemble des prétentions, fins et conclusions de M. K... L..., M. T... L... et de la SCEA L... et d'avoir déclaré irrecevable la demande en annulation de la vente des parcelles par l'EPFN à la SAFER intervenue le 15 décembre 2014 ;

AUX MOTIFS QUE

« Sur la qualification des conventions passées entre MM. L... et la SCEA [...], d'une part, et l'EPFN, d'autre part

L'article L.411-1 du code rural dispose que : "toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l'article L. 311-1 est régie par les dispositions du présent titre, sous les réserves énumérées à l'article L. 411-2.

Cette disposition est d'ordre public."

L'article L.411-2 dispose, quant à lui, que : " les dispositions de l'article L.411-1 ne sont pas applicables :

- aux conventions conclues en application de dispositions législatives particulières, [...]

- aux conventions d'occupation précaire [...]

3)° tendant à l'exploitation temporaire d'un bien dont l'utilisation principale n'est pas agricole ou dont la destination agricole doit être changée." (étant précisé que les passages de cet article placées sous [...] ne concernent pas le litige ou ne sont pas revendiquées comme s'y appliquant par les parties).

La création d'une réserve foncière est prévue et réglementée par les articles L. 221-1 et suivants du code de l'urbanisme.

Or, l'article L.221-2 du code de l'urbanisme dispose notamment que les immeubles acquis pour la constitution de réserves foncières ne peuvent faite l'objet que de concessions temporaires qui ne confèrent au preneur aucun droit de renouvellement et aucun droit à se maintenir dans les lieux lorsque l'immeuble est repris en vue de son utilisation définitive.

Il s'agit d'une disposition législative particulière faisant obstacle à l'application du statut du fermage aux occupations des parcelles, relevant du 1er alinéa de l'article L. 411-2 du code rural et non de son dernier alinéa.

En l'espèce, il est constant que l'arrêté ministériel du 22 janvier 1971 portant création de la zone d'aménagement différé du Mesnil-Roux et l'arrêté préfectoral du 31 janvier 2015 [en réalité, 1975] déclarant d'utilité publique l'acquisition des parcelles en litige ont constitué une réserve foncière.

Dès lors, l'EPFN n'était autorisée qu'à passer des conventions d'occupation précaire, ce régime excluant le statut des baux ruraux et n'accordant donc au preneur aucun droit à se maintenir dans les lieux ou à préempter en cas de cession.

Les conventions signées rappelaient expressément ces modalités. Ainsi, les conventions du 8 décembre 1993 et du 26 septembre 2007 contiennent la stipulation suivante : "le concessionnaire reconnaît expressément que cette convention exclut l'application des articles L.411-1 et suivants du code rural, ne lui confère aucun droit au renouvellement au maintien dans les lieux en cas de reprise de l'immeuble, sous réserve d'un préavis de deux mois".

Les conventions passées pour les autres années culturales sont intitulées "occupation précaire" et comportent la mention "accepte l'attribution à titre précaire des parcelles ci-dessus désignées aux conditions indiquées pour la saison [suit l'année en cours]".

MM. L... et la SCEA L... ne peuvent valablement soutenir qu'ils étaient presque contraints de passer de telles conventions. L'obligation pesait sur l'ensemble des contractants puisqu'elle trouve son origine dans des dispositions légales d'ordre public autant que le statut du fermage dans son domaine d'intervention, les concessionnaires conservant cependant la possibilité de ne pas contracter.

Ils ne peuvent pas non plus arguer de la durée de la constitution de la réserve foncière sans mise en oeuvre pendant près de 40 ans du projet initial pour lequel elle avait été créée, aucun texte ne prévoyant de déchéance de sa constitution et l'existence même de la réserve foncière ayant pour effet d'exclure l'application du statut du fermage et le juge judiciaire ne disposant d'aucun pouvoir pour déduire de la non-réalisation du projet initial qu'à partir d'une certaine durée, l'abandon du projet a entraîné la cessation de la réserve foncière.

Il s'ensuit qu'aucune requalification en bail rural des concessions d'occupation précaire consenties aux appelants ne peut être envisagée.

Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef. » (arrêt, p. 7, Sur la qualification des conventions
, à p. 8, dernier al.) ;

« Sur la nullité de la vente des terres par l'EPFN à la SAFER

(...)

L'EPFN fait valoir que les appelants n'auraient pas qualité à agir en nullité de la vente.

L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention.

Or, en l'espèce, les appelants n'ont pas d'intérêt personnel à l'annulation de la vente, celle-ci ne pouvant modifier en rien leurs droits. Une telle annulation serait même contraire à leurs intérêts puisqu'ils ont été choisis par la SAFER, organisme chargé de la répartition des terres agricoles, comme acquéreurs des parcelles qu'ils occupaient à titre précaire, non visées par la présente procédure (soit sur la commune de Barentin, la parcelle [...] et les parcelles [...] et 386 issues de la division de la parcelle [...] , sur la commune de Pissy-Poville, les parcelles [...] (ancienne parcelle [...] ), 11, 15, 16, 17, 18, 19, 98, 195, 100 et 239.

Leur demande d'annulation de la vente sera donc déclarée irrecevable, ce qui empêche de l'examiner au fond. » (arrêt, p. 9)

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE

« Sur l'existence d'un bail rural au profit de Monsieur K... L..., Monsieur T... L... et la SCEA L... :

L'article L411-1 du code rural définit le bail rural comme une mise à disposition à titre onéreux, d'un immeuble agricole, avec pour destination voulue d'exercer une activité agricole définie à l'article L311-1.

Le bail rural suppose d'abord l'existence d'un accord des parties sur le principe d'une location. Les parties ont pu faire le choix de soumettre leur convention au statut du fermage. A défaut de choix clair, le louage sera qualifié de bail à ferme dès que les conditions énoncées par l'article L411-1 sont réunies. La preuve de l'existence de tels contrats peut être rapportée par tous moyens. L'existence d'un bail à ferme est prouvée dès lors qu'est mis en évidence le caractère onéreux de la mise à disposition des parcelles par le propriétaire et le comportement de l'occupant en véritable fermier réalisant l'entretien et le nettoyage des lieux.

L'article L. 411-2 du code rural exclut, toutefois, l'application des dispositions sus visées, notamment aux conventions conclues en application de dispositions législatives particulières.

L'article L. 221-2 du code de l'urbanisme dispose que les immeubles acquis pour la constitution de réserves foncières ne peuvent faire l'objet que de concessions temporaires qui ne confèrent au preneur aucun droit de renouvellement et aucun droit à se maintenir dans les lieux lorsque l'immeuble est repris en vue de son utilisation définitive. Il a été jugé que le fait que le concessionnaire ait exploité l'immeuble pendant longtemps ne fait pas obstacle à ce régime dérogatoire et ne permet pas de requalifier la convention en bail rural, sans qu'il soit possible, pour le juge judiciaire de contrôler si les conditions permettant la constitution d'une telle réserve foncière sont bien réunies.

En l'espèce, les parcelles litigieuses ont été acquises par L'ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER DE NORMANDIE, personne publique, dans le cadre de la mise en oeuvre de la Déclaration d'Utilité Publique en vue de la constitution de réserves foncières aux fins de la création de la ZAD de MESNIL-ROUX. Ces parcelles apparaissent par suite, soumises au régime des réserves foncières, sans contrôle, par le juge judiciaire de la régularité de leur constitution ou de leur affectation. Par application des articles L. 411-2 du code rural et L. 221-2 du code de l'urbanisme, elles sont soumises à un régime exclusif du statut du fermage.

En tout état de cause, Monsieur K... L..., Monsieur T... L... et la SCEA L... ont signé, chaque année, une convention intitulée "concession d'occupation précaire", dont l'objet est un droit de jouissance à titre précaire et révocable, stipulant reconnaître que l'autorisation accordée ne leur confère aucun des droits reconnus aux locataires par le statut du fermage. Ils ont exprimé ainsi et réitéré chaque année jusqu'au 3 juillet 2013, pour l'année culturale 2013-2014, une volonté claire de conclure une convention d'occupation précaire et choisi sans ambiguïté de ne pas soumettre la convention au statut du bail rural. Ni les redevances, acquittées chaque année, mais ce, conformément aux prévisions contractuelles, en contrepartie du bénéfice d'un droit de jouissance précaire et révocable, ni la durée de l'occupation, certes longue, ne suffisent à créer l'équivoque sur ses intentions, expressément réitérées chaque année.

Dès lors, Monsieur K... L..., Monsieur T... L... et la SCEA L... apparaissant mal fondés à solliciter une interprétation de leur volonté contractuelle en vue d'une requalification des conventions,

En conséquence, il y a lieu de rejeter la demande aux fins de reconnaissance d'un bail verbal au profit de Monsieur K... L..., Monsieur T... L... et la SCEA L... et les demandes subséquentes. » (jugement, p. 4, Sur l'existence d'un bail rural
, à p. 5, al. 5) ;

1°) ALORS QU'en dehors de cas limitativement prévus par l'article L. 411-2 du code rural et de la pêche maritime, toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l'article L. 311-1 est soumise au statut d'ordre public du fermage ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'en contrepartie du paiement de redevances, l'EPFN avait mis les parcelles agricoles litigieuses à disposition des consorts L... afin qu'ils les exploitent ; qu'en relevant néanmoins, pour écarter le statut du fermage, que ces conventions étaient intitulées "occupation précaire" ou contenaient une stipulation dans laquelle le "concessionnaire" reconnaissait expressément que "cette convention exclut l'application des articles L. 411-1 et suivants du code rural, ne lui confère aucun droit au renouvellement au maintien dans les lieux en cas de reprise de l'immeuble, sous réserve d'un préavis de deux mois", de sorte que les consorts L... auraient exprimé et réitéré chaque année jusqu'au 3 juillet 2013, pour l'année culturale 2013-2014, une volonté claire de conclure une convention d'occupation précaire et choisi sans ambiguïté de ne pas soumettre la convention au statut du bail rural, sans caractériser l'existence d'une des conventions d'occupation précaire visées à l'article L. 411-2, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code rural et de la pêche maritime, qui sont d'ordre public ;

2°) ALORS QUE les dispositions d'ordre public de l'article L. 411-1 du code rural et de la pêche maritime ne sont pas applicables aux conventions conclues en application de dispositions législatives particulières, telles les concessions temporaires consenties par les personnes publiques sur leurs réserves foncières ; que les immeubles acquis pour la constitution de réserves foncières ne peuvent faire l'objet que de concessions temporaires qui ne confèrent au preneur aucun droit de renouvellement et aucun droit à se maintenir dans les lieux lorsque l'immeuble est repris en vue de son utilisation définitive ; qu'en retenant, pour écarter la demande des consorts L... tendant à se voir reconnaître titulaires d'un bail rural, que l'EPFN n'était autorisée qu'à passer des conventions d'occupation précaire , le régime des biens constituant la réserve foncière excluant le statut des baux ruraux et n'accordant donc au preneur aucun droit à se maintenir dans les lieux ou à préempter en cas de cession, quand elle constatait par ailleurs que c'était en raison de l'abandon du projet d'aménagement ayant justifié la création de la réserve foncière que l'EPFN avait été conduit à mettre fin aux conventions conclues avec les consorts L... afin de pouvoir vendre les biens à la SAFER de Haute Normandie, de sorte que ces biens n'ayant pas été repris en vue de leur utilisation définitive, le statut des baux ruraux ne pouvait être écarté, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code rural et de la pêche maritime, ensemble de l'article L. 221-2 du code de l'urbanisme ;

3°) ALORS QUE le juge judiciaire est compétent pour apprécier si les immeubles acquis pour la constitution de réserves foncières sont repris en vue de leur utilisation définitive ; qu'en retenant, pour statuer comme elle l'a fait, que les parcelles litigieuses, soumises au régime des réserves foncières, ne peuvent faire l'objet d'un contrôle, par le juge judiciaire, de la régularité de leur constitution ou de leur affectation, la cour d'appel a violé l'article L. 221-2 du code de l'urbanisme. ECLI:FR:CCASS:2020:C300140
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