Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 29 janvier 2020, 18-15.179, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 29 janvier 2020




Rejet


Mme MOUILLARD, président



Arrêt n° 97 F-D

Pourvoi n° W 18-15.179




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 JANVIER 2020

La société Chronotec, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° W 18-15.179 contre l'arrêt rendu le 19 décembre 2017 par la cour d'appel de Montpellier (2e chambre), dans le litige l'opposant à la société Codif, société par actions simplifiée, dont le siège est [...], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lefeuvre, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Chronotec, de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de la société Codif, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2019 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire rapporteur, M. Guérin, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 19 décembre 2017), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 12 mai 2015, pourvoi n° 14-13.744), aux termes d'un protocole d'accord du 27 avril 2006, les associés de la société à responsabilité limitée Chronotec, MM. K... et C... E... et M. L..., ont, par dérogation aux statuts, autorisé ce dernier, gérant démissionnaire de la société, à constituer une autre entreprise dans le même secteur d'activité et le même département. Le même jour, M. L... a cédé la totalité de sa participation au capital de la société Chronotec à MM. C... E... et M.... Il a ultérieurement créé la société Codif, concurrente de la société Chronotec.

2. Soutenant que ce protocole d'accord, en ce qu'il autorisait M. L... à constituer une entreprise concurrente, nécessitait pour sa validité la convocation d'une assemblée spécialement réunie pour modifier les statuts, la société Chronotec a assigné celui-ci et la société Codif aux fins de cessation de l'activité exercée illicitement par cette dernière.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société Chronotec fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes contre la société Codif alors :

« 1°/ que si les associés d'une société à responsabilité limitée peuvent déroger à une clause des statuts et s'en affranchir par l'établissement d'actes postérieurs, ces actes ne sont valables que dans la mesure où tous les associés y consentent ; que pour refuser d'annuler le protocole du 27 avril 2006, l'arrêt attaqué, après avoir relevé qu'il était contraire aux articles 17 et 25 des statuts de la société Chronotec, retient qu'il n'était pas « contestable » que ce protocole « avait été signé par les trois associés qui détenaient à cette date la totalité du capital social de la société Chronotec, soit M. C... E..., M. K... E... et M. F... L... » ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant relevé que le 27 avril 2006, soir le jour même de la signature du protocole, M. F... L... avait cédé une partie de ses parts à M. M..., ce dont il résultait que la dérogation à la clause de non-concurrence prévue par l'article 17 des statuts n'avait pu être consentie avec le consentement unanime des associés, celui de M. M... n'ayant pas été recueilli, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article L. 235-1 du code de commerce ;

2°/ que dans ses conclusions d'appel, la société Chronotec faisait valoir que M. F... L... avait disposé et disposait encore de moyens matériels et informatiques appartenant à la société Chronotec pour s'adonner à des actes de concurrence déloyale ; qu'en retenant que « la SAS Chronotec, qui ne pouvait soutenir que la société Codif avait été créée en fraude de ses statuts » n'invoquait « aucun autre acte de concurrence déloyale à l'encontre de la SAS Codif », quand la société Chronotec faisait clairement état d'actes de désorganisation susceptibles d'engager la responsabilité de la société Codif pour concurrence déloyale, la cour d'appel a dénaturé les écritures de la société Chronotec et violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. D'une part, l'arrêt relève que le protocole d'accord du 27 avril 2006 prévoit les modalités de la sortie de M. L... de la société Chronotec et que, le même jour, conformément à ce protocole, M. L... a cédé la totalité de ses parts à MM. C... E... et M..., ce dont il résulte que M. M... n'était pas encore associé de la société lors de la signature du protocole. Ayant ainsi constaté que cet acte avait été signé par les trois associés qui détenaient, au moment de sa régularisation, la totalité du capital de la société Chronotec, soit MM. C... et K... E... et M. L..., la cour d'appel, après avoir énoncé que les associés d'une société à responsabilité limitée peuvent déroger à une ou plusieurs clauses des statuts et s'en affranchir par l'établissement d'actes postérieurs, valables dès lors que tous les associés y consentent, a exactement retenu que, bien qu'il fût contraire aux statuts, le protocole d'accord litigieux s'imposait à la société Chronotec, qui ne pouvait, dès lors, soutenir que la société Codif avait été créée en fraude de ses règles.

5. D'autre part, après avoir relevé que, devant le tribunal, la société Chronotec avait abandonné toutes ses demandes contre M. L... et que, ne l'ayant pas intimé, celui-ci, qui n'intervenait pas volontairement, n'était donc pas partie à l'instance d'appel, de sorte que les griefs formulés à son encontre, tels que les fautes qu'il aurait éventuellement commises en sa qualité de gérant, ou les conséquences à tirer du non-respect allégué du protocole, à les supposer établis, n'avaient pas lieu d'être examinés en son absence, les demandes formées à ce titre étant irrecevables, c'est sans dénaturation des conclusions de la société Chronotec que la cour d'appel, qui n'était valablement saisie que d'une demande tendant à voir confirmer le constat de l'illicéité de la création de la société Codif, a retenu que cette demande de la société Chronotec, qui n'invoquait aucun autre acte de concurrence déloyale contre la société Codif que sa création en fraude de ses règles, devait être rejetée.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Chronotec aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Chronotec et la condamne à payer à la société Codif la somme de 3 000 euros.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf janvier deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Chronotec.

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Chronotec de ses demandes à l'encontre de la société Cofi SAS;

Aux motifs que «à la suite d'une réunion des associés le 27 avril 2006, selon protocole du même jour du 27 avril 2006, signé par les trois associés, Monsieur F... L... a été autorisé à créer une société concurrente. Ce protocole prévoyait outre les modalités de la sortie de Monsieur F... L... de la société et le paiement de diverses sommes, que J'assemblée générale d'approbation des comptes de l'année 2005 serait réunie le 2 mai 2006 et que quitus lui serait donné pour sa gestion jusqu'à son départ. Le même jour, le 27 avril 2006, conformément au protocole, Monsieur L... a cédé la totalité de sa participation au capital social à Monsieur C... E... et Monsieur Q... M... pour la somme de 45 076,50 euros » (arrêt p. 3, § 1 et 2); qu'en ce qui concerne l'action de la société Chronotec contre la société Codif, la société Chronotec soutient que le protocole du 27 avril 2006 signé par les trois associés ayant autorisé M. F... L... à créer une société concurrente ne serait pas valable parce que contraire à ses statuts, et que de ce fait la création de la société Codif constituerait un acte de concurrence déloyale, comme étant illicite. Ce protocole est ainsi rédigé : " M. L... présente sa démission du poste de gérant qu'il occupe dans la société Chronotec. Sa démission prendra effet au plus tard le 31 juillet 2006, sur accord des trois parties. M. L... pourra pendant cette période consacrer un mois de son temps à ses affaires personnelles. Mme L... S..., salariée de J'entreprise, démissionnera de son poste. Son contrat de travail prenant fin au plus tard le 30 juin 2006. Les associés donnent à M. L... l'autorisation à compter du 1er mai 2006, de créer et gérer une entreprise dans le même secteur d'activité que la société Chronotec, y compris sur le département du Var, sans aucune restriction. M. L... cède les parts sociales qu'il possède dans la SARL Chronotec pour la somme de 45 076,50 soit 2 835 parts de 15,90 € chacune. M. L... percevra en outre: les dividendes de l'exercice 2004, 14 401,17 €, les dividendes de l'exercice 2005, 19 561,50 la prime sur salaire provisionnée en 2005, 20 000 €. L'assemblée générale ordinaire d'approbation des comptes de l'exercice 2005 se tiendra le 2 mai 2006. Quitus sera donné à M. L... pour sa gestion jusqu'au jour de son départ, il ne pourra prétendre à des dividendes sur l'exercice 2006". Ce protocole est certes contraire aux statuts de la société Chronotec notamment à son article 17 qui stipule qu'en cas de cession des parts, "le cédant et le cessionnaire devront s'interdire expressément de créer, acquérir ou faire valoir aucun autre fonds de la nature de celui exploité par la société en cause, ou de s'y intéresser directement ou indirectement et ce, dans l'étendue du département et pendant une durée de cinq ans ': ainsi qu'à l'article 25 qui énonce que " les gérants peuvent résilier leur fonction mais seulement à la fin d'un exercice et à charge de prévenir les associés trois mois au moins à l'avance par lettre recommandée ". Cependant les associés d'une société à responsabilité limitée peuvent déroger à une ou des clauses des statuts et s'en affranchir par J'établissement d'actes postérieurs, valables dès lors que tous les associés y consentent iI n'est pas contesté, ni contestable, que le protocole du 27 avril 2006 a été signé par les trois associés qui détenaient à cette date la totalité du capital social de la société Chronotec, soit M. C... E..., M. K... E... et M. F... L.... Par suite, nonobstant les entorses faites aux statuts, ledit protocole du 27 avril 2006, signé par les trois associés détenant la totalité du capital social, s'impose à la SAS Chronotec. Dès lors, la société Chronotec ne peut soutenir que la société Codif a été créée en fraude de ses règles. La SAS Chronotec n'invoquant aucun autre acte de concurrence déloyale à l'encontre de la SAS Codif, elle sera déboutée de toutes ses demandes, et le jugement du 2 décembre 2010 du tribunal de commerce de Cannes sera confirmé» (arrêt p. 10, § 6 et 7, pp. 11 et 12);

Alors, d'une part, que si les associés d'une société à responsabilité limitée peuvent déroger à une clause des statuts et s'en affranchir par l'établissement d'actes postérieurs, ces actes ne sont valables que dans la mesure où tous les associés y consentent; que pour refuser d'annuler le protocole du 27 avril 2006, l'arrêt attaqué, après avoir relevé qu'il était contraire aux articles 17 et 25 des statuts de la société Chronotec, retient qu'il n'était pas «contestable» que ce protocole «avait été signé par les trois associés qui détenaient à cette date la totalité du capital social de la société Chronotec, soit M. C... E..., M. K... E... et M. F... L... » ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant relevé que le 27 avril 2006, soit le jour même de la signature de ce protocole, M. F... L... avait cédé une partie de ses parts à M. M..., ce dont il résultait que la dérogation à la clause de non-concurrence prévue par l'article 17 des statuts n'avait pu être consentie avec Je consentement unanime des associés, celui de M. M... n'ayant pas été recueilli, la cour d'appel. qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations. a violé J'article 1134 du code civil. dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. ensemble l'article L. 235-1 du code de commerce;

Alors. d'autre part. que dans ses conclusions d'appel (p. 15, § 1 à 5), la société Chronotec faisait valoir que M. F... L... avait disposé et disposait encore de moyens matériels et informatiques appartenant à la société Chronotec pour s'adonner à des actes de concurrence déloyale; qu'en retenant que «la SAS Chronotec, qui ne pouvait soutenir que la société Codif avait été créée en fraude de ses statuts» n'invoquait «aucun autre acte de concurrence déloyale à J'encontre de la SAS Codif», quand la société Chronotec faisait clairement état d'actes de désorganisation susceptibles d'engager la responsabilité de la société Codif pour concurrence déloyale, la cour d'appel a dénaturé les écritures de la société Chronotec et violé l'article 4 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2020:CO00097
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