Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 30 janvier 2020, 18-24.105, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 janvier 2020




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 69 FS-D

Pourvoi n° Y 18-24.105




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 JANVIER 2020

Mme X... L..., domiciliée [...] (Belgique), a formé le pourvoi n° Y 18-24.105 contre l'arrêt rendu le 4 mai 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme P... H..., domiciliée [...] ,

2°/ à la société Artemis immobilier, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Greff-Bohnert, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme L..., de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Artemis immobilier, de Me Carbonnier, avocat de Mme H..., et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 17 décembre 2019 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Greff-Bohnert, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, MM. Pronier, Nivôse, Mme Farrenq-Nési, MM. Jacques, Bech, Boyer, conseillers, Mmes Guillaudier, Georget, Renard, Djikpa, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Sur le moyen unique, ci-après annexé :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 mai 2018), que, par acte sous seing privé du 29 novembre 2013, Mme L... a vendu à Mme H..., par l'entremise de la société Artémis immobilier, divers lots de copropriété sous la condition suspensive d'obtention d'un prêt ; que l'acte stipulait une clause pénale suivant laquelle, si le défaut de réalisation de la vente incombait au bénéficiaire, le promettant pourrait recevoir une somme égale à 10 % du prix de vente, ainsi qu'une indemnité d'immobilisation de 10 % du prix de vente, destinée à compenser le préjudice du promettant en cas de non-signature de la vente par le seul fait du bénéficiaire, toutes les conditions suspensives ayant été réalisées ; que Mme L... a assigné Mme H..., à qui elle reprochait de n'avoir pas sollicité un prêt bancaire, en paiement de la clause pénale et de l'indemnité d'immobilisation ;

Attendu que Mme L... fait grief à l'arrêt de condamner Mme H... à payer la seule somme de 7 000 euros au titre de la clause pénale contractuelle et de rejeter le surplus de sa demande ;

Mais attendu qu'ayant retenu, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l'ambiguïté des clauses de la promesse de vente rendait nécessaire, que la stipulation, qualifiée d'indemnité d'immobilisation, qui avait pour objet de sanctionner le refus d'acquérir du cocontractant alors que toutes les conditions suspensives avaient été réalisées, devait s'analyser en une clause pénale de sorte que l'acquéreur ne devait pas, en cas de refus de réitérer la vente, être condamné à payer deux fois la somme de 35 000 euros, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;


PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme L... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme L... et de la société Artemis immobilier et condamne Mme L... à payer à Mme H... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente janvier deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mme L...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Mme H... à payer à Mme L... la somme de 7 000 euros seulement au titre de la clause pénale contractuelle et d'avoir débouté Mme L... du surplus de sa demande tendant à la condamnation de Mme H... à lui verser, d'une part, l'indemnité d'immobilisation stipulée à l'article 5 de la promesse synallagmatique de vente du 29 novembre 2013 d'un montant de 35 000 euros, augmentée des intérêts légaux à compter de cette date, avec capitalisation des intérêts en vertu de l'article 1154 du Code civil, d'autre part la somme de 35 000 euros au titre de la clause pénale stipulée à l'article 3 de la promesse synallagmatique de vente du 29 novembre 2013, également augmentée des intérêts légaux à compter de cette date, avec capitalisation des intérêts en vertu de l'article 1154 du Code civil,

Aux motifs que « Sur les pénalités exigibles :

La promesse de vente rédigée par la S.A.R.L. Artémis Immobilier comporte une clause pénale prévoyant qu'en cas de refus de l'acquéreur, toutes conditions suspensives étant réalisées, il serait redevable d'une clause pénale de 10 % du prix de vente et, également, une clause intitulée : "clause d'immobilisation", ci-dessous rapportée :

"En considération de la promesse formelle faite au bénéficiaire par le promettant et en contrepartie du préjudice qui pourrait en résulter pour ce dernier en cas de non-signature de la vente par le seul fait du bénéficiaire dans le délai ci-dessus fixé, toutes les conditions suspensives ayant été réalisées et, notamment, par suite de la perte qu'il éprouverait du fait de l'obligation dans laquelle il se trouverait de rechercher un nouvel acquéreur, les parties conviennent de fixer le montant de l'indemnité d'immobilisation à la somme de 10 % du prix de vente, soit 35 000 euros sur laquelle somme le bénéficiaire verse à l'instant même au promettant qui le reconnaît la somme de 17 500 euros ; le sort de ladite somme sera, selon les hypothèses ci-après envisagées... versée au promettant et lui restera acquise de plein droit à titre d'indemnité forfaitaire et non réductible faute par le bénéficiaire ou ses substitués d'avoir réalisé l'acquisition dans les délais et conditions ci-dessus fixés, toutes les conditions suspensives ayant été réalisées... Quant au surplus de l'indemnité d'immobilisation, soit 17 500 euros, le bénéficiaire s'oblige à le verser au promettant au plus tard dans un délai de huit jours à l'expiration du délai de réalisation de la promesse de vente pour le cas où le bénéficiaire, toutes les conditions suspensives ayant été réalisées, ne signerait pas l'acte de vente de son seul fait" ;

Du fait de l'inclusion de ces deux clauses dans la promesse synallagmatique de vente, Mme L... réclame tout à la fois la somme de 35 000 euros au titre de la clause pénale et celle de 35 000 euros au titre de l'indemnité d'immobilisation ;

Or, s'agissant d'une promesse synallagmatique valant vente, les termes "promettant", "bénéficiaire" et "indemnité d'immobilisation" sont impropres et seule une clause pénale peut sanctionner le refus d'acquérir du co-contractant, toutes les conditions suspensives étant réalisées, ce, dans la mesure où l'indemnité d'immobilisation ne garantit que la levée d'option par un bénéficiaire qui, aux termes d'une promesse unilatérale, ne s'engage pas à acquérir mais à lever une option d'achat; l'acte sous seing privé ne peut donc être interprété dans le sens que l'acquéreur devrait, en cas de refus de signature de l'acte authentique, payer deux fois la somme de 35 000 euros, soit une somme totale de 70 000 euros représentant 20 % du prix de vente;

Enfin, le montant de la clause pénale apparaît manifestement excessif au regard de la durée très brève d'indisponibilité du bien objet de la vente (29 novembre 2013 - 4 février 2014), en sorte que son montant sera réduit à la somme de 7 000 euros que Mme P... H... sera condamnée à payer à Mme X... L... » ;

1°) Alors que les parties à une promesse synallagmatique de vente sont libres de stipuler une clause indemnitaire fixant de façon forfaitaire et préalable l'indemnité d'immobilisation à laquelle aura droit le vendeur en réparation du préjudice qu'il subira, en pratique, si, alors que les conditions suspensives se sont réalisées dans le délai prévu, l'acquéreur manque à son engagement de réitérer la vente, pour quelque raison que ce soit ; que la Cour d'appel a décidé, par principe et sans analyser la clause litigieuse, que seule une promesse unilatérale de vente peut prévoir une indemnité d'immobilisation et que, par suite, l'indemnité d'immobilisation contenue dans une promesse synallagmatique de vente dissimule nécessairement une clause pénale ; qu'elle a donc méconnu le principe de liberté contractuelle et, par suite, violé l'article 1101 ancien du Code civil, repris en substance à l'article 1102, al. 1er, nouveau de ce Code ;

2°) Alors que seule constitue une clause pénale, susceptible de modération au sens de l'article 1152 ancien du Code civil repris aux alinéas 1 et 2 de l'article 1231-5 nouveau de ce Code, la clause qui, tout à la fois, vise à faire pression sur le débiteur pour qu'il exécute son engagement et fixe d'avance et forfaitairement le montant des dommages-intérêts qui seront dus par le débiteur s'il n'exécute pas cet engagement ; que la clause dépourvue de finalité comminatoire n'est donc pas une clause pénale ; que la clause d'immobilisation figurant à l'article 4 de la promesse de vente conclue entre Mme L... et Mme H... ne constitue que le pendant du droit, rappelé à l'article 3 au profit du seul acquéreur, de demander des dommages et intérêts en cas de non-réalisation de la vente imputable à l'autre, quelle qu'en soit la cause et a clairement pour seul objectif d'indemniser le vendeur en cas de non-réalisation définitive de la vente ; que faute d'avoir recherché l'objectif poursuivi par cette clause d'immobilisation, lequel résulte clairement et précisément des termes de cette clause et de la symétrie des stipulations indemnitaires au profit respectivement du vendeur et de l'acquéreur, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 ancien du Code civil, repris à l'article 1103 nouveau de ce Code ;

3°) Et alors que, en tout état de cause, la clause d'immobilisation figurant à l'article 4 de la promesse de vente conclue entre Mme L... et Mme H... ne constitue que le pendant du droit, rappelé à l'article 3 au profit du seul acquéreur, de demander des dommages et intérêts en cas de non-réalisation de la vente imputable à l'autre, quelle qu'en soit la cause et a clairement pour seul objectif d'indemniser le vendeur en cas de non-réalisation définitive de la vente ; qu'en la qualifiant néanmoins de clause pénale, donc de clause à visée comminatoire, la Cour d'appel l'a dénaturée, violant ainsi l'article 1134 ancien du Code civil, repris à l'article 1103 nouveau de ce Code.ECLI:FR:CCASS:2020:C300069
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