Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 15 janvier 2020, 18-25.313, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un juge des enfants a ordonné le placement à l'aide sociale à l'enfance de C... et G... F..., nés respectivement les [...] et [...], et accordé un droit de visite libre et un droit de visite médiatisé à leur mère, Mme K... ;

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexé :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur la première branche du moyen, en ce qu'il est dirigé contre le chef du dispositif concernant le droit de visite médiatisé :

Attendu que Mme K... fait grief à l'arrêt de lui accorder un droit de visite médiatisé dont les modalités seront fixées en concertation entre le service auquel les enfants sont confiés et la mère, alors, selon le moyen, que le juge qui, ordonnant une mesure de placement, accorde un droit de visite aux parents du mineur placé, doit en déterminer lui-même la nature et la fréquence ; qu'en confirmant l'ordonnance qui lui avait accordé un droit de visite médiatisée, sans en déterminer la fréquence, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs au regard de l'article 375-7 du code civil ;

Mais attendu qu'il résulte de la combinaison des articles 375-7, alinéa 4, du code civil et 1199-3 du code de procédure civile que, lorsque le juge des enfants décide que le droit de visite du ou des parents de l'enfant confié à une personne ou un établissement ne peut être exercé qu'en présence d'un tiers, il en fixe la fréquence dans sa décision, sauf à ce que, sous son contrôle, les conditions d'exercice de ce droit soient laissées à une détermination conjointe entre le ou les parents et la personne, le service ou l'établissement à qui l'enfant est confié ; qu'en accordant à Mme K... un droit de visite médiatisé, dont ils ont prévu que les modalités, notamment la périodicité, seraient déterminées selon l'accord des parties, et dit qu'il en serait référé au juge en cas de difficulté, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes susvisés ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais la première branche du moyen, en ce qu'il est dirigé contre le chef du dispositif concernant le droit de visite libre :

Vu l'article 375-7, alinéas 4 et 5, du code civil ;

Attendu que le juge des enfants fixe la nature et la fréquence des droits de visite et d'hébergement et peut décider que leurs conditions d'exercice sont déterminées conjointement entre les titulaires de l'autorité parentale et la personne, le service ou l'établissement à qui l'enfant est confié ;

Attendu que l'arrêt accorde à la mère des enfants un droit de visite libre dont les modalités seront fixées en concertation entre celle-ci et le service auquel les enfants sont confiés ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il incombait au juge de définir la périodicité du droit de visite simple, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé le texte susvisé ;

Et vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

Attendu que les mesures critiquées ont épuisé leurs effets ;

PAR CES MOTIFS

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme la décision du juge des enfants du 25 août 2017, ayant accordé un droit de visite libre à Mme K... dont les modalités seront fixées en concertation entre cette dernière et le service auquel les enfants sont confiés, l'arrêt rendu le 16 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Laisse les dépens, incluant ceux exposés devant les juges du fond, à la charge du Trésor public ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat aux Conseils, pour Mme K....

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir ordonné que les mineurs C... F..., né le [...], et G... F..., né le [...], soient confiés pour une durée de 6 mois à compter du 25 août 2017, dit que Madame K... bénéficiera d'un droit de visite médiatisée et d'un droit de visite libre dont les modalités seront fixées en concertation entre le service auquel les enfants sont confiés et la mère

AUX MOTIFS PROPRES QUE les notes de novembre 2017 du service de l'aide sociale à l'enfance indiquaient que C... avait besoin d'habitudes et de rituels spécifiques liés à sa pathologie. La mesure de placement avait modifié ses repères. Il était en décalage avec les autres adolescents et avait subi deux actes de violence. Il avait besoin d'un adulte à ses côtés dans sa scolarité. Son suivi spécialisé était irrégulier pour des raisons d'organisation du service. Il était négatif sur tout ce qui lui était proposé, même s'il pouvait parfois y montrer du plaisir. Il semblait se refuser à vivre des moments agréables en l'absence de sa mère qu'il rencontrait toutes les semaines en alternant visite médiatisée et visite libre. Mme K... avait des difficultés à lui poser des limites, justifiant par sa pathologie ses écarts de conduite irrespectueux à son égard et à celui des adultes. C... avait du mal à sortir du conflit de loyauté mais la relation avec son père s'améliorait, M. F... ayant une conduite adaptée. Il se montrait patient et peu intrusif avec son fils devant lequel il acceptait de se remettre en cause. G..., que sa mère disait également diagnostiqué « Asperger », se montrait ouvert et souriant, autonome, très en lien avec les autres enfants. Respectueux des adultes, il manquait de confiance en lui et pouvait traverser des moments de grande tristesse durant lesquels il était inaccessible. Progressivement, les changements dans son quotidien étaient mieux gérés et moins angoissants. Sa scolarité se déroulait dans de bonnes conditions. Les rencontres avec son père, qui souhaitait une contre-expertise sur le diagnostic, étaient de plus en plus de qualité et il pouvait s'autoriser à en parler, demandant que ces moments soient plus longs. Les rencontres avec sa mère étaient chaleureuses. Les deux frères avaient une relation complice, se rencontraient tous les quinze jours et se téléphonaient régulièrement (...). Au vu des pièces du dossier tel que rapporté ci-dessus est débattu contradictoirement, c'est à juste titre que le premier juge a pris la décision déférée. Les violences sur les enfants dont Mme K... accusait le père pour prouver sa dangerosité n'étaient pas établies. Leurs troubles et leurs angoisses étaient accentuées par l'intransigeance de la mère, centrée sur son conflit avec son ex-mari, entretenant les mineurs dans la crainte de leur père, augmentant ainsi leurs angoisses et leur refus de le rencontrer. Ils étaient ainsi privés de leur filiation paternelle, étaient pris dans un conflit de loyauté qui ne leur permettait pas de progresser et qui compromettait gravement les conditions de leur développement physique, affectif, intellectuel et social. La certitude de Mme K... d'être la seule à pouvoir protéger les enfants, son opposition à un travail éducatif en milieu ouvert rendait le placement nécessaire. Sur le placement : à ce jour, Mme K... persiste à considérer les difficultés des enfants comme étant lié uniquement à des troubles autistiques, dont la réalité ou l'ampleur, non discutées pour C..., sont discutées pour G... par les professionnels intervenants. Elle continue d'accuser M. F... de violences qui ne sont pas objectivement établies. Elle peut de même réaffirmer ces accusations mais demander dans le même temps que la cour confie les enfants à leur père, sur un mode particulièrement paradoxal. Si C... manifeste des troubles au foyer, préexistant au placement, et qui nécessitent une orientation adaptée, il rencontre désormais son père et le lien avec lui reprend de façon positive. G... s'apaise et reprend des relations adaptées avec son père. En conséquence, le contexte à l'origine de la décision déférée a peu évolué tandis que la reprise des relations entre père et enfants est encore récente et nécessite un travail de longue haleine. Pour la protection des mineurs la décision déférée sera confirmée sur ce point. Sur les droits de visite et d'hébergement : pour les mêmes motifs que ce président aux matières du placement, il est prématuré dans l'intérêt des mineurs de modifier l'organisation du droit de visite de Mme K... afin de permettre au lien père-fils de se consolider (arrêt, p. 5 et 6)

ET AUX MOTIFS SUPPOSES ADOPTES QU'il ressort des notes que les intervenants ont essayé de mettre en place des rencontres entre M. F... et les mineurs ; qu'une première rencontre était prévue le 13 mars 2017 et à l'arrivée des intervenants au domicile maternel, C... et G... ont manifesté assez longuement leur refus de se rendre chez leur père pour cette visite ; qu'ils ont fini par accepter de monter dans la voiture mais C... s'est montré très agité et insolent ; qu'arrivés chez leur père, les mineurs se sont montrés assez lisses dans leurs réactions ; que les échanges sont restés relativement pauvres ; qu'une nouvelle rencontre a été prévue le 18 avril 2017 et à l'arrivée du service, les enfants se sont enfuis du domicile maternel sous le regard de leur mère qui n'a manifesté aucune émotion ; qu'elle a dit ne pas valider l'attitude de ses fils qui partaient de chez elle sans savoir ni où ils allaient ni quand ils allaient revenir alors qu'un goûter était prévu chez M. F... ; qu'à leur retour, ils sont finalement partis chez leur père et se sont montrés un peu plus distants au domicile paternel que la précédente rencontre ; qu'une rencontre devait également avoir lieu le 19 juin 2017 mais les intervenants ont découvert que G... se cachait dans la maison et qu'il ne voulait pas venir ; que Mme K... a alors indiqué qu'elle se questionnait toujours sur les liens « père-enfants » car cela était « traumatique » et que les enfants étaient en crise dès qu'il était évoqué le fait qu'ils voient leur père ; qu'elle a souligné qu'elle pensait que M. F... était tout à fait capable de frapper C... contre les murs ou de la taper avec un bâton ; qu'elle a ajouté que si M. F... se retrouvait de nouveau seul avec les enfants, il serait toujours violent et violent psychologiquement ; qu'elle a également précisé qu'elle maintenait sa demande de retrait de l'autorité parentale de M. F... auprès du Juge aux affaires familiales ; que lors d'une équipe éducative en mai 2017 concernant C..., le collège a alerté sur le comportement du mineur qui ne cessait de se mettre en danger et inquiétait les professeurs ; que C... s'est alors exprimé à la fin de la réunion pour dire qu'il confirmait qu'il était en souffrance ; que les partenaires ont alors pu préciser que C... mettait ses lunettes de travers pour avoir l'air d'être battu ; que M. F... a également avisé les intervenants que Mme K... l'avait sollicité pour qu'il signe une autorisation médicale sans lui en dire plus ; que le service a alors appris que le mineur était hospitalisé à Robert Debré pour faire l'objet d'une évaluation et qu'un diagnostic de troubles autistiques de type Asperger avait été posé ; attendu qu'à l'audience, Mme K... a indiqué qu'elle avait tout fait pour mettre un lien père-enfants et que C... avait été diagnostiqué Asperger ; qu'elle a précisé que les enfants étaient toujours en situation de stress et de danger; qu'elle a ajouté qu'elle était en cours d'expulsion et qu'elle était en lien avec le Tribunal de Melun pour trouver un logement ; que lorsque le Juge des enfants a évoqué la requête du retrait de l'autorité parentale, Mme K... a répondu que les enfants ne pouvaient pas se retrouver sans toit, puis qu'elle avait vraiment besoin d'entamer des démarches et que M. F... ne lui donnait jamais l'accord donc qu'elle avait besoin d'aller vers le Juge aux affaires familiales ; qu'elle a nié ne pas avoir réagi lorsque ses enfants ont quitté le domicile en courant lors de la venue du service ; qu'elle ajouté qu'elle avait toujours été là pour eux et que C... était Asperger ; qu'elle a souligné que ses enfants pouvaient avoir des débordements, des émotions et qu'il fallait savoir les rassurer ; qu'elle a répondu qu'elle était d'accord avec le fait que ses enfants n'allaient pas bien et qu'elle les faisait suivre ; que M. F... a indiqué qu'il avait écrit au Juge des enfants deux ou trois mois auparavant pour alerter du danger et que la situation n'avait pas évolué ; qu'il a expliqué qu'il se confrontait aux contradictions de Mme K... car elle voulait renouer avec lui mais elle engageait des procédures devant le Juge aux affaires familiales ; qu'il a souligné que la maman les accaparait et qu'elle voulait l'expulser de la vie de ses enfants ; qu'il a déclaré qu'il avait essayé d'échanger avec elle pendant la période où il avait l'impression qu'il y avait un renouveau mais qu'il avait vite compris que c'était pour lui fermer les yeux ainsi qu'à l'équipe éducative ; qu'il a ajouté que cela ne servait à rien car il ne pouvait pas dialoguer avec elle, qu'il était impossible de faire un travail avec elle alors qu'il avait eu des bons moments avec C... quand ils s'étaient vus ; qu'il a mis en avant qu'il avait retrouvé un petit garçon et qu'il était hyper content de cette visite puis qu'au retour chez Mme K..., le discours de son fils était de nouveau que tout le monde était méchant et que lui était méchant ; qu'il a terminé en précisant que tout ce qu'il voulait c'était leur faire comprendre que leur mère ne disait pas forcément vrai ou n'était pas forcément bien mais qu'il leur fallait du temps pour renouer avec lui ; que C... a été entendu seul avec son conseil et il a déclaré que ce n'était pas vrai ce que disait son père car il ne lui avait jamais dit que ce que faisait sa mère n'était pas bien ; qu'il a souligné qu'il ne souhaitait pas rester avec son père car il avait plein de mauvais souvenirs avec lui et qu'il pensait qu'il n'avait pas compris ; qu'il a ensuite tenu des propos confus sur le déroulement de l'épisode au cours duquel il était parti du domicile maternel en courant ou encore sur le fait qu'il pouvait sciemment mettre ses lunettes de travers ; qu'il a pu se trouver en difficultés pour répondre aux questions qui lui étaient posées, ne répondant pas directement ou ne parvenant pas à expliquer ses réponses ; que G... a ensuite été entendu seul avec son conseil et il a déclaré qu'il était parti en courant de chez sa mère parce qu'il n'avait pas envie d'aller voir son père car il le frappait ; qu'il a ensuite été dans l'incapacité totale de répondre aux autres questions qui lui étaient posées, demeurant dans un mutisme mais pleurant et ce jusqu'à la fin de l'audience ; que Maîtres A..., B... et L... ont été entendues en leurs observations ; attendu que de nouveau durant ces mois d'intervention, il a été constaté l'impossibilité d'effectuer un travail constructif avec Mme K... autour de la reconstruction du lien unissant les enfants et leur père, la mère des mineurs ayant continué à avancer que ses fils ne voulaient pas voir leur père et qu'il ne fallait pas les forcer ; que Mme K... a continué à évoquer ses craintes massives concernant le danger que pouvait constituer M. F... pour C... et G..., maintenant ses fils dans un discours très négatif à l'égard de M. F... ; que C... comme G... présente des comportements inquiétants, se mettant en danger et démontrant le mal-être auquel ils sont en proie ; qu'il apparaît que la parole des deux mineurs n'est aucunement libre, ceux-ci ayant de nouveau été mis à mal par les questions qui pouvaient leur être posées ; qu'il est aujourd'hui évident que l'éloignement du domicile maternel s'impose tant C... et G... sont empêchés d'évoluer positivement chez leur mère, étant totalement envahis par le conflit de loyauté qui ne leur permet pas de dissocier des injonctions de Mme K... ; que cette mesure de placement devra permettre aux enfants de bénéficier d'une prise en charge neutre en dehors de tout enjeu familial afin de leur permettre de s'autoriser à faire état de leurs propres ressentis et de leurs propres attentes ; qu'il a été souligné à plusieurs reprises à Mme K... qu'il était attendu d'elle qu'elle se remette véritablement en question quant à son positionnement envers ses fils qui ne peuvent aujourd'hui s'épanouir dans un tel contexte (ordonnance, p. 1 à 3);

1) ALORS QUE le juge qui, ordonnant une mesure de placement, accorde un droit de visite aux parents du mineur placé, doit en déterminer lui-même la nature et la fréquence ; qu'en confirmant l'ordonnance qui avait accordé à Mme F... un droit de visite médiatisée et un droit de visite libre, sans en déterminer la fréquence, la Cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs au regard de l'article 375-7 du code civil ;

2) ALORS QUE la Cour d'appel saisie d'un recours contre une ordonnance de placement provisoire doit se placer au moment où elle statue pour apprécier les faits de nature à justifier la mesure de placement ; qu'en décidant de confirmer la mesure ordonnée, motif pris de ce que le contexte à l'origine de la décision déférée a peu évolué, ce dont il résultait précisément qu'une évolution avait eu lieu, qui nécessitait à tout le moins que la mesure soit réévaluée, la Cour d'appel a violé l'article 375-6 du code civil, ensemble l'article 561 du code de procédure civile ;

3) ALORS QUE, en toute hypothèse, le juge ne peut écarter sans les analyser, même sommairement, les éléments de preuve produits par une partie à l'appui de sa prétention ; que pour appuyer sa demande tendant à ce qu'il soit mis fin au placement de ses enfants, Mme K... produisait de nombreux documents faisant état notamment de ce que ses enfants, souffrant de troubles graves du spectre autistique, devaient demeurer dans un environnement familial et être régulièrement suivis ce qui était incompatible avec la mesure de placement décidée en première instance ; qu'en maintenant cette mesure sans analyser, même sommairement, les nombreux éléments produits par Mme K..., la Cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, Mme K... faisait valoir que l'état de santé de ses enfants, et notamment de C..., à raison de leurs troubles autistiques était incompatible avec une mesure de placement ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la Cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2020:C100027
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