Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 19 décembre 2019, 18-26.162, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le premier moyen :

Vu l'article 595, alinéa 4, du code civil, ensemble l'article L. 145-14 du code du commerce ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 3 octobre 2018), que, le 5 mars 2004, Mme X... veuve V..., usufruitière, et Mme D..., nue-propriétaire, d'un immeuble à usage commercial, ont délivré à M. et Mme T..., preneurs, un refus de renouvellement du bail sans indemnité d'éviction, lequel, par arrêt du 20 février 2008, a été déclaré sans motif grave et légitime ;

Attendu que, pour condamner in solidum Mmes X... veuve V... et D... à payer l'indemnité d'éviction due aux preneurs, l'arrêt retient que Mme V... et Mme D..., laquelle a la qualité de bailleur, ayant, ensemble, fait délivrer un refus de renouvellement, sont toutes les deux redevables de l'indemnité d'éviction dès lors que l'acte de refus de renouvellement excède les pouvoirs du seul usufruitier ;

Attendu qu'en cas de démembrement de propriété, l'usufruitier, qui a la jouissance du bien, ne peut, en application de l'article 595, dernier alinéa, du code civil, consentir un bail commercial ou le renouveler sans le concours du nu-propriétaire (3e Civ., 24 mars 1999, pourvoi n° 97-16.856, Bull. 1999, III, n° 78) ou, à défaut d'accord de ce dernier, qu'avec une autorisation judiciaire, en raison du droit au renouvellement du bail dont bénéficie le preneur même après l'extinction de l'usufruit ;

Qu'en revanche, l'usufruitier a le pouvoir de mettre fin au bail commercial et, par suite, de notifier au preneur, sans le concours du nu-propriétaire, un congé avec refus de renouvellement (3e Civ., 29 janvier 1974, pourvoi n° 72-13.968, Bull. 1974, III, n° 48) ;

Qu'ayant, seul, la qualité de bailleur dont il assume toutes les obligations à l'égard du preneur, l'indemnité d'éviction due en application de l'article L. 145-14 du code de commerce, qui a pour objet de compenser le préjudice causé au preneur par le défaut de renouvellement du bail, est à sa charge ;

Qu'en condamnant la nue-propriétaire, in solidum avec l'usufruitière, alors que l'indemnité d'éviction n'était due que par celle-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen qui est subsidiaire :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum Mmes X... veuve V... et D... à payer à M. et Mme T... la somme de 134 250 euros à titre d'indemnité principale d'éviction, condamne Mme D... aux dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire ainsi qu'à payer à M. et Mme T... la somme de 3 000 euros pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel, l'arrêt rendu le 3 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi de ces chefs ;

Condamne Mme X... veuve V... à payer à M. et Mme T... la somme de 134 250 euros à titre d'indemnité principale d'éviction ;

Condamne Mme X... veuve V... aux dépens d'appel en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;

Rejette la demande d'indemnité formée en appel par M. et Mme T... au titre de l'article 700 du code de procédure civile contre Mme D... ;

Condamne Mme X... veuve V..., M. et Mme T... aux dépens de cassation ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes présentées devant la Cour de cassation ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour Mme V..., épouse D...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de Mme B... D... tendant à sa mise hors de cause et d'avoir confirmé le jugement entrepris l'ayant condamnée, in solidum avec Mme M... X..., à payer aux époux T... les sommes de 134 250 euros à titre d'indemnité principale d'éviction ;

Aux motifs que « Mme D... explique en cause d'appel qu'elle doit être mise hors de cause car elle n'est que nue-propriétaire de l'immeuble et que seul l'usufruitier est redevable d'une indemnité d'éviction en sa qualité de bailleur ; qu'elle produit une attestation notariée qui indique que Mme M... X..., épouse V..., a fait donation à Mme B... V... de la nue-propriété d'un immeuble situé [...] à Albi tout en se réservant l'usufruit dudit immeuble ; qu'en cas de démembrement de propriété, il résulte de l'article 595 dernier alinéa du Code civil que l'usufruitier qui a la qualité de bailleur ne peut toutefois , sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal et que de même, il ne peut délivrer seul congé en sorte que c'est à bon droit Mesdames M... V... et B... D... , agissant ensemble, ont fait délivrer le 5 mars 2004, un refus de renouvellement sans indemnité d'éviction en vertu de l'article 145-17 du code de commerce ; qu'il y a lieu d'en conclure qu'elles sont redevables ensemble de l'indemnité due au preneur évincé car il s'agit d'un acte qui excède les pouvoirs du seul usufruitier » (arrêt attaqué, p. 5, § 11 et s.) ;

Alors qu'en cas de démembrement de la propriété, l'indemnité d'éviction est due par le seul usufruitier qui a, seul, la qualité de bailleur ; qu'en jugeant néanmoins que Mme D..., nue-propriétaire du bien donné à bail, était redevable de l'indemnité d'éviction avec Mme V..., usufruitière, la cour d'appel a violé les articles 595, alinéa 4, du code civil et L. 145-14 du code du commerce.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué, d'une part, d'avoir rejeté les demandes de Mme D... tendant à faire juger que l'éviction n'occasionnait aucun préjudice aux locataires évincés et, subsidiairement, à voir fixer l'indemnité d'éviction à la valeur du fonds de commerce ou à défaut, à la valeur du droit au bail réduite, d'autre part, d'avoir dit n'y avoir lieu à retenir les coefficients de minoration de la valeur du droit au bail et d'avoir confirmé, en conséquence, le jugement entrepris en tant qu'il a condamné Mme B... D..., in solidum avec Mme M... X..., à payer aux époux T... les sommes de 134 250 euros à titre d'indemnité principale d'éviction ;

Aux motifs propres qu' « aux termes de l'article L 145-14 du code de commerce, le bailleur qui refuse le renouvellement du bail doit, sauf les exceptions prévues aux articles L 145-17 et suivant, payer au locataire évincé une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement ; que cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ; que la loi présume que le refus de renouvellement entraîne la disparition du fonds de commerce du locataire , sauf la possibilité pour le bailleur d'établir que le préjudice est moindre, notamment lorsque le fonds est transférable ; qu'en l'espèce il n'est pas contesté que le fonds n'est pas transférable et que le bailleur est tenu de verser une indemnité dite de remplacement au locataire évincé ; que l'indemnité d'éviction doit être calculée au moment où le préjudice se réalise c'est-à-dire soit à la date de l'éviction, soit à la date à laquelle le locataire cesse d'occuper régulièrement les locaux en renonçant au maintien dans les lieux ; qu'en l'espèce les époux T... ont fait le choix de quitter les lieux définitivement le 31 mars 2010 en sorte que l'indemnité d'éviction doit être évaluée à la date où les locaux ont été restitués ; que compte tenu du décalage entre la date du dépôt du rapport d'expertise (juin 2007) et le jour où l'éviction s'est réalisée (mars 2010), le premier juge a procédé à une réévaluation de l'indemnité en lui appliquant la variation de l'indice du coût de la construction ; que rien n'empêche le juge de procéder à une revalorisation de l'indemnité si une telle demande est formulée, afin de tenir compte du fait que le locataire a quitté les lieux trois ans après le dépôt du rapport d'expertise puisque c'est à cette date qu'il y a lieu de se situer pour évaluer son préjudice ; qu'à défaut d'autres éléments d'appréciation, il est loisible de se référer à la variation d'un indice économique au lieu de la variation de l'indice propre aux loyers commerciaux qui n'a pas un caractère obligatoire ; qu'enfin, les prix de cessions des fonds de commerce de voisinage sont sans influence sur la valeur de l'indemnité de remplacement et il n'y a pas lieu d'en tenir compte comme sollicité par les intimés ; qu'en ce qui concerne la méthode d'évaluation de l'indemnité d'éviction, l'indemnité ne peut être limitée au seul résultat de l'exploitation du fonds sans tenir compte de la valeur du droit au bail et de la totalité de la clientèle, éléments inséparables du fonds ; que l'expert judiciaire Madame U... a évalué la valeur du fonds à 36 000 euros et la valeur du droit au bail à 125 500 euros ; que lorsque la valeur du droit au bail est à elle seule supérieure à la valeur marchande du fonds, l'indemnité d'éviction doit correspondre à la valeur du droit au bail qui représente le potentiel de développement du fonds pour un acquéreur éventuel ; qu'en l'espèce, le fonds a une activité réduite mais le local bénéficie d'un emplacement favorable ; que l'application des méthodes d'évaluation fondées sur le résultat des dernières années d'exploitation ne donnera qu'une estimation manifestement inférieure au prix que le locataire pourrait obtenir d'une cession de son fonds de commerce et de son bail s'il était resté dans les lieux ; qu'il est établi que les preneurs ont envisagé dès l'année 2003 de céder leur fonds de commerce à un successeur, la société PH International pour un prix de 160 000 euros et que le projet n'a pu être mené à bien, les bailleurs ayant entre-temps notifié leur refus de renouvellement du bail sans indemnité d'éviction ; qu'ils se sont maintenus dans les lieux avec une activité réduite dans l'attente de l'issue des procédures en cours jusqu'au mois de mars 2010 date à laquelle Monsieur T... a délaissé le local en raison de problèmes de santé ; qu'il en résulte que contrairement à ce que soutiennent les appelantes, l'indemnité d'éviction ne peut être fixée à la seule valeur comptable du fonds de commerce et c'est à bon droit que le premier juge a fixé l'indemnité principale d'éviction en se fondant exclusivement sur la valeur du droit au bail pris isolément telle que déterminée par l'expert ; que rien ne permet de dire, comme le soutiennent les bailleurs, que le fonds des époux T... a été perdu par leur fait en raison d'un défaut d'exploitation alors que c'est à la date du refus de renouvellement qu'il y a lieu de déterminer la consistance du fonds et que les chiffres d'affaires annuels des années précédentes communiqués à l'expert confirment l'existence d'une exploitation commerciale avec un chiffre d'affaires moyen de 40 000 euros par an ; qu'enfin il est tout à fait possible de calculer l'indemnité d'éviction en l'absence de communication de chiffres d'affaires récents lorsque l'indemnité principale s'appuie sur la valeur du droit au bail et il sera observé que cette méthodologie a été implicitement approuvée par les bailleurs dans la mission donnée à leur propre expert, Monsieur Y... G..., qui consistait précisément à évaluer la valeur du droit au bail ; que les critiques formées de ce chef à l'encontre de la décision du tribunal Albi seront donc rejetées ; que les appelantes contestent le montant de la valeur locative dès lors que selon elles, deux caractéristiques essentielles du bail ont été écartées à tort par l'expert et le premier juge, l'interdiction de cession du bail sans l'accord du bailleur ainsi que la monovalence du local affecté à une activité de boulangerie-pâtisserie, tous éléments qui aboutissent à conférer au droit au bail une valeur quasiment nulle ; que les locaux monovalents sont les locaux construits ou aménagés à l'effet à servir en vue d'une seul type d'exploitation et qui ne peuvent être affectés à un autre usage sans des transformations importantes et onéreuses ; que tel n'est pas le cas d'un local commercial implanté en rez-de-chaussée d'immeuble exploité pour commerce de boulangerie-pâtisserie-salon de thé dans lequel il n'existe plus d'équipements spéciaux ni local dédié et qui peut manifestement être transformé pour l'exercice d'une autre activité à un coût raisonnable ; qu'en tout état de cause, l'enseigne faïencée figurant sur la façade qui constitue un élément de patrimoine n'est pas de nature à empêcher la transformation intérieure de locaux pour une autre activité ; qu'en conséquence il y a lieu de rejeter les prétentions formulées à cet égard par les bailleresses, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les conséquences qu'elles souhaitaient en tirer en ce qui concerne l'appréciation de la valeur locative ; qu'en ce qui concerne la destination du bail, il y a lieu d'observer qu'il n'en est fait nulle mention ni dans le bail notarié d'origine ni dans les actes ultérieurs ; que dans un tel cas, l'article 1728 du Code civil prescrit de se référer à la commune intention des parties ; qu'il résulte des documents produits aux débats que tant le bailleur d'origine que les successeurs dans le fonds de commerce ont tous exercé l'activité de boulanger-pâtissier, leur profession étant expressément mentionnée dans le bail de 1959 ; que par ailleurs le local est identifié par une enseigne faïencée comme étant une boulangerie-pâtisserie à laquelle a été adjointe une activité de salon de thé par accord ultérieur du bailleur ; que l'agencement des locaux tels que décrits dans les différents rapports produits aux débats confirment cette destination ; qu'il doit donc être considéré que les parties ont destiné les locaux à un usage exclusif de boulangerie- pâtisserie-salon de thé dont la destination ne peut être changée sans l'accord du bailleur, à moins de mettre en oeuvre les règles de déspécialisation prévues par l'article 145–51 du code de commerce pour le locataire qui demande à bénéficier de ses droits à la retraite ; qu'en ce qui concerne la clause exigeant l'accord exprès et par écrit du bailleur pour la cession du bail à l'acquéreur du fonds de commerce, il s'agit d'une clause restrictive de la faculté du cession mais elle ne peut avoir pour effet d'interdire toute cession dès lors que le locataire a toujours la possibilité de saisir le juge en cas de refus injustifié de la part du bailleur ; qu'au vu de ces éléments, les appelantes ne peuvent être suivies dans leurs explications tendant à voir minorer la valeur du droit au bail puisque le fonds n'est pas incessible et que son potentiel de développement demeure intact en raison de son emplacement favorable ; qu'il est d'ailleurs justifié dans le cours de la procédure du fait que les appelantes ont , après le départ des époux T..., conclu un nouveau bail avec un repreneur qui exerce une activité de boulangerie, viennoiserie, pâtisserie, sandwicherie et à titre accessoire, vente de boissons à emporter, moyennant un loyer annuel de 24 000 euros pour le seul local commercial du rez-de-chaussée, somme qui confirme l'appréciation portée par l'expert en 2007 puisqu'à cette date, il évaluait la valeur locative de la partie commerciale à 18 117 euros par an ; qu'il y a lieu en définitive d'écarter tout coefficient de minoration et de dire que l'indemnité d'éviction sera fixée à la valeur du droit au bail pris isolément pour le montant fixé par le premier juge » (arrêt attaqué, p. 6, § 2 et s.) ;

Et, pour ceux qui ne sont pas contraires, aux motifs adoptés que « le tribunal est saisi sur la base d'un rapport d'expertise de 2007 contesté, ce qui suppose au regard des moyens soulevés, la détermination préalable du cadre contractuel liant les parties ; que le bail de 1959 porte sur une maison à usage d'habitation et de commerce, sans possibilité de changer la destination de l'immeuble (article 1er), avec entretien des fours boulangers à la charge exclusive des preneurs (article 7) ; que le 14 juin 1980, ont été autorisées la création d'un salon de thé et la démolition du four ; que s'il est constant qu'il s'agit d'un bail à usage mixte commercial et d'habitation, aucune clause contractuelle ne prévoit la destination commerciale des lieux ; qu'en effet, ne figurent au bail initial que les professions respectives des bailleurs et preneurs (boulanger-pâtissier et pâtissier) et l'existence d'un four à pain dont la démolition a, par la suite été autorisée ; que le seul élément contractuel précis concerne l'adjonction d'un salon de thé en 1980, les actes de renouvellement de 1986 et 1995 demeurant taisants sur la destination contractuelle ; qu'ainsi, en l'absence de stipulation contractuelle contraire, il ne peut s'agir que d'un bail tous commerces, la clause prévoyant l'accord du bailleur pour toute cession étant une clause d'ordre public ; que s'agissant de la monovalence, sont considérés comme monovalents non seulement les locaux construits en vue d'une seule utilisation mais aussi ceux qui après leur construction, ont été aménagés en vue d'une seule utilisation ; que la monovalence peut également être déduite de l'existence de travaux importants et de transformations profondes et coûteuses, susceptibles de permettre l'affectation des locaux à une autre activité ; que la description des lieux loués exclut en l'espèce la monovalence des locaux, la présence d'une pièce à usage de laboratoire et d'une pièce dénommée "farinière" au demeurant désaffectée, ne pouvant pas être associée spécifiquement au commerce de boulangerie pâtisserie, le four à pain ayant été, de surcroît, démoli avec l'accord du bailleur ; quant à l'importance des travaux à réaliser, elle résulte non de la nature du commerce initialement exploité mais bien de l'ancienneté de l'immeuble et de la configuration des lieux : - la partie habitation ne dispose pas d'un accès indépendant du commerce et se trouve éclatée en cinq demi-niveaux et la partie commerciale (magasin de vente, laboratoire et salon de thé) ouvre sur des pièces désaffectées et très vétustes (chambre froide, farinière et caves de faible hauteur sous plafond), - la cour d'appel et la cour de cassation ont relevé que l'immeuble était vétuste et en mauvais état d'entretien puisque le bailleur n'y avait pas fait de travaux depuis 45 ans ; que la monovalence des locaux ne sera pas retenue ; que l'indemnité d'éviction doit en conséquence être calculée en considération d'un bail tous commerces non librement cessible ; que, sur le rejet de la demande à titre principal, en l'état des arrêts rendus, le refus de renouvellement pour manquements contractuels des preneurs a été invalidé et le principe d'une indemnité d'éviction retenu ; que par ailleurs, le droit à l'indemnité persiste en cas de cessation non fautive de l'exploitation en cours d'instance, comme c'est le cas en l'espèce ; en effet, il n'est pas contesté que M. T... pouvait faire valoir ses droits à la retraite en 2006 et que, pour des raisons de santé, il a quitté les lieux en mars 2010 sans avoir perçu l'indemnité d'éviction ; qu'ainsi, les bailleresses ne peuvent utilement conclure au rejet de la demande à titre principal ; que sur les principes d'évaluation de l'indemnité principale, selon l'article L 145-14 alinéa 2 du code de commerce, l'indemnité (d'éviction) comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ; qu'en cas d'indivisibilité des locaux, l'indemnité doit se référer à la totalité de ceux-ci et ce point n'est pas contesté ; que le propriétaire peut néanmoins prouver que le préjudice dû à l'éviction est inférieur à la valeur marchande du fonds notamment lorsque la réinstallation dans un autre local est possible ; que dans le présent litige, cette réinstallation n'est pas envisageable en raison de la cessation d'exploitation par le preneur qui s'est heurté à des problèmes de santé faisant obstacle à une continuation de l'activité et a atteint l'âge de la retraite en cours d'instance ; qu'il est de principe que l'indemnité doit correspondre à la valeur marchande du fonds laquelle intègre le droit au bail ; qu'ainsi, l'indemnité principale ne peut être fixée à une somme inférieure au dit droit dans l'hypothèse où la valeur marchande du fonds lui serait inférieure (cf. Paris Pôle 5 Ch 3 12 février 2014) ; que dès lors, les défenderesses ne peuvent, sans ignorer le texte susvisé, affirmer que c'est toujours la plus faible des valeurs du fonds et du droit au bail, qui sera allouée aux locataires évincés mais les preneurs ne peuvent pas plus réclamer les montants cumulés de la valeur marchande du fonds et du dit droit au bail ; qu'en l'espèce, l'expert a chiffré la valeur vénale du fonds de commerce à 36 000 euros en confrontant diverses méthodes d'évaluation et la valeur du droit au bail à 125 000 euros ; que les bailleresses contestent toute valeur vénale à ce droit au bail, en l'état de l'accord nécessaire du bailleur à toute cession ; que cette position ne peut être entérinée car elle fait fi de la bonne commercialité de l'emplacement des locaux dans le centre historique de la cité ; que l'expert a chiffré la valeur du droit au bail par application de la méthode du différentiel de loyer consistant à rechercher la valeur locative actuelle, à la comparer au dernier loyer exigible et, à appliquer à la différence si elle existe, un coefficient déterminé en fonction de la commercialité ; que les défenderesses contestent l'existence de ce différentiel au motif que l'indemnité d'occupation a été fixée à la valeur locative en raison de la monovalence des locaux qui fait échapper au plafonnement le loyer du bail renouvelé ; que ce raisonnement ne peut prospérer ; que, d'une part, la monovalence des locaux vient d'être expressément écartée et d'autre part la cour d'appel a précisé dans sa motivation de l'arrêt du 20 février 2008 que les preneurs sont « débiteurs d'une indemnité d'occupation qui sera fixée par référence au loyer, l'état des lieux ne justifiant nullement d'augmenter la valeur locative » ; que ce faisant, elle a validé la position des preneurs qui réclamaient de voir fixer l'indemnité d'occupation au montant du loyer plafonné ; qu'en conséquence, il ne peut être considéré que l'indemnité d'occupation était équivalente à la valeur locative et qu'il n'y aurait donc aucun différentiel ; que s'agissant de la valeur locative, l'expert a examiné les loyers de ce commerce situé dans un rayon de 40 mètres autour du commerce litigieux ; que les preneurs contestent à la fois la surface pondérée des locaux, retenue par l'expert et ils entendent voir intégrer dans les éléments de comparaison les offres de rachat de leur droit au bail ainsi que l'acte de cession de droit au bail de divers fonds de commerce du centre-ville ; que pour ce qui est de la surface pondérée, les contestations élevées par les demandeurs seront écartées dès lors qu'elles reposent sur un métré du 11 avril 2008 effectué par le Cabinet d'Expertise Technique du Bâtiment, non soumis à l'expert qui a déposé son rapport d'expertise un an auparavant, qu'en outre, l'expert saisi d'un dire sur la pondération de la surface du seul "salon de thé" a rappelé qu'avaient été appliqués les coefficients habituels en la matière qui intègrent dans l'appréciation de la valeur les surfaces plus en retrait par rapport aux vitrines... Cette contestation tardive sera rejetée ; que le tribunal rejettera également des éléments de comparaison les prix de cession d'autres fonds de commerce ; qu'en effet, ainsi que le rappelle à juste titre l'expert, le droit au bail n'est qu'un des éléments constitutifs du fonds de commerce ; que le prix de cession invoqués par les preneurs intègrent nécessairement les autres éléments constitutifs des fonds concernés : éléments incorporels incluant la clientèle, le droit au bail, le nom commercial, l'enseigne, et, le cas échéant, les brevets d'invention, les dessins et modèles industriels, les marques de fabrique licences etc..., mais aussi éléments corporels : agencement, matériel et stock ; que l'expert U... le démontre clairement en prenant pour seul exemple le prix de cession du magasin Le Torchon à Carreaux (135 000 euros), lequel rapporté à la durée de neuf ans du bail, aboutit, sur la base de loyer non modifié par les bailleurs lors de cession, à une valeur locative, droit au bail compris, de 22 920 euros par an sensiblement équivalente à celle du local litigieux (21 849 euros) ; qu'enfin, il sera rappelé à titre surabondant que le projet de cession au profit de PH INTERNATIONAL pour un prix de 160 000 euros n'est signé que des preneurs et qu'aucun document émanant de cette société ne figure au débat ; que ce prix ne résulte donc que des seuls dires des preneurs et de leur notaire ; qu'en conséquence, les valeurs des fonds de commerce prises comme élément de comparaison ne peuvent être considérées comme de pures valeurs de droit au bail et seront écartées ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la valeur de 125 000 euros du droit au bail estimée par l'expert doit être entérinée et qu'il n'y a pas lieu de l'affecter du coefficient d'abattement de 20 % pour absence de libre cession du droit au bail en raison de la vétusté des lieux non entretenus par les propriétaires depuis plus de 45 ans ; que, sur la date d'évaluation, il est de principe que l'indemnité s'apprécie à la date la plus proche du départ du locataire évincé et c'est donc au mois de mars 2010 que l'indemnité doit être évaluée ; qu'eu égard à l'ancienneté du rapport d'expertise et de la cessation d'activité mais aussi à la durée de la procédure, il n'apparaît ni nécessaire ni opportun d'ordonner une nouvelle mesure d'instruction ; qu'en conséquence, la valeur fixée par l'expert sera réévaluée selon l'indice BT du coût de la construction entre le mois de juin 2007 (758,2) et le mois de mars 2010 (814,3) ; que l'indemnité principale sera donc fixée à la somme de 134 248,87 (ou 125 000 x 814,3 /758,2), arrondie à 134 250 euros au paiement de laquelle les bailleurs seront condamnés sous déduction de la provision de 20 000 euros qui a été allouée » (jugement entrepris, p. 7, § 2 et s.) ;

1°) Alors, d'une part, que l'indemnité d'éviction répare le préjudice subi par le preneur qui ne peut plus poursuivre son activité dans les locaux par suite du refus de renouvellement ; qu'en conséquence, cette indemnité n'est pas due lorsqu'à la date à laquelle il quitte les lieux, le preneur n'y a plus aucune activité effective, le refus de renouvellement ne lui causant alors aucun préjudice ; qu'en retenant qu'il n'y avait pas lieu de s'intéresser au chiffre d'affaire dégagé par l'activité des époux T... durant les trois années précédant leur départ des lieux dès lors que l'indemnité pouvait être évaluée en l'absence de communication de chiffres d'affaires récents dès lors qu'elle devait être fixée à la valeur du droit au bail (en tant qu'elle était supérieure à celle du fonds de commerce), cependant que seuls les chiffres d'affaires des derniers exercices étaient de nature à caractériser l'existence d'une activité effective à la date du départ et ainsi justifier l'existence même du préjudice, la cour d'appel a violé l'article L. 145-14 du code de commerce ;

2°) Alors, d'autre part, que le juge doit procéder à une analyse même sommaire des éléments qu'il retient à l'appui de sa décision ; qu'en retenant, cependant qu'elle relevait que les chiffres d'affaires des dernières années n'avaient pas été communiqués (arrêt, p. 7, § 8), que les époux T... avaient maintenu une activité, même réduite, jusqu'à leur départ des lieux, sans procéder à une analyse même sommaire des éléments desquels elle tirait une telle affirmation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) Alors, subsidiairement, en premier lieu, que l'indemnité, quand elle est fixée à hauteur de la valeur du droit au bail, tient compte des restrictions issues des clauses du bail, telle notamment celle interdisant tout changement de destination du bien ; qu'en confirmant le montant de l'indemnité retenu par les premiers juges à hauteur de 134 250 euros en considération d'un bail tous commerces (jugement entrepris, p. 8, § 4), cependant qu'elle retenait, à l'inverse du tribunal, que la destination des locaux à une activité exclusive de boulangerie-pâtisserie-salon de thé ne pouvait être modifiée sans l'accord du bailleur (arrêt, p. 8, § 8), circonstance affectant nécessairement la valeur du droit au bail, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 145-14 du code de commerce ;

4°) Alors, subsidiairement, en deuxième lieu, que l'indemnité, quand elle est fixée à hauteur de la valeur du droit au bail, tient compte des restrictions issues des clauses du bail, telle notamment celle interdisant toute libre cession du bail ; qu'en retenant que la circonstance que le bail comporte une clause interdisant au preneur toute libre cession de ce bail ne pouvait avoir pour effet de minorer la valeur du droit au bail, la cour d'appel a violé l'article L. 145-14 du code de commerce ;

5°) Alors, plus subsidiairement, que l'indemnité d'éviction est évaluée à la date du départ des lieux sans qu'il y ait lieu à réévaluation ; qu'en retenant que compte tenu du décalage entre la date du rapport (juin 2007) et la date de l'éviction (mars 2010), il y avait lieu de procéder à une réévaluation de l'évaluation faite par l'expert en lui appliquant la variation de l'indice du coût de la construction (arrêt, p. 6, § 8), la cour d'appel a violé l'article L. 145-14 du code de commerce ;

6°) Alors, en toute hypothèse, que l'article L. 134-34 du code de commerce qui prévoit, en matière de bail commercial, une révision des loyers par la seule référence à l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou à l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, interdit au juge de réévaluer l'indemnité d'éviction par application de l'indice de l'indice BT du coût de la construction ; qu'en retenant, pour fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 134 500 euros, qu'il y avait lieu de procéder à une réévaluation de l'évaluation faite par l'expert en lui appliquant la variation de l'indice du coût de la construction, la cour d'appel a violé le texte précité, ensemble l'article L. 145-14 du code de commerce. ECLI:FR:CCASS:2019:C301114
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