Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 11 décembre 2019, 18-23.513, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon le jugement attaqué (tribunal d'instance d'Amiens, 28 septembre 2018), que la société Locanor a organisé, le 29 juin 2018, le premier tour des élections des membres de la délégation du personnel au comité social et économique ; qu'au sein du collège "Tam ingénieurs et cadres", deux sièges étaient à pourvoir, la proportion des hommes et des femmes dans ce collège étant respectivement de 69,54 % et de 30,46 % ; que le syndicat CFDT a présenté la candidature unique, en qualité à la fois de titulaire et de suppléant, de M. X... ; que ce dernier a été élu en qualité de suppléant ; que la société Locanor a saisi le tribunal d'instance, le 13 juillet 2018, d'une demande d'annulation de l'élection de M. X... ; que M. X... a formé, en cours d'instance, une demande reconventionnelle en annulation des élections ; Sur le premier moyen :

Attendu qu'il est fait grief au jugement de déclarer irrecevable le salarié en sa demande d'annulation des élections, alors, selon le moyen, que la saisine du tribunal d'instance par toute partie recevable à agir aux fins d'annulation des élections professionnelles, interrompt le délai de forclusion de l'article R. 2314-24 du code du travail au bénéfice des autres parties à l'instance dont les demandes tendent à contester les mêmes élections ; que le tribunal, après avoir constaté que la société Locanor l'avait saisi dans le délai de 15 jours suivant l'élection, a déclaré irrecevable la demande de M. X... tendant à l'annulation de la même élection ; qu'en statuant comme il l'a fait, le tribunal a violé les articles R. 2314-24 du code du travail et 2241 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant constaté que la demande principale tendait, non à l'annulation des élections, mais à l'annulation de l'élection d'un élu présent sur une liste ne respectant pas la parité des hommes et des femmes et que la demande reconventionnelle en annulation des élections avait été formée postérieurement au délai de forclusion de quinze jours, le tribunal d'instance a dit à bon droit cette demande irrecevable ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu qu'il est fait grief au jugement d'annuler l'élection du salarié en qualité de membre suppléant du comité social et économique alors, selon le moyen :

1°/ qu'une liste peut comprendre un nombre de candidats inférieur au nombre de sièges à pourvoir et que, d'autre part, un salarié peut se porter candidat à une même fonction en qualité de titulaire et en qualité de suppléant ; qu'après avoir constaté que deux sièges étaient à pourvoir, le tribunal a annulé l'élection du salarié, homme, présenté comme seul candidat par le syndicat CFDT ; qu'en statuant comme il l'a fait, quand il n'était pas contesté que la proportion d'hommes s'élevait à 69,44 % et la proportion de femmes de 30,56 %, ce dont il résultait que le syndicat était en droit de présenter, en première position de liste, un salarié, homme, tandis que la liste pouvait comprendre un nombre de candidats inférieur au nombre de sièges à pourvoir et qu'enfin, le salarié pouvait se porter candidat à une même fonction en qualité de titulaire et en qualité de suppléant, le tribunal a violé les articles L. 2314-30 et L. 2314-32 du code du travail ;

2°/ qu'en application de l'article L. 2314-32 du code du travail, la constatation par le juge, après l'élection, du non-respect par une liste de candidats des prescriptions prévues à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 2314-30 entraîne l'annulation de l'élection d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter ; que le juge annule l'élection des derniers élus du sexe surreprésenté en suivant l'ordre inverse de la liste des candidats ; que la constatation par le juge, après l'élection, du non-respect par une liste de candidats des prescriptions prévues à la seconde phrase du premier alinéa du même article L. 2314-30 entraîne l'annulation de l'élection du ou des élus dont le positionnement sur la liste de candidats ne respecte pas ces prescriptions ; qu'en annulant l'élection de M. X..., quand celui-ci n'est pas « élu du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter » et n'était pas mal positionné sur la liste, le tribunal a violé les articles L. 2314-30 et L. 2314-32 du code du travail ;

Mais attendu que, lorsque plusieurs sièges sont à pourvoir, les organisations syndicales sont tenues de présenter une liste conforme à l'article L. 2314-30 du code du travail, c'est à dire respectant la proportion de la part des hommes et des femmes dans le collège électoral considéré et devant comporter au moins un candidat au titre du sexe sous-représenté ; que lorsque l'application des règles de proportionnalité et de l'arrondi à l'entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à 5 conduit, au regard du nombre de sièges à pourvoir, à exclure totalement la représentation de l'un ou l'autre sexe il résulte de l'article précité que les listes de candidats peuvent comporter un candidat du sexe sous-représenté, sans que les organisations syndicales y soient tenues ; que les dispositions de l'article L. 2314-30 du code du travail étant d'ordre public absolu, le protocole préélectoral ne peut y déroger ;

Qu'il s'ensuit que le tribunal, ayant constaté que la proportion de femmes et d'hommes dans le collège concerné était respectivement de 30,46 % et de 69,54 % et que deux postes étaient à pourvoir, ce dont il résultait que la règle de proportionnalité donnant une décimale supérieure à 5, un poste devait être attribué à une femme, et que le syndicat n'avait présenté qu'un candidat homme, a statué à bon droit ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. X... et le syndicat CFDT métallurgie de la Somme.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief au jugement attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable la demande d'annulation des élections en date du 29 juin 2018 formée par Monsieur X....

AUX MOTIFS QUE selon l'article R2314-24 du code du travail, lorsque la contestation porte sur la régularité de l'élection, la déclaration n'est recevable que si elle est faite dans les quinze jours suivant l'élection ; le délai court à compter de la proclamation des résultats ; en l'espèce, l'élection contestée et la proclamation des résultats a eu lieu le 29 juin 2018 et le tribunal a été saisi le 13 juillet 2018, si bien que l'action de la SAS Locanor est recevable ; en revanche, la demande reconventionnelle d'annulation de l'ensemble des élections formée par Monsieur U... X... par conclusions déposées au tribunal le 27 août 2018 et soutenues oralement à l'audience du 13 septembre 2018 est manifestement hors délai ; il y a donc lieu de déclarer Monsieur U... X... irrecevable en sa demande d'annulation.

ALORS QUE la saisine du tribunal d'instance par toute partie recevable à agir aux fins d'annulation des élections professionnelles, interrompt le délai de forclusion de l'article R2314-24 du code du travail au bénéfice des autres parties à l'instance dont les demandes tendent à contester les mêmes élections ; que le tribunal, après avoir constaté que la société Locanor l'avait saisi dans le délai de 15 jours suivant l'élection, a déclaré irrecevable la demande de Monsieur X... tendant à l'annulation de la même élection ; qu'en statuant comme il l'a fait, le tribunal a violé les articles R. 2314-24 du code du travail et 2241 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief au jugement attaqué d'AVOIR annulé l'élection en date du 29 juin 2018 de Monsieur X... en qualité de suppléant au premier tour du deuxième collège « TAM Ingénieurs et cadres » du comité social et économique.

AUX MOTIFS QUE suivant l'article L2314-30 du code du travail, modifié par l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 – art. 1, applicable à compter du 1er janvier 2018 : « Pour chaque collège électoral, les listes mentionnées à l'article L2314-29 qui comportent plusieurs candidats sont composées d'un nombre de femmes et d'hommes correspondant à la part de femmes et d'hommes inscrits sur la liste électorale. Les listes sont composées alternativement d'un candidat de chaque sexe jusqu'à épuisement des candidats d'un des sexes. Lorsque l'application du premier alinéa n'aboutit pas à un nombre entier de candidats à désigner pour chacun des deux sexes, il est procédé à l'arrondi arithmétique suivant : 1° Arrondi à l'entier supérieur en cas de décimale supérieure ou égale à 5 ; 2° Arrondi à l'entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à 5. En cas de nombre impair de sièges à pourvoir et de stricte égalité entre les femmes et les hommes inscrits sur les listes électorales, la liste comprend indifféremment un homme ou une femme supplémentaire. Lorsque l'application de ces règles conduit à exclure totalement la représentation de l'un ou l'autre sexe, les listes de candidats pourront comporter un candidat du sexe qui, à défaut ne serait pas représenté. Ce candidat ne peut être en première position sur la liste. Le présent article s'applique à la liste des membres titulaires du comité social et économique et à la liste de ses membres suppléants » ; que selon l'article L2314-32 du code du travail, créé par l'ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 applicable à compter du 1er janvier 2018 : « Les contestations relatives à l'électorat, à la composition des listes de candidats en application de l'article L. 2314-30, à la régularité des opérations électorales et à la désignation des représentants syndicaux sont de la compétence du juge judiciaire. Lorsqu'une contestation rend indispensable le recours à une mesure d'instruction, les dépenses afférentes à cette mesure sont à la charge de l'Etat. La constatation par le juge, après l'élection, du non-respect par une liste de candidats des prescriptions prévues à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 2314-30 entraîne l'annulation de l'élection d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter. Le juge annule l'élection des derniers élus du sexe surreprésenté en suivant l'ordre inverse de la liste des candidats. La constatation par le juge, après l'élection, du non-respect par une liste de candidats des prescriptions prévues à la seconde phrase du premier alinéa du même article L. 2314-30 entraîne l'annulation de l'élection du ou des élus dont le positionnement sur la liste de candidats ne respecte pas ces prescriptions. Le cas échéant, il est fait application des dispositions de l'article L2314-10 du code du travail » ; que ces dispositions visent à garantir la représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les institutions représentatives du personnel, et l'obligation pour les listes aux élections professionnelles de comporter une proportion de femmes et d'hommes qui reflète leur proportion respective dans les collèges électoraux ; l'obligation faite aux organisations syndicales figurait déjà à l'article L. 2314-24-1 (ancien) du code du travail pour l'élection des délégués du personnel, et à l'article L. 2324-22-1 (ancien) du code du travail pour l'élection de représentants du personnel au comité d'entreprise, a été reprise par l'article L2314-30 issu de l'ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 pour l'élection des membres du comité social et économique ; en application des dispositions de l'article L. 2314-24-1 (ancien) du code du travail, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé par arrêt du 9 mai 2018 que lorsque deux postes sont à pourvoir, l'organisation syndicale est tenue de présenter une liste conforme à l'article L. 2314-24-1, c‘est à dire comportant nécessairement une femme et un homme ; qu'en l'espèce, il ressort du protocole préélectoral pour l'élection des membres de la délégation du personnel du comité social et économique que s'agissant du collège « TAM ingénieurs et cadres », l'effectif de la société se compose de 30,56 % de femmes et de 69,44 % d'hommes, et que deux postes de titulaires et de suppléants étaient à pourvoir ; or, pour le collège « TAM ingénieurs et cadres », le syndicat Cfdt n'a présenté qu'un homme, Monsieur U... X..., en qualité de titulaire et suppléant, ce qui ne reflète pas la proportion des femmes dans le collège ; que les dispositions de l'article L. 2314-30 du code du travail s'imposent aux organisations syndicales, sans possibilité de dérogation en raison de l'impossibilité réelle ou supposée de présenter un nombre de candidats des deux sexes, et elles ne peuvent s'affranchir de cette obligation en limitant le nombre de leurs candidats pour n'en présenter qu'un, d'un seul sexe ; que le protocole préélectoral ne saurait non plus déroger aux dispositions d'ordre public de l'article L2314-30 du code du travail ; dès lors, le protocole en l'espèce ne pouvait prévoir en son annexe, alors que le nombre de siège à pourvoir était de deux, que le nombre de candidat femme et le nombre de candidat homme est « indifférent » en cas de présentation d'un seul candidat sur cette liste, cette disposition contrevenant nécessairement à celles de l'article L2314-30 ; dès lors que deux sièges étaient à pourvoir, l'organisation syndicale Cfdt était tenue de présenter une liste conformément à l'article L. 2314-30 du code du travail, comportant nécessairement un homme et une femme ; par conséquent, il y a lieu de prononcer l'annulation de l'élection de Monsieur U... X..., en qualité de suppléant, au premier tour du deuxième collège « TAM ingénieurs et cadres » du comité social et économique de la SAS Locanor.

1° ALORS QUE d'une part, une liste peut comprendre un nombre de candidats inférieur au nombre de sièges à pourvoir et que, d'autre part, un salarié peut se porter candidat à une même fonction en qualité de titulaire et en qualité de suppléant ; qu'après avoir constaté que deux sièges étaient à pourvoir, le tribunal a annulé l'élection du salarié, homme, présenté comme seul candidat par le syndicat CFDT ; qu'en statuant comme il l'a fait, quand il n'était pas contesté que la proportion d'hommes s'élevait à 69,44 % et la proportion de femmes de 30,56 %, ce dont il résultait que le syndicat était en droit de présenter, en première position de liste, un salarié, homme, tandis que la liste pouvait comprendre un nombre de candidats inférieur au nombre de sièges à pourvoir et qu'enfin, le salarié pouvait se porter candidat à une même fonction en qualité de titulaire et en qualité de suppléant, le tribunal a violé les articles L. 2314-30 et L. 2314-32 du code du travail.

2° ALORS subsidiairement QU'en application de l'article L. 314-32 du code du travail, la constatation par le juge, après l'élection, du non-respect par une liste de candidats des prescriptions prévues à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 314-30 entraîne l'annulation de l'élection d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter ; que le juge annule l'élection des derniers élus du sexe surreprésenté en suivant l'ordre inverse de la liste des candidats ; que la constatation par le juge, après l'élection, du non-respect par une liste de candidats des prescriptions prévues à la seconde phrase du premier alinéa du même article L. 2314-30 entraîne l'annulation de l'élection du ou des élus dont le positionnement sur la liste de candidats ne respecte pas ces prescriptions ; qu'en annulant l'élection de Monsieur X..., quand celui-ci n'est pas « élu du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter » et n'était pas mal positionné sur la liste, le tribunal a violé les articles L. 2314-30 et L. 2314-32 du code du travail. ECLI:FR:CCASS:2019:SO01711
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