Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 décembre 2019, 18-20.763 18-20.764 18-20.765 18-20.766 18-20.767 18-20.768 18-20.769 18-20.770, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Vu la connexité, joint les pourvois n° R 18-20.763, S 18-20.764, T 18-20.765, U 18-20.766, V 18-20.767, W 18-20.768, X 18-20.769 et Y 18-20.770 ;





Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 1221-1 du code du travail et 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, que la société Garantie assistance, aux droits de laquelle vient la société Filassistance international a mis en place, par engagement unilatéral du 4 septembre 2008, le versement de primes au bénéfice des salariés travaillant de nuit ; que le 24 octobre 2013, l'employeur a informé le comité d'entreprise de la cessation du versement de ces primes puis, le 5 novembre 2013, chaque salarié individuellement ; que M. H... et sept autres salariés ont saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir le paiement de diverses sommes ;

Attendu que pour juger que l'employeur avait valablement dénoncé l'engagement unilatéral du 4 septembre 2008 et condamner celui-ci au paiement de primes pour la période du 1er novembre 2013 au 31 décembre 2013, les arrêts retiennent que le non-respect d'un délai de prévenance raisonnable ne rend pas la dénonciation d'un engagement unilatéral inopposable aux salariés concernés mais a pour conséquence de repousser la date d'effet de la dénonciation qui sera fixée souverainement par les juges du fond, que les engagements pris le 4 septembre 2008 par l'employeur ont été régulièrement dénoncés et ne s'appliquent plus aux salariés de l'entreprise, que s'agissant toutefois du délai de prévenance, celui-ci ne saurait être considéré comme suffisant, l'engagement ayant été dénoncé le 24 octobre 2013 pour une mise en place le 1er décembre 2013, qu'en conséquence, la cour d'appel fixe la durée de ce délai du 24 octobre au 31 décembre 2013 ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la dénonciation de l'engagement unilatéral n'avait pas été précédée d'un délai de prévenance suffisant, ce dont il résultait que la dénonciation était inopposable aux salariés, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 6 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne la société Filassistance international, venant aux droits de la société Garantie assistance, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Filassistance international, venant aux droits de la société Garantie assistance, à verser à chacun des salariés la somme de 375 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille dix-neuf. MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen commun produit aux pourvois n° R 18-20.763 à Y 18-20.770 par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour MM. H..., C..., F..., S..., Y..., R... et Mmes X... et Q....

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir jugé que la société Filassistance International avait valablement dénoncé l'engagement unilatéral du 4 septembre 2008 et d'avoir limité, en conséquence, les condamnations de l'employeur au paiement des primes de nuit dues en application de cet engagement unilatéral ;

AUX MOTIFS QUE le document daté du 4 septembre 2008 intitulé « complément aux mesures unilatérales sur les salariés pour 2008 – décisions unilatérales portant sur les revenus financiers liés à la mise en oeuvre du projet d'évolution de l'organisation du travail de nuit » prévoit le versement : d'une prime unique, dite de qualification, d'un montant forfaitaire de 250 euros bruts versée avec la paie du mois suivant l'acquisition de la qualification de travailleur de nuit confirmé, d'une prime, dite récurrente, à hauteur de euros à compter du mois suivant l'acquisition de la qualification de travailleur de nuit confirmé, d'une prime spécifique, dite d'efficacité, d'un montant de 10 euros brut par nuit et versée à partir de la 1ère nuit au cours de laquelle la société Garantie Assistance aura pu affecter pour la première fois un seul de ses collaborateurs sur le plateau d'assistance pendant la nuit ; que l'article 4 de l'engagement (durée de ces mesures) prévoit que « l'ensemble des mesures décrites aux articles 1 et 2 est prévu pour une durée a priori indéterminée » et que « les articles 1 et 2 continueront dans l'intégralité de leurs effets : Tant qu'il existera un contrat avec une autre société d'assistance prévoyant la présence systématique pendant la nuit d'au moins un de ses collaborateurs sur le plateau de Garantie Assistance et tant qu'il existera avec cette même société d'assistance un contrat spécifique dans lequel la société Garantie Assistance sera cliente de cette autre société d'assistance fournisseur pour les prises d'appels "en débordement" et "en relais", ou tant que l'activité constatée sur la période de douze mois écoulés restera au moins égale à un seuil de dossier ouvert en moyenne pour une heure d'affectation d'un Chargé d'Assistance entre 22 heures et 8 heures du matin (
) seule la disparition simultanée de ces deux conditions entraînerait l'interruption complète des effets des articles 1 et 2..." ; que la société Filassistance International soutient à titre principal avoir régulièrement dénoncé l'engagement unilatéral pris le 4 septembre 2008, en estimant que les conditions des articles 1 et 2 prévus au document de 2008 n'étaient plus réunies, que le 24 octobre 2013, elle a informé le comité d'entreprise qu'elle cessait le versement des primes litigieuses, que le 5 novembre 2013, elle a informé individuellement chaque chargé d'assistance, qu'enfin le délai de prévenance de dénonciation de cet engagement unilatéral prévu initialement à compter du 1er novembre 2013, a été prorogé au 1er décembre 2013 ; que M. H... rétorque que l'employeur a expressément prévu que seule la disparition des deux conditions contenues à l'article 4 de l'engagement du 4 septembre 2008 entraînerait l'interruption complète des mesures financières, que l'employeur n'a pas respecté son engagement unilatéral lié au versement des primes dès lors que l'une des deux conditions était toujours remplie, à savoir celle liée au seuil de 0,45 dossier ouvert en moyenne, que l'employeur n'a en réalité pas entendu dénoncer son engagement unilatéral, mais procéder à l'interruption du versement des mesures financières, que dans son courrier du 5 novembre 2013, la société ne fait à aucun moment état de la dénonciation de son engagement unilatéral, que lors de la réunion du 24 octobre 2013, la Direction a informé le comité d'entreprise dans les mêmes termes, que ce n'est que postérieurement, et non préalablement à la cessation du versement des primes à compter du 1er décembre 2013, que la Direction a fait état pour la première fois, lors de la réunion du comité d'entreprise du 12 décembre 2013, de sa volonté de dénoncer son engagement unilatéral ; qu'un engagement unilatéral est issu d'une volonté explicite de l'employeur qui peut revenir de façon partielle ou totale sur celui-ci en respectant le processus suivant : information des institutions représentatives puis information individuelle des salariés avec le respect d'un délai de prévenance suffisant, apprécié compte tenu des circonstances ; que par ailleurs, la dénonciation n'a pas à être motivée mais son motif doit être licite ; qu'enfin, le non-respect d'un délai de prévenance raisonnable ne rend pas la dénonciation inopposable aux salariés concernés mais a pour conséquence de repousser la date d'effet de la dénonciation qui sera fixée souverainement par les juges du fond ; qu'il n'est pas discuté que le versement des primes en cause résulte d'un engagement unilatéral de l'employeur, pris à la suite de la réorganisation du travail de nuit en partenariat avec la société Filassistance International, qui a réduit de deux à un le nombre de chargés d'assistance de la société Garantie Assistance en poste de nuit ; qu'il ressort du procès-verbal du comité d'entreprise du 24 octobre 2013 que la société Garantie Assistance a informé les représentants du personnel qu'elle cessait le versement des primes litigieuses ; qu'elle mentionnait précisément qu'"aujourd'hui, il n'y a plus de chargés d'assistance (CA) FILA qui travaillent la nuit. Par conséquent, il y a deux CA GA (garantie assistance) présents chaque nuit. De fait, les primes qui étaient versées aux CA GA via les mesures unilatérales de 2008 pour le travail de nuit sont annulées car présence de deux chargés CA chaque nuit (
)" ; que par courrier individuel du 5 novembre 2013, la Direction indiquait aux chargés d'assistance que "Des décisions unilatérales portant sur des Mesures financières liées à la mise en oeuvre de l'organisation du travail de nuit ont été mises en place à compter de septembre 2008, suite à la signature du protocole d'Accord Cadre entre les sociétés FILASSISTANCE et GARANTIE ASSISTANCE le 5 septembre 2008. La Direction de GARANTIE ASSISTANCE avait souhaité accompagner ce nouveau dispositif de nuit par des mesures unilatérales en faveur des collaborateurs concernés. Les mesures financières, liées à ce nouveau dispositif prévoyaient que, sous certaines conditions, cette nouvelle organisation déclenche des primes spécifiques pour les collaborateurs concernés nommées "prime de qualification nuit", "prime récurrente nuit" et "prime d'efficacité". Le contrat commercial entre FILASSISTANCE et GARANTIE ASSISTANCE ayant été modifié en septembre 2013, le travail de nuit a récemment été réorganisé avec pour conséquence l'affectation systématique de deux chargés d'assistance de Garantie Assistance. Ainsi, conformément à l'article 4 des "mesures unilatérales portant sur les mesures financières liées à la mise en oeuvre du projet d'évolution de l'organisation du travail de nuit", la modification du contrat commercial entre FILASSISTANCE et GARANTIE ASSISTANCE entraîne l'interruption du versement des primes citées ci-dessus. Nous vous informons donc que celles-ci ne seront plus versées pour les nuits effectuées à compter du 1er novembre 2013. (...)" ; qu'il en ressort en premier lieu que la société Garantie Assistance a informé tant les institutions représentatives du personnel que les salariés concernés individuellement de la cessation du versement des primes, conformément à la procédure obligatoire en matière de dénonciation d'un engagement unilatéral ; qu'en second lieu, s'agissant du contenu de l'information, si effectivement la société n'a pas expressément mentionné qu'elle "dénonçait son engagement unilatéral", elle a néanmoins rappelé la cause de sa décision de 2008 d'octroyer des primes, à savoir la diminution du nombre de nuit travaillée par ses chargés d'assistance ; qu'elle a ensuite précisé que du fait de la modification du contrat avec son partenaire, elle affectait à nouveau deux de ses chargés d'assistance la nuit revenant ainsi à la situation antérieure à son engagement de 2008 ; qu'enfin, elle énonçait clairement que "de fait" et "ainsi" le versement des primes était "annulé" et interrompu, liant ainsi clairement par ces formulations la suppression du versement des primes au retour à la situation antérieure, ce qui vaut implicitement mais nécessairement dénonciation de son engagement unilatéral, dont les primes étaient le seul objet, peu important en conséquence l'examen de leurs conditions d'attribution visées dans l'accord ; qu'il n'est d'ailleurs pas sans intérêt de relever que la consultation juridique de l'avocat mandaté par le comité d'entreprise et diffusée lors de la réunion du 12 décembre 2013 concluait également à l'existence d'une dénonciation de la décision unilatérale de l'employeur, le seul point en débat étant, selon lui, la question du délai de prévenance suffisant, considérant que la suppression des primes ne devait pas intervenir avant le 24 décembre au plus tôt ; qu'en conséquence, les engagements pris le 4 septembre 2008 par la société Garantie Assistance ont été régulièrement dénoncés et ne s'appliquent plus aux salariés de l'entreprise ; que le jugement sera réformé en ce sens ; que s'agissant toutefois du délai de prévenance, celui-ci ne saurait être considéré comme suffisant, l'engagement ayant été dénoncé le 24 octobre 2013 pour une mise en oeuvre le 1er décembre 2013 ; qu'en conséquence, la cour fixe la durée de ce délai du 24 octobre au 31 décembre 2013, ce qui entraîne le versement d'un rappel des primes de nuit sur la période du novembre 2013 au 31 décembre 2013, la société n'ayant, par ailleurs, pas justifié du paiement sur le mois de novembre, contesté par le salarié et alors que la charge, de la preuve du respect de cette obligation lui incombe ; que compte tenu des tableaux détaillés versés aux débats par le salarié et non contestés par la société, il sera alloué à M. H... les sommes de 60 euros au titre de la prime d'efficacité, 220 euros au titre de la prime récurrente et 243 euros au titre du complément de prime récurrente, outre les congés payés afférents pour la seule période du 1er novembre 2013 au 31 décembre 2013 ; qu'enfin, il n'est pas nécessaire de condamner le salarié à restituer les sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire, le présent arrêt infirmatif quant au montant alloué constituant le titre ouvrant droit à la restitution des sommes trop perçues en exécution du jugement, cette somme devant être restituée portant intérêts au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, de la présente décision ;

ALORS QUE la dénonciation d'un engagement unilatéral qui ne respecte par un délai de prévenance suffisant est automatiquement privée d'effet et inopposable au salarié ; qu'après avoir jugé que la société Filassistance International avait dénoncé l'engagement unilatéral du 4 septembre 2008 afférent aux primes de nuit des chargés d'assistance, sans avoir respecté un délai de prévenance suffisant, la cour d'appel qui a néanmoins jugé que cette dénonciation était opposable aux salariés après avoir elle-même fixé un délai de préavis plus important, a violé l'article L. 1221-1 du code du travail, 1103 et 1193 du code civil.ECLI:FR:CCASS:2019:SO01677
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