Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 27 novembre 2019, 18-21.532, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche :

Vu l'article 31 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 121-3 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en référé, que H... G..., artiste-peintre, décédée en [...], a laissé pour lui succéder son neveu, U... G..., lui-même décédé sans héritier ou légataire en [...] ; que, soutenant que Mme L... détenait frauduleusement des oeuvres de l'artiste et qu'elles se trouvaient ainsi dans l'impossibilité d'organiser des expositions, et invoquant le trouble manifestement illicite en résultant, l'association H... G... (l'association) et sa présidente, Mme E..., ont sollicité, sur le fondement des articles L. 121-3 du code de la propriété intellectuelle et 809 du code de procédure civile, à titre conservatoire, la remise, par Mme L... à la commune de Sens ou à l'Etat, des oeuvres en sa possession ;

Attendu que, pour déclarer irrecevables les demandes de l'association, l'arrêt énonce que les pièces produites ne suffisent pas à établir la volonté prétendument expressément manifestée par l'artiste de transmettre ses oeuvres au public, dont la preuve doit être préalablement rapportée ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation ainsi prononcée entraîne la cassation par voie de conséquence du chef de dispositif critiqué par le second moyen, relatif à la condamnation in solidum de l'association et de Mme E... au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevables les demandes formées par Mme E..., l'arrêt rendu le 21 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne Mme L... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept novembre deux mille dix-neuf. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour Mme E... et l'association H... G....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, confirmatif de ce chef, D'AVOIR déclaré irrecevables les demandes de l'association H... G... ;

AUX MOTIFS PROPRES ET ADOPTÉS QUE le juge des référés a retenu que l'association G... et Mme E... ne sont pas titulaires du droit de divulgation des oeuvres d'H... G... qui fonde leurs demandes et que madame L... n'est pas un des représentants de l'auteur au sens de son article L121-3 ; qu'il en déduit exactement qu'elles n'ont aucune qualité pour agir en défense du droit moral de cet auteur, seul droit qui demeure puisqu'il est constant que ses droits patrimoniaux sont éteints depuis le premier janvier 2008, date à laquelle son oeuvre est entrée dans le domaine public ; que l'association G... et Mme E... ne contestent pas qu'elles ne sont pas ayant droit de U... G... au sens de l'article L121-2 du code de la propriété intellectuelle ; qu'elles invoquent néanmoins, pour étayer la recevabilité de leurs demandes, le « vol » de madame L... qui aurait « soustrait frauduleusement au public » des oeuvres et des droits qui ne lui auraient pas été dévolus. Elles soutiennent que le juge des référés a ignoré cette fraude alors pourtant qu'elle constituerait un trouble manifestement illicite dont elles auraient qualité à demander la cessation en tant que membre du public à qui auraient dû échoir, à défaut d'héritier, les oeuvres d'H... G... qui aurait expressément manifesté sa volonté de les lui transmettre ; que toutefois les pièces 22 et 31, qu'elles produisent au soutien de ces allégations se bornent à établir le souhait exprimé en ces termes par H... G... le 25 février 1929 dans une lettre adressée à D... N...: « je veux vivre encore dans mon oeuvre », « je la confie à ceux qui viennent après moi », « le nom qu'importe, aurais-je un nom dans la terre » ; que ces pièces ne suffisent pas à établir la volonté prétendument expressément manifestée par l'artiste de transmettre ses oeuvres au public, que madame L... conteste, faisant justement valoir, notamment, l'absence de disposition testamentaire en ce sens ; que la recevabilité des demandes de l'association G... et madame E..., n'est donc pas établie non plus, dès lors qu'elle suppose rapportée préalablement la preuve de cette volonté, peu important dès lors que ces demandes soient formées conformément à l'objet de l'association G... et à l'objectif que poursuivent les expositions dont madame E... est commissaire, tendant à développer la notoriété de l'artiste ; que ce d'autant que l'association G..., ayant été constituée en 2014, poursuit la promotion de cette créatrice et de son oeuvre depuis relativement peu de temps ; qu'au surplus, l'association G... et madame E... ne précisent pas en quoi l'article 10 de la Convention EDH et les articles 1 et 2 de la loi nº 2016-925 du 7 juillet 2016 qu'elles se bornent à invoquer sans y consacrer aucun développement, imposeraient de recevoir leurs demandes en cet état, ce que la circonstance que la création artistique et sa diffusion sont libres ne suffit pas à expliquer ; qu'enfin, ni la Ville de Sens ni le ministère de la culture n'ont constitué avocat pour solliciter la reconnaissance d'un droit quelconque ; que par suite, les demandes de l'association G... et de Mme E... doivent être déclarées irrecevables (arrêt, pp. 4-5) ; qu'il est constant que le neveu de madame G..., dont il était l'héritier unique, est décédé sans héritier ou légataires, que l'État n'a pas été envoyé en possession, que la succession est ainsi vacante et qu'aucun inventaire n'a été dressé à son ouverture, ce qui est en soi de nature à constituer un obstacle sérieux au succès de l'action engagée ou à l'exécution de la décision en cas de succès puisque le juge est dans l'incapacité d'identifier tant les oeuvres existantes au jour de celle-ci que les oeuvres désormais en débat et de les localiser, les pièces 12 et 13 produites en demande intitulées « inventaire des oeuvres détenues par C... L... » éditées les 4 décembre 2016 et 21 février 2017 établies par les demanderesse dans des conditions indéterminées étant largement insuffisantes sur ce point ; que n'étant pas ayant droit un titre quelconque de monsieur U... G... au sens de l'article L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle, les demanderesses n'ont aucune qualité pour agir en défense du droit moral de Madame H... G..., seul droit qui demeure puisque les droits patrimoniaux sont aujourd'hui éteints ; qu'à ce titre, les demandes de l'association H... G... et de madame B... E... s'appuient sur l'article L. 121-3 du code de la propriété intellectuelle qui n'est pas applicable puisque madame C... L... n'est pas un des représentants de l'auteur au sens de l'article L. 121-2 du même code ; que de surcroît, aucun abus notoire dans l'usage ou le non usage du droit de divulgation n'est imputable à madame C... L... car, en admettant même que la divulgation ou la non divulgation d'oeuvres indéterminées puisse être présumée au sens de l'article 1353 devenu 1382 du code civil, cette dernière, mise en demeure par courrier du 25 octobre 2016 de confirmer qu'elle acceptait le principe des expositions projetées, de laisser un libre accès aux oeuvres qu'elle détient et de coopérer aux expositions (pièce 3 en demande), répondait le 26 octobre 2016 (pièce 4) qu'elle consentait à la divulgation des « documents des soeurs G... » en sa possession ; que ce n'est que dans la lettre du 8 novembre 2016 adressé par le conseil des demanderesses (pièce 5) qu'apparaissait, après l'expression de sa satisfaction de voir ses exigences initiales acceptées, une prétention nouvelle étrangère à l'article L. 121-3 du code de la propriété intellectuelle tenant à la cession du fond G... à la ville de Sens ; que quoiqu'elles consistent en un transfert à des parties non constituées d'un fonds dans la consistance est indéterminée et indéterminable, les demandes de l'association H... G... et de madame B... E..., sauf à ce qu'elles soient illégalement présentées pour le compte de ces derniers, tendait à l'exercice par celles-ci du droit de divulgation dont elles ne sont pas titulaires, carence dirimante que ne peut combler la constitution récente d'une association destinée à la sauvegarde et à la valorisation de l'oeuvre de l'artiste ou l'intérêt professionnel comme personnel porté à son oeuvre ; qu'elles sont intégralement irrecevables (jugement, pp. 5-6).

1°) ALORS QU'une association peut agir en justice pour défendre les intérêts collectifs de ses membres entrant dans son objet ; qu'en estimant néanmoins, pour déclarer irrecevables les demandes formées par l'association H... G... concernant les oeuvres de cette artiste peintre, qu'il importait peu que ces demandes soient formées conformément à l'objet de l'association, la cour d'appel a violé l'article 31 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QU'une association peut agir en justice pour défendre les intérêts collectifs de ses membres entrant dans son objet, le préjudice invoqué fût-il antérieur à sa constitution ; qu'en se fondant néanmoins, pour déclarer irrecevables les demandes formées par l'association H... G... concernant les oeuvres de cette artiste peintre, sur la circonstance que cette association avait été constituée au cours de l'année 2014 et poursuivait la promotion de l'artiste depuis relativement peu de temps, la cour d'appel a violé de plus fort l'article 31 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE la recevabilité de la demande en référé formée par une association ayant pour objet la préservation, la valorisation et la promotion d'oeuvres de l'esprit, et tendant à voir ordonner la remise des supports de ces créations à l'Etat, aux fins d'éviter leur dissipation par la personne les détenant indûment et de permettre la tenue régulière d'une exposition publique desdites oeuvres, n'est pas subordonnée à la démonstration de la volonté de leur auteur de transmettre la propriété de ces oeuvres au public, dès lors que cette action ne tend pas à l'exercice par l'association d'un droit dont elle prétendrait être titulaire sur les biens, mais à la protection des intérêts du public, lesquels sont indépendants de toute prérogative sur les oeuvres ; que la cour d'appel a considéré, pour écarter la recevabilité des demandes formées par l'association H... G..., que cette association ne démontrait pas la volonté manifestée par l'artiste de transmettre ses oeuvres au public ; qu'à supposer que l'arrêt ait ainsi pris en considération la volonté ou non de l'artiste de transmettre la propriété de ces oeuvres, la cour d'appel a violé derechef l'article 31 du code de procédure civile ;

4°) ALORS QUE l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action ; qu'à supposer que la considération susmentionnée de l'arrêt, prise de l'absence de volonté de l'artiste de transmettre ses oeuvres au public, ait trait à la volonté ou non de l'auteur de divulguer ses oeuvres et de les porter à la connaissance du public, la cour d'appel, qui a en réalité exigé de l'association qu'elle démontre le bien-fondé de son action, a encore violé l'article 31 du code de procédure civile ;

5°) ALORS, ENFIN ET EN TOUT ÉTAT DE CAUSE, QUE selon ses dernières écritures d'appel (p. 8, al. 5 et 6), madame L... avait précisé qu'elle avait « elle-même participé à la divulgation de l'oeuvre de l'artiste et ainsi rempli son devoir moral » et n'avait pas fait valoir que les oeuvres d'H... G... n'auraient pas été divulguées ; que, par leurs dernières écritures d'appel (pp. 10-13), l'association H... G... et madame E... n'avaient quant à elles pas non plus fait valoir l'absence de toute divulgation des créations litigieuses, mais seulement l'intérêt du public de voir ces oeuvres conservées par l'Etat et accessibles à leur exposition publique ; qu'à supposer que la considération susmentionnée de l'arrêt, prise de l'absence de volonté de l'artiste de transmettre ses oeuvres au public, ait trait à la volonté ou non de l'auteur de divulguer ses oeuvres et de les porter à la connaissance du public, la cour d'appel, en exigeant la démonstration d'une volonté de l'artiste qui n'était pas discutée par les parties, a modifié l'objet du litige et, partant, violé l'article 4 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, D'AVOIR condamné in solidum l'association H... G... et madame E... à payer à madame L... la somme de 3.000 € ;

AUX MOTIFS QUE les allégations de « vol » et « soustraction frauduleuse »
imputées par l'association G... et madame E... à madame L... tout au long de leurs conclusions sans aucun élément de preuve sérieux, caractérisent une procédure particulièrement téméraire et malveillante qui, au visa des article 559 du code de procédure civile et 1241 du code civil, justifie à hauteur de 3.000 € la demande en paiement de dommages-intérêts présentée à ce titre, ce d'autant que cette procédure a été précédée de mises en demeure de leur conseil datées des 25 octobre et 8 novembre 2016 d'avoir, « au regard du détournement que vous avez opéré des oeuvres et des droits d'H... G... », « à céder purement et simplement le fonds que vous détenez à la Ville de Sens », après avoir pourtant indiqué « je note avec satisfaction que vous avez acceptez de coopérer aux expositions publiques des oeuvres de H... G... et je vous en remercie » (arrêt, p. 5) ;

ALORS QUE hors le cas d'intention de nuire, le droit d'agir en justice ne dégénère en abus que si le demandeur à l'action ne pouvait d'aucune manière se méprendre sur l'irrecevabilité manifeste ou l'absence totale de sérieux de ses prétentions ; que si la cour d'appel a écarté la recevabilité des demandes formées par l'association H... G... et madame E... en se fondant sur l'absence de preuve d'une volonté de l'artiste de transmettre ses oeuvres au public, l'arrêt n'a pas pour autant relevé que madame L... était légitime propriétaire de ces oeuvres ; qu'en se bornant néanmoins, pour condamner les demanderesses au titre d'un prétendu abus de procédure, à faire état de leurs allégations de soustraction frauduleuse des biens prétendument dénuées d'élément de preuve sérieux, sans constater que madame L... aurait été légitime propriétaire des biens concernés, seul élément qui aurait été de nature à établir que les demanderesses ne pouvaient d'aucune manière se méprendre sur l'irrecevabilité manifeste ou l'absence totale de sérieux de leurs prétentions et donc qu'elles auraient abusé de leur droit d'agir en justice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2019:C101005
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