Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 23 octobre 2019, 18-10.032, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique, qui est recevable :

Vu l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. L... a été engagé le 4 octobre 2009 par la société Le comptoir du commerce en qualité de serveur ; que son contrat de travail a été transféré à la société Petisal, l'avenant conclu entre les parties mentionnant la fonction de garçon de brasserie ; qu'il a été licencié pour motif économique le 28 février 2013 ;

Attendu que pour déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que si les difficultés économiques sont établies, il n'en demeure pas moins que, selon les termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, elles doivent conduire à la suppression de l'emploi du salarié concerné par le licenciement ; que toutefois, ainsi qu'il ressort de la lettre de licenciement, ce n'est pas l'emploi du salarié qui est supprimé mais son poste puisque l'employeur indique "La masse salariale de votre poste de travail représente au 31 décembre 2012 pour une année 58 791 euros, charge qui ne peut plus être supportée par notre exploitation" ; qu'au surplus, si le salarié avait été embauché comme garçon de brasserie, l'employeur considère qu'il occupait un emploi de serveur et que c'est d'ailleurs en tant que tel qu'il l'a intégré dans la grille d'évaluation déterminant l'ordre des licenciements ; qu'il apparaît donc qu'en visant dans la lettre de licenciement, la suppression du poste du salarié et non d'un emploi de serveur, la société a violé les dispositions de l'article L. 1233-3 du code du travail et le licenciement pour motif économique doit être considéré comme sans cause réelle et sérieuse ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la suppression d'un poste, même si elle s'accompagne de la répartition des tâches accomplies par le salarié licencié entre les salariés demeurés dans l'entreprise, est une suppression d'emploi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;


PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les demandes de M. L... en rappel de salaire pour heures supplémentaires et en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé, l'arrêt rendu le 2 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les points restant en litige, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne M. L... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société Petisal


L'arrêt attaqué encourt la censure

EN CE QU'IL a décidé que le licenciement pour motif économique de Monsieur B... L... n'était pas fondé sur une faute grave, ni même par une cause réelle et sérieuse, condamné, par conséquent, la société PETISAL à payer à Monsieur L... les sommes de 6.776,96 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 677,96 euros au titre des congés payés afférents et de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, ordonné à la SOCIÉTÉ PETISAL de remettre à Monsieur L... les documents sociaux conformes à la décision, ordonné à la société PETISAL de rembourser à Pôle emploi les allocations de sécurisation professionnelle versées à Monsieur L... dans la limite de 2 mois, condamné la société PETISAL aux dépens de première instance et d'appel à payer à Monsieur B... L... la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QU'il résulte de l'application des dispositions de l'article L. 1233-3 du Code du travail, que la suppression d'emploi, à l'origine du licenciement, doit être la conséquence directe d'un des motifs allégués par l'article L. 1233-3 précité et il appartient au juge de vérifier l'effectivité de la suppression d'emploi alléguée par l'employeur ; qu'il en résulte que le .licenciement n'est pas justifié lorsque l'entreprise-a embauché ultérieurement un salarié pour occuper unposte similaire ; que les difficultés économiques alléguées sont justifiées et que les documents financiers ne permettent pas de considérer que l'employeur a fait preuve d'une légèreté blâmable en recrutant une serveuse en contrat à durée indéterminée pour remplacer un salarié ayant quitté l'entreprise alors que -pendant quelques temps il avait recouru à des extras pour assurer ce remplacement ; que si les difficultés économiques sont établies, il n'en demeure pas moins que, selon les termes de l'article L. 1233-3 précité, elles doivent conduire à la suppression de l'emploi du salarié concerné par le licenciement ; que toutefois, ainsi qu'il ressort de la lettre de licenciement, ce n'est pas l'emploi de Monsieur L... qui est supprimé mais son poste puisque l'employeur indique « La masse salariale de votre poste de travail représente au 31 décembre 2012 pour une année 58.7916 charge qui ne peut plus être supportée par notre exploitation » ; qu'au surplus, si Monsieur L... avait été embauché comme Garçon de brasserie, l'employeur considère qu'il occupait un emploi de serveur et que c'est d'ailleurs en tant que tel qu'il l'a intégré dans la grille d'évaluation déterminant l'ordre de licenciement établi sur la base de critères fort opportunément choisis, aboutissant à ce que Monsieur L... soit licencié ; qu'il apparaît donc qu'en visant dans la lettre de licenciement la suppression du poste de Monsieur L... et non d'un emploi de serveur, la SARL PETISAL a violé les dispositions de l'article L. 1233-3 et le licenciement pour motif économique doit être considéré comme sans cause réelle et sérieuse ;

ALORS QUE, premièrement, il n'appartient pas au juge de distinguer là où la loi ne distingue pas ; que l'élément matériel du motif économique, constitué par la suppression d'emploi visée par l'article L. 1233-3 du code du travail est présent lorsque les juges du fond constatent la suppression du poste de travail sur lequel le salarié licencié est affecté en conséquence de difficultés économiques caractérisées ; de sorte qu'en décidant, en l'espèce, que la suppression du poste de travail de Monsieur L... en conséquence des difficultés économiques avérées de la société PETISAL ne caractérisait pas l'élément matériel du motif économique en ce que la société PETISAL avait visé, dans la lettre de licenciement, une suppression de poste et non la suppression d'un emploi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, violant les dispositions de l'article L. 1233-3 du code du travail, ensemble le principe selon lequel il n'appartient pas au juge de distinguer là où la loi ne distingue pas ;

ALORS QUE, deuxièmement, et en outre, le juge est tenu, en toute circonstance, de faire observer et d'observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en vertu des articles 16 du code de procédure civile et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales le juge ne peut retenir dans sa décision des éléments de fait et des moyens que si les parties ont été à même d'en débattre contradictoirement ; de sorte qu'en décidant que la suppression du poste de travail de Monsieur L... en conséquence des difficultés économiques avérées de la société PETISAL ne caractérisait pas l'élément matériel du motif économique en ce que la société PETISAL avait visé, dans la lettre de licenciement, une suppression de poste et non la suppression d'un emploi sans que la société PETISAL ait été invitée à en débattre contradictoirement, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.ECLI:FR:CCASS:2019:SO01476
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