Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 23 octobre 2019, 17-31.653, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et quatrième branches :

Vu les articles 1851 et 1856 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la SCI Evaray a été constituée en 1998 entre M. P... H..., son épouse, Mme P... E..., et leurs trois enfants Mme U... H... et MM. G... et L... H..., M. P... H... étant désigné gérant ; qu'un chalet appartenant à la SCI a été vendu le 22 février 2012, moyennant le prix d'un million d'euros ; que, pour le calcul de la plus-value immobilière, la SCI a déduit un montant de 498 959 euros représentant des dépenses de travaux ; qu'un redressement a été notifié sur l'évaluation de la plus-value par l'Administration fiscale qui a réclamé le paiement de 48 911 euros à chacun des trois principaux associés, Mme U... H... et MM. G... et L... H... ; que le jugement du tribunal administratif rejetant leur recours a été frappé d'appel ; que le 29 novembre 2016, Mme E..., Mme U... H... et MM. G... et L... H... (les consorts H...) ont assigné M. P... H... pour voir prononcer sa révocation de ses fonctions de gérant ;

Attendu que pour rejeter la demande de révocation, l'arrêt retient que le grief fait au gérant de ne pas avoir rendu compte annuellement de sa gestion doit être analysé au regard de la situation particulière d'une société familiale, créée près de vingt ans avant l'introduction de la procédure de divorce de Mme E... et de M. P... H..., et que les associés ne rapportent pas la preuve d'avoir régulièrement et vainement sollicité le gérant afin qu'il dépose chaque année le rapport exigé ;

Qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à exonérer, peu important le caractère familial de la société et l'absence de demande de rapport émanant des associés, le gérant de l'obligation résultant du second texte visé et des statuts de la SCI de rendre compte de sa gestion aux associés au moins une fois dans l'année et, en conséquence, à exclure l'existence d'une cause légitime de révocation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;

Condamne M. P... H... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille dix-neuf et signé par lui et Mme Labat, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mmes P... et U... H... et MM. G... et L... H....

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté Mme P... E..., Mme U... H... et MM. G... et L... H... de leur demande de révocation judiciaire de M. P... H... de ses fonctions de gérant de la SCI EVARAY ;

AUX MOTIFS QUE le premier juge a exactement rappelé les dispositions de l'article 1851 du code civil en vertu desquelles le gérant d'une société civile est révocable par les tribunaux pour cause légitime, à la demande de tout associé ; que selon les intimés, la cause légitime de révocation de P... H... résulte de ce qu'il n'a pas agi conformément à l'objet social, qu'il a pris des décisions contraires à l'intérêt social, qu'il a été défaillant dans l'obligation de rendre compte de sa gestion et qu'il existe un différend entre les parties ; que s'agissant de ce dernier point, P... H... réplique à juste titre que le contentieux qui l'oppose à P... E... dans le cadre de leur divorce ne peut interférer dans le présent litige, le seul point soumis à la cour étant l'existence ou non des carences imputées au gérant dans la gestion de la SCI Evaray ; qu'à ce stade de la procédure, et alors de surcroît que la décision du tribunal administratif de Grenoble a été frappée d'appel, rien ne permet de retenir que les choix fiscaux faits au titre de la plus-value immobilière sont contraires à l'objet social de la SCI et qu'ils lui sont préjudiciables ; que quant au grief qui est fait à P... H... de n'avoir pas rendu compte de sa gestion comme l'article 1856 du code civil l'y invite, il doit être analysé au regard de la situation particulière d'une société familiale créée près de 20 ans avant l'introduction de la procédure de divorce des époux H... ; qu'or, aucune des pièces produites aux débats n'établit que les associés ont régulièrement et en vain, sollicité P... H... afin qu'il dépose chaque année le rapport écrit rendant compte de sa gestion, observation étant faite qu'il n'est produit aucun rapport écrit depuis la création de la société ; que les intimés ne l'ont pas davantage interrogé sur l'affectation des fonds provenant de la vente des deux immeubles, ni ne se sont étonnés de la disparition de certaines sommes ; que de même, aucun d'eux n'a interpellé P... H... sur la question de la plus-value immobilière, alors que la rectification est intervenue au titre de l'imposition 2012, que le redressement a été notifié dans les mois qui ont suivi et que le tribunal administratif a été saisi au mois de mars 2014 ; qu'il est encore établi que toutes les décisions de vente ont été prises en assemblées générales ; que l'ensemble de ces éléments permet de retenir que même si P... H... ne déposait pas formellement un rapport écrit sur sa gestion, les associés qui n'étaient autres que son épouse et ses trois enfants, étaient régulièrement tenus informés de sa gestion et prenaient part aux décisions concernant la société, notamment en ce qui concerne la détermination de la plus-value immobilière ; qu'P... E..., U..., G... et L... H... ne rapportent pas la preuve qu'il existe un motif légitime à la révocation de P... H... ;

1° ALORS QUE le gérant d'une société est révocable par les juges en cas de juste motif ; qu'à cet égard, la mésentente est susceptible de constituer une cause légitime de révocation lorsqu'elle est de nature à porter atteinte au fonctionnement de la société, y compris lorsqu'elle résulte de l'existence d'une procédure de divorce entre associés d'une société familiale ; qu'en opposant qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte de l'existence de la procédure de divorce pour statuer sur la demande de révocation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1851 du code civil ;

2° ALORS QUE le gérant d'une société est révocable par les juges en cas de juste motif, notamment en cas de manquement aux obligations résultant de ses fonctions ; qu'à cet égard, le gérant à l'obligation de rendre compte de sa gestion aux associés au moins une fois par an, et d'établir à cet effet un rapport sur l'activité de la société au cours de l'exercice écoulé ; qu'il importe peu à cet égard que la société soit de nature familiale ; qu'en l'espèce, les juges ont eux-mêmes constaté qu'il n'avait été produit aucun rapport écrit depuis la création de la société, il y a près de vingt ans ; qu'en retenant cependant que le manquement de M. P... H... à son obligation de rendre compte de sa gestion ne constituait pas une cause légitime de révocation au regard de la nature familiale de la société, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard des articles 1851 et 1856 du code civil ;

3° ALORS QUE le gérant d'une société est révocable par les juges en cas de juste motif, notamment en cas de manquement aux obligations résultant de ses fonctions ; qu'à cet égard, le gérant à l'obligation de rendre compte de sa gestion aux associés au moins une fois par an, et d'établir à cet effet un rapport sur l'activité de la société au cours de l'exercice écoulé ; que le seul fait que la société soit de nature familiale ne permet pas d'établir que les associés auraient été régulièrement informés de la gestion en l'absence même de tout rapport annuel ; qu'en se bornant à faire état du caractère familial de la société pour en déduire que les associés avaient été régulièrement informés de la gestion, la cour d'appel a encore statué par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard des articles 1851 et 1856 du code civil ;

4° ALORS QUE le gérant d'une société est révocable par les juges en cas de juste motif ; que pour les obligations à temps, le manquement est constitué dès lors que le débiteur a laissé expirer le délai, sans condition de mise en demeure ; qu'en l'espèce, les juges ont eux-mêmes constaté que M. P... H... n'avait établi aucun rapport de gestion annuel depuis la création de la société il y a près de vingt ans ; qu'en retenant, pour exclure toute faute de gestion de sa part, que les associés ne l'avaient pas sollicité chaque année afin qu'il dépose un rapport, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard des articles 1851 et 1856 du code civil, ensemble l'article 1146 ancien du même code dans sa rédaction applicable en l'espèce ;

5° ALORS QUE le gérant d'une société est révocable par les juges en cas de juste motif ; qu'à cet égard, l'absence de contrôle par les associés de la gestion de la société par son gérant n'est pas de nature à justifier les manquements de ce dernier à ses obligations ; qu'en excluant toute cause légitime de révocation au motif que, bien que le gérant n'ait jamais rendu compte aux associés de sa gestion pendant près de vingt ans, ces derniers ne l'avaient pas interrogé sur sa gestion, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et une nouvelle fois privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1851 et 1856 du code civil ;

6° ALORS QUE le gérant d'une société est révocable par les juges en cas de juste motif ; que les décisions prises par le gérant au préjudice de la société ou en contrariété avec son objet social sont de nature à constituer des fautes de gestion donnant lieu à révocation ; que tel est également le cas lorsque, du fait des décisions du gérant, les associés ont dû supporter un redressement fiscal sur leur patrimoine personnel ; qu'en l'espèce, les exposants rappelaient que, par suite de la décision prise par M. P... H... de déduire une dépense de travaux de 498.959 euros lors de la vente du chalet appartenant à leur société, l'administration fiscale avait notifié un redressement aux associés à hauteur de leur participation respective, Mme U... H... et MM. G... et L... H... s'étant ainsi vu réclamer chacun un rappel de 48.911 euros au titre de l'impôt sur le revenu et des cotisations sociales ; qu'en se bornant à opposer que, en dépit de ce redressement fiscal, rien ne permettrait de retenir que les décisions prises par le gérant auraient été contraires à l'objet social de la société ou préjudiciable à celle-ci, sans rechercher si la faute de gestion ne résultait pas du préjudice ainsi occasionné aux associés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1851 du code civil ;

7° ALORS QUE les décisions des tribunaux administratifs ont l'autorité chose jugée dès leur prononcé ; qu'en l'espèce, les exposants faisaient valoir que, par jugement du 6 octobre 2016, le tribunal administratif de Grenoble avait rejeté le recours formé par les consorts H... contre le redressement qui leur avait été notifié par l'administration fiscale ; qu'en opposant que ce jugement avait été frappé d'appel pour refuser de tenir compte de l'existence du redressement fiscal, la cour d'appel a violé les articles 1351 ancien devenu l'article 1355 du code civil et l'article 480 du code de procédure civile, ensemble les principes qui gouvernent l'autorité sur le juge judiciaire de la chose jugée par le juge administratif ;

8° ALORS QUE le gérant d'une société est révocable par les juges en cas de juste motif ; qu'en l'espèce, il était reproché à M. P... H..., non d'avoir pris la décision de vendre le chalet appartenant à la société EVARAY, mais d'avoir déduit de la plus-value en résultant des sommes qui ne pouvaient pas l'être faute de justificatifs ; qu'en opposant que les décisions de vente avaient été prises en assemblée générale, la cour d'appel, une nouvelle fois, a statué par un motif inopérant, et ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1851 du code civil ;

9° ALORS QUE le gérant d'une société est révocable par les juges en cas de juste motif ; qu'à cet égard, l'absence de contrôle par les associés de la gestion de la société par son gérant n'est pas de nature à justifier les manquements de ce dernier à ses obligations ; qu'en écartant toute cause légitime de révocation au motif que, bien que le gérant ait provoqué la notification d'un redressement fiscal aux associés, ces derniers ne l'avaient pas interpellé sur la question de la plus-value immobilière à l'origine du redressement, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et une nouvelle fois privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1851 du code civil ;

10° ALORS QUE le gérant d'une société est révocable par les juges en cas de juste motif ; qu'en l'espèce, aucun des éléments retenus par les juges ne permet de comprendre pour quelle raison les associés auraient pris part aux décisions relatives à la détermination de la plus-value immobilière à l'origine du redressement fiscal ; qu'en affirmant qu'il se déduisait des circonstances qui précèdent que les consorts H... avaient tous participé à la détermination de cette plus-value immobilière, la cour d'appel, une nouvelle fois, a statué par un motif inopérant, et ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1851 du code civil.ECLI:FR:CCASS:2019:CO00780
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