Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9 octobre 2019, 18-13.314, Publié au bulletin
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9 octobre 2019, 18-13.314, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 18-13.314
- ECLI:FR:CCASS:2019:SO01418
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle sans renvoi
Audience publique du mercredi 09 octobre 2019
Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Paris, du 20 février 2018- Président
- M. Cathala
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon le jugement attaqué, que le syndicat des auxiliaires de la manutention et de l'entretien pour le rail et pour l'air – SAMERA, la fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services – FEETS FO, la fédération nationale des ports et des docks – FNPD CGT, la fédération générale des transports – FGT CFTC et la fédération SUD rail (les signataires) ont conclu, le 29 juin 2015, un accord pour la mise en place d'un régime complémentaire de santé et de prévoyance dans le cadre de la convention nationale du personnel des entreprises de manutention ferroviaire et travaux connexes ; que le Conseil d'Etat a été saisi par la fédération française des sociétés d'assurances de la légalité de l'arrêté du 11 décembre 2015 étendant cet accord ; qu'il a, par une décision du 17 mars 2017, sursis à statuer et renvoyé les parties à poser à la juridiction judiciaire les deux questions préjudicielles suivantes :
- l'exercice par les parties à l'accord du 29 juin 2015 de leur liberté contractuelle leur permettait-il en l'absence de disposition législative de prévoir la mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations et notamment leur financement par un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé, ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible auprès des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé ;
- la circonstance que l'accord du 29 juin 2015 ne comporte pas la clause de réexamen prescrite par le III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale est-elle de nature à l'entacher d'illégalité et, en cas de réponse positive, cette illégalité affecte-t-elle la validité de l'accord dans son entier ou non ;
Sur le second moyen :
Attendu que les signataires font grief au jugement de dire que l'accord du 29 juin 2015, en ce qu'il ne comporte pas la clause de réexamen prescrite par le III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, est entaché d'illégalité dans sa totalité, alors, selon le moyen :
1°/ qu'à défaut de clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité, qui ne peut excéder cinq ans, les modalités d'organisation de la recommandation visée à l'alinéa 2 de l'article L. 912-1, I, du code de la sécurité sociale sont réexaminées, les modalités d'organisation de la recommandation sont réexaminées tous les cinq ans selon les dispositions des articles D. 912-1 à D. 912-13 du code de la sécurité sociale, de sorte que la nullité ne sanctionne pas le défaut de clause prévue par le II de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale et qu'en décidant le contraire, le tribunal de grande instance a violé ledit article, ensemble les règles relatives à la nullité telles qu'elles doivent être interprétées à la lumière des articles 1178, alinéa 1er, et 1180 du code civil dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ que, dans leurs conclusions, les signataires faisaient valoir qu'« un avenant à l'accord du 29 juin 2015 a été signé par les partenaires sociaux le 12 juillet 2016 qui modifie l'annexe 4 de l'accord pour préciser les modalités de réexamen de la procédure de recommandation, conformément aux dispositions du III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale ; qu'ainsi un réexamen des modalités de mise ne oeuvre de la mutualisation des risques est prévu dans un délai maximum de cinq ans à compter de la date de prise d'effet de l'accord du 29 juin 2015 » ; qu'en n'examinant pas ce moyen tiré d'une régularisation de l'accord du 29 juin 2015 le complétant par l'adjonction d'une clause manquante, le tribunal de grande instance a privé son jugement de motif et violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 912-1, III, du code de la sécurité sociale que les accords mentionnés au I comportent une clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité, qui ne peut excéder cinq ans, les modalités d'organisation de la recommandation sont réexaminées ; que l'existence de cette clause est une condition de validité d'accords dérogeant aux principes de libre concurrence et de liberté d'entreprendre ;
Qu'il en résulte que le tribunal de grande instance, qui, lié par la formulation de la question préjudicielle, ne pouvait statuer sur l'éventuelle régularisation ultérieure de l'accord par un avenant rectificatif, a statué à bon droit ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l'article 6 du code civil ;
Attendu que le tribunal de grande instance énonce qu'en l'absence de dispositions législatives, les partenaires sociaux, qui ont signé l'accord du 29 juin 2015 relatif au régime des frais de soins de santé de la convention collective nationale de la manutention ferroviaire et travaux connexes, ne pouvaient prévoir la mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations, et notamment leur financement par un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé, ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé ;
Attendu cependant, d'une part, qu'aucune disposition d'ordre public n'interdit à des organisations syndicales et patronales représentatives dans le champ de l'accord de prévoir, par accord collectif, un système de mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations de prévoyance sociale non obligatoires même en l'absence de dispositions légales en ce sens ;
Attendu, d'autre part, que la signature d'une convention de branche ou d'un accord professionnel par les organisations syndicales et patronales représentatives dans le champ de l'accord engage les signataires de l'accord ainsi que les adhérents aux organisations interprofessionnelles signataires de l'accord ;
D'où il suit qu'en déniant aux partenaires sociaux la liberté contractuelle de conclure un accord organisant un système de mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations, et notamment un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé par l'accord ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible auprès des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé, accord s'appliquant aux entreprises l'ayant signé et à celles adhérant à une organisation patronale représentative ayant signé l'accord, le tribunal de grande instance a violé le texte susvisé ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que l'accord du 29 juin 2015 en ce qu'il ne comporte pas la clause de réexamen prescrite par le III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale est entaché d'illégalité en sa totalité, le jugement rendu le 20 février 2018, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT qu'il y a lieu de répondre à la première des deux questions préjudicielles posées par le Conseil d'Etat le 17 mars 2017 en ces termes :
En tant qu'il s'applique aux entreprises l'ayant signé et à celles adhérant à une organisation patronale représentative ayant signé l'accord, l'accord du 29 juin 2015 prévoyant la mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations et notamment leur financement par un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible auprès des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé est conforme à la liberté contractuelle des parties ;
Condamne la fédération française des sociétés d'assurances aux dépens devant la Cour de cassation et les juges du fond ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour le syndicat des auxiliaires de la manutention et de l'entretien pour le rail et pour l'air - SAMERA, la fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services - FEETS FO, la fédération nationale des ports et docks - FNPD CGT, la fédération générale des transports - FGT CFTC et la fédération SUD rail
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR dit qu'en l'absence de disposition législative, les signataires de l'accord du 29 juin 2015 relatif au régime des frais de soins de santé de la convention collective nationale de la manutention ferroviaire et travaux connexes ne pouvaient prévoir la mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations et notamment leur financement par un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé, ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé ;
AUX MOTIFS QUE sur la première question : en l'absence de dispositions législatives la liberté contractuelle permettrait-elle de prévoir dans l'avenant à l'accord une mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations et notamment leur financement par un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé ; qu'aux termes de l'article 1 du code civil, les lois et, lorsqu'ils sont publiés au Journal Officiel de la République Française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu'ils fixent, ou, à défaut, le lendemain de leur publication ; toutefois, l'entrée en vigueur de celles de leurs dispositions dont l'exécution nécessite des mesures d'application est reportée à la date d'entrée en vigueur de ces mesures ; qu'une disposition légale qui ne se suffit pas à elle-même et qu'il est nécessaire de préciser par décret, ne peut donc recevoir application ; que, par ailleurs, l'article 6 du code civil ne permet pas, au nom du principe de liberté des conventions de s'affranchir des règles édictées par le code de la sécurité sociale en matière de protection sociale complémentaire des salariés ; que les partenaires sociaux ne peuvent donc pas se substituer au législateur pour définir les modalités de la mutualisation du financement et de gestion des prestations à caractère social ; que le paragraphe IV de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale renvoie, pour ce qui est des modalités de la mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations, à un décret en Conseil d'État qui n'était pas encore publié au moment de la conclusion de l'accord querellé ; que le 29 juin 2015, les parties à l'accord ne disposaient par conséquent d'aucun cadre légal les autorisant à prévoir que certaines prestations nécessitant la prise en compte d'éléments relatifs à la situation des salariés ou sans lien direct avec le contrat de travail les liant à leur employeur, seraient financées et gérées de façon mutualisée selon les modalités fixées par elles ;
ALORS DE PREMIERE PART QUE le tribunal de grande instance était saisi par l'arrêt du Conseil d'État du 17 mars 2017 de la question de savoir « si l'exercice par les parties à l'accord du 29 juin 2015 de leur liberté contractuelle leur permettait en l'absence de disposition législative de prévoir la mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations et notamment leur financement par un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé, ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible auprès des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé » ; qu'en se déterminant par référence à la circonstance que l'article IV de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale était inapplicable en l'absence de décret en Conseil d'État pris pour son application, ce qui était une considération manifestement inopérante, puisqu'aboutissant à répondre à la question préjudicielle posée par celle-ci, le tribunal de grande instance n'a pas légalement motivé son jugement en violation de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 et des articles L. 911-1 et L. 912-1 du code de la sécurité sociale ;
ALORS DE DEUXIEME PART QU'en ne précisant pas quelles règles d'ordre public édictées par le code de la sécurité sociale en matière de protection sociale complémentaire auraient été méconnues à l'occasion de l'exercice par les parties à l'accord du 29 juin 2015 de leur liberté contractuelle pour fixer la mutualisation et la gestion de certaines prestations, le tribunal de grande instance de Paris a privé son jugement de base légale au regard de l'article 6 du code civil ;
ALORS DE TROISIEME ET DERNIERE PART QUE dans leurs conclusions (p. 13 à 22), les exposants faisaient valoir que les accords critiqués trouvaient une base légale dans les articles L. 2221-1, L. 2221-2, L. 2221-3 du code du travail, L. 911.1, L. 9113, L. 912.1 I, R. 912-1 et R. 912-2 du code de la sécurité sociale, dans le principe de liberté contractuelle, tel qu'il était apprécié par la Constitution, la Charte sociale européenne, la Cour de justice de l'Union européenne et le Conseil constitutionnel et que de surcroît les limites apportées à la liberté contractuelle reconnue aux partenaires sociaux n'avaient pas été méconnues dans l'accord du 29 juin 2015 et qu'ainsi il avait été fait un usage légal de la liberté contractuelle ; qu'en n'examinant pas ce moyen péremptoire pour se borner à affirmer que « l'article 6 du code civil ne permet pas, au nom du principe de liberté des conventions de s'affranchir des règles édictées par le code de la sécurité sociale en matière de protection sociale complémentaire », le tribunal n'a assorti sa décision d'aucune motivation en violation de l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR dit que l'accord du 29 juin 2015 en ce qu'il ne comporte pas la clause de réexamen prescrite par le III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale est entaché d'illégalité dans sa totalité ;
AUX MOTIFS QUE sur la seconde question, l'absence de clause de réexamen dans l'accord du 29 juin 2015 prévue au III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale entache-t-elle d'illégalité cet accord (dans son entier ou non) ? ; qu'en instaurant l'obligation pour les partenaires sociaux d'insérer dans leurs accords mentionnés au I de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, une clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité, qui ne peut excéder cinq ans, les modalités de la recommandation seront réexaminées, le législateur a entendu assurer une mise en concurrence des organismes assureurs ; qu'il s'agit d'une disposition d'ordre public économique destinée à assurer périodiquement et dans la transparence cette mise en concurrence ; que l'accord du 29 juin 2015 ne comporte aucune clause de cette nature ; qu'il contrevient donc à l'ordre public et aux dispositions légales et réglementaires ; qu'il est entaché d'illégalité dans son entier ;
ALORS D'UNE PART QU'à défaut de clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité, qui ne peut excéder cinq ans, les modalités d'organisation de la recommandation visée à l'alinéa 2 de l'article L. 912-1 I du code de la sécurité sociale sont réexaminées, les modalités d'organisation de la recommandation sont réexaminées tous les cinq ans selon les dispositions des articles D. 912-1 à D. 912-13 du code de la sécurité sociale, de sorte que la nullité ne sanctionne pas le défaut de clause prévue par le II de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale et qu'en décidant le contraire, le tribunal de grande instance a violé ledit article, ensemble les règles relatives à la nullité telles qu'elles doivent être interprétées à la lumière des articles 1178, alinéa 1er et 1180 du code civil dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
ALORS D'AUTRE PART ET EN TOUTE HYPOTHESE QUE dans leurs conclusions (p. 28), les exposants faisaient valoir qu' « un avenant à l'accord du 29 juin 2015 a été signé par les partenaires sociaux le 12 juillet 2016 qui modifie l'annexe 4 de l'accord pour préciser les modalités de réexamen de la procédure de recommandation, conformément aux dispositions du III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale ; qu'ainsi un réexamen des modalités de mise ne oeuvre de la mutualisation des risques est prévu dans un délai maximum de cinq ans à compter de la date de prise d'effet de l'accord du 29 juin 2015 » ; qu'en n'examinant pas ce moyen tiré d'une régularisation de l'accord du 29 juin 2015 le complétant par l'adjonction d'une clause manquante, le tribunal de grande instance a privé son jugement de motif et violé l'article 455 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2019:SO01418
Attendu, selon le jugement attaqué, que le syndicat des auxiliaires de la manutention et de l'entretien pour le rail et pour l'air – SAMERA, la fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services – FEETS FO, la fédération nationale des ports et des docks – FNPD CGT, la fédération générale des transports – FGT CFTC et la fédération SUD rail (les signataires) ont conclu, le 29 juin 2015, un accord pour la mise en place d'un régime complémentaire de santé et de prévoyance dans le cadre de la convention nationale du personnel des entreprises de manutention ferroviaire et travaux connexes ; que le Conseil d'Etat a été saisi par la fédération française des sociétés d'assurances de la légalité de l'arrêté du 11 décembre 2015 étendant cet accord ; qu'il a, par une décision du 17 mars 2017, sursis à statuer et renvoyé les parties à poser à la juridiction judiciaire les deux questions préjudicielles suivantes :
- l'exercice par les parties à l'accord du 29 juin 2015 de leur liberté contractuelle leur permettait-il en l'absence de disposition législative de prévoir la mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations et notamment leur financement par un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé, ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible auprès des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé ;
- la circonstance que l'accord du 29 juin 2015 ne comporte pas la clause de réexamen prescrite par le III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale est-elle de nature à l'entacher d'illégalité et, en cas de réponse positive, cette illégalité affecte-t-elle la validité de l'accord dans son entier ou non ;
Sur le second moyen :
Attendu que les signataires font grief au jugement de dire que l'accord du 29 juin 2015, en ce qu'il ne comporte pas la clause de réexamen prescrite par le III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, est entaché d'illégalité dans sa totalité, alors, selon le moyen :
1°/ qu'à défaut de clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité, qui ne peut excéder cinq ans, les modalités d'organisation de la recommandation visée à l'alinéa 2 de l'article L. 912-1, I, du code de la sécurité sociale sont réexaminées, les modalités d'organisation de la recommandation sont réexaminées tous les cinq ans selon les dispositions des articles D. 912-1 à D. 912-13 du code de la sécurité sociale, de sorte que la nullité ne sanctionne pas le défaut de clause prévue par le II de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale et qu'en décidant le contraire, le tribunal de grande instance a violé ledit article, ensemble les règles relatives à la nullité telles qu'elles doivent être interprétées à la lumière des articles 1178, alinéa 1er, et 1180 du code civil dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ que, dans leurs conclusions, les signataires faisaient valoir qu'« un avenant à l'accord du 29 juin 2015 a été signé par les partenaires sociaux le 12 juillet 2016 qui modifie l'annexe 4 de l'accord pour préciser les modalités de réexamen de la procédure de recommandation, conformément aux dispositions du III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale ; qu'ainsi un réexamen des modalités de mise ne oeuvre de la mutualisation des risques est prévu dans un délai maximum de cinq ans à compter de la date de prise d'effet de l'accord du 29 juin 2015 » ; qu'en n'examinant pas ce moyen tiré d'une régularisation de l'accord du 29 juin 2015 le complétant par l'adjonction d'une clause manquante, le tribunal de grande instance a privé son jugement de motif et violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 912-1, III, du code de la sécurité sociale que les accords mentionnés au I comportent une clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité, qui ne peut excéder cinq ans, les modalités d'organisation de la recommandation sont réexaminées ; que l'existence de cette clause est une condition de validité d'accords dérogeant aux principes de libre concurrence et de liberté d'entreprendre ;
Qu'il en résulte que le tribunal de grande instance, qui, lié par la formulation de la question préjudicielle, ne pouvait statuer sur l'éventuelle régularisation ultérieure de l'accord par un avenant rectificatif, a statué à bon droit ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l'article 6 du code civil ;
Attendu que le tribunal de grande instance énonce qu'en l'absence de dispositions législatives, les partenaires sociaux, qui ont signé l'accord du 29 juin 2015 relatif au régime des frais de soins de santé de la convention collective nationale de la manutention ferroviaire et travaux connexes, ne pouvaient prévoir la mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations, et notamment leur financement par un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé, ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé ;
Attendu cependant, d'une part, qu'aucune disposition d'ordre public n'interdit à des organisations syndicales et patronales représentatives dans le champ de l'accord de prévoir, par accord collectif, un système de mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations de prévoyance sociale non obligatoires même en l'absence de dispositions légales en ce sens ;
Attendu, d'autre part, que la signature d'une convention de branche ou d'un accord professionnel par les organisations syndicales et patronales représentatives dans le champ de l'accord engage les signataires de l'accord ainsi que les adhérents aux organisations interprofessionnelles signataires de l'accord ;
D'où il suit qu'en déniant aux partenaires sociaux la liberté contractuelle de conclure un accord organisant un système de mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations, et notamment un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé par l'accord ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible auprès des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé, accord s'appliquant aux entreprises l'ayant signé et à celles adhérant à une organisation patronale représentative ayant signé l'accord, le tribunal de grande instance a violé le texte susvisé ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que l'accord du 29 juin 2015 en ce qu'il ne comporte pas la clause de réexamen prescrite par le III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale est entaché d'illégalité en sa totalité, le jugement rendu le 20 février 2018, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT qu'il y a lieu de répondre à la première des deux questions préjudicielles posées par le Conseil d'Etat le 17 mars 2017 en ces termes :
En tant qu'il s'applique aux entreprises l'ayant signé et à celles adhérant à une organisation patronale représentative ayant signé l'accord, l'accord du 29 juin 2015 prévoyant la mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations et notamment leur financement par un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible auprès des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé est conforme à la liberté contractuelle des parties ;
Condamne la fédération française des sociétés d'assurances aux dépens devant la Cour de cassation et les juges du fond ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour le syndicat des auxiliaires de la manutention et de l'entretien pour le rail et pour l'air - SAMERA, la fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services - FEETS FO, la fédération nationale des ports et docks - FNPD CGT, la fédération générale des transports - FGT CFTC et la fédération SUD rail
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR dit qu'en l'absence de disposition législative, les signataires de l'accord du 29 juin 2015 relatif au régime des frais de soins de santé de la convention collective nationale de la manutention ferroviaire et travaux connexes ne pouvaient prévoir la mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations et notamment leur financement par un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé, ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé ;
AUX MOTIFS QUE sur la première question : en l'absence de dispositions législatives la liberté contractuelle permettrait-elle de prévoir dans l'avenant à l'accord une mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations et notamment leur financement par un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé ; qu'aux termes de l'article 1 du code civil, les lois et, lorsqu'ils sont publiés au Journal Officiel de la République Française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu'ils fixent, ou, à défaut, le lendemain de leur publication ; toutefois, l'entrée en vigueur de celles de leurs dispositions dont l'exécution nécessite des mesures d'application est reportée à la date d'entrée en vigueur de ces mesures ; qu'une disposition légale qui ne se suffit pas à elle-même et qu'il est nécessaire de préciser par décret, ne peut donc recevoir application ; que, par ailleurs, l'article 6 du code civil ne permet pas, au nom du principe de liberté des conventions de s'affranchir des règles édictées par le code de la sécurité sociale en matière de protection sociale complémentaire des salariés ; que les partenaires sociaux ne peuvent donc pas se substituer au législateur pour définir les modalités de la mutualisation du financement et de gestion des prestations à caractère social ; que le paragraphe IV de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale renvoie, pour ce qui est des modalités de la mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations, à un décret en Conseil d'État qui n'était pas encore publié au moment de la conclusion de l'accord querellé ; que le 29 juin 2015, les parties à l'accord ne disposaient par conséquent d'aucun cadre légal les autorisant à prévoir que certaines prestations nécessitant la prise en compte d'éléments relatifs à la situation des salariés ou sans lien direct avec le contrat de travail les liant à leur employeur, seraient financées et gérées de façon mutualisée selon les modalités fixées par elles ;
ALORS DE PREMIERE PART QUE le tribunal de grande instance était saisi par l'arrêt du Conseil d'État du 17 mars 2017 de la question de savoir « si l'exercice par les parties à l'accord du 29 juin 2015 de leur liberté contractuelle leur permettait en l'absence de disposition législative de prévoir la mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations et notamment leur financement par un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé, ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible auprès des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé » ; qu'en se déterminant par référence à la circonstance que l'article IV de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale était inapplicable en l'absence de décret en Conseil d'État pris pour son application, ce qui était une considération manifestement inopérante, puisqu'aboutissant à répondre à la question préjudicielle posée par celle-ci, le tribunal de grande instance n'a pas légalement motivé son jugement en violation de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 et des articles L. 911-1 et L. 912-1 du code de la sécurité sociale ;
ALORS DE DEUXIEME PART QU'en ne précisant pas quelles règles d'ordre public édictées par le code de la sécurité sociale en matière de protection sociale complémentaire auraient été méconnues à l'occasion de l'exercice par les parties à l'accord du 29 juin 2015 de leur liberté contractuelle pour fixer la mutualisation et la gestion de certaines prestations, le tribunal de grande instance de Paris a privé son jugement de base légale au regard de l'article 6 du code civil ;
ALORS DE TROISIEME ET DERNIERE PART QUE dans leurs conclusions (p. 13 à 22), les exposants faisaient valoir que les accords critiqués trouvaient une base légale dans les articles L. 2221-1, L. 2221-2, L. 2221-3 du code du travail, L. 911.1, L. 9113, L. 912.1 I, R. 912-1 et R. 912-2 du code de la sécurité sociale, dans le principe de liberté contractuelle, tel qu'il était apprécié par la Constitution, la Charte sociale européenne, la Cour de justice de l'Union européenne et le Conseil constitutionnel et que de surcroît les limites apportées à la liberté contractuelle reconnue aux partenaires sociaux n'avaient pas été méconnues dans l'accord du 29 juin 2015 et qu'ainsi il avait été fait un usage légal de la liberté contractuelle ; qu'en n'examinant pas ce moyen péremptoire pour se borner à affirmer que « l'article 6 du code civil ne permet pas, au nom du principe de liberté des conventions de s'affranchir des règles édictées par le code de la sécurité sociale en matière de protection sociale complémentaire », le tribunal n'a assorti sa décision d'aucune motivation en violation de l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR dit que l'accord du 29 juin 2015 en ce qu'il ne comporte pas la clause de réexamen prescrite par le III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale est entaché d'illégalité dans sa totalité ;
AUX MOTIFS QUE sur la seconde question, l'absence de clause de réexamen dans l'accord du 29 juin 2015 prévue au III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale entache-t-elle d'illégalité cet accord (dans son entier ou non) ? ; qu'en instaurant l'obligation pour les partenaires sociaux d'insérer dans leurs accords mentionnés au I de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, une clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité, qui ne peut excéder cinq ans, les modalités de la recommandation seront réexaminées, le législateur a entendu assurer une mise en concurrence des organismes assureurs ; qu'il s'agit d'une disposition d'ordre public économique destinée à assurer périodiquement et dans la transparence cette mise en concurrence ; que l'accord du 29 juin 2015 ne comporte aucune clause de cette nature ; qu'il contrevient donc à l'ordre public et aux dispositions légales et réglementaires ; qu'il est entaché d'illégalité dans son entier ;
ALORS D'UNE PART QU'à défaut de clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité, qui ne peut excéder cinq ans, les modalités d'organisation de la recommandation visée à l'alinéa 2 de l'article L. 912-1 I du code de la sécurité sociale sont réexaminées, les modalités d'organisation de la recommandation sont réexaminées tous les cinq ans selon les dispositions des articles D. 912-1 à D. 912-13 du code de la sécurité sociale, de sorte que la nullité ne sanctionne pas le défaut de clause prévue par le II de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale et qu'en décidant le contraire, le tribunal de grande instance a violé ledit article, ensemble les règles relatives à la nullité telles qu'elles doivent être interprétées à la lumière des articles 1178, alinéa 1er et 1180 du code civil dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
ALORS D'AUTRE PART ET EN TOUTE HYPOTHESE QUE dans leurs conclusions (p. 28), les exposants faisaient valoir qu' « un avenant à l'accord du 29 juin 2015 a été signé par les partenaires sociaux le 12 juillet 2016 qui modifie l'annexe 4 de l'accord pour préciser les modalités de réexamen de la procédure de recommandation, conformément aux dispositions du III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale ; qu'ainsi un réexamen des modalités de mise ne oeuvre de la mutualisation des risques est prévu dans un délai maximum de cinq ans à compter de la date de prise d'effet de l'accord du 29 juin 2015 » ; qu'en n'examinant pas ce moyen tiré d'une régularisation de l'accord du 29 juin 2015 le complétant par l'adjonction d'une clause manquante, le tribunal de grande instance a privé son jugement de motif et violé l'article 455 du code de procédure civile.