Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 25 septembre 2019, 18-86.779, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° X 18-86.779 F-D

N° 1956


SM12
25 SEPTEMBRE 2019


REJET





M. SOULARD président,









R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________






LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :


M. D... B... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Basse-terre, en date du 25 octobre 2018, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs d'abus de biens sociaux, blanchiment et recel, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention ;








La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 11 septembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. Petitprez ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de Mme le conseiller PLANCHON, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général PETITPREZ ;

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Une enquête préliminaire a été diligentée concernant les agissements de M. B..., dirigeant de la société Sotradom, susceptibles de recevoir les qualifications de blanchiment de fraude fiscale, d'abus de biens sociaux et de recel.

3. Les investigations ont, notamment, révélé que M. B... est nu-propriétaire d'un appartement et de ses dépendances, situés dans un immeuble sis [...] , dont la valeur totale a été estimée à 2 400 000 euros tandis que celle de la nue-propriété a été estimée à 2 160 000 euros.

4. Ce bien est, par ailleurs, grevé à hauteur de 1 504 366,75 euros, d'une sûreté bancaire au profit de la caisse de crédit agricole de Guadeloupe.

5. Le 2 juillet 2018, le juge des libertés et de la détention a autorisé la saisie pénale en valeur du bien immobilier susvisé par une ordonnance dont M. B... a interjeté appel.

Examen des moyens

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches

6. Les griefs ne sont pas de nature à être admis, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen unique pris en ses première, quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

7. Le moyen est pris de la violation des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du Protocole additionnel n°1 à cette Convention, 131-21 du code pénal, préliminaire, 706-141-1, 706-150, 706-151, 706-152, 591 et 593 du code de procédure pénale.

8. Le moyen critique « l'arrêt attaqué en ce qu'il a refusé d'annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la saisie pénale immobilière et confirmé cette décision » :

1°/ alors que « l'ordonnance attaquée se bornait à reproduire les réquisitions du procureur de la République, sans aucune motivation propre et sans aucune mention relative à un quelconque procès-verbal permettant d'attester de l'exercice effectif par ce magistrat de son contrôle juridictionnel sur la pertinence et le bien fondé de la requête qui lui était soumise ; »

4°/ alors qu' « en jugeant que la saisie peut intervenir avant que le mis en cause ait pu s'expliquer sur les faits alors que les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lesquels garantissent le droit à un recours effectif, l'égalité des armes et le principe du contradictoire, font obstacle à ce que la décision de saisie pénale immobilière puisse intervenir sans être précédée d'un débat contradictoire ; »

5°/ alors que « l'absence de possibilité de présenter ses observations au stade de l'enquête prive le demandeur de toute procédure équitable et de la possibilité effective d'assurer sa défense ».

Réponse de la cour

Sur le moyen pris en sa première branche

9. Pour rejeter l'exception de nullité prise de ce que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la saisie en valeur d'un bien immobilier procéderait par simple référence à la requête du procureur de la République, l'arrêt attaqué énonce que le juge n'a pas procédé ainsi mais par la reprise des éléments contenus dans les réquisitions.

10. Les juges ajoutent que cette manière de motiver une décision, qui ne caractérise pas une absence de contrôle de la part du juge ni une absence de motivation personnelle, signifie que le magistrat n'a pas estimé que les éléments qui lui étaient soumis étaient susceptibles de meilleurs développements.

11. Les juges concluent que la défense, qui présuppose l'absence d'effectivité de contrôle juridictionnel et de garantie suffisante "contre le risque d'une atteinte disproportionnée à la vie privée des personnes concernées", n'est pas en mesure de l'établir ni de démontrer l'existence d'un grief.

12. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que dès lors que le juge des libertés et de la détention ordonne ou autorise un acte qui porte atteinte à un droit fondamental, l'ordonnance qu'il rend ne peut se limiter à renvoyer aux motifs de la requête et doit contenir une motivation justifiant, en droit et en fait, de la nécessité de la mesure (Crim., 8 juillet 2015, pourvoi n° 15-81.731, Bull. crim. 2015, n° 174 ; Crim., 23 novembre 2016, pourvoi n° 15-83.649, Bull. crim. 2016, n° 307).

13. En l'espèce, l'ordonnance autorisant une saisie immobilière est de nature à porter atteinte au droit de propriété.

14. En se déterminant par les motifs susvisés, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

15. En effet, d'une part, en reproduisant les motifs énoncés dans la requête du ministère public qui analysent les éléments de fait et de droit rendant nécessaire la saisie, le juge des libertés et de la détention a justifié de la nécessité de la mesure et s'est conformé à l'exigence de motivation prévue à l'article 706-150 du code de procédure pénale.

16. D'autre part, la circonstance que l'ordonnance autorisant la saisie pénale en valeur reproduise les motifs de la requête du ministère public ne peut, à elle seule, laisser présumer que le juge des libertés et de la détention n'a pas exercé son contrôle sur la régularité, le bien-fondé et l'opportunité de la mesure de saisie.

17. Dès lors, le grief ne peut qu'être écarté.

Sur le moyen pris en ses quatrième et cinquième branches

18. Pour confirmer l'ordonnance de saisie pénale en valeur, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les dispositions de l'article 131-21 alinéa 9, du code pénal et que la confiscation en valeur consiste à confisquer un bien dont la valeur équivaut au produit de l'infraction et peut porter sur tout bien, quelle que soit l'origine licite ou illicite de celui-ci et quelle que soit sa date d'acquisition par rapport à la date de commission de l'infraction, relève que M. B... est susceptible d'encourir la peine complémentaire de confiscation au regard des infractions pour lesquelles il est mis en cause dont le produit peut être estimé à la somme de 1 431 673 euros.

19. Les juges ajoutent que la part confiscable de l'appartement saisi, dont le demandeur est nu-propriétaire est estimée, à la date de la saisie, à 655 633,25 euros, et soulignent que l'absence de saisie pourrait, en cas de dissipation de la valeur de ce bien, priver la juridiction de jugement de toute perspective de confiscation.

20. La cour conclut que la saisie pénale, qui est une mesure conservatoire destinée à garantir l'exécution de la peine de confiscation, peut intervenir à tout moment de l'enquête, y compris avant que le mis en cause ait pu s'expliquer sur les faits qui lui sont reprochés, aucun texte n'exigeant le contraire, et que le mis en cause bénéficie de la possibilité de contester la saisie puis de communiquer tous éléments utiles à sa défense devant la juridiction de jugement qui seule pourra prononcer la confiscation du bien saisi, ce qui est de nature à garantir une procédure équitable et contradictoire, préservant l'équilibre des droits des parties, en présence du ministère public et de la défense.

21. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière de saisie pose différents critères d'appréciation pour juger du bien-fondé de la mesure.

22. Tout d'abord, elle exige que la mesure de saisie soit prévue par la loi et poursuive un but d'intérêt général (CEDH Smirnov c. Russie n° 55 et 57).

23. Elle vérifie que l'ingérence ainsi apportée dans l'exercice du droit de propriété est proportionnée au but poursuivi, un juste équilibre devant être ménagé entre l'intérêt général et la protection des droits fondamentaux de l'individu (CEDH Smirnov c. Russie n° 57).

24. Elle s'assure qu'elle est entourée de garantie procédurales (CEDH, 13 juillet 2010, Tendam c/ Espagne, § 49) et que le propriétaire du bien saisi et les tiers intéressés disposent d'un recours effectif contre cette décision.

21. Les jurisprudences en la matière du Conseil constitutionnel (Cons. Cons, décisions n° 2011-208 QPC du 13 janvier 2012 ; n° 2014-375 QPC et autres du 21 mars 2014 ; n° 2014-406 QPC du 9 juillet 2014) et de la Cour de cassation (Crim., 28 juin 2017, pourvoi n° 17-80.987 ; Crim., 28 février 2017, pourvoi n° 16-83.773) sont fondées sur des critères identiques.

22. En se déterminant par les motifs susvisés, la chambre de l'instruction a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées.
23. En effet, d'une part, aucune disposition du code de procédure pénale ne fait obligation au juge des libertés et de la détention d'entendre la personne concernée avant d'autoriser une mesure de saisie.

24. D'autre part, la saisie immobilière en valeur, qui est une mesure temporaire prévue par les articles 706-150 à 706-152 du code de procédure pénale et qui est destinée à garantir une éventuelle peine complémentaire de confiscation en application de l'article 131-21 du code pénal, poursuit un but d'intérêt général, est prononcée par un juge qui doit s'assurer, en l'espèce, que le bien saisi a une valeur au plus équivalente à celle du produit de l'infraction.

25. Elle est en outre entourée de garanties procédurales permettant, notamment, aux personnes concernées, qui ne sont pas, du seul effet de la saisie, privées de leur droit de propriété, d'exercer un recours contre cette mesure conformément aux dispositions de l'article 706-150, alinéa 2, et de saisir l'autorité judiciaire compétente d'une demande de restitution à chacune des phases de la procédure en application des articles 41-4, 99 et 479 du code de procédure pénale, les juges étant tenus de se prononcer dans un délai raisonnable, la chambre de l'instruction, qui n'a fait qu'appliquer la loi en vigueur,

26. Dès lors le moyen ne peut qu'être écarté.

27. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq septembre deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.ECLI:FR:CCASS:2019:CR01956
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