Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 11 juillet 2019, 15-17.718, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 25 septembre 2013, Mme Y... a formé opposition au mariage de M. P... et Mme W..., lequel devait être célébré devant l'officier de l'état civil de la commune de Conflans-Sainte-Honorine le 6 octobre 2013 ; que, le 15 novembre 2013, M. P... a assigné Mme Y... afin de voir ordonner la mainlevée de cette opposition et en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt de donner mainlevée de l'opposition à mariage alors, selon le moyen :

1°/ que lorsque le jugement qui a donné mainlevée de l'opposition à mariage fait l'objet d'un appel, son exécution est suspendue de sorte que l'officier de l'état civil doit surseoir à la célébration jusqu'à la décision de la cour qui doit se prononcer sur le bien fondé de l'opposition, peu important la date de celle-ci ; qu'en se fondant sur la circonstance pourtant inopérante que l'opposition formée par Mme Y... était caduque comme formée depuis plus d'un an, la cour saisie de l'appel du jugement ayant donné mainlevée de l'opposition a violé les articles 176 du code civil et 539 du code de procédure civile ;

2°/ que selon l'article 49 de la Convention de coopération en matière judiciaire entre la République française et la République populaire du Congo, en matière civile, sociale ou commerciale, les décisions contentieuses rendues par les juridictions siégeant sur le territoire de la République française et sur le territoire de la République populaire du Congo sont reconnues de plein droit sur le territoire de l'autre Etat si notamment la décision émane d'une juridiction compétente d'après les règles de conflit de l'Etat requis, si elle ne peut plus, d'après la loi où elle a été rendue, faire l'objet d'un recours ordinaire ou d'un pourvoi en cassation, si les parties ont été régulièrement citées, représentées ou déclarées défaillantes, si la décision ne contient rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ; qu'en énonçant, pour dire opposable en France le jugement de divorce des époux P... prononcé par le tribunal de grande instance de Brazaville en février 2006 et ainsi faire droit à la demande de mainlevée de l'opposition à mariage que Mme Y... avait régularisée, que cette décision est définitive sans vérifier si les autres conditions prescrites par l'article 49 précité étaient réunies, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte ;

3°/ que selon l'article 55 de la Convention de coopération en matière judiciaire entre la République française et la République populaire du Congo, en matière civile, sociale ou commerciale, la partie à l'instance qui invoque l'autorité d'une décision judiciaire doit notamment produire une expédition de la décision réunissant les conditions nécessaires à son authenticité, l'original de l'exploit de signification de la décision ou de tout autre acte qui tient lieu de signification, un certificat du greffier constatant qu'il n'existe contre la décision ni opposition, ni appel, ni pourvoi en cassation ; qu'en se fondant, pour dire tardif l'appel contre le jugement de divorce prononcé par le tribunal de grande instance de Brazaville, définitive cette décision et ainsi faire droit à la demande de mainlevée à l'opposition à mariage formée par M. P..., sur les différentes copies du jugement produites de part et d'autre, par les deux parties, et dont elle constatait des différences de date - le 28 ou le 10 février 2006 -, la cour qui n'a ainsi pas vérifié si l'expédition produite par le demandeur à la mainlevée réunissait les conditions nécessaires à son authenticité ni davantage s'il avait produit l'original de l'exploit de signification a privé sa décision de base légale au regard de l'article 55 de la Convention de coopération en matière judiciaire entre la République française et la République populaire du Congo ;

Mais attendu qu'après avoir exactement rappelé que, selon l'article 176, alinéa 3, du code civil, l'acte d'opposition cesse de produire effet après une année révolue, c'est à bon droit que la cour d'appel a constaté la caducité de l'opposition signifiée par Mme Y... le 25 septembre 2013 ;

Et attendu que, la caducité de l'opposition rendant sans objet l'examen de son bien fondé, sauf pour la cour d'appel à se prononcer sur la faute de l'opposante, ce qui est sans rapport avec le chef du dispositif attaqué, les motifs critiqués par les deuxième et troisième branches sont surabondants ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble l'article 179, alinéa 1, du même code ;

Attendu que, pour condamner Mme Y... à payer une certaine somme à M. P... à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que, l'opposition à mariage n'étant pas fondée, elle présente un caractère fautif de nature à engager sa responsabilité ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser de circonstances particulières faisant dégénérer en abus le droit d'opposition, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mme Y... à payer à M. P... la somme de 5 000 euros au titre du préjudice matériel et celle de 3 000 euros au titre du préjudice, l'arrêt rendu le 19 février 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille dix-neuf et signé par lui et par Mme Randouin, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat aux Conseils, pour Mme Y...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Mme Y... fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir donné mainlevée de l'opposition à mariage qu'elle avait régularisée à l'encontre du projet de mariage entre M. P... et Mme W... ;

AUX MOTIFS QUE il résulte de l'article 176 du code civil qu'après une année révolue, l'acte d'opposition cesse de produire effet ; que nonobstant cette caducité, il importe d'examiner le bien fondé de l'opposition formée par J... Y..., cette question étant déterminante de l'appréciation de la faute susceptible d'avoir été commise par cette dernière, et dont E... P... demande réparation ; que les énonciations des deux certificats datés des 24 septembre 2013 et 4 décembre 2014 produits aux débats par J... Y... ne permettent pas de contredire le certificat de non appel daté du 7 juillet 2010, produit par E... P... ; que la cour observe qu'en application des articles 66 et 67 du code de procédure civile, commerciale, administrative et financière de la République du Congo, le délai d'appel d'un mois court à compter du jour du jugement pour les parties présentes ou représentées au prononcé du jugement ; qu'il résulte des copies du jugement produites de part et d'autre que, abstraction faite des différences de date, J... était représentée par me Joseph Brudey, avocat à la cour de Brazaville, entendu en ses explication et que E... P... était présent et a été entendu par le tribunal ; que le jugement précise qu'il a été rendu sur le siège ; qu'il s'ensuit que l'appel formé le 6 septembre 2006 par J... Y..., selon les termes mêmes de l'attestation délivrée par le greffier en chef du tribunal de grande instance de Brazaville était manifestement tardif, que le jugement ait été rendu le 28 ou le 10 février 2006 ; qu'en outre, J... Y... ne justifie d'aucune diligence procédurale effectuée au soutien de l'appel qu'elle prétend avoir interjeté du jugement de divorce et admet implicitement n'en avoir accompli aucune ; qu'il en résulte, qu'à supposer qu'elle ait relevé appel de ce jugement et que cet appel ne soit pas tardif, l'absence de sanction prévue par le droit congolais à l'inaction de l'appelant apparaît contraire à l'ordre public international français et, spécialement, au droit au mariage consacré par l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;

1°) ALORS QUE lorsque le jugement qui a donné mainlevée de l'opposition à mariage fait l'objet d'un appel, son exécution est suspendue de sorte que l'officier de l'état civil doit surseoir à la célébration jusqu'à la décision de la cour qui doit se prononcer sur le bien fondé de l'opposition, peu important la date de celle-ci ; qu'en se fondant sur la circonstance pourtant inopérante que l'opposition formée par Mme Y... était caduque comme formée depuis plus d'un an, la cour saisie de l'appel du jugement ayant donné mainlevée de l'opposition a violé les articles 176 du code civil et 539 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE selon l'article 49 de la Convention de coopération en matière judiciaire entre la République française et la République populaire du Congo, en matière civile, sociale ou commerciale, les décisions contentieuses rendues par les juridictions siégeant sur le territoire de la République française et sur le territoire de la République populaire du Congo sont reconnues de plein droit sur le territoire de l'autre Etat si notamment la décision émane d'une juridiction compétente d'après les règles de conflit de l'Etat requis, si elle ne peut plus, d'après la loi où elle a été rendue, faire l'objet d'un recours ordinaire ou d'un pourvoi en cassation, si les parties ont été régulièrement citées, représentées ou déclarées défaillantes, si la décision ne contient rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ; qu'en énonçant, pour dire opposable en France le jugement de divorce des époux P... prononcé par le tribunal de grande instance de Brazaville en février 2006 et ainsi faire droit à la demande de mainlevée de l'opposition à mariage que l'exposante avait régularisée, que cette décision est définitive sans vérifier si les autres conditions prescrites par l'article 49 précité étaient réunies, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte ;

3°) ALORS QUE selon l'article 55 de la Convention de coopération en matière judiciaire entre la République française et la République populaire du Congo, en matière civile, sociale ou commerciale, la partie à l'instance qui invoque l'autorité d'une décision judiciaire doit notamment produire une expédition de la décision réunissant les conditions nécessaires à son authenticité, l'original de l'exploit de signification de la décision ou de tout autre acte qui tient lieu de signification, un certificat du greffier constatant qu'il n'existe contre la décision ni opposition, ni appel, ni pourvoi en cassation ; qu'en se fondant, pour dire tardif l'appel contre le jugement de divorce prononcé par le tribunal de grande instance de Brazaville, définitive cette décision et ainsi faire droit à la demande de mainlevée à l'opposition à mariage formée par M.P..., sur les différentes copies du jugement produites de part et d'autre, par les deux parties, et dont elle constatait des différences de date – le 28 ou le 10 février 2006-, la cour qui n'a ainsi pas vérifié si l'expédition produite par le demandeur à la mainlevée réunissait les conditions nécessaires à son authenticité ni davantage s'il avait produit l'original de l'exploit de signification a privé sa décision de base légale au regard de l'article 55 de la Convention de coopération en matière judiciaire entre la République française et la République populaire du Congo.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Mme Y... fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à M. P... la somme de 5.000 euros à titre de préjudice matériel outre celle de 3.000 euros à titre de préjudice moral ;

AUX MOTIFS QUE en premier lieu, l'opposition à mariage formée par J... Y... n'étant pas fondée, il en résulte que celle-ci présente un caractère fautif, de nature à engager sa responsabilité civile, sans qu'il soit nécessaire de démontrer de sa part une intention de nuire ; que concernant, en second lieu, le préjudice, E... P... justifie de la perte définitive d'une somme de 2.000 euros correspondant à la location de la salle, ainsi que des frais d'impression et d'envoi des faire-part, de location d'un habit et d'achat de champagne ; qu'il ne résulte cependant pas des documents produits aux débats que les frais de traiteur aient été exposées ou qu'ils l'aient été en pure perte par l'intéressé ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé à 5.000 euros le montant des réparations dues à E... P... ; que c'est également par des motifs que la cour adopte que les premiers juges ont fixé à 3.000 euros les dommages et intérêts au titre du préjudice moral ;

ALORS QU'en cas de rejet de l'opposition à mariage, l'opposant peut être condamné à des dommages et intérêts lorsqu'il a commis un abus dans l'exercice de son droit ; qu'en considérant, pour condamner Mme Y... à verser des dommages et intérêts à M. P..., que la seule circonstance que l'opposition ne soit pas fondée suffit à caractériser une faute de nature à engager la responsabilité civile de la première à l'égard du second, la cour d'appel a violé les articles 172, 179 et 1382 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2019:C100675
Retourner en haut de la page