Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 juillet 2019, 18-17.155, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, courant juin 2010, la Société du Figaro (la société), qui édite le quotidien éponyme et les périodiques « Le Figaro Magazine », « Madame Figaro » et « Figaroscope », a mis en ligne sur son site Internet www.lefigaro.fr, dans une rubrique « archives », en accès payant, l'intégralité des archives papier du quotidien et des périodiques, sous forme de reproduction, par voie de numérisation au format PDF, des pages entières de ces publications comprenant les articles illustrés de photographies ; que MM. G... et X..., auteurs de certaines de ces dernières, estimant qu'ils n'avaient pas cédé leurs droits pour un tel usage et qu'il était loisible aux internautes de télécharger leurs oeuvres, sans mention de leur nom, ont assigné la société en contrefaçon ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles L. 111-1, L. 122-1 et L. 131-6 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que, pour rejeter les demandes de M. G... en réparation d'actes de contrefaçon de ses droits patrimoniaux, l'arrêt retient que l'exploitation des photographies par l'archivage et la mise en ligne des journaux sous format PDF n'avait pas pu être prévue lors de la cession des droits, mais que cette mise en ligne s'inscrit dans la continuité de l'oeuvre première et ne constitue pas un usage des photographies autre que celui contractuellement prévu ;

Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser que la cession consentie s'étendait nécessairement à cet usage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que, pour rejeter les demandes formées par M. G... en réparation d'atteintes portées à son droit moral, l'arrêt retient qu'il ne peut être reproché à la société la possibilité d'extraire des photographies dans la mesure où les internautes ne font qu'user des fonctionnalités offertes par tout ordinateur ;

Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société n'aurait pas pu mettre en ligne les photographies en rendant impossible leur téléchargement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare M. G... recevable en ses demandes, l'arrêt rendu le 16 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la Société du Figaro aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille dix-neuf. MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. G....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. G... de ses demandes, et en particulier de ses demandes fondées sur la contrefaçon de ses droits patrimoniaux d'auteur,

AUX MOTIFS QUE la société du Figaro fait valoir que les photographies ont été utilisées dans le cadre d'une oeuvre collective qui a été communiquée au public sous une nouvelle forme, par voie de numérisation, sans la moindre modification, dans une zone d'archives ; que l'article L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que « L'oeuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé » ; que les appelants soutiennent que leurs photographies sont des oeuvres préexistantes qui, si elles ont été utilisées pour illustrer des articles publiés par la société Le Figaro, ne se fondent pas dans les pages des journaux pour former un tout indivis avec le reste des éléments de la page ou du journal ; qu'il ne saurait être contesté que les photographies en cause sont dissociables, ayant été réalisées indépendamment des articles les accompagnant ; que, toutefois, comme il a été vu, le Figaro a bénéficié d'une sous-cession de celles-ci et peut dès lors les exploiter conformément aux droits qui lui ont été cédés à savoir leur intégration dans ses parutions hebdomadaires ; que le recours à des techniques modernes d'archivage et de mise en ligne des journaux par la reproduction à cette fin des pages des journaux sous le format PDF, constitue un nouveau format de l'oeuvre collective d'origine qui, à l'évidence, n'avait pas pu être prévu lors de la cession des droits, puisqu'il n'existait pas ; la version PDF s'inscrit dans la continuité de l'oeuvre d'origine et il ne s'ensuit pas un usage des photographies autre que celui contractuellement prévu lors de leur cession ; [
] qu'en conséquence, il y a lieu de débouter MM. G... et X... de leurs demandes, sans qu'il y ait lieu d'examiner la question de l'originalité de leurs photographies ;

1°/ ALORS QUE commet un acte de contrefaçon le cessionnaire de droits patrimoniaux sur une oeuvre de l'esprit qui outrepasse les termes de l'autorisation d'exploitation consentie par l'auteur ; que l'autorisation d'exploiter l'oeuvre sous une forme non prévisible ou non prévue à la date du contrat doit en outre être expresse ; que la cour d'appel, qui a constaté que l'exploitation des photographies par l'archivage et la mise en ligne des journaux sous format PDF n'avait pas pu être prévue lors de la cession des droits puisqu'elle n'existait pas, mais a néanmoins débouté M. G... de ses demandes fondées sur la contrefaçon de droit d'auteur, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 111-1, L. 122-1 et L. 131-6 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant, tout à la fois, que l'exploitation des photographies par l'archivage et la mise en ligne des journaux sous format PDF n'avait pas été prévue par les parties et que la version PDF ne constituait pas « un usage des photographies autre que celui contractuellement prévu », la cour d'appel, qui a énoncé des motifs contradictoires, n'a pas donné de motifs à sa décision et a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ ALORS, enfin, QUE M. G... faisait valoir qu'en toute hypothèse la société du Figaro avait outrepassé les termes de la cession de droits en permettant aux internautes de télécharger les photographies indépendamment de l'article du journal qu'elles avaient vocation à illustrer (conclusions récapitulatives d'appel de M. G... signifiées le 25 septembre 2017, p. 290) ; qu'en rejetant les demandes de M. G... fondées sur l'atteinte à ses droits patrimoniaux d'auteur, sans répondre à ce chef de conclusions pertinent, la cour d'appel a de nouveau méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. G... de ses demandes, et en particulier de ses demandes fondées sur l'atteinte à son droit moral,

AUX MOTIFS QUE les appelants soutiennent que les photographies ne comportent aucune signature et qu'elles seraient téléchargeables, ce qui constituerait une atteinte à leur droit moral ; que la société du Figaro conteste ces affirmations ; qu'elle produit un constat d'huissier en date du 28 août 2012 qui relève que les photographies figurant sur les pages du journal Le Figaro dans sa version PDF sont créditées d'une mention indiquant le nom du photographe ; qu'il n'est démontré ni que la société Figaro aurait dissocié les photographies des textes, ni qu'elle les aurait modifiées par un recadrage ; que la société du Figaro a ainsi respecté ses obligations au titre du droit à la paternité, sans que puisse lui être reprochée la possibilité pour l'internaute d'extraire des photographies dans la mesure où celui-ci ne fait qu'user des fonctionnalités offertes par tout ordinateur dont la société du Figaro ne saurait être comptable ; qu'en conséquence, il y a lieu de débouter MM. G... et X... de leurs demandes, sans qu'il y ait lieu d'examiner la question de l'originalité de leurs photographies ;

1°/ ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que la cour d'appel, qui a constaté tout à la fois que la dissociation des photographies et du texte invoquée par M. G... n'était pas établie et que les photographies pouvaient être téléchargées isolément par l'internaute, a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ ALORS QUE l'auteur jouit du droit au respect de son oeuvre ; qu'en se bornant à affirmer, pour exclure toute atteinte au droit moral de M. G..., qu'il ne pouvait être reproché à la société du Figaro la possibilité d'extraire des photographies dans la mesure où l'utilisateur ne faisait qu'user des fonctionnalités offertes par tout ordinateur, sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions de M. G..., si la société du Figaro n'aurait pas pu se borner à mettre en ligne les images des pages de ses journaux, ce qui n'aurait pas permis le téléchargement des photographies, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle ;

3°/ ALORS, enfin, QUE M. G... soutenait, au titre de l'atteinte au droit à la paternité de l'oeuvre, que les photographies ne faisaient plus mention de son nom après téléchargement (conclusions récapitulatives d'appel de M. G... signifiées le 25 septembre 2017, p. 284) ; qu'en écartant toute atteinte au droit à la paternité sur les photographies, sans répondre à ce chef de conclusions pertinent, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2019:C100647
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