Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 5 juin 2019, 16-12.519, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suivant acte du 3 avril 1995, la société Electricité de France (la société EDF) a consenti à M. L..., salarié de la société, et à son épouse (les emprunteurs) un prêt relevant du dispositif d'aide à l'accession à la propriété, soumis à la loi n° 79-596 du 13 juillet 1979 relative à l'information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier, en vue de financer l'acquisition de leur habitation principale, remboursable en deux cent quarante mensualités ; que, le 1er janvier 2002, M. L... a démissionné de l'entreprise ; qu'après avoir fait application de la clause de résiliation de plein droit du contrat de prêt en cas de cessation d'appartenance du salarié à son personnel, la société EDF a assigné les emprunteurs en paiement de diverses sommes ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et troisième branches :

Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et l'article 2, sous b) et sous c), de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ;

Attendu que, selon le premier texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ;

Attendu que, par arrêt du 19 mars 2019 (C-590/17), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que :

1) L'article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que le salarié d'une entreprise et son conjoint, qui concluent avec cette entreprise un contrat de crédit, réservé, à titre principal, aux membres du personnel de ladite entreprise, destiné à financer l'acquisition d'un bien immobilier à des fins privées, doivent être considérés comme des « consommateurs », au sens de cette disposition ;

2) L'article 2, sous c), de la directive doit être interprété en ce sens que ladite entreprise doit être considérée comme un « professionnel », au sens de cette disposition, lorsqu'elle conclut un tel contrat de crédit dans le cadre de son activité professionnelle, même si consentir des crédits ne constitue pas son activité principale ;

Attendu que, pour dire que la résiliation de plein droit du contrat est intervenue le 1er janvier 2002 et condamner les emprunteurs à payer à la société EDF une certaine somme, augmentée des intérêts au taux contractuel de 6 % l'an à compter de cette date, sauf à déduire les sommes postérieurement versées, ainsi qu'une somme au titre de la clause pénale augmentée des intérêts au taux légal à compter de la même date, l'arrêt retient que c'est en sa seule qualité d'employeur et au regard de l'existence d'un contrat de travail le liant à M. L... que la société EDF lui a octroyé, ainsi qu'à son épouse, un contrat de prêt immobilier, que cette société n'est pas un professionnel au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation, quand bien même il existerait en son sein un département particulier gérant les avances au personnel, et que les emprunteurs n'ont pas la qualité de consommateurs au sens de ce texte ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur la quatrième branche du moyen :

Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et l'article 2, sous b) et sous c), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ;

Attendu que, pour exclure le caractère abusif de la clause stipulant la résiliation de plein droit du prêt consenti à un salarié et à son épouse en cas de rupture du contrat de travail, l'arrêt énonce que cette clause s'inscrit dans un contrat qui présente des avantages pour le salarié et équilibre ainsi la clause de résiliation de plein droit ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de prêt pour une cause extérieure à ce contrat, afférente à l'exécution d'une convention distincte, une telle clause crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement et à une modification substantielle de l'économie du contrat de prêt, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et vu les articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 septembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi du chef du caractère abusif de la clause de résiliation prévue à l'article 7 du contrat de prêt immobilier consenti le 17 mars 1995 par la société EDF à M. et Mme L... ;

CONSTATE le caractère abusif de cette clause ;

DIT qu'elle est réputée non écrite ;

Renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée, mais seulement pour qu'elle statue sur les autres points en litige ;

Condamne la société EDF aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juin deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat aux Conseils, pour M. et Mme L...

Les époux L... font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit et jugé que la résiliation de plein droit du contrat du 17 mars 1995 est intervenue le 1er janvier 2002 et de les avoir en conséquence condamnés à verser à EDF la somme de 50.238,37 euros augmentée des intérêts au taux contractuel de 6% l'an à compter du 1er janvier 2002, sauf à déduire les sommes postérieurement versées ainsi que la somme de 3.517 euros au titre de la clause pénale augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2002 ;

AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article 7 du contrat conclu entre EDF et M et Mme L..., il est expressément prévu qu'il sera résilié de plein droit, à la date de l'événement, en cas de cessation d'appartenance, pour quelque cause que ce soit, de l'emprunteur au personnel d'EDF ; que pour s'opposer à la demande de constat de résiliation de plein droit du contrat, les époux L... maintiennent devant la cour que cette clause est abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation alors que la SA EDF soutient qu'elle n'est pas un professionnel du crédit de sorte que les dispositions de ce texte ne s'appliquent pas ; qu'aux termes de ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives – et donc réputées non écrites – les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; qu'or, contrairement à ce qu'a considéré le premier juge, les dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation ne sont pas applicables au prêt en cause dès lors qu'il s'agit d'un prêt consenti par un employeur à un salarié en raison du contrat de travail ; qu'en effet c'est en sa seule qualité d'employeur que la SA EDF qui, alors même qu'il existe en son sein un département particulier gérant les avances au personnel, n'est pas un professionnel au sens de l'article sus visé a consenti ce prêt aux époux L... qui en ont bénéficié en qualité de salarié et n'ont pas la qualité de consommateur au sens du même texte ; qu'en toute hypothèse, la clause litigieuse librement consentie – qui n'est pas purement potestative dès lors que l'anticipation du remboursement relève tant de l'initiative de l'employeur en cas de licenciement que de celle du salarié en cas de démission – n'est ni abusive ni nulle au sens de l'article 1174 du code civil lors que par ailleurs elle s'inscrit dans un contrat qui présente des avantages pour le salarié équilibrant la clause de résiliation de plein droit ; qu'il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de dire et juger que le contrat conclu entre EDF et les époux L... s'est trouvé résilié de plein droit le 1er janvier 2002 à la date à laquelle M L... a démissionné de l'entreprise et à laquelle, au surplus, les époux L... ont cessé d'honorer les échéances du prêt ; que M et Mme L... doivent donc être condamnés à verser à EDF la somme de 50.238,37 euros restant due au titre du capital et des intérêts au 1er janvier 2002, augmentée des intérêts contractuels au taux de 6% l'an à compter de cette date, sauf à déduire les sommes postérieurement versées ; qu'ils doivent également être condamnés à verser à EDF la somme de 3.517 euros au titre de la clause pénale qui n'est pas manifestement excessive augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2002 ;

1°) ALORS QUE dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et qu'a la qualité de professionnel l'employeur qui accorde à titre habituel des crédits immobiliers, dans le cadre d'une politique d'accession à la propriété de ses agents ; qu'en retenant, pour exclure l'existence d'une clause abusive et prononcer la résiliation de plein droit du contrat de prêt consenti aux salariés, qu'EDF n'est pas un professionnel tout en relevant qu'il existe en son sein un département particulier gérant les avances au personnel, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont résultait qu'EDF avait la qualité de professionnel violant ainsi l'article L. 132-1 du code de la consommation ;

2°) ALORS QUE le juge, qui doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que les époux L... n'avaient pas la qualité de consommateur, sans inviter au préalable les parties au litige à présenter leurs observations sur ce moyen, la cour a violé le principe du contradictoire et les dispositions de l'article 16 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QU'est un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ; qu'en énonçant, pour exclure la qualité de consommateurs des époux L..., que ces derniers avaient bénéficié du prêt qui leur avait été consenti en leur qualité de salarié, la cour a violé l'article L. 132-1 du code de la consommation ;

4°) ALORS QUE dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; qu'en excluant le caractère abusif de la clause d'un contrat de prêt prévoyant que l'employeur, prêteur des derniers, pouvait prononcer la déchéance du terme en raison de la cessation des fonctions du salarié, emprunteur, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 du code de la consommation ;

5°) ALORS QUE les intérêts moratoires ne peuvent courir qu'à compter de la sommation de payer ou de tout acte équivalent ; qu'en décidant que la somme de 50.238,37 euros serait augmentée des intérêts contractuels au taux de 6% l'an à compter du 1er janvier 2002, sauf à déduire les sommes postérieurement versées, et que la somme de 3.517 euros au titre de la clause pénale serait augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2002, après avoir constaté qu'il s'agissait de la date à laquelle M L... avait démissionné de l'entreprise, la cour d'appel a violé l'article 1153 du code civil ;

6°) ALORS QUE, subsidiairement, en décidant que la somme de 50.238,37 euros serait augmentée des intérêts contractuels au taux de 6% l'an à compter du 1er janvier 2002, sauf à déduire les sommes postérieurement versées, et que la somme de 3.517 euros au titre de la clause pénale serait augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2002, sans relever l'existence d'une mise en demeure antérieure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1153 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2019:C100526
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