Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 29 mai 2019, 18-14.606, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article R. 621-21 du code de commerce ;

Attendu que le recours prévu par ce texte contre les ordonnances du juge-commissaire n'est ouvert qu'aux tiers dont les droits et obligations sont directement affectés par ces décisions ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Les Editions I... (la société I... France), éditeur de l'Officiel de la couture et de la mode de Paris, a conclu, le 21 septembre 2012, avec la société de droit russe Les Editions I... Russia (la société I... Russia), un contrat de licence du titre l'Officiel et de quatorze autres marques en vue de la publication d'une version en langue russe de l'Officiel et d'autres titres, pour une durée de dix ans ; que, par un acte notarié du 20 septembre 2012, M. H... s'est porté garant du paiement des redevances dues par la société I... Russia à la société I... France à hauteur de 2 600 000 euros ; que le 4 février 2015, la société I... France a été mise en redressement judiciaire ; que par une ordonnance du 24 avril 2015, le juge-commissaire a autorisé la société I... France et son administrateur judiciaire à constituer avec M. A... une société au Luxembourg, à transférer à cette société luxembourgeoise les quinze marques concédées à la société I... Russia, et à concéder, via cette société luxembourgeoise, des contrats de licence de magazines relatifs aux marques transférées à une société russe à constituer entre la société I... France et M. A..., moyennant le versement de 2 953 029 euros payés par la nouvelle société luxembourgeoise ; que suite à cette cession, un plan de redressement de la société I... France a été arrêté le 17 mars 2016 ; que le 24 février 2016, M. H... a formé, devant le tribunal de la procédure collective, un recours contre cette ordonnance ;

Attendu que pour déclarer recevable ce recours, qu'il qualifie par erreur de tierce opposition, l'arrêt retient que l'ordonnance critiquée, en ce qu'elle autorise la société I... France à céder à une société luxembourgeoise les marques objets du contrat de licence la liant à la société I... Russia, affecte les droits de M. H... en sa qualité de garant du paiement des redevances dues au titre de ce contrat de licence, la cession ne permettant plus à la société I... Russia de réaliser le même chiffre d'affaires, de sorte que l'ordonnance aurait dû être notifiée à M. H..., et qu'en l'absence d'une telle notification, le délai de dix jours prévu à l'article R. 621-21 du code de commerce n'a pas pu courir ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'ordonnance litigieuse n'affectait qu'indirectement les droits et obligations de M. H..., en sa qualité de garant de la société I... Russia, de sorte que le recours de l'article R. 621-21 du code de commerce lui était fermé et que l'ordonnance n'avait pas à lui être notifiée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avertissement donné aux parties ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare irrecevable le recours formé par M. H... contre l'ordonnance du juge-commissaire rendue le 24 avril 2015 ;

Condamne M. H... aux dépens, incluant ceux exposés devant les juges du fond ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer la somme globale de 3 000 euros à la société Les Editions I..., M. T... I..., Mme J... I..., la Selarl E... Z... G..., prise en la personne de M. G..., en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Les Editions I... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mai deux mille dix-neuf. MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par la SCP L. Poulet-Odent, avocat aux Conseils, pour la société Les Editions I..., M. et Mme I... et la société E... Z... G..., ès qualités.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR déclaré recevable la tierce-opposition formée par M. H... à l'encontre de l'ordonnance rendue le 24 avril 2015 par le juge-commissaire du tribunal de commerce de Paris ;

AUX MOTIFS QUE selon l'article R. 662-21 du code de commerce, les ordonnances du juge-commissaire doivent être notifiées aux parties et aux personnes dont les droits et obligations sont affectés et celles-ci peuvent faire l'objet d'un recours dans le délai de 10 jours de la communication ou de la notification qui a été faite de l'ordonnance ; qu'en l'espèce, l'ordonnance critiquée autorise la société Les Editions I... à céder les marques L'Officiel à une société luxembourgeoise, alors que par acte notarié du 20 septembre 2012 M. H... s'est porté garant au bénéfice de la société Les Editions I... France du paiement des factures de la société Editions I... Russie pour un montant total de 2,6 millions d'euros, de sorte que les droits de M. H... sont affectés par la cession des marques qui ne permettront plus à la société Les Editions I... de réaliser le même chiffre d'affaires et aucun élément ne démontre qu'il ait été relevé de sa garantie ; que, par ailleurs, aucune notification n'ayant été faite à M. H..., aucun délai n'a pu courir à son encontre ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la tierce-opposition ;

1° ALORS QUE les ordonnances du juge-commissaire peuvent être l'objet d'un recours devant le tribunal, ouvert tant aux parties qu'aux tiers ; qu'elles sont déposées au greffe, lequel les notifie, d'une part aux parties, d'autre part aux personnes dont les droits et obligations sont affectés ; que le délai de ce recours est de dix jours, à compter de la notification pour les personnes qui doivent en être destinataires, ou à compter du jour où l'ordonnance du juge-commissaire a été déposée au greffe pour les autres ; que, cependant, les droits et obligations d'un tiers ne peuvent être considérés comme « affectés » que si l'ordonnance a une telle incidence directe et personnelle sur eux ; qu'en l'espèce, la cour a jugé que la cession des marques autorisée par l'ordonnance mise en cause ne permettrait plus à la société Editions I... Russie de réaliser le même chiffre d'affaires et affecterait donc la garantie de M. H... ; que ce constat aurait dû conduire la cour à juger que les droits et obligations de M. H..., indirectement atteints, n'étaient pas « affectés » au sens de la loi, que l'ordonnance litigieuse ne devait dès lors pas lui être notifiée et que, partant, son recours, introduit plus de dix jours après le dépôt de ladite ordonnance au greffe du tribunal, n'était pas recevable ; qu'en jugeant le contraire, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article R. 621-21 du code de commerce ;

2° ALORS, en toute hypothèse, QU' un tiers ne peut justifier la nécessité de la notification de l'ordonnance du juge-commissaire à son égard que si celle-ci, rendue à insu, a directement et personnellement affecté ses droits et obligations ; qu'en l'espèce, la société Les Editions I... avait soutenu que l'ordonnance litigieuse du 24 avril 2015 ne portait pas directement atteinte aux intérêts de M. H..., mais à ceux, éventuellement, de la société Editions I... Russie ; qu'en outre, les exposants avaient soutenu que cette ordonnance, au demeurant, n'avait pas été rendue à l'insu de M. H..., dès lors que, par un courriel du 13 février 2015, il avait fait savoir à la société Les Editions I..., non seulement qu'il avait connaissance de l'opération qui allait être l'objet de l'ordonnance, mais qu'il ne voulait pas y participer (concl. p. 8, in fine ; p. 11, §§ 1-2) ; qu'en jugeant dès lors, pour déclarer recevable la « tierce-opposition » de M. H..., que ses droits étaient affectés par l'autorisation de cession des marques prononcée par l'ordonnance contestée, en sa qualité de garant, dès lors qu'elle ne permettrait plus à la société Editons I... Russie de réaliser le même chiffre d'affaires, sans rechercher, comme elle y était invitée, et comme il était nécessaire, si l'affectation supposée des droits de M. H... par l'autorisation de cession délivrée par l'ordonnance litigieuse était « directe » et si ladite ordonnance avait été rendue « à son insu », ce que la société Les Editions I... contestait explicitement, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 621-21 du code de commerce ;

3° ALORS QUE pour justifier la solution retenue, la cour a indiqué que M. H... s'était porté garant, au bénéficie de la société Les Editions I... France, du paiement des factures de la société Editions I... Russie pour un montant total de 2,6 millions, et elle a considéré que cette circonstance établissait que la cession autorisée par l'ordonnance contestée affectait ses droits dès lors qu'elle ne « permettr[a] plus à la société Edition I... Russie de réaliser le même chiffre d'affaires », exposant ainsi M. H..., supposément, à voir sa garantie engagée ; qu'en se déterminant ainsi, sans retenir, par ces motifs au demeurant hypothétiques, aucun élément permettant de déterminer quelle serait l'ampleur de la baisse supposée de ce chiffre d'affaires et, partant, de la réalité d'un risque de mise en jeu de la garantie de M. H... et d'une affectation possible de ses droits, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 621-21 du code de commerce ;


4° ALORS QUE pour se déterminer encore comme elle l'a fait, la cour a retenu qu'aucun élément ne démontrait que M. H... eût été relevé de sa garantie ; que, cependant, la société Les Editions I... avait soutenu dans ses écritures (p.10) que ce dernier ne pouvait plus se prévaloir d'un intérêt à agir en tant que garant ou caution, dès lors qu'il lui avait adressé un courriel le 13 février 2015, deux mois avant l'ordonnance litigieuse, dans lequel il lui indiquait qu'il lui était désormais impossible d'être garant de la société I... Russia, dès lors qu'elle n'était plus la société qu'il avait d'abord garantie, puisqu'elle avait changé de contrôle et qu'il n'y exerçait plus aucune responsabilité ni contrôle ; qu'en se fondant dès lors sur cette qualité de garant de M. H... pour justifier que l'ordonnance contestée affectait ses droits, sans rechercher, comme elle y était invitée si, dans le courriel susvisé, ce dernier n'avait pas explicitement renoncé à s'en prévaloir, en la jugeant « impossible », la cour a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 621-21 du code de commerce ;

5° ALORS QUE la garantie d'une obligation est accessoire à cette dernière, de sorte qu'elle est privée de cause lorsque cesse cette obligation ; qu'en l'espèce, la société Les Editions I... avait soutenu que M. H... n'avait aucun intérêt à agir, au regard de la qualité de garant de la société LEJ Russia, dont il se prévalait, dès lors que les garanties apportées par ce dernier, expirées en toute hypothèse depuis longtemps, avaient toutes été anéanties en raison de la résiliation du contrat de licence du 21 septembre 2014 conclu avec la société LEJ Russia et de la conclusion d'un nouveau contrat de licence avec une autre société, le protocole de résiliation amiable conclu avec la société LEJ Russia ayant d'ailleurs éteint toute obligation à paiement à la charge de cette dernière ; qu'en jugeant dès lors la tierce-opposition de M. H... recevable, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, en raison de l'anéantissement et de l'expiration de ses garanties, il n'était pas privé de toute qualité à agir en qualité de garant, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 621-21 du code de commerce.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR annulé l'ordonnance du 24 avril 2015,

AUX MOTIFS QUE selon l'article L. 622-7 II du code de commerce, le juge-commissaire peut autoriser le débiteur à faire un acte de disposition étranger à la gestion courante de l'entreprise, mais cependant que si cet acte est susceptible d'avoir une incidence déterminante sur l'issue de la procédure, le juge-commissaire ne peut statuer qu'après avoir recueilli l'avis du ministère public ; qu'en l'espèce, la cession des marques, compte tenu de son montant important, puisqu'elle a été valorisée pour un montant de 4 921 715 euros, ayant pour effet la prise de 40 % de capital d'une société luxembourgeoise constituée avec l'apport de capitaux provenant des Iles Vierges britanniques, a nécessairement une incidence sur l'issue de la procédure et il était donc nécessaire de recueillir l'avis du ministère public ; que cet avis constitue une formalité substantielle, à défaut duquel il convient d'annuler l'ordonnance ;

1° ALORS QUE, en vertu des dispositions de l'article 625 du code de procédure civile, la cassation à intervenir du chef du premier moyen, relatif à la recevabilité même du recours de M. H... à l'encontre de l'ordonnance du 24 avril 2015, entraînera, par voie de conséquence nécessaire, cassation de l'arrêt en ce qu'il s'est prononcé sur le fond de la demande de ce dernier ;

2° ALORS, en toute hypothèse, QUE, les ordonnances du juge-commissaire peuvent faire l'objet, sur le fondement des dispositions de l'article R. 621-21 du code de commerce, d'un recours devant le tribunal par déclaration faite au greffe dans les 10 jours, soit de leur notification aux parties et aux tiers dont les droits et obligations sont affectés par cette décision, soit de leur dépôt au greffe pour les autres personnes ; que ce recours spécifique tend, soit à la rétractation, soit à la réformation de l'ordonnance déférée ; que le tribunal qui accueille une action principale en nullité dirigée contre une décision de cette nature commet un excès de pouvoir ; qu'en l'espèce, après avoir, sur le fondement du texte susvisé, déclaré recevable le recours de M. H... a, sur sa demande, prononcé la nullité de l'ordonnance déférée ; qu'en se déterminant ainsi, la cour a violé l'article R. 621-21 du code de commerce, ensemble l'article L. 622-7 du même code par excès de pouvoir ;

3° ALORS, en toute hypothèse, QUE tout jugement, à peine de censure, doit être motivé ; que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la société Les Editions I... avait objecté à la demande d'annulation présentée par M. H... devant la cour d'appel qu'elle était nouvelle, au sens des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile ; qu'en effet, après avoir introduit sa demande sur le fondement des dispositions de l'article R. 621-21 du code de commerce, qui tendait exclusivement à rétracter ou réformer l'ordonnance déférée, M. H... a présenté en cause d'appel, et ce pour la première fois, une demande de nullité de cette même décision ; que la société Les Editions I... en tirait cette conséquence, devant la cour, qu'une telle demande devait en toute hypothèse être écartée comme irrecevable ; qu'en laissant sans réponse ce moyen, qui se fondait pourtant sur des principes essentiels de la procédure et qui conditionnait l'examen auquel la cour s'est livrée, erronément, sur le fondement de l'article L. 622-7 du code de commerce, la cour a violé l'article 455 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2019:CO00450
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