Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 9 mai 2019, 19-81.346, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Y... V...,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 1re section, en date du 1er février 2019, qui, dans l'information suivie, notamment contre lui, des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et d'association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire ;





Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 115, 145, R. 57-6-5, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a ordonné le placement du mis en examen en détention provisoire ;

"1°) alors que le principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat, indispensable à l'exercice des droits de la défense, suppose qu'un permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat soit délivré de plein droit dès le début de la privation de liberté, sauf circonstance insurmontable, en l'absence même de demande expresse du détenu ou de son avocat en ce sens ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué qu'un permis de communiquer n'a été délivré par le juge d'instruction que cinq jours après le début de la privation de liberté du mis en examen ; que ce retard a fait grief au mis en examen incarcéré, qui n'a ce faisant pas pu s'entretenir avec son avocat préalablement au débat contradictoire relatif à son placement en détention provisoire ; qu'en concluant néanmoins à la régularité de l'ordonnance rendue à l'issue de ce débat contradictoire, la chambre de l'instruction a méconnu les droits de la défense du mis en examen ;

"2°) alors que lorsqu'un juge d'instruction saisit le juge des libertés et de la détention aux fins de placement en détention provisoire d'une personne mise en examen, il a nécessairement connaissance des délais très brefs applicables en vertu de l'article 145 du code de procédure pénale ; qu'en l'absence même de toute information quant à la date prévue pour le débat contradictoire, le juge d'instruction peut déduire de ce que l'ordonnance n'a pas encore été rendue que le mis en examen doit préparer sa défense dans les délais les plus brefs, et il doit alors donner suite immédiatement à la demande de permis de communiquer formée par l'avocat ; qu'en considérant que le retard apporté à la délivrance du permis de communiquer était susceptible d'être justifié par l'ignorance que le juge d'instruction aurait eu des « délais contraints », la chambre de l'instruction a violé les droits de la défense du mis en examen et l'article 145 du code de procédure pénale ;

"3°) alors que la chambre de l'instruction n'ayant caractérisé aucune circonstance insurmontable, elle ne pouvait sans violation des textes applicables affirmer que le retard apporté à la délivrance du permis de communiquer était néanmoins justifié ;

"4°) alors que le seul constat que l'avocat du mis en examen détenu avait demandé à deux reprises la délivrance d'un permis de communiquer devait suffire à considérer qu'il avait procédé à toutes les diligences nécessaires à l'obtention dudit permis ; qu'en lui reprochant le choix du mode de communication et des termes employés dans les demandes pour justifier le retard apporté à la délivrance du permis de communiquer, la chambre de l'instruction a fait preuve d'un formalisme excessif, au demeurant non prévu par la loi, et elle a violé à ce titre les droits de la défense" ;

Vu les articles 6, § 3, c, de la Convention européenne des droits de l'homme, 115 et R. 57-6-5 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'en vertu du principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat, résultant du premier de ces textes, la délivrance d'un permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat est indispensable à l'exercice des droits de la défense ; qu'il en découle que le défaut de délivrance de cette autorisation à un avocat désigné, avant un débat contradictoire différé organisé en vue d'un éventuel placement en détention provisoire, fait nécessairement grief à la personne mise en examen ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. V... a été mis en examen, le 11 janvier 2019, par le juge d'instruction du tribunal de Bobigny ; que, le même jour, devant le juge des libertés et de la détention alors qu'il était assisté de Maître Chiche, avocat au barreau de Paris, il a sollicité un délai pour préparer sa défense ; que le juge des libertés et de la détention l'a placé sous le régime de l'incarcération provisoire et a fixé au mercredi 16 janvier 2019 à 15 heures la tenue du débat contradictoire différé ;

Attendu que Me Chiche a demandé au juge d'instruction un permis de communiquer avec son client, par télécopie, le lundi 14 janvier à 11 heures 44, afin de pouvoir le visiter en détention et exercer les droits de la défense ; qu'en l'absence de réception de ce permis, il a présenté au juge d'instruction une nouvelle demande, le 15 janvier 2019 à 12 heures 04, visant la précédente demande, expliquant qu'il ne pourrait se présenter à son cabinet et demandant que ce permis lui soit adressé par télécopie ou par courriel ; que ce permis lui a été délivré par le juge d'instruction, le 16 janvier 2019 à 13 heures 42 ; que Maître Chiche a écrit au juge des libertés et de la détention que la délivrance de ce permis aussi peu de temps avant la tenue du débat ne lui permettait pas de le préparer utilement et d'assurer à son client l'exercice des droits de la défense, faisant connaître sa volonté de ne pas assister au débat et demandant, en conséquence de cette violation des droits de la défense, la mise en liberté de M. V... ; que le débat contradictoire s'est tenu, sans que la personne poursuivie soit assistée d'un avocat ; qu'à l'issue du débat, le juge des libertés et de la détention a placé en détention provisoire M. V..., lequel a relevé appel de cette décision ; que, devant la chambre de l'instruction, l'avocat de M. V... a produit un mémoire réclamant la mise en liberté de son client, compte tenu de l'atteinte portée aux droits de sa défense par la délivrance tardive d'un permis de communiquer ;

Attendu que, pour rejeter cette argumentation, la chambre de l'instruction relève que, si, deux fois en vingt-quatre heures, l'avocat a sollicité la délivrance d'un permis de communiquer avec son client, qui lui a été adressé moins d'une heure et demie avant la tenue du débat différé, à aucun moment cet avocat, face à l'absence de réponse du juge d'instruction, ne s'est déplacé à son cabinet, ne lui a adressé un courrier électronique ou a tenté de prendre contact avec le juge ou son greffier par téléphone, la seconde demande, adressée le 15 janvier, n'insistant pas sur son caractère d'urgence, compte tenu des délais contraints, dont le juge d'instruction pouvait ne pas avoir connaissance ; que l'arrêt en déduit que l'avocat n'a pas accompli les diligences nécessaires qui lui auraient permis d'obtenir le permis de communiquer dans un délai compatible avec ses propres disponibilités et la tenue du débat contradictoire ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser de circonstance insurmontable ayant empêché la délivrance à l'avocat, en temps utile, d'un permis de communiquer avec la personne poursuivie, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 1er février 2019 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE la mise en liberté de M. V..., s'il n'est détenu pour autre cause ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. de Larosière de Champfeu, conseiller rapporteur, M. Castel, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Bray ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.ECLI:FR:CCASS:2019:CR01097
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