Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 7 mai 2019, 17-15.621, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 31 janvier 2017), que, par un acte authentique du 7 janvier 2003, la société Harmonie a cédé une parcelle de terrain à M. V..., qui était président du conseil d'administration de cette société ; que l'administration fiscale a constaté que, au moment de cette acquisition, un immeuble à usage d'habitation, construit par une société civile immobilière administrée par la société Harmonie, était implanté sur le terrain vendu ; que, considérant que la vente du terrain nu constituait une donation indirecte de la valeur de l'immeuble construit et prenant en compte l'évaluation de celle-ci faite par la commission départementale de conciliation, l'administration fiscale a rehaussé la valeur du bien et notifié à M. V... une proposition de rectification au titre des droits de mutation à titre gratuit et de la publicité foncière ; qu'après règlement de ces droits et rejet de sa réclamation, M. V... a assigné le directeur régional des finances publiques des Pays de la Loire en restitution du surplus d'imposition versé ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :

Attendu que M. V... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :

1°/ que la vente d'un bien immobilier à un prix minoré par rapport à sa valeur vénale réelle contractée par une société commerciale au profit de son dirigeant est constitutive, à hauteur de la minoration de prix constatée par le service, d'un avantage occulte au sens de l'article 111 c) du code général des impôts, taxable en tant que revenu distribué dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers par application de l'article 158 du même code ; que cette qualification légale de revenu distribué, avec le régime d'imposition qui lui est associé, est exclusive de l'application de l'article 677 du code général des impôts, qui ne soumet à des droits de mutation les transmissions entre vifs de propriété ou d'usufruit de biens meubles ou immeubles que « sous réserve de dispositions particulières » ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté par motifs propres et adoptés que M. V... avait acquis de la société anonyme Harmonie, dont il était le président du conseil d'administration, une parcelle de terrain décrite dans l'acte de vente comme une parcelle à bâtir moyennant la somme de 2 744 euros, alors que cette parcelle était déjà construite au jour de la vente et qu'ainsi, la société venderesse s'était irrévocablement dépouillée au profit de son dirigeant de la différence de valeur entre la valeur vénale du bien cédé et le prix de cession ; qu'en jugeant néanmoins l'administration fondée à assujettir M. V... à des rappels de droits d'enregistrement prévus aux articles 677, 750 ter et 777 du code général des impôts et de la taxe de publicité foncière, au motif inopérant que la vente à prix minorée ainsi intervenue entre la société Harmonie et son dirigeant s'analysait comme une libéralité, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que l'avantage ainsi retiré par ce dernier n'aurait pu être imposé qu'au titre d'un revenu distribué, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

2°/ que les articles 677 et 750 ter du code général des impôts, qui soumettent les transmissions d'immeubles à titre gratuit intervenues entre vifs à des droits de mutation dont les taux, fixés par l'article 777 du même code, dépendent du lien de parenté entre le donateur et le donataire, ne sont applicables qu'aux libéralités consenties par des personnes physiques ; qu'en jugeant l'administration fondée à assujettir M. V... à des rappels de droits de mutation prévus aux articles 677, 750 ter et 777 du code général des impôts, au titre de la libéralité que lui avait accordée la société Harmonie en lui cédant un bien immobilier moyennant un prix minoré, la cour d'appel a derechef violé les textes susvisés ;

Mais attendu, d'une part, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions de M. V... que celui-ci ait soutenu devant la cour d'appel que la donation litigieuse constituait en réalité un avantage occulte ;

Et attendu, d'autre part, qu'ayant relevé, par des motifs non critiqués, que l'article 902 du code civil, selon lequel toutes personnes, sauf celles déclarées incapables, peuvent disposer par donation entre vifs ou par testament, n'exclut pas les personnes morales et retenu, par motifs propres et adoptés, que l'article 777 du code général des impôts, qui vise notamment les dons et legs faits aux établissements publics ou d'utilité publique pour les soumettre aux tarifs fixés pour les successions entre frères et soeurs et qui prévoit un taux pour les personnes non-parentes, est également applicable par nature aux personnes morales, la cour d'appel en a, à bon droit, déduit que la donation dont avait bénéficié M. V... de la part de la société Harmonie était soumise aux dispositions de ce dernier texte ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable, comme nouveau et mélangé de fait et de droit en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en sa troisième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. V... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer au directeur général des finances publiques la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept mai deux mille dix-neuf, signé par Mme Riffault-Silk, conseiller doyen faisant fonction de président et par Mme Orsini, conseiller, qui en a délibéré, en remplacement de M. Gauthier, conseiller référendaire rapporteur, empêché. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour M. V...

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté M. V... de l'ensemble de ses demandes et d'avoir mis à sa charge les dépens ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE : « la société Harmonie, société anonyme, avait acquis diverses parcelles de terre à Saint-Brévin-les-Pins et obtenu, le 11 avril 1996, un permis de construire un immeuble collectif à usage d'habitation de vingt logements ; qu'elle a obtenu, le 21 décembre 2001, un second permis de construire un immeuble comportant un parking souterrain et trois logements ; qu'elle a ainsi agi comme un professionnel de l'immobilier, qui n'ignore ni les dispositions de l'article 546 du code civil ni la différence de valeur entre un terrain nu et un immeuble d'habitation ; qu'elle a, en janvier 2003, vendu à M. V..., par ailleurs son dirigeant, au prix de 2 744,08 euros comme terrain à bâtir, les parcelles [...] , [...] et [...], qui faisaient l'objet du permis de construire du 21 décembre 2001 ; que l'administration fiscale a estimé d'abord la valeur vénale réelle de l'ensemble immobilier, comprenant le bâtiment construit sur ces parcelles, à 278 000 euros ; que la commission départementale de conciliation a fixé cette valeur au moment de la cession à 200 000 euros, au regard d'une qualité modérée de la construction qui y était édifiée ; que M. V... a revendu le 13 novembre 2009 à la SCI Yophil l'ensemble immobilier au prix de 285 000 euros, en déclarant que celui-ci était achevé depuis plus de cinq ans, soit avant le 13 novembre 2004, de sorte que la mutation n'entrait ainsi pas dans le champ de la TVA, tout en ayant déclaré néanmoins, au titre de l'assujettissement à la taxe foncière, l'achèvement des travaux au 1er avril 2006 ; qu'il ressort de l'ensemble de ces considérations qu'à l'évidence, le bâtiment était construit lorsque M. V... a acquis le terrain, et que ce dernier a en conséquence également acquis la propriété du bâtiment, en application des dispositions de l'article 546 du code civil ; qu'il n'appartient pas à la cour, qui n'est pas saisie de cette question, de porter une appréciation sur la régularité, au plan comptable, de l'affectation ou non d'un bien à l'actif social, non plus que sur la régularité, au regard du droit des sociétés, de la décision prise par la société Harmonie, représentée à l'acte de vente par M. V..., de céder au même et à ce prix son bien ; que cette décision, comme toute décision d'une personne morale, n'a à l'évidence été prise que par les organes physiques de la société qui en sont les mandataires sociaux, ainsi que l'a relevé le tribunal, en l'occurrence son représentant légal lors de la signature de l'acte, lequel répondra le cas échéant d'une faute de gestion si elle lui est reprochée, dans le cadre du droit applicable ; qu'il ne lui appartient pas davantage d'examiner le litige entre l'administration fiscale et M. V... sous l'angle de l'article 121-2, alinéa 1er, du code pénal cité par ce dernier, disposition étrangère au litige ; qu'il y a lieu seulement : - de rappeler que, selon l'article 902 du code civil, toutes personnes, sauf celles que la loi en déclare incapables, peuvent disposer par donation entre vifs ou par testament, ce qui n'exclut nullement les personnes morales ; - de relever que l'article 777 du code général des impôts, qui vise d'ailleurs notamment les dons et legs faits aux établissements publics ou d'utilité publique pour les soumettre aux tarifs fixés pour les successions entre frères et soeurs, n'est pas moins applicable par nature aux personnes morales ; - et de constater qu'en cédant à M. V..., par un acte qui produit ses effets à l'égard de ce dernier ainsi que des tiers, un terrain supportant un bâtiment d'habitation pour le prix du terrain nu, la société Harmonie s'est elle-même irrévocablement dépouillée au profit de celui-ci de la différence de valeur entre la valeur vénale du bien cédé et le prix de cession, l'intention libérale exprimée à travers l'acte de son dirigeant étant caractérisée par l'absence de toute contrepartie, ce qui répond à la définition de la donation prévue aux articles 893 et 894 du code civil » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE : « M. V... convient aujourd'hui que la société Harmonie n'était pas seulement propriétaire du sol mais également de tout ce qui s'y unissait accessoirement soit naturellement soit artificiellement (article 546 du code civil) ; qu'il a initialement soutenu que la venderesse n'était propriétaire que du sol car elle n'avait pas financé la construction ; qu'en vertu des articles 546, 552 et 555 du code civil, la société Harmonie était propriétaire par accession de toutes les constructions réalisées sur le terrain, y compris par des tiers avec des matériaux appartenant à ces derniers ; qu'il convient de rappeler que l'objet social de la SA Harmonie était l'achat et la vente de biens immobiliers ; que cette société, de par son activité, ne pouvait ignorer qu'en l'absence de convention particulière, elle était propriétaire par accession des bâtiments ; qu'elle agissait par l'intermédiaire de M. R... V..., son représentant légal, qui était un professionnel de l'immobilier et gérant de plusieurs sociétés ayant une activité dans le domaine de l'immobilier et de la construction ; que les parties conviennent aujourd'hui que l'immeuble avait une valeur de 200 000 euros au jour de la vente et non de 2 744,08 euros ; que l'éventuel inachèvement de la construction ne rendait pas nulle la plus-value apportée par les bâtiments ; qu'en tout état de cause, il est acquis aux débats que l'immeuble était achevé, nonobstant l'absence de déclaration administrative en ce sens ; que la SA Harmonie et M. V... le savaient parfaitement : l'immeuble était construit par la SCI Boréale, administrée par la SA Harmonie, elle-même administrée par M. V... ; que l'acte de vente du 7 janvier 2003 a entraîné la cession irrévocable du terrain et des bâtiments ; qu'en l'absence de mention des bâtiments dans l'acte et en présence d'un prix ne correspondant qu'à la valeur du terrain nu, la vente est susceptible d'avoir entraîné une donation indirecte au profit de M. V... ; que pour caractériser cette donation, l'intention libérale de la SA Harmonie doit être établie ; qu'en l'espèce, cette intention résulte, d'une part, de la connaissance qu'avait la société Harmonie de la valeur de l'immeuble vendu et, d'autre part, de l'identité même de l'acquéreur ; que M. V... ne prétend pas que la SA Harmonie aurait vendu l'immeuble aux mêmes conditions à un tiers ; que lui seul, en qualité de représentant de la société Harmonie pouvait acquérir l'immeuble à ce prix, sans contrepartie pour les bâtiments ; qu'il doit être relevé à cet égard que dès le 2 mars 2007, l'administration des impôts demandait à M. V... de préciser si en dehors de l'acte de cession du 7 janvier 2003 des conventions particulières se rapportant à l'ensemble immobilier avaient été établies entre lui et la société Harmonie ou toute autre personne ; l'administration n'a pas reçu réponse sur ce point y compris dans le cadre de la présente instance : M. V... ne prétend pas qu'il a payé à la SCI Boréale du prix des travaux, éventuellement par une cession des fruits de l'immeuble ; que l'intention libérale de la société Harmonie est ainsi établie ; qu'indépendamment des actions qui pouvaient être diligentée contre la société Harmonie, c'est à juste titre que l'administration a effectué la rectification des droits de mutation dûs par le bénéficiaire de la donation en application des articles 677, 750 ter, 777 et 1712 du code général des impôts » ;

1) ALORS QUE la vente d'un bien immobilier à un prix minoré par rapport à sa valeur vénale réelle contractée par une société commerciale au profit de son dirigeant est constitutive, à hauteur de la minoration de prix constatée par le service, d'un avantage occulte au sens de l'article 111 c) du code général des impôts, taxable en tant que revenu distribué dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers par application de l'article 158 du même code ; que cette qualification légale de revenu distribué, avec le régime d'imposition qui lui est associé, est exclusive de l'application de l'article 677 du code général des impôts, qui ne soumet à des droits de mutation les transmissions entre vifs de propriété ou d'usufruit de biens meubles ou immeubles que « sous réserve de dispositions particulières » ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a constaté par motifs propres et adoptés que M. V... avait acquis de la société anonyme Harmonie, dont il était le Président du conseil d'administration, une parcelle de terrain décrite dans l'acte de vente comme une parcelle à bâtir moyennant la somme de 2.744 euros, alors que cette parcelle était déjà construite au jour de la vente et qu'ainsi, la société venderesse s'était irrévocablement dépouillée au profit de son dirigeant de la différence de valeur entre la valeur vénale du bien cédé et le prix de cession ; qu'en jugeant néanmoins l'administration fondée à assujettir M. V... à des rappels de droits d'enregistrement prévus aux articles 677, 750 ter et 777 du code général des impôts et de la taxe de publicité foncière, au motif inopérant que la vente à prix minorée ainsi intervenue entre la société Harmonie et son dirigeant s'analysait comme une libéralité, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que l'avantage ainsi retiré par ce dernier n'aurait pu être imposé qu'au titre d'un revenu distribué, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

2) ALORS, de surcroît, QUE les articles 677 et 750 ter du code général des impôts, qui soumettent les transmissions d'immeubles à titre gratuit intervenues entre vifs à des droits de mutation dont les taux, fixés par l'article 777 du même code, dépendent du lien de parenté entre le donateur et le donataire, ne sont applicables qu'aux libéralités consenties par des personnes physiques ; qu'en jugeant l'administration fondée à assujettir M. V... à des rappels de droits de mutation prévus aux articles 677, 750 ter et 777 du code général des impôts, au titre de la libéralité que lui avait accordée la société Harmonie en lui cédant un bien immobilier moyennant un prix minoré, la Cour d'appel a derechef violé les textes susvisés ;

3) ALORS, en toute hypothèse, QU'IL résulte des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, que ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : a) qui donnent ouverture à des droits d'enregistrement ou à une taxe de publicité foncière moins élevée ; b) ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus c) ou qui permettent d'éviter, en totalité ou en partie, le paiement des taxes sur le chiffre d'affaires correspondant aux opérations effectuées en exécution d'un contrat ou d'une convention ; qu'en application de cet article, l'administration fiscale a l'obligation de mettre en oeuvre la procédure de répression des abus de droit lorsqu'elle invoque une intention de déguisement du contribuable ; qu'il résulte des énonciations mêmes de l'arrêt attaqué qu'en l'espèce, l'administration fiscale avait requalifié en une donation indirecte la vente intervenue entre la société Harmonie et M. V..., son dirigeant, d'une parcelle de terrain en réalité construite, mais décrite dans l'acte de vente comme à bâtir, puis avait notifié à M. V... une pénalité de 40% pour manquement délibéré aux motifs qu'il ne pouvait ignorer les inexactitudes avec leurs conséquences contenues dans l'acte d'acquisition sur le descriptif du bien et que l'infraction a été commise sciemment en vue de se soustraire à une partie de l'impôt dû ; qu'en considérant que l'acte litigieux était une donation indirecte, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que l'administration avait regardé cet acte comme renfermant une donation déguisée, ce dont il résultait que l'administration fiscale aurait dû mettre en oeuvre la procédure de répression des abus de droit, la cour d'appel a violé l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.ECLI:FR:CCASS:2019:CO00433
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