Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 18 avril 2019, 18-18.801, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Vu l'article 1793 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 21 décembre 2017), que la Caisse d'épargne et de prévoyance Bretagne-Pays de Loire (la Caisse d'épargne), ayant entrepris de rénover une agence, a confié le lot gros oeuvre-démolition à M. S..., pour un prix global forfaitaire ; que l'entrepreneur, ayant effectué des travaux de déroctage pour permettre l'abaissement de la dalle et le respect de la réglementation d'accessibilité aux personnes handicapées, a assigné le maître de l'ouvrage en paiement des travaux supplémentaires ;

Attendu que, pour accueillir la demande, l'arrêt retient que le devis quantitatif limite les travaux confiés à l'entreprise de démolition à la "démolition du plancher béton sur sous-sol" alors qu'il s'est révélé, après démolition de la dalle en béton, que celle-ci reposait en réalité sur une assise granitique rocheuse compacte qui a rendu indispensables d'importants travaux de déroctage sur environ la moitié de la surface du plancher bas ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, en cas de marché à forfait, les travaux supplémentaires relèvent du forfait s'ils sont nécessaires à la réalisation de l'ouvrage, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;

Condamne M. S... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit avril deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la Caisse d'épargne et de prévoyance Bretagne-Pays de Loire

L'arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a condamné la Caisse d'épargne à payer à monsieur S... 26 323,96 ¿ ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « l'article 1793 du code civil est ainsi rédigé « lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire ». Ce principe est rappelé à l'article 10 du cahier des charges administratives particulières (CCAP) qui indique « Les travaux sont forfaitaires et ne feront 'objet d'aucune révision de prix, ni actualisation ». Cependant, cette intangibilité de la fixation globale et définitive du prix ne peut être invoquée que pour les travaux que l'entreprise s'est engagée à réaliser, c'est-à-dire exclusivement pour les travaux tels qu'ils ont été clairement définis dans les plans et documents contractuels. Ce principe est rappelé, s'agissant du lot démolition, à l'article 1,22 du descriptif quantitatif total, document contractuel qui précise que les travaux de démolition seront exécutés conformément aux plans établis par l'architecte. En son article 1.2.2.8, le devis quantitatif limite les travaux confiés à l'entreprise de démolition soumissionnaire à la « démolition du plancher béton sur sous-sol » alors que la société intimée ne conteste pas l'inexistence d'un tel sous-sol et qu'il s'est révélé, après démolition de la dalle béton, que celle-ci reposait en réalité sur une assise granitique rocheuse compacte décrite par la SOCOTEC à l'issue de ses visites des 28 novembre 2007 et 18 janvier 2008 qui a rendu indispensables d'importants travaux de déroctage sur environ la moitié de la surface du plancher bas. Dans ces conditions, il ne peut être reproché 'à Monsieur S... de n'avoir pas réclamé à l'architecte une étude de sol qui n'était pas nécessaire en présence d'un sous-sol. Il en résulte que l'absence du sous-sol dont la présence est entrée dans le champ contractuel interdit à la CAISSE D'EPARGNE d'intégrer au marché à forfait les travaux supplémentaires réalisés par Monsieur S... pour pallier cette erreur de l'architecte et réaliser dans les règles de l'art, en dépit de celle-ci, les ouvrages relevant du lot gros oeuvre. Ces travaux supplémentaires constituent, au sens de l'article 11.1.1.1 de la norme NF P 03-001 une « augmentation de la masse des travaux » et un changement dans la nature des ouvrages contractuellement prévus que Monsieur S... était tenu d'exécuter. La société intimée ne peut utilement opposer à Monsieur S... l'article 7 du CCAP qui dispose que l'entrepreneur ne peut se prévaloir postérieurement à la conclusion du marché d'une connaissance insuffisante des sites, lieu et terrain d'implantation des ouvrages. En effet cette connaissance est limitée aux sites, lieu et terrain d'implantation des ouvrages tels que décrit sans erreur dans les documents contractuels. Or, en l'espèce, l'erreur de l'architecte n'a pas permis à Monsieur S... de prévoir, d'analyser, de quantifier et de chiffrer les nouvelles sujétions et difficultés techniques résultant de l'absence du sous-sol supposé existant à la lecture des documents contractuels. Comme l'a pertinemment relevé le premier juge, les travaux supplémentaires non compris dans les ouvrage forfaitisés ont été réalisés dans les conditions ci-dessus décrites en plein accord avec l'architecte chargé d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète qui en fait état sans aucune remarque particulière dans les procès-verbaux de compte rendu de réunions de chantier du 21 novembre 2007 et du 9 janvier 2008 après avoir seulement noté dans le premier de ces comptes-rendus « la présence de roche à 0,40 » par ailleurs confirmée par le procès-verbal de constat d'huissier du 19 novembre 2007, Ils ont par ailleurs été réceptionnés sans réserves par le maître de l'ouvrage le 4 juin 2008 en même temps que les travaux prévus l'acte d'engagement. Par la suite, l'architecte a confirmé leur nécessité et le principe de la créance du maître d'ouvrage au titre des « travaux supplémentaires engagés restant dus » en proposant de la solder par le versement de la somme forfaitaire de 10 000 HT après avoir commenté chaque ouvrage dans un document annexe dans lequel il ne conteste pas la nécessité de procéder à l'« excavation dans roche d'un terre-plein » et admet: « les sondages dans l'ex-bâtiment (Rgt 2) de l'extension et dans l'agence en exploitation étaient difficiles à réaliser de manière efficace il faudrait accorder malgré toute une somme pour ces surprises de chantier ». En conséquence, la cour, par voie de confirmation, condamnera la CAISSE D'ÉPARGNE à payer à Monsieur S... les travaux supplémentaires indispensables non prévus dans le marché à forfait par la faute de l'architecte. La société intimée ne se livre à aucune critique technique du document transmis à Monsieur C... par Monsieur S... le 30 juillet 2008 intitulé : « Décompte des TS hors marché réalisés depuis le 10 octobre 2007 et mentionnés à l 'avancement en tête de nos 4 situations de travaux exécutés sur marché suite à sujétions rencontrées sur place ou à ordre concerté de l'architecte et du maître d'ouvrage ». Ce document chiffre à la somme de 37 674 e TTC le montant total des travaux supplémentaires après avoir décrit, détaillé et chiffré précisément chacun d'eux La CAISSE D'EPARGNE ne contestant pas avoir versé, après réception de ce décompte, la somme de 10782,54 ¿ le 24 octobre 2008 et celle de 567,50 ¿ le 14 août 2009, la créance de Monsieur S... au titre des travaux supplémentaires est donc justifiée à hauteur de la somme de 26 323,96 ¿ qui lui a donc été allouée à bon droit par les premiers juges » ;

ET AUX MOTIFS REPUTES ADOPTES QU'« aux termes de l'article 1793 du code civil : « Lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix [¿] si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu par le propriétaire » ; que le descriptif quantitatif total, dans son article 1.2.2 stipule que « les travaux de démolition seront exécutés conformément aux plans établis par l'architecte » ; que lesdits plans font état d'un sous-sol sous la dalle béton à démolir et non d'un enrochement ; que l'acte d'engagement signé par les parties au mois de septembre 2007 ne prévoyait pas l'importante prestation de déroctage dont Monsieur S... réclame le paiement ; mais que la connaissance des lieux visée dans les documents contractuels n'implique pas la connaissance du sous-sol puisque la réalisation de l'analyse des sols ne revenait pas à l'entrepreneur mais au maître d'oeuvre ; que le procès-verbal du rendez-vous de chantier rédigé par l'architecte à l'attention dos entreprises de la semaine 2 de l'année 2008 (pièce 13) fait ressortir que l'architecte avait connaissance des travaux de démolition, travaux non compris dans l'acte d'engagement initial, exécutés par Monsieur S... ; que le maître d'oeuvre a ainsi demandé l'exécution de travaux supplémentaires, intervenant en lieu et place du maître d'ouvrage sans préciser qu'il demandait un devis préalable, ou n'a en tout cas émis aucune protestation à le réalisation desdits travaux supplémentaires ; qu'une décision du conseil d'état du 13 octobre 1978 précise que « ni la circonstance que le marché a été conclu à forfait, ni les stipulations du devis selon lesquelles en aucun cas l'entrepreneur ne pourra se prévaloir de l'insuffisance ou de l'inexactitude des renseignements fournis pour demander une indemnité ne sont de nature à exclure l'indemnisation de l'entrepreneur dans la mesure où celui-ci justifie que les difficultés imprévues ont eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat »; que le procès-verbal de réception de chantier a été régularise le 4 juin 2008, avec validation de l'architecte ; que cette régularisation est conforme aux dispositions de l'article 1792-6 du code civil ; que l'absence de réserve lors de la réalisation des travaux supplémentaires ou lors de la facturation emporta purge de toute contestation de la part du maître d'oeuvre et du maître d'ouvrage dès lors qu'ils avaient connaissance desdits travaux supplémentaires au moment de la réception du chantier ; que par un courrier recommandé avec accusé de réception en date du 25 mars 2009, le maître d'oeuvre propose une somme de 10 000 ¿ réservée par la CAISSE d'EPARGNE de BRETAGNE afin de « solder les situations concernant les travaux supplémentaires restant dus et réalisés » ; que le maître d'ouvrage et son architecte, après avoir reconnu l'existence de travaux supplémentaires, ne peuvent dès lors imposer de manière unilatérale leur règlement à l'entrepreneur ; qu'il convient à cet égard de rappeler que les conventions doivent être exécutées de bonne foi ; qu'il convient en conséquence de condamner la CAISSE d'EPARGNE DE BRETAGNE à payer à Monsieur S... la somme de 26323,96 ¿ au titre des travaux supplémentaires qu'il a réalisés » ;

ALORS, premièrement, QU'en cas de marché forfaitaire, des travaux supplémentaires relèvent du forfait dès lors qu'ils sont nécessaires pour réaliser l'ouvrage, peu important qu'ils ne soient pas mentionnés dans le contrat ou qu'ils soient imprévisibles ; que pour juger que les travaux supplémentaires litigieux n'entraient pas dans le forfait, l'arrêt attaqué a retenu que l'intangibilité du prix d'un marché à forfait ne s'applique qu'aux travaux que l'entrepreneur s'est engagé à réaliser, que le contrat confiait à monsieur S... des travaux de démolition du plancher en béton sur sous-sol mais pas les importants travaux de déroctage dont il réclamait le paiement, que l'inexistence du sous-sol avait rendu les importants travaux de déroctage indispensables à la réalisation dans les règles de l'art des ouvrages relevant du gros oeuvre, qu'on ne pouvait reprocher à l'entrepreneur de ne pas avoir réclamé à l'architecte une étude du sol en l'état d'un sous-sol mentionné par le contrat, et que le sous-sol était entré dans le champ contractuel ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'elle constatait que les travaux supplémentaires étaient nécessaires pour que monsieur S... réalise la démolition qui lui était confiée par le marché, ce dont il résultait qu'ils étaient compris dans le forfait, la cour d'appel a violé l'article 1793 du code civil ;

ALORS, deuxièmement, QUE des travaux supplémentaires ne sont pas exclus du forfait parce qu'ils ont été rendus nécessaires à la réalisation de l'ouvrage par la faute du maître d'oeuvre ; qu'en décidant au contraire que les travaux supplémentaires litigieux ne relevaient pas du forfait au prétexte que monsieur S... les avaient exécutés pour pallier à la faute de l'architecte relative à la présence d'un sous-sol, la cour d'appel a violé l'article 1793 du code civil ;

ALORS, troisièmement, QUE la norme Afnor P 03-001 ne peut prévaloir sur les dispositions de l'article 1793 du code civil ; qu'en déniant que les travaux supplémentaires litigieux étaient compris dans le forfait, lors-même qu'elle constatait qu'ils étaient nécessaires, au motif qu'ils correspondaient à la notion d'« augmentation de la masse des travaux » prévue par l'article 11.1.1.1 de la norme NF P 03-001, la cour d'appel a violé l'article 1793 du code civil ;

ALORS, quatrièmement, QUE les juges du fond ont retenu, pour écarter l'application du forfait aux travaux supplémentaires litigieux, que ceux-ci ont été réalisés en plein accord avec l'architecte chargé d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète, qui les a mentionnés dans les compte-rendu de réunions de chantier sans faire de remarque particulière, et qui a ensuite confirmé leur nécessité en proposant à la Caisse d'épargne de les payer au prix de 10 000 ¿ HT ; qu'en se prononçant de la sorte, sans constater que l'architecte aurait reçu un mandat spécial de la part de l'exposante pour commander ou accepter des travaux hors forfait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1793 du code civil ;

ALORS, cinquièmement, QU'en jugeant que les travaux supplémentaires litigieux devaient être payés en plus du forfait au motif qu'ils n'ont pas fait l'objet de réserves lors de leur réalisation, leur facturation et leur réception, cependant que cette circonstance était inapte à caractériser l'acceptation non équivoque desdits travaux par la Caisse d'épargne, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1793 du code civil :

ALORS, sixièmement, QU'à supposer qu'elle ait considéré que les deux paiements partiels de 10 782,54 ¿ et de 567,50 ¿ effectués par la Caisse d'épargne établissaient que les travaux supplémentaires litigieux ne relevaient pas du forfait, la cour d'appel, qui s'est fondée sur une circonstance insusceptible de caractériser l'acceptation non équivoque par l'exposante de la partie des travaux supplémentaires qu'elle n'avait pas payée, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1793 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2019:C300337
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