Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 18 avril 2019, 18-14.948, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LG

COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 avril 2019


Rejet


Mme FLISE, président


Arrêt n° 573 F-P+B+I

Pourvoi n° V 18-14.948


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

1°/ la société SMACL assurances, dont le siège est [...],

2°/ le département du Territoire de Belfort, dont le siège est Hôtel du département, place de la Révolution française, [...], contre l'arrêt rendu le 15 février 2018 par la cour d'appel de Limoges (chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. O... W..., domicilié [...],

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de Belfort , dont le siège est [...], 90002 Belfort, défendeurs à la cassation ;

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 20 mars 2019, où étaient présents : Mme Flise, président, M. Besson, conseiller rapporteur, M. Savatier, conseiller doyen, Mme Rosette, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Besson, conseiller, les observations de Me Haas, avocat de la société SMACL assurances et du département du Territoire de Belfort, de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. W..., l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Limoges, 15 février 2018), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 2 mars 2017, 16-15.562), que M. W... a perdu le contrôle de sa motocyclette alors qu'il dépassait un tracteur appartenant au conseil général du Territoire de Belfort, qui procédait au fauchage du bas côté de la route ; qu'il a assigné le département du Territoire de Belfort et son assureur, la société SMACL assurances (l'assureur), en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de Belfort, pour obtenir la réparation de ses préjudices ;

Attendu que le département du Territoire de Belfort et l'assureur font grief à l'arrêt de déclarer le département intégralement responsable des préjudices subis par M. W... du fait de l'accident survenu le 31 août 2011, d'ordonner une expertise médicale aux fins d'évaluer lesdits préjudices, de les condamner solidairement à payer à M. W... la somme de 50 000 euros à titre de provision à valoir sur son indemnisation définitive et de déclarer le jugement opposable à l'assureur, alors, selon le moyen, qu'est impliqué dans un accident de la circulation tout véhicule qui a joué un rôle quelconque dans sa réalisation ; que la seule présence d'un véhicule sur les lieux d'un accident de la circulation ne suffit pas à caractériser son implication dans ledit accident ; qu'en déduisant l'implication du tracteur du conseil général du Territoire de Belfort dans l'accident de sa présence sur la voie de circulation ayant contraint la victime à une manoeuvre de dépassement, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ;

Mais attendu qu'ayant retenu par des constatations souveraines qu'il était établi que M. W... avait perdu le contrôle de sa motocyclette au moment où il se rabattait sur sa voie de circulation et que c'est la présence du tracteur qui, alors qu'il était en action de fauchage, circulait à allure très réduite et empiétait sur la voie de circulation, l'avait contraint à cette manoeuvre de dépassement, la cour d'appel a exactement décidé que ce tracteur était impliqué dans l'accident ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur la seconde branche du moyen annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

CONDAMNE le département du Territoire de Belfort et la société SMACL assurances aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande ; les condamne à payer à M. W... la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit avril deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Haas, avocat aux Conseils, pour la société SMACL assurances et le département du Territoire de Belfort

Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré le département du territoire de Belfort intégralement responsable des préjudices subis par M. W... du fait de l'accident survenu le 31 août 2011, D'AVOIR ordonné une expertise médicale aux fins d'évaluer lesdits préjudices, D'AVOIR condamné solidairement le département du territoire de Belfort et son assureur à payer à M. W... la somme de 50 000 euros à titre de provision à valoir sur son indemnisation définitive et D'AVOIR déclaré le jugement commun à la CPAM de Belfort et opposable à la société SMACL Assurances ;

AUX MOTIFS PROPRES QU'au sens de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985, un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de la circulation dès lors qu'il a joué un rôle quelconque dans sa réalisation, sans que soit exigée la preuve de son rôle perturbateur ; que la notion d'implication est étrangère à la notion de causalité, y compris en l'absence de contact entre le véhicule et la victime ; qu'en l'absence de contact, l'implication n'est seulement pas présumée et qu'il appartient à la victime de démontrer que le véhicule est intervenu d'une manière ou d'une autre dans le processus accidentel ; que, selon le procès-verbal d'enquête de la gendarmerie, l'accident s'est produit sur une route départementale que la victime connaissait parfaitement pour l'emprunter quatre fois par jour pour se rendre et revenir de son travail, de jour, dans de bonnes conditions de visibilité, dans une légère courbe à gauche, le point d'impact de la motocyclette se situant à la sortie de cette courbe, sur l'accotement droit ; que si M. W... n'a pas gardé le souvenir des circonstances de l'accident, il est néanmoins établi qu'il avait effectué peu de temps auparavant le dépassement d'un véhicule automobile conduit par Mme F..., et qu'il a perdu le contrôle de sa motocyclette alors qu'il venait d'effectuer le dépassement du tracteur du département du territoire de Belfort qui, positionné en partie sur sa voie de circulation et en partie sur l'accotement de la route, circulait à allure très réduite, son conducteur étant en action de fauchage ; que M. U..., conducteur du tracteur, a déclaré que, son regard étant fixé sur la droite sur son outil de travail, il a soudainement aperçu une masse sombre arriver sur le devant de son tracteur et avoir ensuite vu qu'il s'agissait d'une motocyclette qui se trouvait dans le fossé ; qu'il convient en conséquence, et ainsi qu'il l'a été fait par le tribunal, de retenir que c'est au moment où M. W... se rabattait sur sa voie de circulation qu'il a perdu le contrôle de la motocyclette et que la présence du tracteur circulant à allure très réduite en empiétant sur sa voie de circulation, en le contraignant à une manoeuvre de dépassement, a joué un rôle dans la réalisation de l'accident ; que c'est par une exacte analyse des éléments de fait et de droit et par des motifs que la cour de renvoi fait siens que le tribunal a retenu l'absence de démonstration par la société SMACL Assurances et par le département du territoire de Belfort d'une faute de la victime qui serait de nature, par application de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985, à limiter ou à exclure son droit à indemnisation, en ce que : - selon le témoignage de Mme F..., M. W... circulait à une allure normale, ce qui est également dit par le cabinet Alpha Crash investigation qui a effectué une étude technique des causes de l'accident pour le compte de la société SMACL Assurances, - la preuve n'est pas faite que la victime aurait adopté un comportement accidentogène, par un freinage intempestif, un changement de direction trop brutal ou une manoeuvre de rabattement prématurée, une telle analyse faite par le cabinet Alpha Crash investigation ne relevant que de l'hypothèse, - les circonstances de la perte de contrôle, qui ne résulte pas nécessairement d'un défaut de maîtrise supposant un acte ou une abstention contrevenant à une règle de conduite, restent indéterminées ; que le jugement dont appel sera donc confirmé en ce qu'il a reconnu à M. W... un droit à indemnisation intégrale de son préjudice ; que le jugement sera également confirmé en ses dispositions relatives à l'expertise et à la provision allouée, M. W... ne justifiant pas en l'état des débours restés à sa charge, et qu'il sera seulement ajouté que l'expert commis pourra s'adjoindre l'avis d'un sapiteur en ergothérapie ; que la provision à mettre à la charge de la victime, à valoir sur les frais et honoraires de l'expert, sera portée à 1 000 euros ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE, sur la responsabilité, l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 prévoit que la victime d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur est fondée à obtenir l'indemnisation de son préjudice par l'assureur de ce dernier ; que l'implication du véhicule est établie dès lors que ce véhicule a joué un rôle quelconque dans la réalisation de l'accident ; que la jurisprudence retient l'implication du véhicule même en dehors de tout contact, dès lors que ce véhicule a eu un rôle dans la survenance de l'accident ; qu'enfin, il convient de rappeler que la loi du 5 juillet 1985, en liant la responsabilité civile à la notion d'implication dans l'accident, a entendu détacher totalement cette responsabilité de toute notion de faute, l'implication du véhicule devant être retenue même en l'absence de comportement fautif du véhicule ; qu'il appartient à la victime de rapporter la preuve de l'implication du véhicule dans la survenance de l'accident qui a provoqué son dommage ; qu'en l'espèce, il ressort de l'enquête de gendarmerie versée aux débats que M. W..., qui circulait sur le CD 35 en direction de Froidefontaine, a perdu pour une raison indéterminée le contrôle de son engin et a chuté sur le bas-côté de la chaussée ; que le rapport précise que la chaussée présente une légère courbe à gauche en descente avant le point d'impact de la moto qui est situé à la sortie de la courbe dans le fossé droit ; que le plan de situation et les photos montrent que M. W... a heurté un panneau de signalisation qui a été descellé de son socle en béton ; qu'interrogé, M. W... n'a pu donner aucun élément sur les circonstances de sa chute, en raison de la perte totale de mémoire de la période qui a précédé et suivi le choc ; qu'il a toutefois indiqué qu'il avait doublé un premier véhicule, puis vu l'arrière du tracteur qui était en action de fauchage ; que M. U..., le conducteur de l'engin appartenant au conseil général, a indiqué qu'il était en train de faucher les bas-côtés du CD 35 ; qu'il a ensuite fait la déclaration suivante : « A un moment donné, alors que je regardais sur la droite mon outil de travail, j'ai aperçu sur le devant de mon tracteur une masse sombre arriver et ensuite j'ai vu qu'il s'agissait d'une moto qui se trouvait dans le fossé. Je ne me rappelle plus bien comment le conducteur de cette moto a été projeté à terre » ; qu'il résulte de cet énoncé des faits que la chute de la motocyclette appartenant à M. W... est survenue alors qu'il terminait le dépassement du tracteur conduit par M. U... ; que le témoignage de ce dernier permet en particulier d'établir que c'est à l'instant où M. W... se rabattait sur sa voie de circulation que la moto a chuté ; qu'il apparaît en conséquence que, sans la présence du tracteur en action de fauchage au bord de la route, le dépassement n'aurait pas été nécessaire et l'accident ne serait pas survenu ; que, par ailleurs, la présence d'un tracteur qui circule à très faible vitesse en empiétant sur la chaussée constitue un élément perturbateur pour la circulation, les véhicules circulant à une allure normale devant nécessairement faire une manoeuvre de dépassement pour l'éviter ; qu'il est donc démontré que le tracteur conduit par M. U... a joué un rôle dans la survenance de l'accident ; qu'en outre, ce rôle n'était pas purement passif, la présence d'un véhicule lent empiétant sur la chaussée étant de nature à surprendre les autres véhicules ; qu'enfin, il convient de rappeler que l'implication du tracteur qui vient d'être démontrée, doit être retenue alors même que la présence de cet engin était parfaitement régulière, et qu'elle était correctement signalée, l'existence d'une faute ou d'un simple lien de causalité entre la présence du tracteur et l'accident n'ayant pas à être rapportée pour caractériser l'implication qui résulte suffisamment du fait que sa présence était nécessaire à la production du dommage ; que, sur la faute exonératrice du conducteur, aux termes de l'article 4 de loi du 5 juillet 1985, la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis ; que la preuve de la faute commise par le conducteur incombe aux défendeurs qui entendent se voir exonérer de leur responsabilité ; que le conseil général de Belfort et son assureur font valoir que la procédure de gendarmerie établit le fait que la moto a quitté la route pour se déporter sur le bas-côté droit et qu'il peut s'en déduire que M. W... a perdu le contrôle de sa machine suite à un défaut de maîtrise de sa part, ce qui constitue une faute au regard des règles du code de la route ; que, toutefois, il convient de constater que les gendarmes dans leur synthèse des faits exposent que le pilote de la moto « perd pour une raison indéterminée le contrôle de son engin » ; que le témoignage de M. U... ne fournit aucun élément de nature à préciser les circonstances de l'accident ; que, par ailleurs, le témoignage de Mme F... permet d'établir que M. W... circulait à une vitesse normale, lorsqu'il a procédé au dépassement de son véhicule ; qu'il ressort également des éléments de la procédure que M. W... a vu le tracteur (audition de M. W...) et qu'il a pu dépasser celui-ci sans freinage excessif (constatations des gendarmes) ; qu'en conséquence les éléments versés aux débats ne permettent d'établir aucun comportement particulier du conducteur au moment de l'accident, tel qu'un freinage intempestif, un changement de direction brutal, une absence de prise en compte des circonstances de conduite, ou une manoeuvre prématurée de rabattement ; qu'au contraire, la chute est intervenue de manière inexpliquée selon les dires du témoin comme des gendarmes ; que, dès lors, en l'absence de précision sur les circonstances de cette chute, le tribunal ne trouve aucun élément qui permette d'imputer la perte de contrôle de l'engin à un comportement positif du conducteur caractérisant un défaut de maîtrise ; qu'or, le défaut de maîtrise constitue nécessairement en une faute de conduite qui doit être caractérisée par un acte ou une abstention et ne peut se déduire de la seule chute ; que l'indemnisation de M. W... ne peut donc ni être exclue, ni être limitée sur le fondement des dispositions de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 ; que, sur l'évaluation du préjudice, M. W... est bien fondé à solliciter l'organisation d'une expertise médicale pour évaluer les différents postes de son préjudice corporel dont il est d'ores et déjà établi qu'il est particulièrement lourd, l'accident ayant entraîné une paraplégie ; que cette expertise est ordonnée dans l'intérêt du demandeur, qui devra donc supporter l'avance des frais nécessaires à son accomplissement ; que l'expertise médicale est indispensable pour déterminer l'étendue des dommages corporels subis par la victime et pour évaluer les différents postes d'indemnisation ; qu'il y a donc lieu de surseoir à statuer sur les demandes de remboursement de la CPAM qui relèvent non seulement du remboursement de frais médicaux mais également du versement d'une rente accident du travail et doivent en conséquence s'imputer poste par poste ; qu'enfin, une provision de 50 000 euros sera allouée à M. W... dans l'attente de la liquidation définitive de son préjudice ; que, sur les autres demandes, la présente décision doit être déclarée opposable à la société SMACL Assurances, qui ne conteste pas devoir sa garantie au département du territoire de Belfort et qui sera solidairement tenue au paiement des sommes mises à la charge de cette dernière ; que le jugement doit en outre être déclaré commun à l'organisme social régulièrement appelé en la cause ;

ALORS, 1°), QU'est impliqué dans un accident de la circulation tout véhicule qui a joué un rôle quelconque dans sa réalisation ; que la seule présence d'un véhicule sur les lieux d'un accident de la circulation ne suffit pas à caractériser son implication dans ledit accident ; qu'en déduisant l'implication du tracteur du conseil général de Belfort dans l'accident de sa présence sur la voie de circulation ayant contraint la victime à une manoeuvre de dépassement, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ;

ALORS, 2°) et subsidiairement, QUE, lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice ; qu'il appartient alors au juge d'apprécier si cette faute a pour effet de limiter l'indemnisation ou de l'exclure ; que la perte de contrôle par la victime de son véhicule, pour quelque cause que ce soit, est constitutive d'une faute de nature à limiter ou exclure son indemnisation dès lors qu'elle a contribué à la réalisation de l'accident ; qu'en excluant toute faute de la victime au prétexte que les circonstances de la perte de contrôle par M. W... de son véhicule étaient indéterminées, cependant qu'il ressortait de ses constatations qu'une telle perte de contrôle avait contribué au processus accidentel, la cour d'appel a violé l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985. ECLI:FR:CCASS:2019:C200573
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