Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 19 mars 2019, 18-82.598, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Z... T...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de POITIERS, chambre correctionnelle, en date du 27 mars 2018, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;











La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 29 janvier 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Darcheux ;

Sur le rapport de M. le conseiller SAMUEL, les observations de la société civile professionnelle ROUSSEAU et TAPIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CROIZIER ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil en sa rédaction applicable à la cause, 3 de la loi du 5 juillet 1985, du principe de la réparation intégrale, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement ayant fixé à la somme de 50 000 euros le montant de l'incidence professionnelle et a fixé à la somme de 155 620,79 euros la perte de gains professionnels futurs ;

"aux motifs que M. L..., né [...] , avait successivement été mécanicien, professeur en mécanique auto, chef des ventes « pièces de rechange » puis directeur des ventes dans une concession automobile, avant de s'orienter en 2004 vers la commercialisation d'ULM puis de créer en 2005 une entreprise unipersonnelle d'instruction et d'initiation au vol en ULM classée paramoteur ; qu'il ressortait des pièces produites et de l'expertise judiciaire que du fait des blessures et des séquelles causées par l'accident, il ne pouvait plus se servir de sa main droite dans son exercice professionnel d'instructeur ni manipuler du matériel ; que s'agissant d'une activité dont la plus grande part était physique et qu'il exerçait seul, il lui était impossible de continuer à l'exercer, tant étaient modestes les tâches administratives, commerciales et comptables qu'elle comportait, de sorte que l'accident l'avait véritablement empêché d'exercer son activité et qu'il n'aurait pas pu la reprendre après sa consolidation ; qu'il était certain que l'accident avait privé M. L... des revenus que lui procurait l'exercice de cette activité professionnelle ; que la part de ce préjudice subie avant la consolidation avait été indemnisée par la perception d'indemnités journalières et par la somme de 14 761,04 euros allouée au titre de la perte de gains professionnels actuels ; que s'agissant de la période postérieure à la consolidation, M. L... était fondé à demander à la cour de l'indemniser sur la base de son revenu annuel médian sur les années 2011 et 2012, soit 19 129,50 euros, à hauteur de 52 606,13 euros pour la période allant du 1er avril 2015, date de la consolidation, au 31 décembre 2017 et par voie de capitalisation de sa perte de revenus futurs jusqu'à 65 ans avec application de l'euro de rente issu du barème 2016 de capitalisation des rentes des victimes publié par la Gazette du Palais, soit 106 570,44 euros ; que la perte de gains professionnels futurs s'établissait, après déduction de la pension d'invalidité partielle servie par le RSI Poitou-Charentes, à 155 620,79 euros ; que M. L... était aussi fondé à réclamer l'indemnisation de l'incidence professionnelle, laquelle ne se confondait pas avec la perte de gains professionnels futurs puisqu'elle réparait le préjudice distinct découlant de la nécessité d'avoir dû abandonner sa profession de façon anticipée et de devoir se reconvertir à un âge où retrouver du travail était statistiquement difficile, l'intéressé conservant cependant, malgré son déficit permanent, une réelle aptitude physique à exercer nombre de métiers ne requérant pas une pleine force du poignet, y compris ceux d'enseignant-formateur ou de directeur des ventes exercés par le passé ; que ce poste de préjudice avait été valablement indemnisé par l'allocation d'une somme de 50 000 euros décidée par le tribunal ;

"1°) alors que le juge ne peut, sans méconnaître le principe de la réparation intégrale du préjudice, indemniser deux fois un même dommage ; qu'en allouant une somme de 50 000 euros en réparation de l'incidence professionnelle en raison de la nécessité dans laquelle la partie civile s'était trouvée d'abandonner sa profession de manière anticipée, après lui avoir alloué pour cette même raison une indemnité au titre des pertes de grains professionnels futurs, la cour d'appel a réparé deux fois le même préjudice en violation de l'article 1382 du code civil dans sa version alors applicable et du principe de réparation intégrale du préjudice ;

"2°) alors que l'incidence professionnelle répare la dévalorisation sur le marché du travail, la hausse de la pénibilité de l'emploi ou le préjudice ayant trait à l'obligation de devoir abandonner la profession exercée avant le dommage au profit d'une autre choisie en raison de la survenance du handicap et est donc exclue si la victime n'a purement et simplement pu reprendre aucune activité professionnelle ; qu'en allouant une indemnité de 50 000 euros de ce chef, quand M. L... avait invoqué la perte « de toute chance de pouvoir retravailler et de réintégrer le monde du travail », la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ; Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme partiellement et des pièces de procédure, que, le 6 août 2013, M. L..., qui circulait en motocyclette, a été percuté par un véhicule automobile conduit par M. T... qui lui a refusé la priorité ; que M. T... a été déclaré coupable de délit de blessures involontaires par le tribunal correctionnel qui a ordonné une expertise médicale et renvoyé l'affaire sur intérêts civils ; qu'à la suite du dépôt du rapport d'expertise, M. T... a été condamné à payer à M. L..., qui était âgé de 55 ans à la date de l'accident, la somme de 255 197,45 euros, incluant notamment la somme de 135 142,20 euros pour perte de gains professionnels futurs et celle de 50 000 euros pour l'incidence professionnelle résultant d'une perte de chance et de la dévalorisation sur le marché de l'emploi ; que M. T..., son assureur la société GMF Assurances et M. L... ont relevé appel de ce jugement ;

Attendu que, pour porter à la somme de 155 620, 79 euros l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs, l'arrêt, après avoir rappelé que M. L... exerçait au moment de l'accident une activité d'instructeur de vol en ULM classé paramoteur dans le cadre d'une société unipersonnelle qu'il avait créée, énonce que l'accident l'a privé des revenus que lui procurait l'exercice de cette activité et qu'il convient de l'indemniser, sur la base du revenu annuel médian des deux années précédant l'accident, d'une part pour la période courant de la date de la consolidation jusqu'au 31 décembre 2017, d'autre part, par capitalisation, pour la période allant de la consolidation jusqu'à l'âge de 65 ans ; que, pour confirmer le jugement sur le montant de l'indemnisation de l'incidence professionnelle, les juges ajoutent que ce poste de préjudice ne se confond pas avec la perte de gains professionnels futurs puisqu'elle répare le préjudice, distinct, découlant de la nécessité, pour M. L..., d'abandonner sa profession de façon anticipée et de se reconvertir à un âge où retrouver du travail est statistiquement difficile ; que la cour d'appel précise que l'intéressé conserve, malgré son déficit permanent, une réelle aptitude physique à exercer nombre de métiers ne requérant pas une pleine force du poignet, y compris ceux d'enseignant-formateur ou de directeur des ventes qu'il a exercés par le passé ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui d'une part a indemnisé deux dommages distincts, d'autre part a réparé, au titre de l'incidence professionnelle, non la perte de toute chance de retravailler mais uniquement, en prononçant sur deux chefs de préjudice allégués dans les conclusions de la partie civile et non critiqués au moyen, la nécessité, pour celle-ci, de renoncer à son activité professionnelle et sa dévalorisation sur un marché de l'emploi dont elle a constaté qu'elle avait la capacité de le réintégrer, a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf mars deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.ECLI:FR:CCASS:2019:CR00249
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