Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 février 2019, 16-25.764, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. D... a été engagé par la société Brink's le 14 décembre 2005 en qualité d'agent de sécurité et que son contrat a été transféré en dernier lieu à la société Fiducial (la société) ; qu'il a été désigné en qualité de délégué syndical le 28 juin 2010 jusqu'au 15 mars 2012, la période de protection s'achevant le 15 mars 2013 ; que le 15 mars 2013, la société lui a notifié par lettre une convocation à un entretien préalable au licenciement prévu le 5 avril 2013, reporté par lettre du 27 mars suivant à un autre horaire le même jour ; que par lettre du 3 mai 2013, la société lui a notifié un licenciement pour faute ; que le salarié a saisi le 2 juillet 2013 la juridiction prud'homale pour une discrimination syndicale et un licenciement nul, et demandé que sa réintégration soit ordonnée ; qu'il a fait valoir ses droits à la retraite en cours d'instance ;

Sur les premier et troisième moyens et sur la première branche du deuxième moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens ci-après annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le deuxième moyen pris en sa seconde branche, qui est recevable :

Vu l'article L. 2411-1 du code du travail dans sa rédaction alors applicable ;

Attendu que lorsque le salarié protégé licencié sans autorisation administrative de licenciement demande sa réintégration pendant la période de protection, il a droit, au titre de la méconnaissance du statut protecteur, à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu'à sa réintégration ; que cette indemnité lui est également due lorsque la demande de réintégration est formulée après l'expiration de la période de protection en cours pour des raisons qui ne sont pas imputables au salarié ; que, toutefois, dans cette dernière hypothèse, le salarié qui a fait valoir ses droits à la retraite, rendant ainsi impossible sa réintégration, a droit au titre de la violation du statut protecteur à la rémunération qu'il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu'à celle de son départ à la retraite ;

Attendu que l'arrêt condamne la société à verser au salarié une certaine somme correspondant aux salaires qu'aurait perçus le salarié de la date de son éviction jusqu'au jour de l'arrêt qui aurait, s'il n'avait pas fait valoir ses droits à la retraite, ordonné sa réintégration ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part que la période de protection était expirée avant même que le salarié soit licencié et qu'il soit en mesure de présenter une demande de réintégration, et d'autre part que le salarié avait fait valoir ses droits à la retraite, rendant ainsi impossible sa réintégration, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Fiducial à verser à M. D... les sommes de 70 909,90 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur, de 7 090,99 euros à titre de congés payés afférents, de 20 153,34 euros à titre d'indemnité pour perte de droit à pension de retraite et dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal, l'arrêt rendu le 9 septembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne M. D... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société Fiducial

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, D'AVOIR dit que le licenciement de monsieur D..., salarié, décidé par la société Fiducial, employeur, était nul ;

AUX MOTIFS QUE sur la nullité du licenciement, monsieur D... estimait que son licenciement était nul en raison du défaut de demande d'autorisation auprès de l'inspection du travail, du détournement de la procédure de protection, de la discrimination syndicale dont il avait fait l'objet ; que sur le défaut d'autorisation auprès de l'inspection du travail, aux termes de l'article L. 2411-3 du code du travail, « le licenciement d'un délégué syndical ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. Cette autorisation est également requise pour le licenciement de l'ancien délégué syndical, durant les douze mois suivant la date de cessation de ses fonctions, s'il a exercé ces dernières durant au moins un an » ; que l'existence de la protection s'appréciait en fonction de la date à laquelle l'employeur avait manifesté sa volonté de rompre le contrat de travail, c'est-à-dire la date d'envoi de la lettre de convocation à l'entretien préalable au licenciement ; qu'il avait été rappelé que monsieur D... était titulaire d'un mandat de délégué syndical qui avait pris fin le 15 mars 2012, de sorte que la période de protection s'étendait jusqu'au 15 mars 2013 ; qu'au jour de l'envoi de la convocation à l'entretien préalable précisément le 15 mars 2013, le salarié était toujours bénéficiaire de cette protection ; qu'il était constant que l'autorisation de l'inspecteur du travail n'avait pas été sollicitée ; que pour autant l'employeur faisait valoir à l'appui du rejet de la prétention du salarié que la lettre de convocation à l'entretien préalable du 27 mars 2013 avait annulé et remplacé celle du 15 mars 2013 afin de tenir compte des heures de sortie de monsieur D... et que l'autorisation de l'administration n'avait pas à être demandée si l'employeur n'avait eu connaissance des faits fautifs qu'après l'expiration de la période de protection ou si les faits commis n'amenaient pas une mesure de licenciement, ce qui était le cas en l'espèce dans la mesure où le licenciement était bien intervenu à la suite de la persistance de l'attitude fautive du salarié après la fin de la période de protection, la lettre de rupture faisant référence à des faits qui s'étaient produits le 4 avril 2013 ; mais que nonobstant l'envoi d'une nouvelle convocation à l'entretien préalable le 27 mars 2013, l'employeur n'en avait pas moins initié la procédure de licenciement le 15 mars 2013, par l'envoi d'une convocation à laquelle il était d'ailleurs fait expressément référence dans la lettre de rupture ; que par ailleurs cette lettre de rupture visait non seulement les faits du 4 avril 2013 mais également des faits datés des 16 et 17 février 2013 donc antérieurs à la fin de la période de protection dans des termes qui ne permettaient nullement de considérer que la position de l'employeur avait été uniquement déterminée par la réitération de derniers agissements ; qu'il s'ensuivait que l'employeur était astreint à la procédure applicable aux salariés protégés ; que faute d'avoir été précédé d'une demande d'autorisation auprès de l'inspection du travail, le licenciement opéré devait être déclaré, sur ce seul fondement, nul, par infirmation du jugement entrepris (arrêt, p. 4) ;

ALORS, EN PREMIER LIEU, QUE l'employeur n'est tenu de demander à l'administration l'autorisation de licencier un salarié que lorsque ce dernier bénéficie du statut protecteur à la date de l'envoi de la convocation à l'entretien préalable à un éventuel licenciement ; qu'en retenant que la société Fiducial, employeur, avait initié la procédure de licenciement le 15 mars 2013, c'est-à-dire le dernier jour de la période de protection, et était en conséquence astreinte à la procédure applicable aux salariés protégés s'agissant du licenciement de monsieur D..., salarié, cependant que l'arrêt avait constaté l'envoi d'une nouvelle convocation le 27 mars 2013, ce dont il résultait que l'employeur avait engagé, postérieurement à l'expiration de la période légale de protection, une nouvelle procédure de licenciement annulant et remplaçant la précédente, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 2411-3 du code du travail, ensemble l'article L.1232-2 du même code ;

ALORS, EN DEUXIÈME LIEU, QUE la seule mention que l'employeur est tenu de porter dans la lettre de licenciement est celle des motifs de la rupture ; qu'en se fondant, pour en déduire que la procédure de licenciement avait été initiée par la première convocation à un entretien préalable adressée au salarié le 15 mars 2013, sur le visa de cette première convocation par la lettre de licenciement, cependant qu'une telle mention de la lettre de convocation n'était pas imposée par la loi et qu'il ne pouvait donc en être tiré de conséquence, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2411-3 du code du travail, ensemble l'article L. 1232-6 du même code ;

ALORS, EN TROISIEME LIEU, QUE les fautes commises par un salarié après l'expiration de la période de la protection n'ont pas à être soumises à l'inspecteur de travail ; qu'en retenant, pour en déduire que la société Fiducial, employeur, était astreinte à la procédure applicable aux salariés protégés, que la lettre de rupture visait des faits du 4 avril 2013 dans des termes ne permettant pas de considérer que la position de l'employeur avait été uniquement déterminée par la réitération d'agissements, sans rechercher, comme elle y était invitée par l'employeur (conclusions, pp. 5 et 7), si, indépendamment de leur caractère éventuellement réitératif, les faits du 4 avril 2013, consistant en la mise en cause par monsieur D... de son employeur par des propos graves, inadmissibles et infondés sur la gestion de l'agence de Marseille, faits intervenus postérieurement à la période de protection dont avait bénéficié le salarié, ne justifiaient pas, à eux seuls, la mesure de licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2411-3 du code du travail.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, D'AVOIR constaté que la réintégration de monsieur D..., salarié, était impossible et D'AVOIR condamné la société Fiducial, employeur, à payer au salarié les sommes de 70 909,90 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour licenciement nul, 7 090,99 euros au titre des congés payés afférents et 20 153,34 euros à titre d'indemnité pour perte de droit à pension de retraite ;

AUX MOTIFS QUE sur les conséquences financières de la nullité, cette nullité impliquait un droit à réintégration assorti d'une indemnité forfaitaire égale, lorsque le salarié demandait sa réintégration comme en l'espèce, au montant de la rémunération qu'il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu'à sa réintégration ; que cependant monsieur D... exposait lui-même qu'il avait fait valoir ses droits à la retraite ; que sa réintégration apparaissait donc impossible ; qu'il n'y avait donc pas lieu de l'ordonner ; que pour autant le fait qu'il ait fait valoir ses droits à la retraite ne mettait pas fin à la période servant de référence à l'évaluation du préjudice ; qu'en effet le départ à la retraite pendant la période d'indemnisation du préjudice subi par le salarié ne faisait pas cesser ce préjudice dont la totalité devait être réparée ; qu'il y avait donc lieu de condamner l'employeur à payer la somme de 70 909,90 euros (38 mois x 1 866,05 euros – salaire de référence) correspondant aux salaires qu'aurait perçus monsieur D... de la date de son éviction, le 5 juillet 2013 jusqu'au jour de l'arrêt qui aurait, s'il n'avait pas fait valoir ses droits à la retraite, ordonné sa réintégration, ainsi que celle 7 090,99 euros au titre des congés payés afférents ; que par ailleurs, il ressortait de la notification de la Carsat du 19 mars 2015 que monsieur D... n'avait, du fait de son licenciement et de l'impossibilité de retrouver un emploi, pu bénéficier d'une retraite sur la base de 141 trimestres cotisés ; qu'il était donc légitime à solliciter l'indemnisation du préjudice qui était résulté de cette perte de pension de retraite ; que la majoration de 30 % appliquée à la somme sollicitée à titre d'indemnité forfaitaire pour la perte de pension à retraite apparaissait justifiée et n'était d'ailleurs pas contestée si ce n'est en son principe par l'employeur ; qu'en conséquence, l'employeur serait condamné également à payer à monsieur D... la somme de 20 153,34 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier lié à la perte de droit à pension de retraite (arrêt, pp. 4 et 5) ;

ALORS, EN PREMIER LIEU, QU'en l'état du lien de dépendance nécessaire entre les chefs de dispositif de l'arrêt attaqué, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif ayant condamné la société Fiducial, employeur, à payer au salarié les sommes de 70 909,90 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour licenciement nul, 7 090,99 euros au titre des congés payés afférents et 20 153,34 euros à titre d'indemnité pour perte de droit à pension de retraite, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

ALORS, EN SECOND LIEU, QUE le salarié protégé dont le licenciement est nul et qui a demandé sa réintégration avant de faire valoir ses droits à la retraite n'a droit qu'au paiement d'une somme correspondant au montant des salaires dont il a été privé au cours de la période écoulée entre son licenciement et son départ à la retraite, la totalité du préjudice subi s'en trouvant alors réparée ; qu'en retenant au contraire que le départ volontaire en retraite du salarié ne mettait pas fin à la période servant de référence pour l'évaluation du préjudice, et en considérant ainsi que, dans un tel cas, le préjudice réparable s'entendait non seulement du montant des salaires afférents à la période écoulée entre l'éviction et le départ à la retraite, mais aussi de ceux afférents à la période écoulée entre le départ à la retraite et le jour de l'arrêt, la cour d'appel a violé l'article L. 2411-1 du code du travail.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, D'AVOIR condamné la société Fiducial, employeur, à payer à monsieur D..., salarié, la somme de 473,15 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement ;

AUX MOTIFS QU'il avait été vu que le salaire de référence de monsieur D... était de 1 866,05 euros ; qu'au jour de la rupture effective du contrat (5 juillet 2013), il totalisait une ancienneté de 7 ans et 6 mois ; qu'il pouvait donc prétendre à une indemnité de licenciement d'un montant de 2 799,07 euros ; que l'employeur ne lui avait payé que la somme de 2 325,93 euros ainsi qu'il ressortait des mentions du dernier bulletin de paie et de l'attestation Pôle Emploi ; que ce dernier restait donc lui devoir la somme de 473,15 euros qu'il serait condamné à lui payer (arrêt, p. 6) ;

ALORS QUE le salarié, dont le licenciement, prononcé en violation du statut protecteur et donc atteint de nullité, ouvre droit, si le salarié a demandé sa réintégration, au versement d'une indemnité compensatrice de ses salaires afférents à la période écoulée entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, ne peut prétendre aux indemnités de rupture ; qu'en faisant droit à la demande en rappel d'indemnité de licenciement formée par monsieur D..., salarié, cependant qu'elle avait retenu la nullité du licenciement prononcé par la société Fiducial, employeur, en violation du statut protecteur et condamné celui-ci au paiement au salarié d'une indemnité compensatrice de ses salaires afférents à la période écoulée entre son éviction de l'entreprise et le jour de l'arrêt, la cour d'appel a violé l'article L. 2411-1 du code du travail. ECLI:FR:CCASS:2019:SO00253
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