Cour d'appel de Reims, 12 février 2019, 18/009601

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




ARRET No
du 12 février 2019

R.G : No RG 18/00960 - No Portalis DBVQ-V-B7C-EO5T


SAS SOCIETE NOUVELLE STPE


c/

SAS MOREL TERRASSEMENT

ME Y... ES QUALITES

CAL

Formule exécutoire le :
à :

-SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER

-Maître Nicolas HUBSCH COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1o SECTION
ARRÊT DU 12 FÉVRIER 2019

APPELANTE :
d'un jugement rendu le 20 mars 2018 par le tribunal de commerce de REIMS,

SAS SOCIETE NOUVELLE STPE
[...]

COMPARANT, concluant par la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER, avocats au barreau de REIMS

INTIMEE :

SAS MOREL TERRASSEMENT
[...]

COMPARANT, concluant par Maître Nicolas HUBSCH, avocat au barreau de REIMS

PARTIE INTERVENANTE :

SCP C... Y... , mandataire judiciaire,
[...]

N'ayant pas constitué avocat, bien que régulièrement assignée

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Monsieur Francis MARTIN, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Cédric LECLER, conseiller

GREFFIER :

Monsieur MUFFAT-GENDET, greffier, lors des débats et Madame NICLOT, greffier, lors du prononcé,

DEBATS :

A l'audience publique du 18 décembre 2018, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 février 2019,

ARRET :

Réputé contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 12 février 2019 et signé par Monsieur MARTIN, président de chambre, et Madame NICLOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *
EXPOSE DU LITIGE

Dans le cadre d'une opération de construction pour le compte de la maison de Champagne Boulard-Barnizet, la société Pingat, maître d'oeuvre, a fait appel à la SAS Société Nouvelle STPE (ci-après société SN STPE) pour la réalisation du lot VRD. La société SN STPE a sous-traité à la SAS Morel Terrassement une partie des travaux, notamment le terrassement en déblais et remblais, le talutage du remblai en terre ordinaire et la mise en oeuvre en terre végétale.

Ces travaux ont donné lieu à une facture de la société Morel Terrassement du 8 juin 2015 pour 31.568,08 euros.

La réception des travaux est intervenue entre la société Pingeat et la société SN STPE le 20 juillet 2015 avec réserves. Les réserves ont été levées selon procès-verbal du 15 septembre 2015.

A la suite d'une réclamation de la société SN STPE pour un affaissement de terrain en novembre 2015, la société Morel Terrassement est intervenue les 21 et 22 avril 2016 en présence de l'entrepreneur, du maître d'oeuvre et du maître de l'ouvrage. Elle a interrompu les travaux au motif que l'affaissement du terrain serait dû selon elle à une défaillance du réseau d'assainissement imputable à la société SN STPE. Cette dernière a donc repris les désordres dans le cadre de la garantie de parfait achèvement, puis a adressé en septembre 2016 la facture de travaux à la société Morel Terrassement pour un montant de 23.904,52 euros TTC.

Par acte d'huissier en date du 28 mars 2017, la société SN STPE a fait assigner la société Morel Terrassement en paiement de cette somme de 23.904,52 euros, outre des dommages-intérêts, invoquant le manquement de cette dernière à ses obligations contractuelles de sous-traitant en ne réalisant pas un ouvrage conforme aux règles de l'art et en refusant de procéder aux travaux de remise en état nécessaires.

La société Morel Terrassement a conclu au débouté et à la condamnation de la société SN STPE à des dommages-intérêts pour procédure abusive, faisant valoir que les désordres étaient dus au mauvais travail de la société SN STPE dans la réalisation des travaux d'assainissement et non au mauvais compactage des terres, de sorte qu'elle n'en est pas responsable.

Par jugement en date du 20 mars 2018, le tribunal de commerce de Reims a:
- reçu la SAS SN STPE en ses demandes, l'a déclarée mal fondée, et l'en a déboutée,
- condamné la société SN STPE à payer à la société Morel Terrassement la somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- condamné la société SN STPE au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
- rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions des parties,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que l'opération de décaissement avait démontré que les terres étaient saturées d'eau et s'étaient transformées en boue, que le réseau d'assainissement sur la zone sinistrée avait été mis en oeuvre par la société SN STPE en violation des règles de l'art, sans étanchéité et sans jointement au niveau des regards, que la société Morel Terrassement démontrait qu'elle n'était pas responsable des désordres au niveau de l'affaissement du sol qui était de la responsabilité de la société SN STPE, que les essais au pénétromètre sur un sol saturé d'eau ne pouvait pas démontrer la mauvaise mise en oeuvre des remblais, que la société Morel Terrassement ne pouvait donc être tenue responsable des désordres alors que le constat d'huissier démontrait l'entière responsabilité de la société SN STPE, et que l'action de cette dernière revêtait un caractère abusif.

Par déclaration du 27 avril 2018, la société SN STPE a interjeté appel.

Par acte d'huissier du 22 novembre 2018, la société SN STPE a fait assigner en intervention forcée la SCP C... Y... en sa qualité de mandataire à la procédure de sauvegarde de la société Morel Terrassement.

Aux termes de ses écritures, la société SN STPE demande à la cour d'appel de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
- fixer au passif de la société Morel Terrassement sa créance aux sommes suivantes:
- 23.904,52 euros avec intérêts de droit à compter du 12 septembre 2016 au titre des travaux de reprise qu'elle a réalisés aux lieu et place de son sous-traitant défaillant,
- 5.000 euros à titre de dommages-intérêts complémentaires,
- 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- fixer au passif de la société Morel Terrassement les dépens exposés, lesquels seront recouvrés par la SCP Badré, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle critique le jugement entrepris en ce que la société Morel Terrassement était tenue, en sa qualité de sous-traitant, d'une obligation de résultat d'exécution des travaux exempts de vices dont elle ne peut s'exonérer que par la preuve d'une cause étrangère, de sorte qu'il n'appartient pas à l'entrepreneur principal d'apporter la preuve de la faute ou du manquement imputable à son sous-traitant. Elle reproche au tribunal d'avoir suivi la thèse de la société Morel Terrassement qui ne correspond pas à la réalité factuelle. Elle explique en premier lieu que les travaux du sous-traitant ont été réalisés après exécution des travaux d'installation des VRD qu'elle a effectués elle-même et qui ont été contrôlés par inspection télévisée sans révélation d'une anomalie, de sorte que les travaux ne présentaient aucun désordre avant que la société Morel Terrassement n'intervienne. En second lieu, elle fait valoir que la société Morel Terrassement avait initialement reconnu sa responsabilité dans les désordres invoqués, entendait réaliser les travaux de reprise et n'a demandé aucune investigation complémentaire aux essais de pénétromètre effectués, alors que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, ces essais n'ont relevé une présence d'humidité qu'au niveau des limons, à 3,80 mètres de profondeur, mais ont en revanche révélé des problèmes de compactage des matériaux. En dernier lieu, elle explique que le 21 avril 2016, il a été constaté par tous les intervenants une humidité des remblais; que les parties divergeaient quant à l'origine du phénomène, la fuite du réseau n'étant qu'une hypothèse; qu'en dégageant les terres autour des canalisations, aucune trace n'a été constatée; que le constat d'huissier n'a été réalisé que trois jours plus tard après démontage des canalisations; que ce constat n'a donc aucun caractère probant quant à l'origine des phénomènes constatés qui lui ont été imputés à tort, alors que les autres éléments techniques démontrent que les malfaçons affectent les travaux réalisés par la société Morel Terrassement; que la responsabilité de cette dernière doit donc être retenue pour manquement à son obligation de résultat.

Par conclusions no2 du 28 août 2018, la société Morel Terrassement demande à la cour d'appel de:
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- condamner la société SN STPE au paiement de la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens, avec distraction.

Elle fait valoir qu'en application des articles 9 du code de procédure civile et 1315 du code civil, il appartient à la société SN STPE, qui sollicite le paiement d'une facture, de justifier de sa demande; qu'en l'espèce, la société SN STPE ne produit que cette seule facture, établie par elle-même, alors que nul ne peut se constituer une preuve à soi-même; que si le sous-traitant est tenu d'une obligation de résultat, cette obligation ne le contraint pas à répondre des dégâts causés par des tiers ou son cocontractant; que la société SN STPE est totalement défaillante dans l'administration de la preuve d'une mauvaise exécution des travaux sous-traités, et il est en outre démontré que les travaux ont été rendus nécessaires par la mauvaise exécution des travaux d'assainissement que l'appelante a exécutés elle-même; que contrairement à ce que cette dernière soutient, elle n'a jamais reconnu sa responsabilité dans les désordres, puisqu'au contraire, dès le 22 avril 2016, elle écrivait à la société SN STPE qu'elle avait constaté des malfaçons sur son assainissement et lui demandait de prendre ses responsabilités; qu'il résulte du constat d'huissier que la société SN STPE a simplement posé le tuyau PVC reliant les deux regards dans les réservations prévues à cet effet sans effectuer un jointement au ciment et sans réaliser la moindre étanchéité, et que les eaux pluviales se sont écoulées pendant de nombreux mois dans le remblai au lieu de transiter par le tuyau; qu'ainsi, la reprise partielle des travaux VRD est liée uniquement à l'incurie de la société SN STPE et non à un défaut de compactage; que l'inspection télévisée réalisée en juin 2005 a seulement permis de vérifier que le réseau n'était pas bouché ou endommagé mais pas de vérifier l'étanchéité du réseau; que le rapport de contrôle du compactage n'a révélé aucune défectuosité du compactage, sauf l'essai no2 mais uniquement entre 1,40 m et 3,28 m de profondeur, ce qui est logique puisqu'il était affecté par une saturation en eau; que si l'affaissement du terrain provenait d'un mauvais compactage des terres, ce défaut aurait été relevé entre 0 et 1,40 mètre de profondeur. Elle ajoute, sur la condamnation aux dommages-intérêts, que l'action de la société SN STPE revêt un caractère abusif puisque le conducteur de travaux de celle-ci a pu, avec celui de la société Pingat, constater l'humidité et les défauts majeurs affectant le réseau d'assainissement à l'origine de l'affaissement de terrain.

La SCP C... Y... ès qualités (assignée à personne morale) n'a pas constitué avocat.


MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande en paiement de la somme de 23.904,52 euros

C'est à tort que la société Morel Terrassement invoque les dispositions de l'article 1315 du code civil s'agissant de la charge de la preuve puisqu'en l'espèce la société SN STPE, même si elle réclame le paiement d'une facture, ne réclame pas l'exécution d'une obligation découlant du contrat, mais elle fonde sa demande en paiement sur le manquement de la société Morel Terrassement dans l'exécution de ses prestations. Ainsi, elle exerce en réalité une action en responsabilité contractuelle à l'égard de son sous-traitant.

La responsabilité du sous-traitant à l'égard de l'entrepreneur principal peut être recherchée sur le fondement de l'article 1147 du code civil (dans sa rédaction ancienne applicable au litige). Le sous-traitant est tenu d'une obligation de résultat, qui emporte présomption de faute et de lien de causalité entre la faute et les désordres. Dès lors, il appartient au sous-traitant, afin de s'exonérer de sa responsabilité, d'apporter la preuve d'une cause étrangère.

En l'espèce, il est constant que la société Morel Terrassement a réalisé des travaux de terrassement et de remblai. Il n'est pas contesté que les parties ont constaté un affaissement du remblai. Dès lors, la société Morel Terrassement, qui était tenue d'une obligation de résultat, est présumée fautive et responsable de cet affaissement.

Il est constant que lors de la réunion de travaux contradictoire du 21 avril 2016, les parties ont constaté une forte humidité du remblai, qui explique l'affaissement. Le rapport du laboratoire Eurocontrôle Qualité du 4 décembre 2015 qui a réalisé des essais au pénétromètre aux fins de contrôle du compactage faisait déjà état d'une humidité des remblais. Dès le 22 avril 2016, le maître d'oeuvre confirmait par mail le constat d'une forte humidité des remblais majoritairement en fond de remblai, et s'interrogeait sur les causes de cette humidité (fuite du réseau, étanchéité défectueuse...). La société Morel Terrassement indiquait aussitôt par mail qu'elle avait constaté des malfaçons sur le réseau d'assainissement réalisé par la société SN STPE: absence de cunette dans les fonds de regard et aucun tuyau de jointement. Par courriel du même jour, la Société SN STPE répondait que l'humidité constatée n'était à son avis pas due à un problème de réseau mais à un problème de compactage à partir de 1m40 d'après les essais au pénétromètre, ce à quoi la société Morel Terrassement réagissait en précisant qu'il n'y avait aucune trace de béton sur les deux regards, ainsi que sur les tuyaux, aucune étanchéité visible, que les tuyaux étaient emboîtés dans le regard sans joint, et que lundi elle ferait passer un huissier.

La société Morel Terrassement produit alors le procès-verbal de constat d'huissier du 25 avril 2016 dont il ressort l'absence de trace de ciment à l'endroit de la réservation opérée pour le passage du tuyau PVC tant sur le regard du haut que sur le regard du bas. L'huissier a également constaté que le tuyau ne présentait non plus aucune trace de ciment à ses extrémités.

Il résulte de ces constatations que l'humidité est due à l'absence de jointement et d'étanchéité sur le réseau d'assainissement mis en œuvre par la société SN STPE.

Dès lors, il importe peu que l'inspection télévisée des réseaux d'assainissement réalisée le 3 juin 2015, qui n'était pas destinée à vérifier l'étanchéité du réseau, n'ait révélé aucune anomalie, l'absence de détection de mal façons ou non façons ne suffisant pas à les exclure dès lors qu'il existe des preuves contraires.

Par ailleurs, le problème de compactage révélé par un seul des trois essais au pénétromètre en décembre 2015 n'a été constaté qu'à une profondeur de plus de 1,40 mètres, soit sur un remblai particulièrement humide.

Ainsi, la société Morel Terrassement apporte la preuve d'une cause étrangère de nature à l'exonérer de sa responsabilité. En conséquence, c'est à juste titre que le tribunal de commerce a débouté la société SN STPE de ses demandes. Il convient donc de confirmer le jugement déféré sur ce point.

Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive

L'exercice d'une action en justice ne peut constituer un abus de droit que dans des circonstances particulières le rendant fautif.

Le tribunal de commerce a retenu en l'espèce le caractère abusif de la procédure intentée par le société STPE sans caractériser la moindre faute dans l'exercice par celle-ci de son droit d'agir en justice.

S'agissant d'une question technique et en l'absence de mesure d'expertise, la société STPE a pu, de bonne foi, se méprendre sur l'étendue de ses droits. Dès lors, la procédure ne saurait être considérée comme abusive.

En conséquence, il convient de débouter la société Morel Terrassement de sa demande de dommages-intérêts.

Sur les demandes accessoires

Compte tenu de l'issue de litige, il convient de confirmer les condamnations accessoires de la société SN STPE (dépens et article 700) et de la condamner aux dépens d'appel, dont distraction au profit de l'avocat de l'intimée, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande également de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à la société Morel Terrassement la somme de 2.500 euros pour ses frais irrépétibles d'appel.


PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu le 20 mars 2018 par le tribunal de commerce de Reims , mais seulement en ce qu'il acondamné la SAS Société Nouvelle STPE à payer à la société Morel Terrassement la somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

Statuant à nouveau sur ce seul chef,

DEBOUTE la SAS Morel Terrassement de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus,

Y ajoutant,

CONDAMNE la SAS Société Nouvelle STPE à payer à la SAS Morel Terrassement la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

CONDAMNE la SAS Société Nouvelle STPE aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Nicolas Hübsch, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.


Le greffier Le président
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