Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 décembre 2018, 17-12.467, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales et l'article 1134, alinéa 1er et 2, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

Attendu qu'à défaut de dispositions spéciales de la loi l'autorisant, un associé d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée d'avocats ne peut se retirer unilatéralement de la société, ni obtenir qu'une décision de justice autorise son retrait, peu important le contenu des statuts ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par requête du 1er août 2013, Mme Y..., avocate associée de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Cabinet X... E... et associés (la société Cabinet X...) et de la société holding Financière X... et Co, société de participations financières de professions libérales (la société Financière X...), constituée sous la forme d'une société à responsabilité limitée, a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Rouen d'une demande de règlement d'un différend l'opposant à la société Cabinet X... et portant sur les conditions dans lesquelles elle entendait se retirer des sociétés Cabinet X... et Financière X... ;

Attendu que, pour autoriser le retrait de Mme Y..., l'arrêt retient qu'il est justifié par la nécessité de permettre à celle-ci, d'une part, de ne plus exercer dans les deux structures, dont elle était associée aux seules fins d'exercer son activité libérale d'avocat, peu important que le capital de la société Financière X... ne soit pas nécessairement détenu par des avocats, d'autre part, de pouvoir assurer cette activité libérale dans le cadre d'une autre structure, en vertu de la liberté d'établissement ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il autorise, en tant que de besoin, le retrait de Mme Y..., l'arrêt rendu le 7 décembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;

Condamne Mme Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour les sociétés Cabinet X... E... et associés et Financière X... et Co.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé la décision d'arbitrage entreprise en ce qu'elle a autorisé, en tant que de besoin, le retrait de Mme Y... des sociétés Cabinet X... E... & associés SELARL et Financière X... & Co SARL, en ce qu'elle a désigné un expert afin de fournir tous les éléments permettant de déterminer la valeur de la participation de Mme Y... au capital de ces deux sociétés, en ce qu'elle a dit que cette dernière était fondée à solliciter le versement d'une provision à valoir sur le prix de ses parts et en ce qu'elle a fixé cette provision à la somme de 40 000 euros et condamné solidairement la société Cabinet X... E... & associés SELARL et la société Financière X... & Co SARL à son paiement ;

Aux motifs que « sur les différentes demandes au fond de Mme Y..., il convient de préciser tout d'abord que Mme Y... fait valoir, dans ses dernières conclusions, qu'elle ne demande pas l'annulation de l'assemblée générale du 15 février 2013, contrairement à ce qu'elle sollicitait dans ses premières conclusions ; que les objections opposées par les appelantes à une demande qui n'est plus formulée sont donc désormais sans objet ; que s'agissant des prétentions réellement soumises à la Cour, tandis que les appelantes demandent de débouter Mme Y... de toutes ses demandes, celle-ci sollicite de la Cour, dans des conclusions où le principal et les différentes catégories de subsidiaire s'articulent dans des conditions qui en rendent la lecture et l'analyse difficiles, qu'elle confirme la condamnation des appelantes à lui payer la somme de 20 000 euros au titre des rémunérations non versées à la date de son départ et que, par réformation de la décision, les appelantes soient condamnées à lui payer les sommes de 30 000 euros au lieu de 10 000 euros au titre du préjudice moral, 20 000 euros au lieu de 10 000 euros au titre du préjudice matériel, et 60 000 euros au titre de la perte de chance pour lequel aucune réparation ne lui a été attribuée ; qu'elle sollicite également, au titre du paiement des parts sociales, des provisions supérieures à celles allouées, mais demande à titre principal de confirmer la décision entreprise qui a ordonné avant dire droit une expertise financière ; qu'elle fonde ses demandes, à titre principal, sur le fait que les manquements fautifs des appelantes auraient causé son exclusion professionnelle et, à titre subsidiaire, sur le fait que de justes motifs justifieraient que la décision entreprise ait autorisé son retrait des deux sociétés appelantes et, plus subsidiairement encore, sur le fait que le retrait s'analyserait en une exclusion entérinée par les décisions collectives des appelantes ; que sur les conditions de la rupture et les conséquences indemnitaires, dans sa décision d'arbitrage, le délégué du bâtonnier a estimé que la rupture des relations ne pouvait être imputée au cabinet X... E... mais qu'elle trouvait sa source dans une divergence de vue en termes de stratégie sur les deux événements touchant ledit cabinet, à savoir le rachat du cabinet de M. A... et le financement du départ de M. X... ; qu'en appel, Mme Y... conteste vainement cette analyse, car les pièces produites ne permettent pas de tenir pour établies les conséquences qu'elle prétend en tirer ; qu'il n'en résulte pas, en effet, qu'un réaménagement du département droit social du cabinet aurait été réalisé au détriment de Mme Y... ; que si le rachat du cabinet A... lui est apparu comme insuffisamment préparé et périlleux, et si elle a estimé y être insuffisamment associée, il n'en demeure pas moins qu'elle a disposé d'informations suffisantes pour pouvoir émettre des mises en garde et objections sur les projets de protocole et sous-traitance qui lui ont été transmis et qu'il n'est pas établi qu'elle aurait disposé de moins d'informations que les autres associés, l'ensemble des diligences auxquelles elle a été associée étant rappelées dans le mail de M. X... du 20 mars 2013 ; que quant aux manquements contractuels qui auraient résulté d'une modification des effectifs et conditions de travail au sein du département social du cabinet, ils ne sont pas suffisamment prouvés par les pièces produites, et en tout cas pas au point de pouvoir en déduire une responsabilité quelconque des appelantes dans la rupture des relations professionnelles ; qu'en particulier, aucun élément mis en exergue dans les décomptes de temps produit ne permet de conclure à une affectation d'un avocat salarié du pôle social à un autre département du cabinet ; que le fait que M. E... l'informe de ce qu'un autre associé avait facturé à hauteur de 8 750 euros ne prouve pas la réalité d'un transfert déloyal d'activité ; que les pièces "20, 25, 26" relatives à ses conditions de rémunération ou à des transmissions de procès-verbal de comité de direction, ne se rapportent d'aucune façon au fait qu'une de ses collaboratrices serait "plus ou moins largement mobilisée par d'autres associés" ; que dans la décision d'arbitrage, le délégué du bâtonnier a également estimé que la décision du 15 février 2013 de subordonner la rémunération de Mme Y... à la réalisation d'un chiffre d'affaires minimum suivi d'un encaissement effectif des honoraires sous 90 jours, constituait un fait fautif qui n'était pas déterminant de la rupture mais ouvrait droit à réparation, à raison de son caractère inapproprié, brutal et vexatoire compte tenu de la réalité du travail et de la facturation effectuées par Mme Y... ; que cette dernière tente vainement de faire de cette décision la cause d'une rupture imputable aux appelantes, alors qu'elle avait annoncé sa décision de quitter le cabinet lors d'une réunion du comité de direction du 23 janvier 2013 ; qu'en sens inverse, les appelantes ne parviennent pas à justifier le bien-fondé d'une telle décision au regard du travail et de la facturation de Mme Y... ; que certes, il est constant que celle-ci a tardé à facturer, mais il ne résulte d'aucun élément qu'elle aurait choisi délibérément de cesser toute facturation pour se consacrer à son projet personnel, comme cela est soutenu sans preuve suffisante ; qu'en réalité, il ressort des pièces produites qu'au cours d'années précédentes, Mme Y... avait parfois différé sa facturation, qu'elle l'avait donc toujours réalisée fût-ce avec un décalage dont il ne lui avait jamais été fait grief en particulier ; que tel a été le cas en octobre et novembre 2012, la facturation ayant été réalisée seulement en décembre 2012, mais pour un montant important de 91 404 euros, étant précisé que, du 1er octobre 2012 au 31 janvier 2013, avaient été facturées des sommes d'un montant mensuel moyen de 35 738 euros, correspondant aux chiffres moyens des exercices précédents ; que si elle n'a facturé pour la dernière fois que 13 850 euros en février, cette circonstance ne pouvait appeler une décision de la nature de celle prise le 15 février, dès lors que les conditions de travail ont été modifiées au sein du cabinet à la suite de la réunion du 23 janvier au cours de laquelle Mme Y... a manifesté son intention de le quitter ; que dans ces conditions, le caractère vexatoire de la décision du 15 février qui ne visait qu'une seule associée dont le travail apportait à un cabinet légitimement soucieux de sa trésorerie des fonds pour un montant qui la plaçaient, pour le chiffre d'affaires, au troisième rang des associés sur six était de nature à justifier la décision d'arbitrage entreprise dans son principe ; que s'agissant des conséquences indemnitaires, Mme Y... ne justifie pas d'éléments de nature à augmenter le montant des dommages-intérêts, alors que la décision a, au contraire, alloué, au titre du préjudice moral, une somme de 10 000 euros qui s'avère d'un montant trop élevé ; que ramenée à 5 000 euros, elle réparera de manière adéquate le caractère vexatoire de cette décision et de ses conséquences, étant précisé que le départ de Me Y... du cabinet X... était acté dès le 23 janvier ; que la décision entreprise sera en revanche confirmée en ce qu'elle a alloué les sommes de 20 000 € au titre des rémunérations non versées ; qu'elle le sera également en ce qui concerne l'absence d'indemnisation pour perte de chance de six mois de rémunération, dès lors que la cour estime, d'une part, comme l'a fait le délégué du bâtonnier, que le fait générateur de la rupture ne procède pas d'un comportement fautif imputable aux appelantes, d'autre part que le caractère vexatoire de la décision est sans lien avec la perte de chance alléguée ; que s'agissant enfin du préjudice matériel, Mme Y... sera déboutée de sa demande par infirmation de la décision d'arbitrage, dès lors que le préjudice résultant du non versement de deux mois de rémunération est réparé séparément, ainsi qu'il vient d'être dit, que l'absence de toute perception relative à ses droits sociaux a vocation à être elle aussi réparée de manière distincte après expertise, comme il sera précisé ci-après, et qu'il n'est enfin justifié par aucune pièce du préjudice matériel invoqué quant à son installation dans un nouveau cabinet ; que sur le principe du retrait, en ce qui concerne le retrait, les appelantes considèrent que c'est à tort que la décision entreprise a, sur le fondement de l'article 1869 alinéa 1 du code civil, autorisé le retrait de Mme Y... de la SELARL X... E... et associés ainsi que de la société en participation financière [de] profession libérale X... ; qu'ils font valoir que ni les statuts des sociétés en cause ni aucune disposition légale ne permettent le départ volontaire d'un associé, que l'article 1869 du code civil n'est pas applicable aux dites sociétés et que la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL) se borne à prévoir des règles pour des cessions de parts ou actions ; qu'ils observent également que la SPFPL qui a pour objet de détenir des parts de SEL ne peut être assimilée à une structure d'exercice et que son capital n'est pas nécessairement détenu exclusivement par des avocats ; qu'il est constant que les statuts ne prévoient aucune possibilité de retrait ; que par ailleurs, les dispositions du code civil ne sont pas applicables à une SELARL constituée en application de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, non plus qu'à une société de participation financière constituée sous la forme d'une SARL, comme en l'espèce ; que toutefois, le retrait autorisé par la décision entreprise était justifié par la nécessité de permettre à Mme Y..., d'une part, de ne plus exercer dans les deux structures, dont elle était associée, en ce qui la concerne, aux seules fins d'exercer son activité libérale d'avocat, peu important que le capital de la SPFPL ne soit pas nécessairement détenu par des avocats, d'autre part, de pouvoir précisément assurer cette activité libérale dans le cadre d'une autre structure, en vertu de la liberté d'établissement ; que la décision entreprise sera confirmée de ce chef ; que sur la valeur des parts et la provision, c'est à juste à juste titre que le délégué du bâtonnier a ordonné sur ce point une expertise dès lors que les seuls éléments et calculs fournis par Mme Y..., qui aboutissent à la même évaluation qu'en première instance, soit un total de 265 392 euros, ne suffisent pas garantir une vue complète et objective de la valeur des parts qu'elle détient dans les deux sociétés en cause ; que la décision sera confirmée de ce chef ; qu'en ce qui concerne la provision, la somme allouée à ce titre par la décision entreprise est de 40 000 euros ; que Mme Y... sollicite en appel une somme de 147 000 euros et subsidiairement de 60 754 euros au titre de ses droits dans la SPFPL X... outre une [somme] de 9 200 euros au titre de ses droits dans la SELARL CABINET X... ; qu'elle fait valoir que la première somme correspond à la valeur de ses parts telle qu'admise par un procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 2 avril 2014 de la SPFPL X... et que la seconde somme correspond au dividende distribué pour l'exercice 2012 ; que toutefois, dès lors qu'une expertise a été ordonnée afin de déterminer la valeur de la participation de Mme Y... dans les deux sociétés en cause, les éléments invoqués par celle-ci ne peuvent être considérés comme pertinents pour apprécier la somme qui peut lui être allouée à titre de provision ; que l'évaluation effectuée par le délégué du bâtonnier n'est donc pas utilement critiquée et sera confirmée » (arrêt, pages 9 à 12) ;

Alors, d'une part, que le contrat de société, à l'instar des autres conventions légalement formées, tient lieu de loi à ceux qui l'ont fait et ne peut être révoqué que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise ; qu'à défaut de dispositions spéciales ou de stipulations statutaires le prévoyant, un associé ne peut décider unilatéralement de se retirer de la société, ni obtenir qu'une décision de justice autorise son retrait ; que pour autoriser le retrait de Mme Y... de la société Cabinet X... E... & associés SELARL et de la société Financière X... & Co SARL, l'arrêt retient que s'il est constant que les statuts ne prévoient aucune possibilité de retrait et que les dispositions de l'article 1869 du code civil ne s'appliquent pas aux deux sociétés concernées, une SELARL constituée en application de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 et une société de participations financières constituée sous la forme d'une SARL, le retrait de Mme Y... est néanmoins justifié par la nécessité de lui permettre, d'une part, de ne plus travailler dans les deux structures dont elle était personnellement associée aux seules fins d'exercer son activité d'avocat et, d'autre part, d'assurer cette activité libérale dans le cadre d'une autre structure, en vertu de la liberté d'établissement ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, d'où il s'évinçait que Mme Y... ne pouvait être autorisée à se retirer unilatéralement des deux sociétés dont elle était l'associée, et a partant violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause ;

Alors, d'autre part et subsidiairement, que le contrat de société, à l'instar des autres conventions légalement formées, tient lieu de loi à ceux qui l'ont fait et ne peut être révoqué que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise ; qu'à défaut de dispositions spéciales ou de stipulations statutaires le prévoyant, un associé ne peut décider unilatéralement de se retirer de la société ni obtenir qu'une décision de justice autorise son retrait ; que pour autoriser le retrait de Mme Y... de la société Cabinet X... E... & associés SELARL et de la société Financière X... & Co SARL, l'arrêt retient que ce retrait est justifié par la nécessité de permettre à l'intéressée, d'une part, de ne plus travailler dans les deux structures dont elle était personnellement associée aux seules fins d'exercer son activité d'avocat, peu important que le capital de la société de participations financières de profession libérale ne soit pas nécessairement détenu par les avocats, et, d'autre part, d'assurer cette activité libérale dans le cadre d'une autre structure, en vertu de la liberté d'établissement ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas vérifié si la conservation de la qualité d'associée des deux sociétés était véritablement incompatible avec l'exercice par Mme Y... de sa profession d'avocat dans un autre cadre, ni recherché si la possibilité de céder ses parts sociales ne préservait pas suffisamment la liberté d'établissement de l'intéressée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale

à sa décision au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause. ECLI:FR:CCASS:2018:C101183
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