Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 5 décembre 2018, 17-16.357, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique du pourvoi principal du CHSCT :

Vu l'article L. 4614-12 du code du travail, alors applicable ;

Attendu, selon l'ordonnance en la forme des référés attaquée, que la société ISS hygiène et prévention (la société) a contesté la délibération du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l'établissement de Marseille de la société du 8 mars 2017 ayant décidé de recourir à une expertise confiée au cabinet Secafi en vertu de l'article L. 4614-12, 1°, du code du travail ;

Attendu que pour annuler la délibération du CHSCT du 8 mars 2017 ayant décidé de recourir à une expertise, l'ordonnance retient qu'en la matière le risque grave se définit par un niveau élevé de probabilité de survenance d'atteintes significatives à l'intégrité physique ou mentale des salariés spécifiquement en lien avec l'exercice de leur activité professionnelle, que le CHSCT évoque une tentative de suicide d'un salarié datant du 2 novembre 2015, que l'enquête du CHSCT a cependant conclu que cet événement était sans rapport avec les conditions de travail du salarié, que cet événement qui remonte à seize mois ne saurait être retenu comme un des éléments permettant de justifier le recours à l'expertise, que le CHSCT se prévaut d'une attestation du secrétaire mentionnant les plaintes de salariés pour souffrances résultant de leurs conditions de travail, de la démission d'un commercial pour dégradation des conditions de travail, de la rupture conventionnelle d'un salarié du même chef, d'un appel à la grève comportant parmi ses huit motifs l'accroissement de la souffrance au travail, qu'il résulte des débats et de l'examen des pièces produites que les éléments objectifs évoqués susceptibles de mettre en évidence l'existence d'un niveau élevé de probabilité de survenance d'atteintes significatives à l'intégrité physique ou mentale des salariés spécifiquement en lien avec l'exercice de leur activité professionnelle au sein du site de Marseille sont particulièrement limités et imprécis, qu'aucun élément permettant d'expliciter ou même d'identifier un niveau élevé de probabilité de survenance d'atteintes significatives à l'intégrité physique et/ou mentale des salariés spécifiquement en lien avec l'exercice de leur activité professionnelle n'est spécialement avancé, qu'il résulte des énonciations combinées qui précèdent que l'existence d'un niveau élevé de probabilité de survenance d'atteintes significatives à l'intégrité physique ou mentale des salariés spécifiquement en lien avec l'exercice de leur activité professionnelle n'est en l'espèce aucunement caractérisée par des éléments objectifs probants et pertinents suffisants ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le risque grave propre à justifier le recours à une expertise s'entend d'un risque identifié et actuel, le président du tribunal de grande instance a violé le texte susvisé ;

Et attendu que la cassation du chef du moyen unique du pourvoi principal rend les premier et second moyens du pourvoi incident sans objet ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance prise en la forme des référés rendue le 5 avril 2017, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Marseille ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant le président du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, statuant en la forme des référés ;

Condamne la société ISS hygiène et prévention aux dépens ;

Vu l'article L. 4614-13 du code du travail, condamne la société ISS hygiène et prévention à payer à la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy la somme de 3 500 euros TTC et rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq décembre deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour le CHSCT de l'établissement de Marseille de la société ISS hygiène et prévention et MM. Y... et Z...

Le moyen fait grief à l'ordonnance attaqué d'AVOIR annulé la délibération du CHSCT du 8 mars 2017 ayant décidé de recourir à une expertise ;

AUX MOTIFS QUE en la matière le risque grave se définit par un niveau élevé de probabilité de survenance d'atteintes significatives à l'intégrité physique et/ou mentale des salariés spécifiquement en lien avec l'exercice de leur activité professionnelle ; que le Comité d'Hygiène, de Sécurité et des conditions de travail de l'établissement de Marseille de la société ISS HYGIENE ET PREVENTION évoque une tentative de suicide d'un salarié datant du 2 novembre 2015; que l'enquête du CHSCT a cependant conclu que cet événement était sans rapport avec les conditions de travail du salarié; que cet événement qui remonte à 16 mois ne saurait être retenu comme un des éléments permettant de justifier le recours à l'expertise ; que le Comité d'Hygiène, de Sécurité et des conditions de travail de l'établissement de Marseille de la société ISS HYGIENE ET PREVENTION se prévaut d'une attestation du secrétaire mentionnant les plaintes de salariés pour souffrances résultant de leurs conditions de travail, de la démission d'un commercial pour dégradation des conditions de travail, de la rupture conventionnelle d'un salarié du même chef, d'un appel à la grève comportant parmi ses 8 motifs l'accroissement de la souffrance au travail ; qu'il résulte des débats et de l'examen des pièces produites, que les éléments objectifs évoqués susceptibles de mettre en évidence l'existence d'un niveau élevé de probabilité de survenance d'atteintes significatives à l'intégrité physique et/ou mentale des salariés spécifiquement en lien avec l'exercice de leur activité professionnelle au sein du site de Marseille sont particulièrement limités et imprécis; qu'il n'est produit qu'une attestation ; qu'aucun élément permettant d'expliciter ou même d'identifier un niveau élevé de probabilité de survenance d'atteintes significatives à l'intégrité physique et/ou mentale des salariés spécifiquement en lien avec l'exercice de leur activité professionnelle n'est spécialement avancé ; qu'il résulte des énonciations combinées qui précèdent que l'existence d'un niveau élevé de probabilité de survenance d'atteintes significatives à l'intégrité physique et/ou mentale des salariés spécifiquement en lien avec l'exercice de leur activité professionnelle, n'est en l'espèce aucunement caractérisée par des éléments objectifs probants et pertinents suffisants;

1° ALORS QUE le CHSCT peut faire appel à un expert lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l'établissement ; que le risque grave est la probabilité de la survenance d'une atteinte à l'intégrité physique ou psychique des salariés ; qu'en considérant que le risque grave se définit par un niveau élevé de probabilité de survenance d'atteintes significatives à l'intégrité physique et/ou mentale des salariés, le président du tribunal de grande instance, qui a ajouté à la loi, a violé l'article L. 4614-12 1° du code du travail ;

2° ALORS QUE le CHSCT peut faire appel à un expert lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l'établissement ; qu'en refusant de retenir établi le risque grave pour la raison que le CHSCT n'a produit qu'attestation sans rechercher si son auteur, représentante du personnel, témoignait de ce qu'elle avait vu dans l'exercice de son mandat de la situation de plusieurs salariés, le président du tribunal de grande instance, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4614-12 1° du code du travail ;

3° ALORS QUE le CHSCT peut faire appel à un expert lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l'établissement ; qu'en considérant que les éléments objectifs évoqués susceptibles de mettre en évidence l'existence d'un risque grave sont particulièrement limités et imprécis quand il a constaté que le CHSCT se prévalait de l'attestation de la représentante du personnel attestant « des plaintes de salariés pour souffrances résultant de leurs conditions de travail », de la démission d'un commercial pour dégradation des conditions de travail, de la rupture conventionnelle d'un salarié du même chef et d'un appel à la grève comportant parmi ses 8 motifs l'accroissement de la souffrance au travail, le président du tribunal de grande instance qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations, a violé l'article L. 4614-12 1° du code du travail ;

4° ALORS QUE les juges doivent motiver leur décision et ne peuvent affirmer que les demandes ne sont pas justifiées sans examiner les éléments produits ni procéder à leur analyse ; qu'en considérant qu'aucun élément permettant d'expliciter ou même d'identifier un risque grave n'est spécialement avancé sans se prononcer sur le rapport d'évaluation des risques psychosociaux au sein de l'entreprise faisant ressortir la situation de mal être au travail (conclusions p.2 et s. et pièce n° 3), le taux de turn over élevé (conclusions p. 4 et pièce 5), et les PV de réunion de CHSCT de juin 2016 et d'un groupe de travail de juillet 2016 sur la situation préoccupante des travailleurs de nuit (conclusions p. 5 et 12, pièce adverse n° 4 et pièces n° 7 et 8), le président du tribunal de grande instance a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. Moyens produits au pourvoi incident par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société ISS hygiène et prévention

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR condamné l'exposante à payer au CHSCT de son établissement de Marseille la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

AUX MOTIFS QUE « Attendu qu'en la matière l'employeur supporte les frais de procédure exposés par le CHSCT pour sa défense sauf en cas d'abus de droit caractérisé ; que cet abus n'est pas caractérisé ; qu'il s'ensuit que le demandeur supportera les dépens outre le paiement d'une somme de 2000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au profit du CHSCT ; »

ALORS QUE selon l'article L. 4614-13 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, les frais de l'expertise décidée par le CHSCT, à compter du 10 août 2016, sont à la charge de l'employeur, sauf en cas d'annulation définitive de la décision du CHSCT, l'employeur pouvant alors obtenir le remboursement des sommes perçues par l'expert ; qu'il s'ensuit que les frais irrépétibles de la procédure de contestation engagée avec succès par l'employeur ne peuvent être mis à sa charge qu'en vertu d'une décision spécialement motivée, selon les conditions ordinaires de l'article 700 du code de procédure civile, peu important l'absence d'abus du CHSCT ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, à l'issue de la procédure de contestation engagée par l'employeur, a annulé la décision du 8 mars 2017 en vertu de laquelle le CHSCT avait diligenté une expertise ; qu'en décidant cependant de mettre à la charge de l'employeur les frais de la procédure de contestation non compris dans les dépens, au motif inopérant que l'abus du CHSCT n'était pas caractérisé, la cour d'appel a violé les textes précités.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR mis à la charge de l'exposante les dépens.

AUX MOTIFS QUE « Attendu qu'en la matière l'employeur supporte les frais de procédure exposés par le CHSCT pour sa défense sauf en cas d'abus de droit caractérisé ; que cet abus n'est pas caractérisé ; qu'il s'ensuit que le demandeur supportera les dépens outre le paiement d'une somme de 2000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au profit du CHSCT ; »

ALORS QUE selon l'article L. 4614-13 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, les frais de l'expertise décidée par le CHSCT, à compter du 10 août 2016, sont à la charge de l'employeur, sauf en cas d'annulation définitive de la décision du CHSCT, l'employeur pouvant alors obtenir le remboursement des sommes perçues par l'expert ; qu'il s'ensuit que les dépens de la procédure de contestation engagée avec succès par l'employeur ne peuvent être mis à sa charge qu'en vertu d'une décision spécialement motivée, selon les conditions ordinaires de l' articles 696 du code de procédure civile, peu important l'absence d'abus du CHSCT ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, à l'issue de la procédure de contestation engagée par l'employeur, a annulé la décision du 8 mars 2017 en vertu de laquelle le CHSCT avait diligenté une expertise ; qu'en décidant cependant de mettre à la charge de l'employeur les dépens de la procédure de contestation, au motif inopérant que l'abus du CHSCT n'était pas caractérisé, la cour d'appel a violé les textes précités.ECLI:FR:CCASS:2018:SO01763
Retourner en haut de la page