Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 30 octobre 2018, 18-81.663, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :


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M. Christophe X...,
M. Slim Y...,


contre l'arrêt de la cour d'appel de LYON, 4e chambre, en date du 15 février 2018, qui, pour diffamation publique envers un particulier, les a condamnés chacun à 500 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;









La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 18 septembre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Z..., conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller Z... et les conclusions de M. le premier avocat général A... ;

Joignant les pourvois en raison de leur connexité ;

Sur le pourvoi formé par M. Y... :

Attendu qu'aux termes de l'article 585-1 du code de procédure pénale, sauf dérogation accordée par le président de la chambre criminelle, la déclaration de l'avocat qui se constitue au nom d'un demandeur au pourvoi doit parvenir au greffe de la Cour de cassation un mois, au plus tard, après la date de ce pourvoi ; qu'il en est de même du mémoire personnel d'un demandeur condamné pénalement ;

Attendu que le demandeur, qui a formé un pourvoi le 16 février 2018, n'a, dans ce délai, ni constitué avocat ni déposé de mémoire personnel ;

Sur le pourvoi formé par M. X... :

Vu le mémoire personnel produit ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la mise en ligne, le 10 mars 2016, sur les sites www.lyonmag.com et www.radioespace.com, d'un article intitulé "le maire du premier arrondissement, Nathalie C... hospitalisée" et comprenant le propos suivants : "Selon nos informations, Nathalie C... est hospitalisée depuis mardi soir à E...-F..., au service des urgences psychiatriques. Son entourage à la mairie du 1er arrondissement évoque un «burn-out professionnel », une « grosse fatigue », voire de « l'hypertension» liés à des dossiers épineux. Mais ne veut pas confirmer le service hospitalier qui prend en charge l'élue du Gram. Et pour cause, les pompiers sont intervenus mardi à 23h17 chez Nathalie C... à la Croix-Rousse pour une « tentative de suicide » . c'est également le terme référencé chez les policiers qui ont suivi l'affaire. Ses proches démentent cependant la tentative de suicide et avancent une explication quelque peu tortueuse pour contrecarrer l'information policière ainsi que celle des pompiers. « Les policiers ont pu conserver une rancune à son égard lorsqu'elle avait fait sa garde-à-vue qui s'est très mal passée suite à l'occupation du collège Truffaut » justifie un proche. Des relations tendues avec la mairie centrale Nathalie C..., qui connaît un nouveau tournant compliqué dans son mandat de maire d'arrondissement, est redevenue la cible de Gérard B... ces dernières semaines. La Ville a ainsi fermé les bains-douches Flesselles et la menace plane également au dessus de l'école D.... De quoi sérieusement entamer le social et les services sur le 1er. Par ailleurs, le dossier des législatives 2017 est dans toutes les têtes. Selon Salade lyonnaise, le sénateur-maire aurait même organisé une réunion secrète le 10 février avec 10 adjoints pour évoquer le cas NPG. Et notamment comment faire pour la dégoûter de se présenter dans la 2ème circonscription du Rhône. Pour l'entourage de Nathalie C..., les tensions liées à ces dossiers ont largement contribué à fragiliser l'état de santé de la maire du 1er arrondissement. Enfin, la parution mi-février d'un article de Tribune de Lyon sur les indemnités des élus lyonnais l'avait également affectée. Ses proches reprochaient à nos confrères d'avoir publié le portrait caricaturé de NPG dans le sommaire. Alors même qu'avec 4718 euros par mois, elle figurait plutôt dans le peloton de fin avec moitié moins d'indemnités que Gérard B... et 11 autres élus", Mme C... a porté plainte et s'est constituée partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier ; que M. X..., directeur de publication, a été renvoyé de ce chef devant le tribunal correctionnel qui l'a déclaré coupable ;

En cet état ;

Sur le deuxième moyen de cassation :

Vu l'article 567-1-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que le moyen n'est pas de nature à être admis ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

Attendu que, pour retenir le caractère diffamatoire des propos poursuivis, l'arrêt énonce que l'article litigieux mêle des éléments présentés comme objectifs, tels que les déclarations de policiers, de pompiers selon lesquelles l'intéressée avait tenté de se suicider et des appréciations subjectives, en l'occurrence les explications qualifiées de tortueuses de ses proches, les relations qualifiées de tendues avec la mairie de Lyon fragilisant son état de santé ou le trouble né de la publication d'un précédent article qui aurait fait de la partie civile un portrait caricatural et l'aurait affectée, dans le but de mettre en exergue, non pas un accident de santé, mais la fragilité actuelle de son état de santé mentale suffisamment grave pour qu'elle relève des urgences psychiatriques, une tentative de suicide étant, de surcroît, évoquée ; que les juges relèvent que l'orientation vers un service de cette nature demeure perçue, non pas comme un fait anodin, mais sous un jour négatif et propre à nourrir des inquiétudes sur le comportement futur, les facultés et aptitudes personnelles de l'intéressée ; qu'ils en déduisent que la plaignante se trouvait de la sorte déconsidérée ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, dont elle a exactement déduit que les propos incriminés, en ce qu'ils ont rapporté l'hospitalisation au service des urgences psychiatriques de la partie civile et rapproché ses difficultés de santé de celles rencontrées durant son mandat de maire et de son aptitude à exercer des responsabilités d'élue, ont porté atteinte à sa considération, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Vu l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Attendu que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article 10 précité ;

Attendu que, pour refuser au prévenu le bénéfice de la bonne foi, l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que la publication de l'article incriminé, dont il n'est pas établi que les auteurs ont poursuivi, en l'écrivant un but légitime, n'a pas été précédé d'une enquête sérieuse ; que les juges relèvent que l'article a été construit perfidement de manière à évoquer, sous couvert de confidences de son entourage, que la personne visée a été placée en garde à vue, a fait l'objet d'une réunion secrète destinée à la dégoûter de briguer un mandat électif et à mettre ces éléments en miroir avec un incident de santé ; qu'ils ajoutent que les prévenus ont commis une ingérence disproportionnée dans le domaine de la vie privée de la personne visée, en révélant dans la précipitation, dès le surlendemain des faits, que des secours sont intervenus à son domicile suite à une tentative de suicide et qu'elle a été hospitalisée aux urgences psychiatriques, sans que la principale intéressée eût été interrogée par le journaliste, l'article litigieux ne répondant pas à une exigence sociale sérieuse et n'étant pas nécessaire dans une société démocratique, en l'absence d'un débat d'intérêt général sur la santé mentale de la plaignante, qui relevait entièrement de sa vie privée, fut-elle élue locale, maire d'un arrondissement de Lyon et conseillère de la métropole de Lyon ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que, d'une part, l'état de santé d'un élu, s'il concerne la vie privée de l'intéressé, est aussi une question relevant d'un débat d'intérêt général pour ceux dont il est le représentant, d'autre part, l'article poursuivi faisait référence, pour son état de santé, aux explications de l'entourage de la plaignante et à des informations recueillies auprès des services de secours et de fonctionnaires de police et, s'agissant de l'exercice de son mandat de maire d'arrondissement, à des faits résultant de l'actualité locale, soit déjà connus, soit rapportés par d'autres articles de presse, de sorte que les journalistes, poursuivant un but légitime, n'ont pas manqué à leur obligation de procéder à une enquête sérieuse, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs :

I - Sur le pourvoi formé par M. Y... :

Constate la déchéance du pourvoi ;

II - Sur le pourvoi formé par M. X... :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 15 février 2018 ;

ETEND la cassation à M. Y... ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente octobre deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.ECLI:FR:CCASS:2018:CR02304
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