Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 17 octobre 2018, 16-24.331, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'D... C... et Jean-Baptiste Z..., qui bénéficiaient d'une mesure de curatelle ordonnée par jugement du 19 décembre 2008 désignant Mme X..., leur nièce, en qualité de curatrice, sont décédés respectivement les [...] et [...], laissant pour leur succéder leur fils unique, Guy ; que, se prévalant notamment du caractère manifestement exagéré des primes versées par les défunts sur les contrats d'assurance sur la vie, dont M. et Mme X... étaient les bénéficiaires, et de l'incapacité de recevoir édictée à l'article 909 du code civil privant la curatrice et son époux du bénéfice des dispositions du testament olographe du 23 février 2011, par lequel Jean-Baptiste Z... leur avait légué la quotité disponible de ses biens, par parts égales, M. Guy Z... les a assignés en paiement de diverses sommes ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu que ce moyen n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le second moyen, pris en sa première branche :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de dire qu'ils n'ont aucun droit dans la succession de Jean-Baptiste Z... et de les condamner à la restitution d'une certaine somme, alors, selon le moyen, que le juge doit trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'en vertu des dispositions de l'article 909 du code civil, les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci, non plus que les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et les personnes morales au nom desquelles ils exercent leurs fonctions, qui ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires que les personnes dont ils assurent la protection auraient faites en leur faveur quelle que soit la date de la libéralité ; que cette liste est limitative ; que Mme X..., en tant que curatrice non professionnelle, nièce des époux Z..., ne relevait pas de l'incapacité de recevoir du texte précité, frappant les «mandataires judiciaires à la protection des majeurs» qui sont des professionnels désignés par le juge de tutelle, à défaut de curateur pris dans la famille; que seul était applicable, en l'espèce, l'article 470 du code civil, qui pose seulement une présomption de conflit d'intérêts, impliquant la nomination d'un mandataire ad hoc pour assister le curatélaire qui veut gratifier son curateur ; qu'en faisant dès lors application à Mme X... de l'article 909 du code civil, règle de droit qui ne lui était pas applicable, au motif inopérant que conformément à ce texte elle avait reconnu ne pouvoir bénéficier des dispositions testamentaires en sa faveur émanant de Jean-Baptiste Z..., la cour a violé les articles 909 et 470 du code civil, ensemble l'article 12 du code de procédure civile ;

Mais attendu que, dans leurs conclusions, M. et Mme X... faisaient valoir qu'en application des articles 909 et 470 du code civil, celle-ci, en sa qualité de curatrice de Jean-Baptiste Z..., ne pouvait bénéficier de la disposition testamentaire à son profit ; qu'ils ne peuvent dès lors soutenir devant la Cour de cassation un moyen, fût-il de pur droit et d'ordre public, incompatible avec la position qu'ils avaient prise devant la cour d'appel ; que le moyen est irrecevable ;

Mais sur la seconde branche du même moyen :

Vu l'article 909 du code civil ;

Attendu que l'incapacité de recevoir à titre gratuit prévue à ce texte ne concerne que les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et les personnes morales au nom desquelles ils exercent leurs fonctions ; que les membres de la famille du défunt, lorsqu'ils exercent les fonctions de tuteur, curateur, mandataire spécial désigné lors d'une mesure de sauvegarde de justice, personne habilitée ou mandataire exécutant un mandat de protection future, n'entrent pas dans son champ d'application ;

Attendu que, pour dire que M. X... n'a aucun droit dans la succession de Jean-Baptiste Z... et le condamner à payer à M. Z... une certaine somme, l'arrêt retient que l'incapacité de recevoir à titre gratuit concerne Mme X..., qui a été curatrice du défunt, que son époux est présumé personne interposée et que, faute de rapporter la preuve de la réalité de l'intention libérale à son égard, il ne peut se prévaloir des dispositions testamentaires à son profit ;

Qu'en statuant ainsi, alors que Mme X..., nièce du défunt, n'avait pas la qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs, bien qu'elle ait exercé les fonctions de curateur, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que M. X... n'a aucun droit dans cette succession, en conséquence, le condamne à payer, pour moitié, à M. Z... la somme de 67 046,90 euros, l'arrêt rendu le 14 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

Condamne M. Z... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept octobre deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP L. Poulet-Odent, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris en tous ses points, sauf en ce qu'il avait dit que M. Michel X... avait droit au quart de la succession de Jean-Baptiste Z... et, statuant à nouveau, D'AVOIR dit que M. Michel X... n'avait aucun droit dans cette succession, et condamné ce dernier, ainsi que Mme Martine X..., à payer chacun pour moitié à M. Guy Z... la somme de 67046,90€ ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE le caractère manifestement exagéré des primes doit, au regard des dispositions de l'article L. 132-13 du code des assurances, être apprécié au moment du versement, au regard de l'âge du contractant ainsi que de sa situation familiale et patrimoniale; que, lors de la souscription du contrat le 3 janvier 2008, Jean-Baptiste Z..., alors âgé de 85 ans, a versé une somme totale de 77121,36€ et qu'D... Z..., son épouse, alors âgée de 84 ans, a versé une somme totale de 30500€; qu'au regard de leurs relevés de comptes, ils n'avaient pas d'autres économies; que le montant de leurs revenus annuels (2008) s'élevait à 24400 €, alors que leurs frais d'hébergement s'élevaient à 33138,67€ pour Jean-Baptiste Z..., et 33060,46 € pour D... Z...; que le point de la prime initiale par rapport aux économies et aux revenus des époux Z... apparaît abusif, tendant à les dépouiller de la quasi-totalité de leurs liquidités; que, suite à la vente de la maison de Bollène (2010), les époux Z..., au titre de leur usufruit, ont perçu une somme de 46000€, que, sur ce montant, la somme de 41000€ a immédiatement été placée sur le compte assurance-vie de Jean-Baptiste Z...; que, cependant, la vente de la maison est intervenue suite à l'action en paiement de pension alimentaire intentée par les époux Z... contre leur fils, M. Guy Z..., au motif que leurs revenus ne leur permettaient pas de régler leurs dépenses courantes; que les primes versées au titre de ces contrats d'assurance-vie sont manifestement exagérées au regard des facultés des souscripteurs et doivent donc être soumises aux règles de la réduction par incorporation à l'actif successoral, à hauteur du montant versé aux époux X... au décès de Jean-Baptiste Z..., soit 67046,90€; que les époux X... devront donc restituer cette somme à la succession, à hauteur de moitié chacun, en confirmation du jugement sur ce point ;

ET AUX MOTIFS adoptés que les époux Z... avaient, en août 2009, intenté avec succès une action en paiement de pension alimentaire à l'encontre de leur fils au motif que leurs revenus ne leur permettaient pas de régler les dépenses courantes; que lors de leur décès respectifs, ils disposaient, sur le contrat d'assurance-vie respectivement de 29400€ pour l'épouse et de 67547,87€ pour l'époux; qu'il s'ensuit que les primes versées au titre de ces contrats sont manifestement exagérées eu égard à leurs facultés et doivent donc être soumises aux règles de la réduction par incorporation à l'actif successoral de la somme de 67547,87€ ;

1°ALORS QUE le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant; que ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, pour juger que les primes étaient excessives, sans rechercher, comme il était nécessaire, si les contrats d'assurance-vie, et spécialement celui de Jean-Baptiste Z..., bénéficiant d'une exonération fiscale, n'étaient pas, au moment de leur souscription, utiles aux époux Z..., la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-13 du code des assurances ;

2° ALORS QUE pour se déterminer comme elle l'a fait, la cour a retenu, par motifs adoptés, qu'au jour de leurs décès respectifs les époux Z... disposaient, pour l'épouse, d'un compte d'assurance-vie de 29400 € et, pour l'époux, d'un compte créditeur de 67547,87 €; qu'en se déterminant ainsi, quand cette dernière somme correspondait seulement à la valeur de rachat du contrat d'assurance-vie de Jean-Baptiste Z... au jour de son décès, et qu'elle incluait les 29400 € du compte d'assurance-vie de son épouse prédécédée, ce montant ayant été transféré sur le compte de Jean-Baptiste Z... après ce décès, la cour a méconnu les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

3° ALORS QUE pour se prononcer comme elle l'a fait, la cour a retenu, par adoption de motifs, que les époux Z... avaient, en août 2009, intenté avec succès une action en paiement de pension alimentaire à l'encontre de leur fils, au motif que leurs revenus ne leur permettaient pas de régler leurs dépenses courantes; qu'en se déterminant ainsi, quand cette simple circonstance, alors que les époux Z... avaient souscrit des assurances-vie, ne suffisait pas à justifier le caractère excessif des primes d'assurance au moment de leurs versements, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-13 du code des assurances ;

4° ALORS QUE le caractère «manifestement exagéré» des primes au regard des facultés du souscripteur, tel qu'il est visé par les dispositions de l'article L.132-13 du code des assurances, et qui n'implique que le rapport des primes, ne correspond pas à la requalification d'un contrat d'assurance-vie en donation indirecte, cette requalification nécessitant la démonstration d'une intention libérale du souscripteur et, par suite, l'absence d'aléa, et ayant pour conséquence le rapport du capital; qu'en l'espèce, la cour, qui a jugé que les primes avaient un caractère manifestement exagéré, a finalement ordonné le rapport du capital de rachat de l'assurance-vie de Jean-Baptiste Z...; qu'en se déterminant ainsi, quand seules les primes auraient pu être rapportées, la cour a violé l'article susvisé.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris en tous ses points, sauf en ce qu'il avait dit que M. Michel X... avait droit au quart de la succession de Jean-Baptiste Z... et, statuant à nouveau, D'AVOIR dit que M. Michel X... n'avait aucun droit dans cette succession, et condamné ce dernier, ainsi que Mme Martine X..., à payer chacun pour moitié à M. Guy Z... la somme de 67046,90€ ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE, conformément à l'article 909 du code civil, les parties s'entendent pour reconnaître que Mme X..., ès qualités de curatrice des époux Z..., ne peut bénéficier des dispositions testamentaires en sa faveur émanant de Jean-Baptiste Z...; que ces dispositions sont donc sans effet à son égard, le jugement étant confirmé sur ce point; que l'article 911 du code civil prévoit la nullité de toute libéralité au profit d'une personne physique, frappée d'une incapacité de recevoir à titre gratuit, faite sous le nom de personnes interposées, physiques ou morales, parmi lesquelles l'époux de la personne incapable; qu'en conséquence, M. X..., en sa qualité d'époux de la curatrice du disposant, doit être considéré comme une personne interposée; que, pour faire tomber cette présomption, M. X... doit démontrer la réalité de l'intention libérale à son égard, ce qu'il ne fait pas; que les dispositions testamentaires prises par Jean-Baptiste Z... en sa faveur sont donc sans effet à son égard, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef ;

ET AUX MOTIFS Adoptés QUE par testament olographe du 23 février 2011, Jean-Baptiste Z... a légué aux époux X... par parts égales la quotité disponible de ses biens; que l'article 909 alinéa 2 du code civil interdit à un curateur de bénéficier de disposition testamentaire en sa faveur émanant de la personne dont il assure la protection; que, de même, l'article 470 du même code indique qu'une personne en curatelle ne peut faire de donation qu'avec l'assistance du curateur et que lorsque cette donation profite au curateur, il est réputé en opposition d'intérêts; qu'il s'ensuit que le testament effectué par Jean-Baptiste Z... au profit de Mme X..., sa curatrice, est sans effet à son égard; qu'en définitive, Mme X... n'a droit à rien sur la masse successorale et devra être condamnée à restitution à la succession ;

1° ALORS QUE le juge doit trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables; qu'en vertu des dispositions de l'article 909 du code civil, les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci, non plus que les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et les personnes morales au nom desquelles ils exercent leurs fonctions, qui ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires que les personnes dont ils assurent la protection auraient faites en leur faveur quelle que soit la date de la libéralité; que cette liste est limitative; que Mme X..., en tant que curatrice non professionnelle, nièce des époux Z..., ne relevait pas de l'incapacité de recevoir du texte précité, frappant les «mandataires judiciaires à la protection des majeurs» qui sont des professionnels désignés par le juge de tutelle, à défaut de curateur pris dans la famille; que seul était applicable, en l'espèce, l'article 470 du code civil, qui pose seulement une présomption de conflit d'intérêts, impliquant la nomination d'un mandataire ad hoc pour assister le curatélaire qui veut gratifier son curateur; qu'en faisant dès lors application à Mme X... de l'article 909 du code civil, règle de droit qui ne lui était pas applicable, au motif inopérant que conformément à ce texte elle avait reconnu ne pouvoir bénéficier des dispositions testamentaires en sa faveur émanant de Jean-Baptiste Z..., la cour a violé les articles 909 et 470 du code civil, ensemble l'article 12 du code de procédure civile ;

2° ALORS QU'en vertu des dispositions de l'article 909 du code civil, les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci, non plus que les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et les personnes morales au nom desquelles ils exercent leurs fonctions, qui ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires que les personnes dont ils assurent la protection auraient faites en leur faveur quelle que soit la date de la libéralité; que cette liste est limitative; que, cependant, Mme X..., en tant que curatrice non professionnelle, nièce des époux Z..., ne relevait pas de l'incapacité de recevoir du texte précité, frappant les «mandataires judiciaires à la protection des majeurs» qui sont des professionnels désignés par le juge de tutelle, à défaut de curateur pris dans la famille; que seul lui était applicable l'article 470 du code civil, qui pose seulement une présomption de conflit d'intérêts, impliquant la nomination d'un mandataire ad hoc pour assister le curatélaire qui veut gratifier son curateur; que, dès lors que Mme X... n'était frappée d'aucune incapacité légale de recevoir, son mari lui-même ne pouvait pas relever de la présomption d'interposition de personne; qu'en jugeant le contraire, la cour a violé les articles 470, 909 et 911 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2018:C100960
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