Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 octobre 2018, 17-18.294, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 1244-3 et L. 1244-4 du code du travail, ensemble l'article L. 1245-1 du même code, dans leur rédaction applicable en la cause ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé en qualité de peintre par la société Jean C... suivant contrat de travail à durée déterminée du 12 juillet 2010 arrivant à échéance le 26 novembre suivant ; que ce contrat a été prolongé jusqu'au 23 décembre 2010 ; que, le 5 janvier 2011, le salarié a signé un nouveau contrat de travail à durée déterminée pour une durée s'achevant le 30 novembre 2011, puis le 1er décembre 2011, un contrat de travail à durée indéterminée ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir la requalification des contrats de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée et le paiement de diverses sommes ;

Attendu que pour rejeter la demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée du 5 janvier 2011 en un contrat de travail à durée indéterminée et les demandes indemnitaires subséquentes du salarié, l'arrêt retient que ce second contrat de travail à durée déterminée avait pour objet de pourvoir au remplacement d'un salarié permanent de l'entreprise, que dès lors ce remplacement ne s'effectuait nullement sur le poste de travail dont la création et l'existence étaient la conséquence d'un surcroît d'activité et avait justifié la conclusion du premier contrat de travail, que le délai de douze jours entre les deux contrats était suffisant compte tenu de l'ancienneté de M. X... dans l'entreprise ;

Attendu cependant que l'article L. 1244-4 du code du travail n'exclut l'application des dispositions de l'article L. 1244-3 imposant le respect d'un délai de carence avant la conclusion d'un nouveau contrat à durée déterminée que dans les situations qu'il mentionne ; qu'il en résulte qu'une succession de contrats de travail à durée déterminée, sans délai de carence, n'est licite, pour un même salarié et un même poste, que si chacun des contrats a été conclu pour l'un des motifs prévus limitativement par l'article L. 1244-4 du code du travail ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'il ressortait de ses constatations que le premier contrat de travail à durée déterminée avait été conclu entre les parties en raison d'un accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise, soit pour un motif non prévu à l'article L. 1244-4 du code du travail, de sorte qu'un délai de carence répondant aux exigences de l'article L. 1244-3 du même code devait être observé avant la conclusion du second contrat de travail à durée déterminée pour remplacement d'un salarié, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. X... tendant à la requalification du contrat de travail à durée déterminée du 5 janvier 2011 en un contrat de travail à durée indéterminée et les demandes indemnitaires du salarié subséquentes, l'arrêt rendu le 6 avril 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Entreprise Jean C... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Entreprise Jean C... à payer à la SCP Alain Bénabent la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé et signé par Mme Goasguen, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement du président empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile, en son audience publique du dix octobre deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour M. X....

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. X... de sa demande tendant à voir juger que son contrat de travail à durée déterminée du 5 janvier 2011 devait être requalifié en contrat à durée indéterminée et à voir condamner, en conséquence, la société C... à lui régler diverses indemnités ;

AUX MOTIFS QUE « (...) Sur la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée

que selon l'article L. 1242-1 du Code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ;

Que l'article L. 1242-2 du même code dispose que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l'article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire et seulement dans les cinq cas qu'il énumère, parmi lesquels figurent le remplacement d'un salarié (1°) et l'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise (2°) ;

Qu'aux termes de l'article L. 1242-12 du Code du travail, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif, et notamment les mentions énumérées par ce texte ; qu'à défaut, il est réputé être conclu pour une durée indéterminée ; que le motif du recours à un contrat de travail à durée déterminée s'apprécie au jour de sa conclusion ;

Que selon l'article L. 1245-1 du Code du travail, est réputé à durée indéterminée tout contrat conclu en méconnaissance des dispositions des articles L. 1242-1 à L. 1242-6 à L. 1242-8, L. 1242-12 alinéa 1, L. 1243-11 alinéa 1, L. 1243-13, L. 1244-3 et L. 1244-4 du même code ;

Sur le contrat à durée déterminée du 12 juillet 2010

Que Monsieur X... sollicite la requalification de son contrat de travail, estimant que l'employeur ne justifie pas de la réalité du surcroît d'activité ;

Qu'il ajoute que l'avenant du 26 novembre 2010 ayant prolongé son contrat de travail ne comporte aucun élément nécessaire, notamment en ce qui concerne le motif du renouvellement ;

Que la société Jean C... fait valoir que le contrat de travail a été signé en raison d'un surcroît d'activité ; qu'elle indique avoir connu une importante augmentation de son activité à partir du mois de juillet jusqu'au mois de décembre et avoir dû pallier aux absences pour congés payés et à l'absentéisme ;

Qu'il ressort des pièces comptables versées au dossier, dont aucun élément ne permet de mettre en doute l'exactitude, que la société Jean C... a effectivement connu une augmentation de son activité à compter du mois de mars 2010 qui s'est traduite par une augmentation de son chiffre d'affaires mais également du nombre d'heures de travail facturées aux clients ;

Que par ailleurs, s'agissant du renouvellement du contrat de travail à durée déterminée, il convient de rappeler que si l'existence d'un avenant écrit est nécessaire, l'employeur n'a en revanche pas à inscrire dans l'avenant de renouvellement le motif du renouvellement ; qu'il convient toutefois d'apprécier le motif du recours au contrat de travail à durée déterminée également à la date du renouvellement ;

Qu'en l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats qu'en novembre 2010, le chiffre d'affaires de la société mais également le volume d'heures de travail facturées restait important et supérieur au volume d'activité du premier trimestre de l'année 2010 ;

Que dès lors le contrat de travail à durée déterminée conclu le 12 juillet 2010 et renouvelé le 26 novembre 2010 est justifié, qu'il convient par conséquent de rejeter la demande de requalification formée par le salarié ;

Sur le contrat à durée déterminée du 5 janvier 2011

Qu'aux termes de l'article L. 1244-1 du Code du travail, l'employeur peut conclure des contrats de travail à durée déterminée successifs avec le même salarié lorsque le contrat est conclu en remplacement d'un salarié absent ;

Qu'en l'espèce, le second contrat étant motivé par le remplacement d'un salarié, ce dont la société Jean C... justifie par la production des arrêts de travail de Monsieur A... en arrêt maladie, et non plus pour un surcroît d'activité, la société Jean C... pouvait dès lors conclure deux contrats à durée déterminée successifs avec Monsieur X... ;

Que l'article L. 1244-3 du Code du travail prévoit qu'à l'expiration d'un contrat à durée déterminée, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée ni à un contrat de travail temporaire, avant l'expiration d'un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat, renouvellement inclus ;

Que c'est en vain que Monsieur X... fait valoir que les dispositions de l'article L.1244-3 du Code du travail lui étaient applicables ; qu'en effet, le second contrat à durée déterminée conclu le 5 janvier 2011 avait pour objet de pourvoir au remplacement d'un salarié permanent de l'entreprise, que dès lors ce remplacement ne s'effectuait nullement sur le poste de travail dont la création et l'existence étaient la conséquence d'un surcroît d'activité et avait justifié la conclusion du premier contrat de travail ;

Que dès lors, le délai de 12 jours entre les deux contrats est suffisant compte tenu de l'ancienneté de Monsieur X... dans l'entreprise ; que sa demande de requalification sur ce motif sera par conséquent rejetée ainsi que ses demandes d'indemnités subséquentes ; que le jugement déféré sera infirmé sur ce point » ;

ALORS QU' il résulte de la combinaison des articles L. 1244-1, L. 1243-11 et L. 1244-4 du Code du travail qu'une succession de contrats de travail à durée déterminée, sans délai de carence, n'est licite, pour un même salarié et un même poste, que si chacun des contrats a été conclu pour l'un des motifs prévus limitativement par l'article L. 1244-4 du Code du travail ; qu'ainsi le respect d'un délai de carence s'impose entre le terme d'un premier contrat motivé par un accroissement temporaire d'activité - lequel ne rentre pas dans le champ d'application de l'article L. 1244-1, ni dans celui de l'article L. 1244-4 - et la conclusion d'un deuxième contrat pour le même poste de peintre avec le même salarié, pour le remplacement d'un salarié absent ; qu'enfin, l'article L. 1244-3 du Code du travail prévoit un délai de carence égal au tiers de la durée du contrat venu à expiration, incluant le renouvellement ; qu'en l'espèce, le premier contrat à durée déterminée de M. X... au poste de peintre, contrat motivé par un accroissement temporaire d'activité a été conclu du 12 juillet au 23 décembre 2010, soit une durée de cinq mois et dix jours, le tiers pouvant donc être arrêté à 53 jours ; que le salarié a ensuite été réengagé au même poste de peintre mais cette fois en remplacement d'un salarié absent et ce, dès le 5 janvier 2011, de sorte que l'employeur n'a pas respecté un délai de carence suffisant ; qu'en jugeant pourtant que le délai de 12 jours entre la fin du premier contrat et la conclusion du second contrat était suffisant parce que « le second contrat (...) avait pour objet de pourvoir au remplacement d'un salarié permanent de l'entreprise » de sorte que ce remplacement ne se serait pas « effectué sur le poste de travail dont la création et l'existence étaient la conséquence d'un surcroît d'activité et avait justifié la conclusion du premier contrat de travail », la Cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier légalement sa décision en violation des articles L. 1244-1, L. 1243-11, L. 1244-4 et L. 1244-3 du code du travail. ECLI:FR:CCASS:2018:SO01448
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