Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 10 juillet 2018, 16-17.337, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 31 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué tel que rectifié, et les productions, que le 14 décembre 2004, la société Vectora a conclu avec la société Française de gastronomie un protocole d'accord aux termes duquel le capital social de la société Larzul, filiale de la première, devait être réparti égalitairement entre les deux parties au protocole ; que dans le cadre de cet accord, il était convenu que l'une des filiales de la société Française de gastronomie apporte à la société Larzul son fonds de commerce, la société Vectora ayant consenti, par ailleurs, à la société Française de gastronomie une option d'achat avec promesse de vente de ses actions dans le capital de la société Larzul, à exercer à compter du 1er janvier 2008 ; que différents litiges sont apparus entre les parties ; que reprochant à la société Gorioux-Faro et associés, commissaire aux comptes de la société Larzul, des fautes dans l'accomplissement de sa mission, la société Française de gastronomie l'a assignée, le 18 janvier 2008, en paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que pour rejeter les demandes de la société Française de gastronomie, l'arrêt retient qu'un arrêt de la cour d'appel d'Angers du 24 janvier 2012 a annulé la délibération de la société Vectora, associée unique de la société Larzul, qui ratifiait un apport à celle-ci d'une activité par l'une des filiales de la société Française de gastronomie, depuis dissoute, et constaté la caducité du traité d'apport du 14 décembre 2004, faute de ratification dans les délais contractuels ; qu'il en déduit qu'à compter de cet arrêt, la société Française de gastronomie a perdu la qualité d'associée de la société Larzul, à supposer qu'elle l'ait jamais eue ; qu'il constate que l'accord du 30 janvier 2005 tendant à l'achat par la société Française de gastronomie à la société Vectora du solde de sa participation dans la société Larzul a été rétracté par la société Vectora, et que la cour d'appel de Paris, par un arrêt du 24 septembre 2012, a rejeté la demande d'exécution forcée de cette promesse "en réalité non aboutie" ; qu'il en déduit que la société Française de gastronomie n'est pas actionnaire de la société Larzul et qu'elle ne peut agir en cette qualité contre la société Gorioux-Faro et associés ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'existence du droit d'agir en justice s'apprécie à la date de la demande introductive d'instance et ne peut être remise en cause par l'effet de circonstances postérieures, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 mars 2016, rectifié le 19 avril 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société Gorioux-Faro et associés aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la société Française de gastronomie la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix juillet deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour la société Française de gastronomie

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué, tel que rectifié par l'arrêt du 19 avril 2016, d'avoir débouté la SA FRANCAISE DE GASTRONOMIE de toutes ses demandes ;

Aux motifs que « Sur la qualité à agir comme actionnaire

Considérant que la SARL GORIOUX-FARO et ASSOCIES soutient que la SA FRANCAISE de GASTRONOMIE a perdu ses qualité et intérêt pour agir à la suite de l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Angers le 24 janvier 2012 qui a annulé la délibération de la SA VECTORA, associé unique de la SAS LARZUL, et constaté la caducité du traité d'apport du 14 décembre 2014.

Que d'après les énonciations de l'arrêt en cause, il s'agissait d'une opération de prise de contrôle par la SA FRANCAISE de GASTRONOMIE de la moitié du capital social de la SAS LARZUL, jusqu'alors détenu intégralement par la SA VECTORA, associée unique, grâce à l'apport à celle-ci d'une activité de conserves d'escargots par l'une de ses filiales depuis dissoute ; que cette décision a annulé la délibération prise par la SA VECTORA, associée II/ligue de la SAS LARZUL qui ratifiait cet apport, et par voie de conséquence constaté la caducité de celui-ci faute de ratification dans les délais contractuels ; qu'il en résulte nécessairement qu'à compter dudit arrêt la SA FRANCAISE de GASTRONOMIE a perdu la qualité d'associée de la SAS LARZUL à supposer qu'elle l'ait jamais eue.

Que l'accord du 30 janvier 2005 tendant à l'achat par la SA FRANCAISE de GASTRONOMIE à la SA VECTORA du solde de sa participation dans la SAS LARZUL, a été rétracté par la SA VECTORA et que la cour de Paris dans un arrêt du 27 septembre 2012 a rejeté la demande d'exécution forcée de cette promesse en réalité non aboutie.

Qu'il apparaît donc que la SA FRANCAISE de GASTRONOMIE n'est pas actionnaire de la SAS LARZUL et ne peut agir en cette qualité contre la SARL GORIOUX-FARD et ASSOCIES, commissaire aux comptes de cette société » ;

Alors, d'une part, que l'intérêt et la qualité pour agir s'apprécient lors de l'introduction de la demande en justice ; qu'en énonçant que la SA FRANCAISE DE GASTRONOMIE ne pouvait agir en qualité d'associé de la société LARZUL en responsabilité contre le commissaire aux comptes de cette société, en vertu d'un arrêt du 24 janvier 2012 de la cour d'appel d'Angers qui avait, en cours d'instance, constaté la caducité du traité d'apport du 14 décembre 2004, la Cour d'appel, qui a pris en considération des événements postérieurs à l'introduction de la demande en justice, a violé l'article 31 du code de procédure civile ;

Alors, d'autre part et en tout état de cause, qu'en l'absence de titre légal attribuant précisément l'action en justice à certaines personnes, a qualité pour agir celui qui a un intérêt personnel au succès ou au rejet d'une prétention ; que les commissaires aux comptes sont responsables, tant à l'égard de la personne ou de l'entité que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l'exercice de leurs fonctions ; qu'en exigeant de la SA FRANCAISE DE GASTRONOMIE qu'elle justifie d'une qualité particulière pour exercer son action en responsabilité, quand une telle action n'était pas attitrée, la Cour d'appel a violé l'article 31 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 822-17 du code de commerce.

Alors enfin et en tout état de cause que le juge ne peut dénaturer le sens clair et précis d'un écrit ; qu'il s'évince de l'arrêt de la Cour d'appel d'Angers du 24 janvier 2012 que la décision a seulement annulé les délibérations de l'associé unique de la société LARZUL et constaté la caducité du traité d'apport du 14 décembre 2004 ; qu'en estimant que cette décision avait fait perdre à la société FRANCAISE DE GASTRONOMIE la qualité d'associé, lorsque par un arrêt du 2 octobre 2013, la Cour d'appel de Paris a définitivement jugé que les actes conclus entre les parties étaient divisibles, d'où il s'évinçait que la caducité du traité d'apport ne faisait pas perdre à la société FRANCAISE DE GASTRONOMIE la qualité d'associé de la société LARZUL, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué, tel que rectifié par l'arrêt du 19 avril 2016, d'avoir débouté la SA FRANCAISE DE GASTRONOMIE de toutes ses demandes ;

Aux motifs que « la SA FRANCAISE de GASTRONOMIE se présente aussi comme victime des manquements de la SARL GORIOUX-FARD et ASSOCIES en qualité de co contractante de la SAS LARZUL pour la distribution de produits de conserves d'escargots aux termes d'un contrat d'agent commercial et d'un contrat de distribution exclusive tous deux dénoncés le 17 octobre 2007.

Que sur le contrat d'agent commercial il est fait grief à la SARL GORIOUX-FARO et ASSOCIES, commissaire aux comptes de la SAS LARZUL, d'avoir omis de mentionner dans son rapport le risque lié à la rupture abusive d'un tel contrat par cette dernière ; mais que ce chef de préjudice a été indemnisé par un arrêt de la cour de Paris en date du 2 octobre 2013 qui lui a alloué 430.824 euros ; que la SA FRANCAISE de GASTRONOMIE ne justifie d'aucun préjudice distinct de celui ainsi réparé.

Que sur le contrat de distribution par lequel la SAS LARZUL s'engageait à fournir ses produits à la SA FRANCAISE de GASTRONOMIE et celle-ci à les distribuer en exclusivité pendant une durée renouvelable de trois ans, cette dernière soutient que la résiliation délibérée par la SAS LARZUL avait pour but d'empêcher l'exercice de son option sur 50 % du capital social à l'issue des trois armées en exécution d'une promesse conclue avec la SA VECTORA et que cette situation résulterait au moins pour partie de manquements de la SARL GORIOUX-FARD et ASSOCIES, commissaire aux comptes de la SAS LARZUL.

Mais que les manquements détaillés pages 15 et suivantes des dernières écritures de la SA FRANCAISE de GASTRONOMIE en ce qu'ils visent des irrégularités dans la tenue des assemblées générales n'ont pas de lien avec les préjudices allégués qui relèvent de la gestion de la SAS LARZUL par ses organes, telles que les ruptures de contrats, dans laquelle le commissaire aux comptes n'a pas à s'immiscer.

Que les fautes dans les provisions non contrôlées par le commissaire aux comptes sur des indemnités consécutives à ces résiliations n'ont causé aucun préjudice au cocontractant qu'était uniquement la SA FRANCAISE de GASTRONOMIE déjà indemnisée à ces titres par les décisions précitées » ;

Alors, d'une part, que constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable ; qu'en se bornant à affirmer que le préjudice lié à la rupture abusive du contrat d'agent commercial avait déjà été réparé par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 2 octobre 2013 qui avait alloué à la société FRANCAISE DE GASTRONOMIE la somme de 430.824 euros, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la faute du commissaire aux comptes n'avait pas fait perdre une chance à la société FRANCAISE DE GASTRONOMIE de ne pas subir la rupture de son contrat, préjudice distinct des conséquences de la rupture imputables à son auteur, lesquelles avaient donné lieu à l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 822-17 du code de commerce et 1382 du code civil ;

Alors, d'autre part, que le juge ne peut dénaturer le sens clair et précis d'un écrit ; qu'en énonçant que la Cour d'appel de Paris du 2 octobre 2013 avait alloué à la société FRANCAISE DE GASTRONOMIE la somme de 430.824 euros pour en déduire que son préjudice évalué à cette somme était déjà intégralement réparé, quand cet arrêt a seulement condamné la société LARZUL à hauteur de 145.000 euros, la Cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de celui-ci en violation de l'article 1134 du code civil ;

Alors, de troisième part, que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en retenant, pour débouter la société FRANCAISE DE GASTRONOMIE au titre du contrat de distribution, que la résiliation ne lui avait causé aucun préjudice, en ce qu'elle avait été indemnisée à ce titre par de précédentes décisions, quand la société FRANCAISE DE GASTRONOMIE n'a jamais été indemnisée au titre de la rupture de distribution, ainsi que cela s'évince des prétentions des parties, la Cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

Alors, enfin, que constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable ; qu'en se bornant à affirmer que le préjudice lié à la rupture du contrat de distribution avait déjà été réparé, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la faute du commissaire aux comptes n'avait pas fait perdre une chance à la société FRANCAISE DE GASTRONOMIE de ne pas subir la rupture de son contrat, préjudice distinct des conséquences de la rupture imputables à son auteur, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 822-17 du code de commerce et 1382 du code civil.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

(subsidiaire)

Il est reproché à l'arrêt rectificatif du 19 avril 2016 d'avoir modifié par l'arrêt du 15 mars 2016 et d'avoir remplacé son dispositif par celui-ci « infirme le jugement, statuant à nouveau : déboute la SA FRANCAISE DE GASTRONOMIE de toutes ses demandes ; déboute les parties de leurs demandes respectives présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; condamne la SA FRANCAISE DE GASTRONOMIE aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code ; ordonne qu'il soit fait mention de cette rectification en marge de la minute de cet arrêt et des expéditions qui seront délivrées et ce conformément aux dispositions de l'article 462 du nouveau code de procédure civile ; laisse les dépens à la charge du Trésor public » ;

Aux motifs que « par un arrêt rendu le 15 mars 2016, la Cour rend une décision qui comporte une divergence entre les motifs et le dispositif qui procède à l'évidence d'une erreur de rédaction, qui doit être rectifiée.

Le dispositif de l'arrêt est rédigé ainsi : REFORME le jugement :

CONDAMNE la SARL GORIOUX-FARO et ASSOCIES à payer à la SA FRANCAISE de GASTRONOMIE une indemnité de 20.000 € pour manquement à ses obligations professionnelles.
DEBOUTE la SARL GORIOUX-FARO et ASSOCIES de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Y AJOUTANT

CONDAMNE la SARL GORIOUX-FARO et ASSOCIES à payer à la SA FRANCAISE de GASTRONOMIE la somme de 8.000 €, par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.

Or, si les motifs de l'arrêt conduisent en effet à considérer que le jugement dont appel doit être réformé, par contre, aucune mention des motifs ne permet d'aboutir à la condamnation de la société GORIOUX-FARO à payer la somme de 20.000 € pour manquement à ses obligations professionnelles.

Bien au contraire, la Cour, dans les motifs de l'arrêt indique ceci :

Mais que les manquements détaillés pages 15 et suivantes des dernières écritures de la SA FRANCAISE de GASTRONOMIE en ce qu'ils visent des irrégularités dans la tenue des assemblées générales n'ont pas de lien avec les préjudices allégués qui relèvent de la gestion de la SAS LARZUL par ses organes, telles que les ruptures de contrats, dans laquelle le commissaire aux comptes n'a pas à s'immiscer.

Que les fautes dans les provisions non contrôlées par le commissaire aux comptes sur des indemnités consécutives à ces résiliations n'ont causé aucun préjudice au cocontractant qu'était uniquement la SA FRANCAISE de GASTRONOMIE déjà indemnisée à ces titres par les décisions précitées.

D'autre part, et s'agissant des dépens et des frais de procédure, la Cour dans ses motifs indique :

Considérant que la SA FRANCAISE DE GASTRONOMIE qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel ; qu'elle ne peut, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ; que l'équité ne commande pas davantage de faire droit à la demande de la SARL GORIOUX-FARO et ASSOCIES fondée sur ce texte.

Il convient de rectifier l'erreur ainsi commise dans le dispositif qui doit dès lors être rédigé ainsi :

Infirme le jugement, statuant à nouveau : déboute la SA FRANCAISE DE GASTRONOMIE de toutes ses demandes ; déboute les parties de leurs demandes respectives présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; condamne la SA FRANCAISE DE GASTRONOMIE aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code ; ordonne qu'il soit fait mention de cette rectification en marge de la minute de cet arrêt et des expéditions qui seront délivrées et ce conformément aux dispositions de l'article 462 du nouveau code de procédure civile ; laisse les dépens à la charge du Trésor public » ;

Alors que le juge ne peut, sous couvert de rectification, modifier les droits et obligations des parties tels qu'ils résultent du jugement et se livrer à une nouvelle appréciation des éléments de la cause ; qu'en énonçant, pour réécrire l'intégralité du dispositif rectifié et remettre en cause la condamnation de la société GORIOUX-FARO à payer à la société FRANCAISE DE GASTRONOMIE la somme de 20.000 euros, qu'aucun des motifs de l'arrêt ne permet d'aboutir à la condamnation de la société GORIOUX-FARO pour manquement à ses obligations professionnelles, la Cour d'appel a violé l'article 462 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2018:CO00642
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