Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 20 juin 2018, 16-85.743, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :


-
M. Alexandre X...,


contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 24 juin 2016, qui, pour organisation de manifestation interdite, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 9 mai 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Laurent, conseiller rapporteur, M. Moreau, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Guichard ;

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire LAURENT, les observations de la société civile professionnelle LE GRIEL, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général SALOMON ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, 431-9, 2°, du code pénal, 53, 73 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la procédure tirée de l'illégalité de l'interpellation de M. Alexandre X... ;

"aux motifs que le 29 septembre 2012, le prévenu était interpellé [...] , alors qu'il se trouvait en compagnie de quelques individus membres ou sympathisants du mouvement des Jeunesses Nationalistes et de trois journalistes ; que cette interpellation est intervenue en marge d'une manifestation interdite par la préfecture de police de ce même mouvement, réunissant une cinquantaine de personnes à proximité, soit sur le parvis de [...] (...) ; que le prévenu, connu comme dirigeant d'un mouvement organisateur d'une manifestation interdite se trouvait à proximité de celle-ci (...) ; que la suspicion le visant était encore fondée sur ses prises de positions médiatiques, à l'occasion desquelles il a dans les jours précédents, exprimé son intention de passer outre l'interdiction préfectorale ;

"1°) alors qu'il résulte du rapport du brigadier-chef M. Pascal A..., qui a procédé à l'interpellation de M. X... et d'une autre personne se trouvant en sa compagnie, que cette interpellation a eu pour seuls motifs la présence de ces deux personnes [...] et leur appartenance à la mouvance nationaliste, motifs impropres à justifier ladite interpellation et que la cour d'appel ne pouvait légalement considérer, après coup, que l'interpellation de M. était justifiée par des soupçons qui pèseraient sur lui d'avoir organisé la manifestation se déroulant dans le même temps sur le parvis de [...] ;

"2°) alors que constitue une arrestation illégale entachant de nullité la procédure qui s'ensuit une arrestation à laquelle il est procédé en l'absence de tout indice apparent d'un comportement délictueux et qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait considérer que M. X... avait été légalement interpellé [...] à raison de l'organisation d'une manifestation interdite (en réalité, non déclarée) se déroulant au même moment sur le parvis de [...], sans relever, dans sa décision, l'existence d'actes d'organisation dont il serait l'auteur, sa présence à 500 mètres de là et son intention prétendument exprimée les jours précédents de passer outre l'interdiction préfectorale constituant des circonstances inopérantes à caractériser son rôle d'organisateur de cette manifestation au moment où il a été appréhendé" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 26 septembre 2012, M. B... s'est rendu à la préfecture de police de Paris, accompagné de M. X..., et a déclaré, au nom des Jeunesses nationalistes, une manifestation devant se dérouler le 29 septembre 2012, de 14 heures à 18 heures, entre la [...] et la [...] ; que, cette manifestation ayant été interdite par arrêté du préfet de police, en date du 28 septembre 2012, notifié le même jour à M. B..., qui en a informé M. X..., une cinquantaine de personnes se réclamant du nationalisme se sont rassemblées, le lendemain, à partir de 15 heures, sur le parvis de la cathédrale [...] ; que M. X... a été interpellé à 15 heures 25, [...] , où il se trouvait en compagnie de journalistes ; que, poursuivi comme organisateur d'une manifestation ayant été interdite, il a excipé de la nullité de son interpellation et de sa garde à vue subséquente ; qu'il a interjeté appel du jugement, en date du 19 mars 2015, par lequel le tribunal correctionnel a rejeté ces exceptions, l'a déclaré coupable et condamné à deux mois d'emprisonnement et 4 000 euros d'amende ;

Attendu que, pour confirmer le rejet de l'exception d'illégalité de l'interpellation, l'arrêt retient que le prévenu, connu comme dirigeant du mouvement organisateur d'une manifestation ayant été interdite, a été interpellé à proximité de celle-ci alors qu'il avait publiquement exprimé son intention de passer outre à son interdiction ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs qui établissent l'existence d'indices objectifs et apparents, rendant probable la commission, par le prévenu, du délit d'organisation d'une manifestation interdite, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Mais, sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, et 63-1 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la procédure tirée de l'irrégularité de la garde à vue ;

"aux motifs adoptés des premiers juges que M. X... a été interpellé le 26 septembre 2012 à 15 heures 25 », que « le procureur était avisé à 16 heures 45 », qu'« au vu du nombre de manifestants interpellés en même temps, de l'organisation d'une logistique adaptée, de l'état de santé défaillant de M. X... justifiant de son transport en vue de son hospitalisation et compte tenu de ces circonstances insurmontables, il y a lieu de considérer que les délais d'information du parquet et de notification des droits de garde à vue étaient parfaitement raisonnables et donc non tardifs » ;

"et aux motifs propres qu'« une éventuelle nullité à ce titre n'était pas susceptible d'entraîner la nullité de la poursuite, les éléments recueillis auprès de l'intéressé durant cette garde à vue n'étant pas le fondement nécessaire de celle-ci » ;

"1°) alors qu'en considérant que le délai de notification des droits attachés au placement en garde à vue était parfaitement raisonnable et non tardif, sans rechercher ni le moment auquel ces droits avaient été notifiés à M. X... ni en quoi les circonstances relevées constituaient des obstacles insurmontables à la notification immédiate de ces droits, la cour n'a pas légalement justifié sa décision ;

"2°) alors que la violation des droits de la défense lors de la garde à vue entraîne la nullité de la poursuite, même si les déclarations du gardé à vue ne sont pas le fondement nécessaire de celle-ci et qu'en considérant le contraire, la cour n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour confirmer le rejet de l'exception de nullité prise de la tardiveté de la notification de ses droits à la personne gardée à vue, l'arrêt prononce par les motifs reproduits au moyen ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs ne permettant pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle, faute de préciser l'heure à laquelle il a été procédé à la notification contestée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 24 juin 2016, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt juin deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.ECLI:FR:CCASS:2018:CR01402
Retourner en haut de la page