Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 13 juin 2018, 17-83.242, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Giovanni X...,

contre l'arrêt n° 186 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'AMIENS, en date du 7 avril 2017, qui, dans la procédure suivie notamment contre lui des chefs de travail dissimulé, blanchiment, fraude fiscale, abus de biens sociaux et recel de ce délit, a confirmé une saisie immobilière ;











La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 3 mai 2018 où étaient présents : M. Soulard, président, Mme Y..., conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Steinmann, MM. Germain, Larmanjat, d'Huy, Wyon, conseillers de la chambre, Mmes Chauchis, Pichon, M. Ascensi, Mme Fouquet, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Z... ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de Mme le conseiller Y..., les observations de la société civile professionnelle MONOD, COLIN et STOCLET, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Z... ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1, 6 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1er du premier Protocole additionnel à ladite Convention, 14 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 131-21 du code pénal, 591, 593, 706-141 à 706-149, 706-150 à 706-152 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a autorisé la saisie du bien immobilier appartenant à M. Giovanni X... situé [...] , maison d'habitation cadastrée section [...] et [...], en vue de garantir l'exécution de la peine complémentaire de confiscation selon les conditions définies à l'article 131-21 du code pénal ;

"aux motifs que sur l'absence de caractère contradictoire de la procédure et la conventionnalité des dispositions relatives à la saisie, le conseil de Giovanni X... fait, notamment, valoir que l'alinéa 2 de l'article 706-150 du code de procédure pénale, en limitant l'accès de l'appelant aux seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste, sans en déterminer une liste exhaustive ou minimale, semble contraire au principe d'égalité devant la loi posé par l'article 1er de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, au droit à un recours juridictionnel effectif, aux droits de la défense et au principe du contradictoire garantis par l'article 16 de ce même texte, par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et par la charte des droits fondamentaux ; que l'article 706-150 alinéa 2 dispose : « l'ordonnance prise en application du premier alinéa est notifiée au ministère public, au propriétaire du bien saisi, et s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'ordonnance. Cet appel n'est pas suspensif. L'appelant ne peut prétendre dans ce cadre qu'à la mise à disposition des seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste. S'ils ne sont pas appelants, le propriétaire du bien et les tiers peuvent néanmoins être entendus par la chambre de l'instruction, sans toutefois pouvoir prétendre à la mise à disposition de la procédure » ; que ces dispositions, en limitant l'accès à la procédure de celui qui est tiers à la procédure, aux seules pièces se rapportant à la saisie qu'il conteste, pièces qui sont ainsi clairement désignées, permettent de garantir un juste équilibre entre le droit de ce dernier à un recours effectif devant la chambre de l'instruction contre la décision de saisie d'un immeuble sur lequel il a des droits, d'une part, et la nécessité de protéger le secret de l'enquête, d'autre part ; qu'elles apparaissent conformes aux traités communautaires en ce qu'elles respectent les principes qu'ils ont édictés ; qu'il apparaît en outre que par courrier reçu au greffe de la chambre de l'instruction le 29 septembre 2016, l'avocat de M. Giovanni X... a sollicité le copie du procès verbal de la procédure d'enquête relative à l'affaire qui devait être évoquée à l'audience du 4 octobre 2016 et que ces pièces lui ont bien été adressées par le greffe ; qu'il n'est donc pas démontré par M. X... que les pièces se rapportant à la saisie n'auraient pas été mises à sa disposition ;

"et qu'il convient de constater que l'ordonnance ayant autorisé la saisie vise expressément les articles 706-141 à 706-149, 706-150 à 706-152 du code de procédure pénale ainsi que l'article 131-21 alinéa 3 du code pénal ; que l'article 131-21 du code pénal dispose que la peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement ; qu'elle est également encourue de plein droit pour les crimes et les délits punis d'une peine d'emprisonnement supérieure à un an, à l'exception des délits de presse ; que la confiscation porte sur tous les biens meubles ou immeubles, qu'elle qu'en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre et dont le condamné est propriétaire, ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ; que selon l'alinéa 3, elle porte également sur tous les biens qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction, à l'exception des biens susceptibles de restitution à la victime ; que si le produit de l'infraction a été mêlé à des fonds d'origine licite pour l'acquisition d'un ou plusieurs biens, la confiscation ne peut porter sur ces biens qu'à concurrence de la valeur estimée de ce produit ; que les dispositions de l'article 706-150 du code de procédure pénale permettent la saisie des immeubles dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 du code pénal au nombre desquels au titre de l'alinéa 2, la confiscation des biens, y compris immeubles, objets ou produits directs ou indirects de l'infraction ; que force est de constater que ce texte prévoit que la saisie immobilière porte, jusqu'à mainlevée ou confiscation, sur la valeur totale de l'immeuble même si une fraction seulement a une origine criminelle ; qu'en l'espèce, la peine de confiscation est légalement encourue s'agissant des infractions de blanchiment (article 324-1 et 324-7 du code pénal) et de travail dissimulé (article L. 8224-1 et L. 8224-3 du code du travail) et en tout état de cause, est de droit, s'agissant tant de ces délits que du délit d'abus de biens sociaux (article L. 241-3 du code de commerce), ces délits étant punis de plus d'un an d'emprisonnement et n'étant pas des délits de presse ; qu'il résulte en l'espèce des éléments de l'enquête préliminaire que le bien situé au [...] , acquis par M. X..., a été financé en intégralité à hauteur d'une somme de 50 000 euros, ces sommes étant susceptibles de provenir du blanchiment du produit du travail dissimulé, du blanchiment d'abus de biens sociaux et de blanchiment de fraude fiscale ; que les pièces fournies aux débats par le conseil de M. X... tendant à établir que le bien saisi aurait été au moins financé en partie par des fonds d'origine licite sont inopérantes dans la mesure où la saisie porte nécessairement sur la valeur totale de I'immeuble ; que seule la saisie conservatoire de l'immeuble est, dans le cadre de cette procédure, de nature à empêcher la vente des biens immobiliers et à garantir l'exécution de la peine de confiscation qui pourrait être prononcée le cas échéant ; que cette saisie apparaît en outre proportionnée aux revenus générés par les infractions commises, les enquêteurs ayant estimé que les seuls revenus tirés des infractions en 2013 auraient suffi à acquérir le bien litigieux ; qu'il résulte en effet des éléments de l'enquête que M. X... aurait perçu une somme de 12 000 euros en 2013 de la Sarl Rénovation 02 et de clients de cette société alors qu'il n'aurait eu aucun lieu avec cette société ; que de plus, une somme de 69 997,98 euros aurait été dissimulée au fisc en 2013, M. X... n'ayant déclaré que 5 000 euros de revenus pour cette année-là ; que sur la même période, les abus de biens sociaux seraient estimés à 141 520,02 euros, dont 37 326,52 euros au préjudice de la Sarl GM Automobiles dont il était le co-gérant ; que la mesure critiquée n'étant que conservatoire, elle se trouve parfaitement proportionnée au but légitime de réprimer efficacement des délits aux conséquences sociales regrettables ;

"1°) alors que l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit l'égalité des armes, fait obstacle à ce que l'auteur d'un recours ne dispose pas des mêmes pièces que l'autorité de poursuite et le juge pénal ; que la chambre de l'instruction ne pouvait en conséquence faire application de l'article 706-150 du code de procédure pénale pour faire obstacle à la mise à disposition de M. X..., auteur d'un recours contre une ordonnance autorisant la saisie de ses biens immobiliers, des pièces de la procédure s'y rapportant et que le ministère public et le juge avaient pu consulter ;

"2°) alors qu'au soutien de son recours contre l'ordonnance autorisant la saisie de ses biens, M. X... faisait expressément valoir que, ne pouvant pas identifier les prétendus chèques de clients de sociétés dont il aurait été le cogérant, non plus que les dates de virement ou d'encaissement, ou même la période de prévention, il n'avait pu se défendre utilement ; qu'en retenant que des pièces avaient été adressées à M. X... sans préciser à quels éléments de l'enquête elle faisait référence et sans rechercher si ces éléments avaient été mis à la disposition de M. X... afin que puisse être respecté, devant elle, le principe de la contradiction, la chambre de l'instruction n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle ;

"3°) alors que la saisie d'un immeuble dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 troisième alinéa du code pénal, opérée en application de l'article 706-150 du code de procédure pénale, est limitée aux biens qui sont « l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction », ce qui suppose que l'infraction ait été commise antérieurement ou concomitamment à l'acquisition du bien ; que la chambre de l'instruction ne pouvait s'abstenir de préciser, en l'espèce, si l'acquisition de l'immeuble était postérieure ou antérieure à la date de commission des faits poursuivis ;

"4°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier sa décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que le juge qui prononce une mesure de saisie doit apprécier la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée aux droits de l'intéressé ; qu'en s'abstenant d'apprécier le caractère proportionné de la saisie aux droits de M. X..., la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision ;

"5°) alors que la présomption d'innocence ne cesse qu'en cas de déclaration de culpabilité prononcée par une juridiction de jugement ; qu'en retenant que la saisie était proportionnée aux revenus générés par les infractions commises, quand, à la date où elle statuait, aucune infraction n'avait été établie, la chambre de l'instruction s'est prononcée par des motifs contraires à la présomption d'innocence ;

"6°) alors que dans ses écritures devant la chambre de l'instruction, M. X... soutenait que le bien saisi avait été régulièrement acquis au prix de 50 000 euros intégralement payé par des fonds licites, à savoir un prêt bancaire à hauteur de 28 000 euros et de sommes qu'il avait perçues lors de son mariage ; que la chambre de l'instruction ne pouvait déclarer inopérantes les pièces fournies aux débats par l'avocat de M. X... aux motifs qu'elles ne tendaient qu'à établir que le bien saisi aurait été au moins financé en partie par des fonds d'origine licite et que la saisie porte nécessairement sur la valeur totale de l'immeuble, tandis qu'il résultait des écritures de M. X... qu'il soutenait avoir intégralement réglé l'immeuble au moyen de fonds d'origine licite" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le procureur de la République a diligenté une enquête préliminaire du chef de travail dissimulé et abus de biens sociaux concernant notamment les agissements de M. Giovanni X... dont les comptes bancaires ont été crédités par des espèces et des remises de chèques pour un montant de 69 997,98 euros en 2013 et de 30 745 euros en 2014 alors que l'intéressé a déclaré seulement une somme de 5 000 euros pour l'année 2013 ; que les investigations ont révélé que, d'une part, il a perçu durant cette même année, une somme de 12 000 euros d'une société et des clients de cette dernière sans que soit établi un lien quelconque entre eux, d'autre part, des abus de biens sociaux ont été commis à hauteur de 141 520,02 euros au préjudice de la société GM Automobiles dont il est le gérant ; que, par ordonnance du 13 avril 2016, le juge des libertés et de la détention a autorisé la saisie d'un immeuble sis à Saint-Quentin acquis par le demandeur le 2 juillet 2013 pour une somme de 50 000 euros ; qu'il a interjeté appel de cette décision ;

Attendu que, pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la saisie du bien immobilier, l'arrêt énonce que les dispositions de l'alinéa 2 de l'article 706-150 du code de procédure pénale, en limitant l'accès à la procédure de celui qui est tiers à celle-ci, aux seules pièces se rapportant à la saisie qu'il conteste, pièces qui sont ainsi clairement désignées, permettent de garantir un juste équilibre entre le droit de ce dernier à un recours effectif devant la chambre de l'instruction contre la décision de saisie d'un immeuble sur lequel il a des droits, et la nécessité de protéger le secret de l'enquête et qu'il apparaît qu'en réponse au courrier adressé au greffe par le conseil du demandeur sollicitant la copie du procès-verbal de la procédure d'enquête, ces pièces lui ont été adressées ; que les juges ajoutent qu'en l'espèce, la peine de confiscation est légalement encourue s'agissant des infractions de blanchiment, de travail dissimulé et d'abus de biens sociaux et qu'il résulte des éléments de l'enquête que le bien saisi a été financé à hauteur de 50 000 euros par des sommes susceptibles de provenir du blanchiment de travail dissimulé, d'abus de biens sociaux et de fraude fiscale, les pièces fournies aux débats par l'avocat de M. X... tendant à établir que le bien saisi aurait été au moins financé partiellement par des fonds d'origine licite sont inopérantes dans la mesure où la saisie porte nécessairement sur la valeur totale de l'immeuble ; que la cour d'appel relève, en détaillant l'ensemble des sommes perçues par le demandeur durant l'année 2013, que les enquêteurs ont déterminé que les seuls revenus tirés des infractions durant cette seule année auraient suffi à acquérir le bien litigieux et que la mesure critiquée n'étant que conservatoire, elle se trouve parfaitement proportionnée au but légitime de réprimer efficacement des délits aux conséquences sociales regrettables ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et de celles de l'ordonnance attaquée, et dès lors que, d'une part, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer, que l'acquisition de l'immeuble est intervenue le 2 juillet 2013, soit durant la période au cours de laquelle auraient été commis les faits objets de l'enquête, d'autre part, constituent les seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie, au sens du second alinéa de l'article 706-153 du code de procédure pénale, la requête du ministère public, l'ordonnance attaquée et la décision de saisie précisant les éléments sur lesquels se fonde la mesure de saisie immobilière, enfin, la circonstance qu'une partie du prix d'acquisition aurait été financée avec des sommes d'origine licite est sans incidence au stade de la saisie, la chambre de l'instruction, qui n'était pas tenue de détailler les pièces adressées à M. X..., celui-ci ne contestant pas les avoir reçues, et qui a répondu aux articulations essentielles du mémoire du demandeur, a justifié sa décision sans méconnaître le principe de présomption d'innocence ;

D'où il suit que le moyen, qui, en sa quatrième branche, en ce qu'il invoque la violation du principe de proportionnalité par une mesure de saisie pénale du produit ou de l'objet de l'infraction au regard du droit de propriété, est inopérant, ne peut qu'être écarté ;

D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize juin deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.ECLI:FR:CCASS:2018:CR01287
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