Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 juin 2018, 17-14.461 17-14.554, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Vu leur connexité, joint les pourvois n° V 17-14.461 et W 17-14.554 ;

Sur les moyens uniques des pourvois, rédigés en termes identiques, réunis :

Vu l'article 972 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que le testament doit être dicté par le testateur au notaire auquel il a confié une mission de contrôle direct et de fidélité ; qu'il en résulte que les dernières volontés de l'intéressé ne peuvent être reçues avec l'assistance d'un interprète ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Saïd Y... est décédé le [...] , laissant pour lui succéder onze enfants, I..., M..., Salika, Christophe, Marie-Claude, Louisa, Monique, David, Claude, Myriam et Malika, en l'état d'un testament reçu le 11 décembre 2007 par M. N..., notaire ; que des difficultés se sont élevées lors de la liquidation et du partage de sa succession ;

Attendu que, pour rejeter la demande d'annulation du testament, l'arrêt relève qu'ayant des difficultés pour s'exprimer en français, Saïd Y... a dicté ses dernières volontés, avec l'assistance d'un interprète en langue arabe, à l'officier ministériel qui les a reçues et transcrites en langue française en présence de deux témoins et retient que cette dictée est conforme aux dispositions de l'article 972 du code civil, dans sa rédaction applicable, dès lors que la traduction a été assurée par un expert assermenté, ce qui garantit sa capacité et son honorabilité ;

Qu'en statuant ainsi, alors que Saïd Y... aurait dû dicter lui-même, sans intermédiaire, ses dernières volontés au notaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le testament de Saïd Y... doit se comprendre en ce qu'il prive les cohéritières exhérédées de leur participation à la quotité disponible de la seule succession du testateur, l'arrêt rendu le 26 mars 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Prononce la nullité du testament du 11 décembre 2007 ;

Condamne Mmes M..., Malika, Monique, Myriam, Marie-Claude, Louisa et I... Y... et MM. David, Christophe et Claude Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit aux pourvois n° V 17-14.461 et W 17-14.554 par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour Mme R... Y....

Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme Z... de sa demande tendant à l'annulation du testament de M. Saïd Y... reçu le 11 décembre 2007 par Me N..., notaire à [...] (Aude) ;

Aux motifs que les appelantes concluent à l'infirmation du jugement et demandent à la cour de prononcer la nullité du testament authentique du 11 décembre 2017 ; que le testament authentique fait foi jusqu'à inscription de faux de ses dispositions selon lesquelles le testament s'est accompli sous la dictée et c'est le testateur qui y a procédé ; qu'en l'espèce le notaire a constaté que le testament lui avait été dicté par Saïd Y... en la présence constante de deux témoins qui ont signé avec lui l'acte authentique ; que par suite, et contrairement à ce que soutiennent les appelantes, l'existence de cette dictée ne peut pas être contestée ; que l'existence de la dictée n'aurait pu être contredite qu'au moyen de la procédure d'inscription de faux dont les appelantes n'ont pas saisi la cour d'appel et ce moyen sera rejeté ; que par ailleurs, il ne résulte d'aucune des pièces produites aux débats que l'un des témoins choisis par Saïd Y... pour l'assister lors de l'énonciation de ses dernières volontés chez le notaire ait été le compagnon de la petite fille du testateur ainsi que le prétend sans offre de preuve M... A..., cette allégation étant démentie par les déclarations faites par ce témoin au notaire et renouvelées dans l'attestation produite devant la cour et ce moyen sera rejeté ; qu'enfin, si l'article 972 du code civil vise à garantir le respect des dernières volontés du testateur en exigeant de ce dernier qu'il les énonce oralement, en présence de deux témoins, à l'officier ministériel instrumentaire auquel il a confié une mission de contrôle direct et fidélité, il n'a nullement prohibé le recours à un interprète assermenté ; que Saïd Y... étant né en Algérie en [...] et ayant des difficultés pour s'exprimer en français, il a dicté lui-même ses dernières volontés, par le truchement d'un interprète en langue arabe assermenté, à l'officier ministériel qui les a reçues et transcrites en langue française en la présence constante de deux témoins ; que le notaire a ensuite dactylographié le testament tel qu'il lui avait été dicté par le testateur et lui en a donné lecture, Saïd Y... ayant déclaré le comprendre parfaitement et ayant reconnu qu'il exprimait parfaitement et intégralement ses volontés, le tout en la présence réelle et simultanée et non interrompue des deux témoins ; que contrairement à ce que soutiennent les appelantes, cette dictée est conforme aux dispositions de l'article 972 du code civil dans sa version applicable au litige dès lors que les dernières volontés du testateur ont été traduites en langue française par un expert assermenté dont l'inscription sur la liste de la cour d'appel de Montpellier (Madame Habiba O... née en [...] en Algérie) fait présumer les compétences et l'honorabilité et dont la mission consiste précisément à traduire fidèlement c'est à dire sans interprétation ni dénaturation les propos tenus ; que dans ces conditions, le moyen de nullité sera rejeté ainsi que l'a justement décidé le premier juge ;

Et aux motifs, à les supposer adoptés du jugement, qu'il appert des articles 971 et 972 du Code civil que le testament par acte public est notamment reçu par un notaire assisté de deux témoins, lequel relate alors l'ensemble de ses diligences par mentions expresses contenues à l'acte ; qu'il est prescrit dans ce cadre au notaire unique, dans le cadre de sa mission de contrôle direct et de fidélité, d'écrire directement les énonciations verbales et spontanées du testateur ; qu'il est constant que lesdites dispositions, dans l'hypothèse où le notaire ne comprend pas la langue ou l'idiome employé par le testateur, prohibent l'utilisation d'un interprète dès lors qu'il est impossible de vérifier avec certitude la fidélité de sa traduction, elle-même subordonnée à l'impossibilité de vérifier la capacité et l'honorabilité de l'interprète ; qu'en l'espèce il est consigné à l'acte qu'un traducteur assermenté près la Cour d'appel de Montpellier, Madame Habila O..., a assisté Saïd Y..., ce dernier ayant des difficultés à s'exprimer en français ; qu'il est encore indiqué que c'est cependant le testateur lui-même qui a dicté au notaire, en présence de deux témoins, Malika P..., épouse Q..., et Vincent T..., son testament ; qu'il ressort des diligences effectuées par le notaire, d'une part, que la capacité et l'honorabilité de l'interprète ne sont pas ici sujettes à discussion, celui-ci étant inscrit sur la liste des experts de la cour ; qu'à ce titre, il y a lieu de rappeler qu'une inscription sur la liste des experts près la Cour d'appel de Montpellier a indiscutablement nécessité, comme toute procédure de ce type, de rigoureuses vérifications portant expressément sur la capacité et l'honorabilité dudit interprète ; que d'autre part, mais dans une moindre mesure, il n'est nullement consigné que l'ensemble des énonciations du testateur s'est réalisé par le truchement de cet expert, Saïd Y... ayant seulement des difficultés à s'exprimer en français ; qu'il s'ensuit que le notaire ainsi que les témoins présents ce jour-là sont réputés avoir parfaitement compris les énonciations relues par la suite et co-signées par les témoins ; que, consécutivement, il y a lieu de constater que l'ensemble des formalités requises susmentionnées ont été respectées ; que dès lors, il y a lieu de rejeter la demande de nullité du testament au regard de la présence d'un interprète ;

1°) Alors, d'une part, que le testateur doit énoncer lui-même et de manière orale ses dispositions testamentaires devant le notaire et les témoins ; que pour rejeter la demande d'annulation du testament de Saïd Y..., la cour d'appel a retenu que si l'article 972 du code civil vise à garantir le respect des dernières volontés du testateur en exigeant de ce dernier qu'il les énonce oralement, en présence de deux témoins, à l'officier ministériel instrumentaire auquel il a confié une mission de contrôle direct et de fidélité, il n'a nullement prohibé le recours à un interprète assermenté lorsque le notaire ne comprend pas la langue ou l'idiome employé par le testateur ; qu'en se prononçant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 972 du code civil dans sa version antérieure à la loi n°2015-117 du 16 février 2015 ;

2°) Alors, d'autre part, que le testateur doit énoncer lui-même et de manière orale ses dispositions testamentaires devant le notaire et les témoins ; que la cour d'appel a rejeté la demande d'annulation du testament de Saïd Y... après avoir relevé que le testateur, né en Algérie en [...] et ayant des difficultés pour s'exprimer en français, avait dicté lui-même ses dernières volontés à l'officier ministériel qui les avait reçues et transcrites en langue française, par le truchement d'un interprète en langue arabe assermenté ; qu'en statuant par ces motifs, la cour, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, desquelles il s'évinçait que les dispositions testamentaires avaient été écrites par le notaire sous la traduction d'un interprète, a violé l'article 972 du code civil, dans sa version antérieure à la loi n°2015-117 du 16 février 2015.ECLI:FR:CCASS:2018:C100594
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