Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 14 juin 2018, 16-28.672, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique, ci-après annexé :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 octobre 2016), que, par acte du 7 janvier 2014, le GFA de Saint Jean (le GFA), représenté par sa cogérante, Mme X..., a délivré à M. Alexandre Z... un congé afin de reprise mettant fin le 31 décembre 2018 au bail à long terme que lui avait cédé son père Gérard, également cogérant du GFA ; que, par déclaration du 25 mars 2014, M. Alexandre Z... a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé et restitution de parcelles et bâtiments ; que M. Gérard Z... est intervenu volontairement à l'instance ;

Attendu que le GFA et Mme X... font grief à l'arrêt d'annuler le congé pour défaut d'autorisation du gérant par l'assemblée générale extraordinaire ;

Mais attendu, d'une part, que c'est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, de l'article 16 des statuts, que l'ambiguïté de ses termes rendait nécessaire, que la cour d'appel a retenu que la commune intention des parties était de conférer à l'assemblée générale extraordinaire, seule habilitée à autoriser la conclusion de baux, le pouvoir d'en approuver parallèlement la rupture et en a déduit que le verbe "réaliser" devait être considéré comme signifiant résilier ;

Attendu, d'autre part, que les tiers à un groupement foncier agricole peuvent se prévaloir des statuts du groupement pour invoquer le dépassement de pouvoir commis par le gérant de celui-ci ; que la cour d'appel a constaté que M. Alexandre Z... n'était pas associé du GFA lors de la délivrance du congé, son père ne lui ayant fait donation de parts sociales qu'après cette date ; qu'il en résulte que M. Alexandre Z..., tiers preneur à bail, pouvait se prévaloir des statuts du groupement bailleur pour justifier du dépassement de pouvoir commis par sa cogérante ; que, par ce motif de pur droit, substitué à ceux justement critiqués, l'arrêt se trouve légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne le GFA de Saint Jean et Mme X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société De Saint Jean et Mme X...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR interprété l'article 16 des statuts du groupement foncier agricole Saint Jean comme soumettant la conclusion et la résiliation de baux à l'approbation de l'assemblée générale extraordinaire et d'avoir, en conséquence, déclaré nul le congé délivré le 7 janvier 2015 par un organe incompétent du groupement foncier agricole Saint-Jean ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE : « l'article 16 des statuts du GFA est ainsi rédigé : « Le gérant jouit des pouvoirs d'usage pour agir au nom de la société et faire et autoriser les actes et opérations relatives à son objet. Il a spécialement les pouvoirs suivants : Il administre les biens de la société et la représente vis-à-vis des tiers et de toute administration. Il effectuera tous travaux de réparation et d'entretien, arrêteront à cet effet tous devis et marchés. Mais tous de travaux de reconstruction ou d'amélioration, ou d'aménagement des bâtiments et des terres, toutes opérations d'acquisitions, d'aliénation ou d'échange, quelles qu'en soient et sous quelque forme qu'elles soient réalisées et emprunt par la société, même consenti par un associé et quel qu'en soit le montant, nécessiteront le concours et l'approbation de l'assemblée générale extraordinaire des associés. Il en sera de même pour tous baux ou locations à conclure ou à réaliser (...) ; que le verbe « réaliser » ainsi utilisé ne produit aucune effet si, comme le soutiennent le GFA Saint Jean et Mme Z... épouse X..., il doit être considéré comme synonyme de « conclure » également employé dans la phrase ; que le terme « réaliser » est donc le résultat d'une erreur de rédaction et doit être entendu comme signifiant « résilier », le sens qu'il y a lieu de donner à ce terme étant conforme à la commune intention des parties signataires des statuts, qui était de conférer à l'assemblée générale extraordinaire, seule habilitée à autoriser la conclusion des baux ou locations, le pouvoir d'en approuver parallèlement la résiliation ; que c'est donc par une interprétation exclusive de dénaturation que le premier juge, se fondant sur les dispositions des articles 1156 et 1158 du code civil, a estimé que le terme « réaliser » devait être pris comme signifiant « résilier » ; qu'il convient d'ajouter que l'article 16 des statuts se trouve affecté d'autres erreurs de rédaction (Ils.. arrêteront à cet effet tous devis et marchés
Mais tous de travaux de) et qu'il est extrait des statuts-type utilisé par la SCP Saphati et associés, titulaire d'un office notarial à [...] et rédacteur des statuts du GFA Saint Jean, sachant que les statuts d'un autre GFA (de la Simone), que communiquent les intimés, contient la reproduction in extenso de cet article 16 avec les mêmes erreurs de rédaction ; que les appelants ne sauraient se prévaloir du principe selon lequel une partie ne peut se contredire au détriment d'autrui (théorie de l'estoppel) en invoquant l'initiative prise par Gérard Z... de résilier, par lettre du 15 décembre 2015, en sa qualité de co-gérant du GFA Saint Jean et hors toute autorisation de l'assemblée générale extraordinaire, le bail consenti par le GFA à une société de chasse, alors que l'acte ainsi accompli, consistant en un congé avec refus de renouvellement, intéresse une autre convention que le bail à ferme, objet du présent litige, conclu avec un tiers non associé du GFA ; que la clause de l'article 16 des statuts ainsi interprétée a pour effet de limiter les pouvoirs du gérant qui ne peut, sans l'approbation de l'assemblée générale extraordinaire des associés du GFA, résilier les baux ou locations ; que l'article 1849, alinéa 3, du code civil, applicable à un groupement foncier agricole en vertu de l'article L. 322-1 du code rural et de la pêche maritime, dispose que les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants sont inopposables aux tiers, qui ne peuvent dès lors s'en prévaloir qu'ils en aient eu ou non connaissance ; que pour autant, Alexandre Z... à qui le congé aux fins de reprise a été délivré par acte du 7 janvier 2014 emportant résiliation du bail à ferme pour le 31 décembre 2008 ne peut en l'occurrence être considéré comme un tiers, auquel la clause statutaire serait inopposable ; qu'en tant qu'associé du GFA, titulaire de 250 parts en nue-propriété, il apparaît, en effet, fondé dans ses rapports avec le GFA à se prévaloir du dépassement de ses pouvoirs par Mme Z... épouse X..., dont il n'est pas discuté qu'elle a délivré seule, en sa qualité de co-gérante du GFA, le congé litigieux ; que c'est donc à juste titre que le premier juge a annulé le congé délivré le 7 janvier 2014 par Mme Z... épouse X..., qui n'avait pas le pouvoir d'accomplir seule un tel acte, lequel nécessitait, conformément à l'article 16 des statuts, dont le fermier associé pouvait se prévaloir, l'approbation de l'assemblée générale extraordinaire ; que le jugement entrepris doit dès lors être confirmé en toutes ses dispositions » ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES: « sur la validité du congé : que pour contester la validité du congé, Alexandre et Gérard Z... soutiennent que selon l'article 16 des statuts du GFA, le congé doit être autorisé par assemblée générale extraordinaire, que l'article 1848 ne peut être invoqué que subsidiairement aux statuts et prévoit l'opposition d'un cogérant aux actes de l'autre, que le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Brignoles du 9 février 2009 signifierait que le bail de 25 ans consenti à Gérard Z... était parvenu à son terme le 25/07/01 et s'était ensuite renouvelé par tacite reconduction jusqu'au 9 février 2009, date à laquelle le jugement aurait accordé à Alexandre Z... un bail rural de 9 ans exigeant pour être rompu un congé motivé ; que l'article 16 des statuts du GFA prévoit que : « Le gérant jouit des pouvoirs d'usage pour agir au nom de la société et faire et autoriser les actes et opérations relatives à son objet. Il a spécialement les pouvoirs suivants : Il administre les biens de la société et la représente vis-à-vis des tiers et de toute administration. Il effectuera tous travaux de réparation et d'entretien, arrêteront à cet effet tous devis et marchés. Mais tous de travaux de reconstruction ou d'amélioration, ou d'aménagement des bâtiments et des terres, toutes opérations d'acquisitions, d'aliénation ou d'échange, quelles qu'en soient et sous quelque forme qu'elles soient réalisées et emprunt par la société, même consenti par un associé et quel qu'en soit le montant, nécessiteront le concours et l'approbation de l'assemblée générale extraordinaire des associés. Il en sera de même pour tous baux ou locations à conclure ou à réaliser » ; que les demandeurs interprètent ce dernier mot « réaliser » comme une erreur de plume dépourvue de sens, et soutiennent que le terme conçu par les rédacteurs était « résilier » ; que le code civil dispose que l'interprétation des conventions doit suivre les règles suivantes : article 1156 : « On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes », article 1157 : « Lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n'en pourrait produire aucun », article 1158 : « Les termes susceptibles de deux sens doivent être pris dans le sens qui convient le plus à la matière du contrat » ; qu'il est manifeste que l'expression « conclure ou réaliser » le bail ne produit d'effet autre que « conclure » tandis que l'expression « conclure ou résilier » permet à ce deuxième terme de produire des effets ; que la commune intention des parties ne ressort pas d'autres documents que les statuts ; qu'il apparaît conforme à la logique des dispositions statutaires litigieuses que l'organe compétent pour résilier le bail soit celui qui a compétence pour le conclure ; que la commune intention des parties cocontractantes apparait donc de soumettre les baux à l'approbation de l'assemblée générale extraordinaire ; que cela correspond en outre aux valeurs qui sous-tendent ces statuts, dont l'objectif initial était pour un père de transmettre la propriété familiale à ses enfants sans la morceler, et selon toute vraisemblance sans défavoriser l'un quelconque de ses enfants ; que le bail revêtait dans cette optique une importance particulière, justifiant le recours à l'instance paritaire de concertation et de décision solennelle qu'est en l'espèce l'assemblée générale extraordinaire ; qu'en cela aussi, le terme « résilier » est celui qui correspond le mieux à la matière ; qu'en conséquence, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, le tribunal interprète l'article 16 des statuts du GFA comme soumettant la conclusions et la résiliation de baux à l'approbation de l'assemblée générale extraordinaire, et déclare le congé nul comme délivré par un organe incompétent du GFA » ;

ALORS 1/ QUE : l'article 16 des statuts du GFA stipulait que l'assemblée générale extraordinaire des associés devait donner son approbation « pour tous baux ou locations à conclure ou à réaliser » ; que les stipulations claires et précises du bail ne soumettaient ainsi à l'approbation de l'assemblée générale que la conclusion et la réalisation des baux, et non leur résiliation ; qu'en retenant pourtant qu'il y aurait lieu « d'estimer que le terme « réaliser » devait être pris comme signifiant « résilier » » (arrêt, p. 6, alinéa 2, in fine), la cour d'appel a dénaturé ces stipulations, en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;

ALORS ET SUBSIDIAIREMENT 2/ QUE : les tiers au GFA ne peuvent ni se voir opposer, ni invoquer à leur profit les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants ; que le preneur à bail auquel est délivré un congé est, dans le cadre de l'exécution du contrat de bail, un tiers au GFA peu important qu'il soit, par ailleurs, associé du groupement ; qu'en retenant pourtant, pour annuler le congé qui avait été délivré à M. Alexandre Z... , « qu'en tant qu'associé du GFA, titulaire de 250 parts en nue-propriété, il apparaît fondé dans ses rapports avec le GFA, à se prévaloir du dépassement de ses pouvoirs par Mme Z... épouse X... » (arrêt, p. 6, dernier alinéa, in fine), la cour d'appel a violé les articles 1849 du code civil et L. 322-1 du code rural et de la pêche ;

ALORS ET SUBSIDIAIREMENT 3/ QUE : les tiers au GFA ne peuvent ni se voir opposer, ni invoquer à leur profit les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants ; que la qualité de tiers doit s'apprécier à la date à laquelle l'acte est accompli en violation des stipulations statutaires ; qu'en l'espèce, les exposants soulignaient que M. Alexandre Z... n'est devenu associé du GFA qu'après que son père lui a fait donation de 250 parts en nue-propriété « courant mars 2014 » (conclusions, p. 2, pénultième alinéa) ; qu'en retenant pourtant que M. Alexandre Z... était bien-fondé à se prévaloir du prétendu dépassement de pouvoir commis par Mme Z... le 7 janvier 2014 lors de la délivrance du congé, la cour d'appel a violé les articles 1849 du code civil et L. 322-1 du code rural et de la pêche. ECLI:FR:CCASS:2018:C300582
Retourner en haut de la page