Cour d'appel de Paris, 4 mai 2018, 16/182967
Cour d'appel de Paris, 4 mai 2018, 16/182967
Cour d'appel de Paris - G1
- N° de RG : 16/182967
- Solution : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Audience publique du vendredi 04 mai 2018
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 1
ARRÊT DU 04 MAI 2018
(no , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/18296
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Juillet 2016 -Tribunal de Grande Instance de Créteil - RG no 15/00174
APPELANTS
Monsieur Raphaël X...
né le [...] à Créteil (94000)
et
Madame Sophie Y... épouse X...
née le [...] à Paris (75000)
demeurant [...]
Représenté et assisté sur l'audience par Me Claire THOUVENIN, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 153
INTIMÉS
Monsieur Rémi F...
né le [...] à SAINT ETIENNE (42000)
demeurant [...]
Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
Assisté sur l'audience par Me Guillaume BLANC, avocat au barreau de VALENCE
Madame Elodie C...
née le [...] à ANGERS (49100)
demeurant [...]
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
Assisté sur l'audience par Me Guillaume BLANC, avocat au barreau de VALENCE
SARL CHERY CROSSARD CHERY CROSSARD, RC CRETEIL B.451.210.371, dont le siège social est à [...] , agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux y domiciliés en cette qualité.
No SIRET : 451 210 371
ayant son siège au [...]
Représentée par Me Marie-Annick PICARD-DUSSOUBS, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 58
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Mars 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Dominique GILLES, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Dominique DOS REIS, Présidente
Monsieur Dominique GILLES, Conseiller
Madame Christine BARBEROT, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : M. Christophe DECAIX
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
- rendu par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Dominique DOS REIS, Présidente, et par M. Christophe DECAIX, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
* *
Par acte authentique du 13 janvier 2012, M. Rémi F... et Mme Elodie C... (les consorts F... C...) ont, par l'entremise de la SARL Chery Crossard à laquelle ils avaient donné un mandat de recherche d'acquéreur, vendu à M. Raphaël X... et Mme Sophie Y... son épouse une maison d'habitation sise [...] avec boutique attenante, moyennant le prix de 390 000 €.
Se plaignant d'un affaissement des fondations et de fissures affectant la structure de l'immeuble, les époux X... ont obtenu l'organisation en référé d'une expertise judiciaire, au contradictoire des vendeurs, de l'agent immobilier et des voisins propriétaires de la maison jumelle, solidaire de l'immeuble vendu. L'expert désigné, M. D..., a déposé son rapport le 23 juin 2014. Le rapport d'expertise judiciaire a mis en évidence un processus évolutif d'affaissement des deux extrémités des deux pavillons jumelés, une nouvelle fissure du plancher avec décollement du parquet étant apparue en cours d'expertise dans la chambre sur rue de la maison litigieuse.
Par acte extrajudiciaire du 3 novembre 2014, les époux X... ont assigné les consorts F... C... et la SARL Chery Crossard pour voir prononcer, sur le fondement de la garantie des vices cachés, l' "annulation" de la vente et la condamnation des défendeurs à les indemniser de leurs préjudices.
C'est dans ces conditions que le tribunal de grande instance de Créteil, par jugement du 13 juillet 2016, a :
- débouté les époux X... de leur demande en résolution de la vente pour vice caché ;
- débouté les époux X... de leur demande en dommages et intérêts contre les consorts F... C...,
- débouté les époux X... de leur demande en dommages et intérêts contre la SARL Chery Crossard,
- condamné les époux X... à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile aux consorts F... C... une somme de 3 000 € et à al SARL Chery Crossard une somme de 3 000 €, en plus de supporter la charge des dépens.
Par dernières conclusions du 28 mars 2017, les époux X..., appelants, demandent à la Cour de :
- vu les articles 1641 à 1644 du code civil ;
- prononcer l'annulation de la vente immobilière litigieuse, les consorts F... C... devenant propriétaires à leurs seuls frais "notamment notariés" et étant condamnés à leur restituer la somme de 390 000 € au titre du prix de vente ;
- condamner solidairement les consorts F... C... et la société Chery Crossard à leur payer la somme de 30 500 € au titre de leur préjudice financier outre la somme de 8 000 € au titre du préjudice moral et 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions du 14 février 2018, les consorts F... C... prient la Cour de :
- vu l'article 1641 du code civil ;
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- débouter les époux X... de toutes leurs demandes ;
- y ajoutant :
- les condamner à leur verser une somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en plus de supporter la charge des dépens d'appel.
Par dernières conclusions du 05 avril 2017, la SARL Chery Crossard prient la Cour de :
- vu les articles 1382, 1383, 1641 du code civil ;
- vu l'article 9 du code de procédure civile ;
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- lui allouer une indemnité complémentaire de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en plus de supporter la charge des dépens.
SUR CE
LA COUR
Les acquéreurs, qui exercent l'action rédhibitoire en présence d'une clause de l'acte de vente exonérant les vendeurs de la garantie des vices cachés, rapportent la preuve qui leur incombe, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, que ces vendeurs, lors de la vente, se sont abstenus de leur révéler l'existence d'un grave vice affectant la stabilité même de la maison, qu'ils connaissaient pour en avoir vu apparaître certaines manifestations non équivoques, en cours d'évolution au moment de la vente.
L'expertise judiciaire a établi que les voisins propriétaires et occupants de la maison jumelle (sise au [...] ) solidaire de la maison litigieuse s'étaient inquiétés, au moment même où les consorts F... C... vendaient, d'un affaissement symétrique à celui dénoncé par les époux X... ; ils avaient ainsi sollicité un avis technique et leur bien a été visité dès le 3 février 2012. Le technicien qu'ils avaient requis (la société GI2S) a mis en cause la mauvaise évacuation des eaux pluviales, le mauvais état des canalisations et la mauvaise qualité du terrain d'ancrage des fondations constitué de remblais. L'expertise judiciaire, par examen géotechnique et inspection par vidéo des canalisations enterrées a confirmé cette analyse et a seulement précisé les graves désordres affectant la construction : ancrage des fondations dans un matériau inapte à reprendre les charges, hétérogénéité du système de fondation entre les différentes parties de la maison, hétérogénéité de l'état hydrique des sols aux alentours des assises de fondations, mauvais état des canalisations enterrées cassées en plusieurs endroits, rejet des eaux de pluie et de toiture dans le sol au contact direct des fondations de l'extension en rez-de-chaussée. L'affaissement de la structure vers le Sud est apparu à l'expert judiciaire, sans que ces conclusions ne soient valablement combattues, imputable à des tassements différentiels en relation avec la circulation d'eau en provenance des canalisations rompues et l'accumulation de déchets sanitaires dans le sol ; l'expert a relevé également que la partie de la maison édifiée sur sous-sol (R+1+combles), structurellement jointe à la maison mitoyenne, se désolidarisait selon un axe préférentiel de fissuration sur toute la hauteur.
L'expertise a défini les travaux de reprise par la réfection des canalisations, de toutes les descentes d'eau, par la création d'un réseau séparatif avec branchement à l'égout et suppression de la fosse septique et, surtout, par des travaux de confortement en sous oeuvre et de désolidarisation qui, à eux seuls, ont été évalués à plus de 164 000 €.
Si le rapport d'expertise judiciaire établit que l'ensemble du réseau de canalisations enterrées en plus d'être non conforme au règlement communal, est fuyard, ce qui a entraîné, par ravinement en sous-oeuvre, des désordres dans la structure de la construction manifestés par des fissurations et par l'inclinaison anormale de certains planchers (chambre sur rue, cuisine et pièce sur cour), il est démontré que ces vendeurs ont su, lors de la vente que la maison était affectée d'une grave déstabilisation de sa structure, caractérisée par des désordres évolutifs en cours de manifestation, ce dont ils se sont abstenus d'informer les acquéreurs qui n'ont pu se rendre compte de l'évolution en cours par les deux seules visites réalisées avant la vente, quand bien même ces visites leur avait permis de se rendre compte par eux -mêmes de certaines fissures apparentes sur la façade arrière. En particulier, l'expert judiciaire, qui a conclu que les consorts F... C... ne pouvaient ignorer le mauvais état de la structure de l'immeuble vendu, a formellement relevé que la pente affectant le plancher de la chambre sur rue préexistait à la vente et que, surtout, ce désordre était évolutif au moment de la vente. C'est ce désordre particulier qui a donné lieu, en cours d'expertise, à l'apparition d'une nouvelle fissure du plancher avec décollement du parquet. Les vendeurs, qui ont occupé l'immeuble après l'avoir eux-même acquis le 2 décembre 2005, et qui l'ont confié à un agent immobilier pour le faire visiter, ne peuvent invoquer l'aspect perceptible et apparent lors de la vente de ce défaut de planimétrie pour se justifier de ne pas avoir informé les acquéreurs de l'apparition et de l'évolution de ce désordre, étant observé que dès le moins de juin 2012, le plancher de la cuisine, comme attesté par l'avis amiable de la société Lamy complétant l'expertise judiciaire, avait commencé à son tour de s'affaisser, l'évolution en cours d'expertise ayant encore affecté le plancher d'une troisième pièce. A supposer que lors des visites des acquéreurs préalables à la vente, ceux-ci aient pu se rendre compte du défaut de planimétrie du plancher d'une des pièces, les acquéreurs ne pouvaient se douter du caractère évolutif du désordre, que seule une information loyale par les vendeurs aurait pu leur apprendre. D'ailleurs les comptes rendus de visite établis par l'agent immobilier et produits par les vendeurs révèlent qu'aucun autre visiteur ne s'est inquiété de ce défaut de planimétrie, alors que tel ou tel s'était inquiété des fissures. Les vendeurs, qui ont assisté à l'affaissement du plancher dans la chambre sur rue avant de vendre, ont nécessairement conçu d'autant plus de raisons de s'inquiéter de la gravité du phénomène évolutif affectant l'assise même de la maison qu'ils avaient connu, au cours de leur occupation des lieux, l'état de fissuration des murs de la maison ; en effet, certaines fissures, anciennes, ayant été nécessairement connues par les vendeurs, ainsi que l'établit l'expertise judiciaire et ainsi qu'ils le reconnaissent.
Sans besoin pour cela de connaissances particulières en bâtiment, il est établi que l'ensemble de leurs observations leur avait fait concevoir avant la vente la gravité et les liens existant entre les deux séries de manifestations du vice : l'affaissement du plancher et les fissurations des murs. A l'inverse, à l'occasion des visites effectuées avant la vente, les époux X..., même s'ils ont pu s'apercevoir de l'existence de certaines fissures des murs, et à supposer qu'ils aient perçu la pente du plancher d'une des pièces, n'ont pas disposé de l'information essentielle concernant les mouvements en cours de la construction sur ses bases. L'agent immobilier chargé de rechercher un acquéreur, qui n'est pas un professionnel de la construction, n'a pu davantage suppléer le manque d'information donné par les vendeurs quant à l'évolution en cours des désordres à la date de la vente. Les consorts F... C... ne peuvent donc soutenir que les époux X... auraient acquis en connaissant le vice affectant la stabilité de la maison, dont le caractère évolutif, caché par les vendeurs de mauvaise foi constitue la particulière gravité, caractérise l'impropriété de l'immeuble à son usage et justifie la résolution de la vente.
Le jugement entrepris sera donc infirmé.
La gravité du vice est suffisante pour justifier la résolution de la vente qui sera prononcée.
S'agissant des demandes de dommages et intérêts, les époux X... ne justifient pas de la réalité des préjudices financiers qu'ils invoquent comme découlant de l'annulation, que ce soit pour les "frais de notaire" réclamés à hauteur de 26 000 € ou les prétendus frais de remboursement anticipé de l'emprunt bancaire ayant servi à financer le prix de bien ou encore les prétendus frais de levée de l'hypothèque. Les demandes pour préjudice financier ne peuvent donc pas prospérer et seront rejetées.
En revanche, les époux X... ont manifestement subi un préjudice moral à la suite des soucis et tracas causés par suite du vice caché par leurs vendeurs solidaires. Ceux-ci seront donc solidairement condamnés à leur verser une somme de 5 000 € à ce titre.
Nulle faute causale de la société Chery Crossard n'est établie à l'égard des époux X..., ni pour avoir prétendument nié le caractère symptomatique d'une fissure extérieure, dès lors que l'agent immobilier, qui n'est pas un technicien du bâtiment, n'avait pas été mis au courant des évolutions inquiétantes du plancher manifestant la déstabilisation de la maison sur ses fondations, ni pour avoir procédé à aucune vérification de l'état du réseau des eaux usées au regard des obligations de raccordement et de séparation des eaux de pluies et des eaux usées ou au regard du rapport établi avant la vente par le diagnostiqueur Agenda ; en effet, ce dernier document, visé par l'acte de vente, n'a aucunement envisagé que le réseau enterré pouvait être fuyard, ce qui a été la cause déterminante des désordres et non le défaut de raccordement effectif, non envisagé par le diagnostiqueur, lequel a seulement émis l'hypothèse de la présence d'une ancienne fosse septique interposée entre le réseau d'évacuation et le réseau communal, ni le branchement unitaire du raccordement des eaux vannes et pluviales ou l'absence de regard de visite des eaux usées, anomalies détectées mais qui n'ont pas contribué aux désordres, lesquels ont été exclusivement produits par la rupture des canalisations enterrées. Le rapport du diagnostiqueur ne pouvait pas davantage laisser penser à l'agent immobilier que des signes alarmants de vétusté avaient été identifiés.
La responsabilité de la société Chery Crossard ne peut donc être engagée ; le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts contre l'agent immobilier et lui a alloué une indemnité de procédure au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En équité, les consorts F... C..., tenus in solidum, verseront aux époux X... une somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais de première instance et d'appel, en plus de supporter la charge des dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire et qui doivent être mis à leur charge exclusive puisqu'ils succombent à titre principal.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté les époux X... de leurs demandes contre la SARL Chery Crossard, et en ce qu'il a condamné les époux X... à verser à celle-ci, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité de procédure d'un montant de 3 000 €,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés :
Ordonne la résolution pour vice caché de la vente conclue par acte authentique du 13 janvier 2012 dressé par M. Stéphan E..., notaire à [...] (Val-de-Marne) entre :
- d'une part, M. Rémi F..., né le [...] à Saint Etienne (42000), demeurant à [...] , de nationalité française, et Mme Elodie C..., née le [...] à Angers (49000), demeurant[...] , de nationalité française, chacun propriétaire de la moitié indivise du bien vendu,
- d'autre part M. Raphaël X..., né le [...] à Créteil (94000) et Mme Sophie Y..., née le [...] à Paris (75013), de nationalité française, demeurant ensemble, à l'époque, [...] , mariés sous le régime de la communauté légale de biens réduite aux acquêts, à l'époque non modifié, à la suite de leur mariage célébré à la mairie de [...] le [...],
et portant sur une maison d'habitation avec boutique attenante, jardin et appentis, sise [...] figurant au cadastre de ladite commune section [...] lieudit [...] pour une contenance de 00ha01a75ca,
moyennant le prix de vente de 390 000 €,
Ordonne en conséquence, d'une part, la restitution du bien ci-dessus objet de la vente résolue par les époux X... aux consorts F... C... et, d'autre part, la restitution par ces derniers aux époux X... du prix de 390 000 €,
Condamne solidairement les consorts F... C... à payer aux époux X... une somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts,
Condamne in solidum les consorts F... C... , à payer aux époux X... une somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en plus de supporter la charge des entiers dépens qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire et qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande.
Le Greffier, La Présidente,