Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 12 avril 2018, 17-13.856, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique du pourvoi principal et du pourvoi incident, réunis, ci-après annexés :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 13 décembre 2016), que, par actes du 16 août 2011, dressés par M. B..., notaire, M. Y... a vendu une parcelle de terre en nue-propriété à M. X... et en usufruit à l'earl X... ; que la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Champagne Ardenne, aux droits de laquelle se trouve la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Grand Est (la SAFER), soutenant que ces ventes avaient été conclues en fraude de son droit de préemption, a assigné M. Y..., M. X..., l'earl X... et la SCP B..., Regnier-B..., Guilpain en annulation de celles-ci ;

Attendu que M. X..., l'earl X... et la SCP B..., Regnier-B..., Guilpain font grief à l'arrêt d'accueillir cette demande ;

Mais attendu qu'ayant retenu que le fait d'éluder, en toute connaissance de cause, l'information due à la SAFER lors de la vente de la nue-propriété à M. X... et de l'usufruit à l'earl X..., quelques semaines seulement après que le vendeur avait renoncé à une première vente pour empêcher la préemption par la SAFER, suffisait à démontrer la volonté de faire échec au droit de préemption, que M. Y... n'était pas dans la situation d'un usufruitier qui vendait son usufruit ou d'un nu-propriétaire qui vendait sa nue-propriété, mais dans celle du titulaire d'une propriété pleine et entière qui démembrait volontairement, sans nécessité apparente, sa pleine propriété pour vendre simultanément d'une part la nue-propriété et d'autre part l'usufruit à deux personnes certes différentes, mais ayant des liens familiaux étroits et des intérêts communs, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, qui ne s'est pas contredite et qui en a souverainement déduit que le recours à la vente démembrée pour faire échec au droit de préemption de la SAFER suffisait à démontrer la fraude, a pu, par ces seuls motifs, annuler les ventes ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne M. X..., la société X... et la SCP B..., Regnier-B..., Guilpain aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes de M. X..., l'earl X... et la SCP B..., Regnier-B..., Guilpain et condamne M. X..., la société X..., ceux-ci in solidum, et la SCP B..., Regnier-B..., Guilpain à payer à la SAFER Grand Est la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze avril deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour M. X... et la société X....

Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir prononcé la nullité de l'acte authentique régularisé le 16 août 2011 en l'étude de Maître B..., régulièrement publié au Bureau des Hypothèques de Troyes, portant vente par M. Gérard Y... à l'Earl X... de l'usufruit de la parcelle de terre sise sur le terroir de la commune de [...] Lieudit [...] [...] d'une superficie de 10ha 80a 00ca et d'avoir prononcé la nullité de l'acte authentique régularisé le 16 août 2011 en l'étude de Maître B... régulièrement publié au Bureau des Hypothèques de Troyes, portant vente par M. Gérard Y... au profit de M. Julien X... de la nue-propriété de la parcelle de terre sise sur le terroir de la commune de [...] Lieudit [...] [...] d'une superficie de 10ha 80a 00ca ;

AUX MOTIFS QUE

« Sur la validité des ventes litigieuses:

En application du droit applicable au moment de la vente litigieuse, le droit de préemption de la Safer ne pouvait jouer, hormis le cas de fraude, à l'occasion de la vente de la nue-propriété ou de l'usufruit d'un bien rural.

Est frauduleuse l'opération qui a pour but de faire échec au droit de préemption.

En l'espèce, la Safer invoque l'existence d'une fraude. A cette fin, elle fait valoir trois faits :

- l'absence de notification de la vente par le notaire instrumentaire,

- la réitération de la vente par démembrement de propriété un mois après une première tentative de vente pour laquelle elle avait manifesté sa décision de préempter,

- l'absence d'intérêt du démembrement autre que celui de contourner la préemption de la Safer.

Sur ce dernier point, l'absence d'intérêt de la vente par démembrement, la démonstration de la Safer n'est pas pleinement convaincante: si ce type de vente ne présente aucun intérêt pour le vendeur, il peut avoir un intérêt fiscal pour l'acquéreur de l'usufruit.

Mais les deux premiers points suffisent à démontrer la fraude, c'est-à-dire le recours à la vente démembrée pour faire échec au droit de préemption.

En effet, M. Y... savait que la Safer souhaitait préempter sa parcelle [...] , puisque lorsqu'il a voulu la vendre en avril 2011 à l'Earl C... et à M. Sébastien C..., la Safer a exercé son droit de préemption, ce qui l'a d'ailleurs conduit à renoncer à la vente le 9 juillet 2011. Il a néanmoins remis aussitôt la parcelle en vente et a conclu un nouvel acte de vente de la parcelle dès le 16 août 2011, cette fois au profit de M. Julien X... en nue-propriété et de l'Earl X... en usufruit. Mais pour cette seconde vente, aucune information n'a été délivrée à la Safer par le notaire. Pourtant, rien dans l'article R143-4 du code rural, dans sa rédaction en vigueur à l'époque, ne permettait au notaire instrumentaire d'éluder cette information (information d'ailleurs effectuée quelques semaines plus tôt par maître Pascale F..., notaire instrumentaire de la première vente) :

"Lors d'une vente, d'un échange ou d'un apport en société portant sur un fonds agricole ou un terrain à vocation agricole situé dans une zone où la société d'aménagement foncier et d'établissement rural est autorisée à exercer le droit de préemption, le notaire chargé d'instrumenter est tenu, deux mois avant la date envisagée pour cette aliénation, de faire connaître à ladite société la consistance du bien, sa localisation, le cas échéant la mention de sa classification dans un document d'urbanisme, s'il en existe, le prix et les conditions demandés, ainsi que les modalités de l'aliénation projetée. En outre, le notaire fait connaître à la société les nom, domicile et profession de la personne qui se propose d'acquérir le bien".

Le fait d'éluder, en toute connaissance de cause, cette information due à la Safer concernant la deuxième vente, quelques semaines seulement après que le vendeur eut renoncé à une première vente pour empêcher la préemption par la Safer, suffit à démontrer la volonté de faire échec au droit de préemption.

Au surplus, M. Y... n'était pas dans la situation d'un usufruitier qui vendrait sa nue-propriété, mais dans celle du titulaire d'une propriété pleine et entière qui démembre volontairement, sans nécessité apparente, sa pleine propriété pour vendre simultanément d'une part la nue-propriété et d'autre part l'usufruit à deux personnes certes différentes, mais ayant des liens familiaux étroits et des intérêts communs, qui se sont préalablement entendues pour qu'à un terme dores et déjà fixé la pleine propriété soit reconstituée au bénéfice de l'usufruitier [en réalité du nu-propriétaire].

Par conséquent, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité des deux ventes litigieuses: la vente de la nue-propriété de la parcelle [...] à M. Julien X... et la vente de l'usufruit de cette même parcelle à l'Earl X.... » ;

ET AUX MOTIFS PARTIELLEMENT ADOPTES QUE

« II Sur l'annulation des deux actes authentiques du 16 août 2011 et sur la fraude

Attendu qu'aux termes du Décret n°2012-363 du 14 mars 2012, la liste des opérations soumises aux formalités du droit de préemption prévues à l'article L.143-1 du Code rural et de la pêche maritime a été élargie aux ventes démembrées des biens immobiliers ruraux, des terres et des exploitations agricoles ou forestières ;

Qu'a contrario, il s'avère antérieurement au décret du 14 mars 2012, qu'aucune obligation de déclaration préalable à la Safer n'était mise à la charge du notaire instrumentaire concernant les ventes d'un droit réel démembré de la nue-propriété et/ou de l'usufruit, de sorte que les dispositions des articles L.143-1, R.143-7 et R.143-9 du Code rural et de la pêche maritime concernaient seulement l'aliénation d'un bien immobilier à usage agricole ou d'un terrain à vocation agricole à titre onéreux et en pleine propriété ;

Que toutefois le droit de préemption de la Safer ne peut être écarté en cas de fraude visant à contourner la liste des opérations soumises à la formalité de déclaration ; que la démonstration de la manoeuvre frauduleuse pèse sur la Safer ;

Attendu qu'en l'espèce, il résulte des dispositions en vigueur au moment de la rédaction des actes authentiques des 16 août 2011 que Maître B..., notaire instrumentaire n'était pas tenu de procéder à une quelconque déclaration ou information de l'opération de vente auprès de la Safer Champagne Ardenne dans la mesure où la vente d'un droit réel d'un bien immobilier rural démembré de sa nue-propriété ou de son usufruit ne rentre pas dans le régime de la déclaration préalable des opérations soumises au droit de préemption

Mais attendu qu'il ressort tout d'abord, de l'historique de ce dossier qu'un premier projet de vente démembré de la propriété litigieuse appartenant à Monsieur Gérard Y... au profit de l'EARL C... pour l'usufruit et Monsieur Sébastien C... pour la nue-propriété, a été notifié le 21 avril 2011 à la SAFER CHAMPAGNE ARDENNE par Maître Pascale F..., notaire instrumentaire ; que par correspondance du 9 juillet 2011, ce même notaire a informé la SAFER CHAMPAGNE ARDENNE de la renonciation à ce projet de vente par Monsieur Gérard Y..., suite à la préemption exercée par ledit organisme le 21 juin 2011 au prix révisé de 70 200 €;

Qu'il convient de constater qu'un mois plus tard, Monsieur Gérard Y... a cédé l'usufruit de la même propriété à l'EARL X..., publié au Bureau des Hypothèques de Troyes le 10 octobre 2011, Volume 2011 P N° 6633 et la nue-propriété de cette même propriété à Monsieur Julien X..., publié au Bureau des Hypothèques de Troyes le 10 octobre 2011, Volume 2011 P N° 6635 suivants deux actes authentiques établi par Maître B..., notaire instrumentaire, daté du même jour, soit le 16 août 2011;

Que dès à présent, il convient de dire d'une part que la très proche proximité des deux opérations immobilières et d'autre part, le même montage juridique des deux opérations, à savoir la vente de l'usufruit à une EARL et la nue-propriété à un même membre de l'EARL établi par deux notaires différents, suffit à démontrer l'intention frauduleuse de vendre le bien immobilier en pleine propriété à terme, à des acquéreurs autre que la SAFER CHAMPAGNE ARDENNE;

Qu'en effet, les défendeurs ont réitéré l'opération immobilière et ce, à très bref délai entre les mains d'un autre notaire instrumentaire, après avoir renoncé le 9 juillet 2011 à un premier projet de vente démembré publié par Maître Pascale F..., premier notaire instrumentaire, consécutivement à l'exercice du droit de préemption en pleine propriété de la SAFER CHAMPAGNE ARDENNE à un prix révisé à hauteur de 70 200 € ; qu'il est manifeste que la volonté de vendre l'intégralité du bien existe pourvu que ce ne soit pas à la SAFER;

Attendu qu'ensuite, il convient de constater que l'ensemble des défendeurs allèguent que le choix de la vente démembrée de la propriété de Monsieur Gérard Y... a été choisie pour que Monsieur Julien X... et l'EARL X... puissent bénéficier des avantages fiscaux et financiers ;

Qu'il s'avère à la lecture des pièces versées au débat que la démonstration des bénéfices escomptés de cette opération immobilière n'est pas rapportée ;

Qu'il s'ensuit que le caractère frauduleux de l'opération immobilière apparaît établi et que les deux opérations en date du 16 août 2011 ont été faites en fraude au droit de préemption de la Safer Champagne Ardenne ;

Qu'en conséquence, il convient de prononcer la nullité de l'acte authentique régularisé le 16 août 2011 passé en l'étude de Maître B... publié au Bureau des Hypothèques de Troyes le 10 octobre 2010 [en réalité : 2011] Volume 2011 P N°6633 portant vente par Monsieur Gérard Y... à l'Earl X... de l'usufruit de la parcelle de terre sise sur le terroir de la Commune de [...] Lieudit [...] [...] d'une superficie de 10ha 80a 00ca et d'avoir prononcé la nullité de l'acte authentique régularisé le 16 août 2011 passé en l'étude de Maître B... publié au Bureau des Hypothèques de Troyes le 10 octobre 2010 [en réalité : 2011] Volume 2011 P N°6635 portant vente par Monsieur Gérard Y... au profit de Monsieur Julien X... de la nue-propriété de la parcelle de terre sise sur le terroir de la Commune de [...] Lieudit [...] [...] d'une superficie de 10ha 80a 00ca » ;

1) ALORS QUE l'article R. 143-4 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure au décret n°2015-954 du 31 juillet 2015, n'a jamais mis à la charge du notaire l'obligation de notifier les cessions d'usufruit et de nue-propriété ; qu'en jugeant néanmoins que ce texte imposait une telle notification et qu'en conséquence, le fait d'éluder cette information due à la Safer suffisait à démontrer la volonté de faire échec au droit de préemption, la cour d'appel a violé l'article R. 143-4 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les articles L. 143-1 et L. 143-4 du même code et 1382 du code civil , dans leur rédaction applicable à la cause ;

2) ALORS QU'en retenant la fraude après avoir pourtant constaté que le notaire avait, lors de la première vente, réalisée par le même montage juridique, notifié à la Safer les projets de vente, ce dont il s'évinçait que M. Y... n'avait pas cherché à éluder cette information, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a encore violé l'article R. 143-4 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les articles L. 143-1 et L. 143-4 du même code et 1382 du code civil, dans leur rédaction applicable à la cause;

3) ALORS QUE caractérise la fraude l'utilisation d'une règle de droit dans l'unique dessein de faire échec à l'application d'une autre règle ou d'un acte obligatoire ; que l'existence d'un motif légitime avancé par les parties pour recourir à l'opération litigieuse suffit à écarter la fraude ; qu'en se bornant, pour retenir la fraude, à énoncer que M. Y... aurait eu recours à la vente démembrée, « sans nécessité apparente », sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (conclusions d'appel des exposants, p. 9, al. 6 et s. et p.10, production), si ce n'était pas M. Guillaume X..., gérant de l'Earl X..., qui avait préconisé un achat en démembrement de propriété, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe fraus omnia corrumpit ;

4) ALORS QU'en retenant la fraude après avoir pourtant constaté que le recours à une vente démembrée présentait un intérêt fiscal pour l'acquéreur de l'usufruit, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé le principe fraus omnia corrumpit ;

5) ALORS QUE tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant, en premier lieu, que la vente par démembrement présentait un intérêt fiscal pour l'acquéreur de l'usufruit (arrêt, p. 5, al. 4) et, en second lieu, que la volonté de faire échec au droit de préemption de la Safer serait caractérisée par le recours à une vente démembrée (arrêt, p. 5, al. 9 : la vente simultanée « d'une part de la nue-propriété et d'autre part de l'usufruit à deux personnes certes différentes, mais ayant des liens familiaux étroits et des intérêts communs, qui se sont préalablement entendues pour qu'à un terme d'ores et déjà fixé la pleine propriété soit reconstituée au bénéfice de l'usufruitier [en réalité du nu-propriétaire] »), la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires et violé l'article 455 du code de procédure civile ;

6) ALORS, subsidiairement, QU' à supposer que l'on considère que la cour d'appel n'aurait pas retenu que les ventes litigieuses aient présenté un intérêt fiscal pour les consorts X..., caractérise la fraude l'utilisation d'une règle de droit dans l'unique dessein de faire échec à l'application d'une autre règle ou d'un acte obligatoire ; que l'existence d'un motif légitime avancé par les parties pour recourir à l'opération litigieuse suffit à écarter la fraude ; qu'en retenant la fraude sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (conclusions d'appel, des exposants, p. 9, al. 6 et s. et p.10, production), si les consorts X... n'avaient pas un motif légitime d'ordre fiscal et patrimonial de recourir à une vente démembrée, ce qui excluait la fraude, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe fraus omnia corrumpit ;

7) ALORS QUE la vente démembrée d'une parcelle soumise au droit de préemption de la Safer n'est susceptible d'être considérée comme frauduleuse que lorsqu'il est prévu, à bref délai, la reconstitution de la pleine propriété sur une même tête ; qu'en se bornant, pour retenir la fraude, à énoncer que l'opération consistait en une vente simultanée « d'une part de la nue-propriété et d'autre part de l'usufruit à deux personnes certes différentes, mais ayant des liens familiaux étroits et des intérêts communs, qui se sont préalablement entendues pour qu'à un terme d'ores et déjà fixé la pleine propriété soit reconstituée au bénéfice de l'usufruitier [en réalité du nu-propriétaire] », sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (conclusions d'appel, p. 8 dernier al. et p. 9, production), si la durée de douze ans prévue pour l'usufruit temporaire acquis par l'Earl X... n'excluait pas que l'on puisse considérer le recours à une vente démembrée comme artificiel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe fraus omnia corrumpit. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société B...   Regnier-B... Guilpain.

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR prononcé la nullité de l'acte authentique régularisé le 16 août 2011 en l'étude de Maître B..., régulièrement publié au Bureau des hypothèques de Troyes, portant vente par M. Gérard Y... à l'Earl X... de l'usufruit de la parcelle de terre sise sur le terroir de la commune de [...] Lieudit [...] [...] d'une superficie de 10ha 80a 00ca et d'AVOIR prononcé la nullité de l'acte authentique régularisé le 16 août 2011 en l'étude de Maître B... régulièrement publié au Bureau des Hypothèques de Troyes, portant vente par M. Gérard Y... au profit de M. Julien X... de la nue-propriété de la parcelle de terre sise sur le terroir de la commune de [...] Lieudit [...] [...] d'une superficie de 10ha 80a 00ca ;

AUX MOTIFS QUE sur la validité des ventes litigieuses : qu'en application du droit applicable au moment de la vente litigieuse, le droit de préemption de la Safer ne pouvait jouer, hormis le cas de fraude, à l'occasion de la vente de la nue-propriété ou de l'usufruit d'un bien rural ; qu'est frauduleuse l'opération qui a pour but de faire échec au droit de préemption ; qu'en l'espèce, la Safer invoque l'existence d'une fraude ; qu'à cette fin, elle fait valoir trois faits :

- l'absence de notification de la vente par le notaire instrumentaire,

- la réitération de la vente par démembrement de propriété un mois après une première tentative de vente pour laquelle elle avait manifesté sa décision de préempter,

- l'absence d'intérêt du démembrement autre que celui de contourner la préemption de la Safer ;

que sur ce dernier point, l'absence d'intérêt de la vente par démembrement, la démonstration de la Safer n'est pas pleinement convaincante: si ce type de vente ne présente aucun intérêt pour le vendeur, il peut avoir un intérêt fiscal pour l'acquéreur de l'usufruit ; mais que les deux premiers points suffisent à démontrer la fraude, c'est-à-dire le recours à la vente démembrée pour faire échec au droit de préemption ; qu'en effet, M. Y... savait que la Safer souhaitait préempter sa parcelle [...] , puisque lorsqu'il a voulu la vendre en avril 2011 à l'Earl C... et à M. Sébastien C..., la Safer a exercé son droit de préemption, ce qui l'a d'ailleurs conduit à renoncer à la vente le 9 juillet 2011 ; qu'il a néanmoins remis aussitôt la parcelle en vente et a conclu un nouvel acte de vente de la parcelle dès le 16 août 2011, cette fois au profit de M. Julien X... en nue-propriété et de l'Earl X... en usufruit ; mais que pour cette seconde vente, aucune information n'a été délivrée à la Safer par le notaire ; que pourtant, rien dans l'article R143-4 du code rural, dans sa rédaction en vigueur à l'époque, ne permettait au notaire instrumentaire d'éluder cette information (information d'ailleurs effectuée quelques semaines plus tôt par maître Pascale F..., notaire instrumentaire de la première vente) : "lors d'une vente, d'un échange ou d'un apport en société portant sur un fonds agricole ou un terrain à vocation agricole situé dans une zone où la société d'aménagement foncier et d'établissement rural est autorisée à exercer le droit de préemption, le notaire chargé d'instrumenter est tenu, deux mois avant la date envisagée pour cette aliénation, de faire connaître à ladite société la consistance du bien, sa localisation, le cas échéant la mention de sa classification dans un document d'urbanisme, s'il en existe, le prix et les conditions demandés, ainsi que les modalités de l'aliénation projetée. En outre, le notaire fait connaître à la société les nom, domicile et profession de la personne qui se propose d'acquérir le bien" ; que le fait d'éluder, en toute connaissance de cause, cette information due à la Safer concernant la deuxième vente, quelques semaines seulement après que le vendeur eut renoncé à une première vente pour empêcher la préemption par la Safer, suffit à démontrer la volonté de faire échec au droit de préemption ; qu'au surplus, M. Y... n'était pas dans la situation d'un usufruitier qui vendrait sa nue-propriété, mais dans celle du titulaire d'une propriété pleine et entière qui démembre volontairement, sans nécessité apparente, sa pleine propriété pour vendre simultanément d'une part la nue-propriété et d'autre part l'usufruit à deux personnes certes différentes, mais ayant des liens familiaux étroits et des intérêts communs, qui se sont préalablement entendues pour qu'à un terme dores et déjà fixé la pleine propriété soit reconstituée au bénéfice de l'usufruitier [en réalité du nu-propriétaire] ; que par conséquent, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité des deux ventes litigieuse :: la vente de la nue-propriété de la parcelle [...] à M. Julien X... et la vente de l'usufruit de cette même parcelle à l'Earl X... ;

ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE sur l'annulation des deux actes authentiques du 16 août 2011 et sur la fraude : qu'aux termes du Décret n°2012-363 du 14 mars 2012, la liste des opérations soumises aux formalités du droit de préemption prévues à l'article L.143-1 du code rural et de la pêche maritime a été élargie aux ventes démembrées des biens immobiliers ruraux, des terres et des exploitations agricoles ou forestières ; qu'a contrario, il s'avère antérieurement au décret du 14 mars 2012, aucune obligation de déclaration préalable à la Safer n'était mise à la charge du notaire instrumentaire concernant les ventes d'un droit réel démembré de la nue-propriété et/ou de l'usufruit, de sorte que les dispositions des articles L.143-1, R.143-7 et R.143-9 du code rural et de la pêche maritime concernaient seulement l'aliénation d'un bien immobilier à usage agricole ou d'un terrain à vocation agricole à titre onéreux et en pleine propriété ; que toutefois le droit de préemption de la Safer ne peut être écarté en cas de fraude visant à contourner la liste des opérations soumises à la formalité de déclaration ; que la démonstration de la manoeuvre frauduleuse pèse sur la Safer ; qu'en l'espèce, il résulte des dispositions en vigueur au moment de la rédaction des actes authentiques des 16 août 2011 que Maître B..., notaire instrumentaire n'était pas tenu de procéder à une quelconque déclaration ou information de l'opération de vente auprès de la Safer Champagne Ardenne dans la mesure où la vente d'un droit réel d'un bien immobilier rural démembré de sa nue-propriété ou de son usufruit ne rentre pas dans le régime de la déclaration préalable des opérations soumises au droit de préemption ; mais attendu qu'il ressort tout d'abord, de l'historique de ce dossier qu'un premier projet de vente démembré de la propriété litigieuse appartenant à Monsieur Gérard Y... au profit de l'EARL C... pour l'usufruit et Monsieur Sébastien C... pour la nue-propriété, a été notifié le 21 avril 2011 à la Safer Champagne Ardenne par Maître Pascale F..., notaire instrumentaire ; que par correspondance du 9 juillet 2011, ce même notaire a informé la Safer Champagne Ardenne de la renonciation à ce projet de vente par Monsieur Gérard Y..., suite à la préemption exercée par ledit organisme le 21 juin 2011 au prix révisé de 70 200 €; qu'il convient de constater qu'un mois plus tard, Monsieur Gérard Y... a cédé l'usufruit de la même propriété à l'EARL X..., publié au Bureau des Hypothèques de Troyes le 10 octobre 2011, Volume 2011 P N° 6633 et la nue-propriété de cette même propriété à Monsieur Julien X..., publié au Bureau des Hypothèques de Troyes le 10 octobre 2011, Volume 2011 P N° 6635 suivants deux actes authentiques établi par Maître B..., notaire instrumentaire, daté du même jour, soit le 16 août 2011; que dès à présent, il convient de dire d'une part que la très proche proximité des deux opérations immobilières et d'autre part, le même montage juridique des deux opérations, à savoir la vente de l'usufruit à une EARL et la nue-propriété à un même membre de l'EARL établi par deux notaires différents, suffit à démontrer l'intention frauduleuse de vendre le bien immobilier en pleine propriété à terme, à des acquéreurs autre que la Safer Champagne Ardenne; qu'en effet, les défendeurs ont réitéré l'opération immobilière et ce, à très bref délai entre les mains d'un autre notaire instrumentaire, après avoir renoncé le 9 juillet 2011 à un premier projet de vente démembré publié par Maître Pascale F..., premier notaire instrumentaire, consécutivement à l'exercice du droit de préemption en pleine propriété de la Safer Champagne Ardenne à un prix révisé à hauteur de 70 200 € ; qu'il est manifeste que la volonté de vendre l'intégralité du bien existe pourvu que ce ne soit pas à la Safer; qu'ensuite, il convient de constater que l'ensemble des défendeurs allèguent que le choix de la vente démembrée de la propriété de Monsieur Gérard Y... a été choisie pour que Monsieur Julien X... et l'EARL X... puissent bénéficier des avantages fiscaux et financiers ; qu'il s'avère à la lecture des pièces versées au débat que la démonstration des bénéfices escomptés de cette opération immobilière n'est pas rapportée ; qu'il s'ensuit que le caractère frauduleux de l'opération immobilière apparaît établi et que les deux opérations en date du 16 août 2011 ont été faites en fraude au droit de préemption de la Safer Champagne Ardenne ; qu'en conséquence, il convient de prononcer la nullité de l'acte authentique régularisé le 16 août 2011 passé en l'étude de Maître B... publié au Bureau des Hypothèques de Troyes le 10 octobre 2010 [en réalité : 2011] Volume 2011 P N°6633 portant vente par Monsieur Gérard Y... à l'Earl X... de l'usufruit de la parcelle de terre sise sur le terroir de la Commune de [...] Lieudit [...] [...] d'une superficie de 10ha 80a 00ca et d'avoir prononcé la nullité de l'acte authentique régularisé le 16 août 2011 passé en l'étude de Maître B... publié au Bureau des Hypothèques de Troyes le 10 octobre 2010 [en réalité : 2011] Volume 2011 P N°6635 portant vente par Monsieur Gérard Y... au profit de Monsieur Julien X... de la nue-propriété de la parcelle de terre sise sur le terroir de la Commune de [...] Lieudit [...] [...] d'une superficie de 10ha 80a 00ca ;

1°) ALORS QUE les parties s'accordaient pour dire que la propriété serait reconstituée au bénéfice de M. Julien X..., nu-propriétaire ; qu'en retenant que les parties s'étaient accordées pour que la pleine propriété soit reconstituée au bénéfice de l'usufruitier (arrêt, p. 5, pénultième §), la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE le démembrement de propriété entre la nue-propriété et l'usufruit a par nature un caractère temporaire ; qu'en déduisant le caractère frauduleux de l'opération immobilière de ce que les acquéreurs s'étaient « préalablement entendu[s] pour qu'à terme d'ores et déjà fixé la propriété soit reconstituée au bénéfice de l'usufruitier » (arrêt, p. 5, pénultième §) quand la réunion de la propriété sur la tête d'un des acquéreurs était inhérente au caractère momentané du démembrement de propriété, la cour d'appel a violé le principe fraus omnia corrumpit ensemble l'article 578 du code civil ;

3°) ALORS QU'en toute hypothèse le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que dans ses écritures d'appel, M. B... faisait valoir les intérêts patrimoniaux, fiscaux et familiaux de l'opération escomptée (conclusions, p. 7 et p. 8, § 3 à 5) ; qu'en retenant par motifs éventuellement adoptés que la démonstration des bénéfices escomptés n'était pas rapportée (jugement, p. 10, § 1) sans répondre aux conclusions péremptoires de M. B..., la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2018:C300393
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