Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 12 avril 2018, 16-26.514, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 15 septembre 2016), que, le 24 juin 2009, la société Immobilière Lacroix a signifié à la société Celimat un congé avec offre de renouvellement, à compter du 1er janvier 2010, du bail commercial portant sur une boutique à usage de bijouterie-horlogerie, moyennant un loyer fixé selon la valeur locative du bien ; que, le 17 août 2011, elle a assigné la locataire en fixation du loyer déplafonné à une certaine somme, avec intérêts au taux légal à compter de chaque échéance et au plus tard à compter de l'assignation ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 1155 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu que les revenus échus, tels que fermages, loyers, arrérages de rentes perpétuelles ou viagères, produisent intérêt du jour de la demande ou de la convention ;

Attendu que, pour rejeter la demande de la bailleresse au titre des intérêts et de la capitalisation, l'arrêt retient que le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile permettant la variation automatique du loyer de nature à éviter que se crée un différentiel de loyer tel qu'il résulte de la présente fixation par rapport au loyer fixé au bail expiré ;

Qu'en statuant ainsi, après avoir fixé à une certaine somme le loyer du bail renouvelé, alors que les intérêts dus sur la différence entre le loyer du bail renouvelé et le loyer payé depuis le renouvellement courent, en l'absence de convention contraire, à compter de la délivrance de l'assignation en fixation du prix, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en sa seule disposition déboutant la société immobilière Lacroix de sa demande relative aux intérêts et à leur capitalisation, l'arrêt rendu le 15 septembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société Celimat aux dépens :

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze avril deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société Immobilière Lacroix.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir dit que les facteurs locaux de commercialité n'avaient pas évolué favorablement au profit de la société Celimat ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE : l'évolution notable au cours du bail expiré des facteurs locaux de commercialité constitue le seul motif invoqué par la bailleresse pour prétendre au déplafonnement du loyer et à la fixation du loyer du bail renouvelé à la valeur locative et par là même à l'infirmation du jugement. Il est de principe que pour constituer un motif de déplafonnement cette évolution doit être favorable au commerce exercé et que la charge de la preuve du motif de déplafonnement repose sur le bailleur. Par ailleurs seuls les événements survenus au cours du bail expiré peuvent être utilement invoqués comme motif de déplafonnement. Il résulte des renseignements recueillis par l'expert auprès de l'Insee que le bassin d'emploi de Saint-Quentin a diminué au cours du bail expiré, passant de 141.416 habitants en 1999 à 138.384 habitants en 2009. Il ne peut pas être tiré de l'augmentation du nombre des ménages pendant cette même période passant de 54.956 à 58.148 une amélioration du potentiel de consommation, sachant que les ménages composés d'une seule personne ne sont pas traditionnellement ceux qui ont le plus faible pouvoir d'achat. L'affirmation de l'expert selon laquelle le potentiel de consommation aurait augmenté de 7,5% entre 2004 et 2008 n'est accompagnée d'aucune donnée chiffrée, en particulier du revenu moyen des ménages par personne les composant permettant d'en vérifier la pertinence et ne peut donc être retenue comme l'indice d'une évolution favorable des facteurs locaux de commercialité. Selon les constatations non contestées de l'expert, au cours du bail expiré, vingt nouvelles cellules commerciales ont été créées dans la galerie marchande sans augmentation de sa surface globale, les nouvelles cellules s'étant installées sur l'emprise des magasins Fly et Atlas. Seul l'hypermarché Auchan s'est agrandi de 2.000 m². Les travaux effectués dans le centre ont eu pour effet d'éloigner les lieux loués de l'une des entrées de l'hypermarché Auchan qui auparavant était située juste en face des lieux loués, lesquels se trouvent désormais seulement face à la ligne de caisses en sortie. Cet éloignement n'est pas favorable à l'achalandage des lieux loués ; en effet la réglementation du centre interdisant de pénétrer à l'intérieur des boutiques avec un chariot plein, les clients qui sortent de l'hypermarché avec leur chariot ne se rendront pas a priori dans les boutiques tandis qu'une implantation des lieux loués face à une entrée de l'hypermarché pouvait plus facilement attirer les chalands qui ne sont pas alors encombrés de leur chariot. L'expert relève qu'au cours du bail expiré six magasins ayant une activité de bijouterie se sont implantés dans la galerie marchande dont cinq concurrencent directement le commerce exercé par la société Celimat ; l'affirmation de la société Immobilière Lacroix selon laquelle il en résulterait nécessairement une amélioration de la commercialité pour la locataire relève d'une pétition de principe qui n'est étayée par aucune pièce et que ne vient pas corroborer la baisse du chiffre d'affaires de la locataire et qui ne peut pas être imputée au caractère peu engageant de son commerce, l'expert ayant relevé leur très bon état d'entretien et bénéficiant d'un agencement moderne comme l'illustrent les clichés photographiques insérés au rapport. L'arrivée de nouvelles enseignes nationales ou internationales qui tend à uniformiser les centres commerciaux et à les banaliser ne suffit pas à constituer à lui seul une évolution favorable des facteurs locaux de commercialité. La commission départementale de conciliation en matière de commerciaux saisie par la bailleresse a émis un avis défavorable au déplafonnement, ayant estimé que les facteurs locaux de commercialité n'avaient pas été modifiés notablement. C'est donc à juste titre au vu de ce qui précède que le premier juge a considéré qu'au cours du bail expiré n'était pas intervenue une évolution des facteurs locaux de commercialité favorable au commerce de bijouterie-horlogerie seule activité autorisée au bail ;

AUX MOTIFS PRESUMES ADOPTES QUE : L'article L. 145-33 du code de commerce dispose que : - le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative, - à défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après : - 1 les caractéristiques du local considéré, - 2 la destination des lieux, - 3 les obligations respectives des parties, - 4 les facteurs locaux de commercialité, - 5 les prix couramment pratiqués dans le voisinage. L'article L. 145-34 dispose que, à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1 à 4 de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. L'article R.145-6 du code de commerce précise que les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire. En l'espèce, l'expert expose qu'il y a eu une modification des facteurs locaux de commercialité pour les raisons suivantes : - réalisation de travaux en 2004 permettant l'agrandissement de la surface de vente de l'hypermarché Auchan et l'extension de la galerie marchande qui comprend désormais 50 cellules et où sont venues s'installer plusieurs enseignes nationales et internationales, - réaménagement du parking du centre commercial augmentant le nombre de places de stationnement et réfection des voies de circulation, - développement continu de la zone commerciale avec l'installation de grandes enseignes. Or, conformément aux dispositions rappelées ci-dessus, l'évolution des facteurs locaux de commercialité doit s'apprécier au regard de l'intérêt que présente cette évolution, non d'une façon générale, mais spécialement pour le commerce considéré. En l'espèce, la concurrence s'est intensifiée puisque 6 magasins ayant une activité de bijouterie se sont installés dans la galerie marchande, en ce compris une enseigne dépendant directement de l'hypermarché. Sur ces 6 magasins, 5 concurrencent directement le commerce du défendeur, le dernier (Claire's) s'adressant à une autre clientèle. Par ailleurs, les circulations au sein du centre commercial ont été modifiées en sorte que les visiteurs ne sont plus amenés directement à passer devant le commerce pour accéder à l'entrée de l'hypermarché. Ces éléments négatifs sont confirmés par l'évolution du chiffre d'affaires du commerce exploité par le défendeur qui ne cesse de diminuer depuis l'année 2004, si ce n'est une embellie en 2008. En conclusion, les facteurs locaux ne commercialité ont certes évolué mais pas au profit du commerce exploité par l'E.U.R.L. Celimat ;

1°) ALORS QUE l'intérêt pour le commerce concerné de l'évolution des facteurs locaux de commercialité s'apprécie au regard de la branche d'activité exercée par le locataire ; qu'en examinant l'intérêt, pour la société Celimat, de l'implantation dans la galerie marchande litigieuse de six magasins ayant une activité de bijouterie, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette implantation n'avaient eu un effet bénéfique sur la branche d'activité exercée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 145-34 et R. 145-6 du code de commerce ;

2°) ALORS QUE l'intérêt pour le commerce concerné de l'évolution des facteurs locaux de commercialité s'apprécie au regard de la branche d'activité exercée par le locataire ; qu'en considérant la baisse du chiffre d'affaires de la société Celimat, pour exclure que le regroupement de plusieurs magasins de bijouterie dans la galerie marchande litigieuse ait pu avoir un effet profitable, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard des articles L. 145-34 et R. 145-6 du code de commerce.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la société Immobilière Lacroix de sa demande présentée au titre des intérêts et de leur capitalisation ;

AUX MOTIFS QUE : le bail étant assorti d'une clause d'échelle mobile permettant la variation automatique du loyer de nature à éviter que se crée un différentiel de loyer tel qu'il résulte de la présente fixation par rapport au loyer fixé au bail expiré, la société Immobilière Lacroix se verra déboutée de sa demande au titre des intérêts et de leur capitalisation ;

1°) ALORS QUE les intérêts dus sur la différence entre le nouveau loyer du bail renouvelé et le loyer précédent courent à compter de la délivrance de l'assignation introductive d'instance en fixation du prix, quand le bailleur est à l'origine de la procédure ; qu'en déboutant la société Immobilière Lacroix de sa demande présentée au titre des intérêts dus sur la différence entre le nouveau loyer, tel qu'il a été fixé par la cour d'appel, et le loyer précédent, la cour d'appel a violé l'article 1155 du code civil, dans sa version applicable au litige;

2°) ALORS QUE les intérêts dus sur la différence entre le nouveau loyer du bail renouvelé et le loyer précédent courent à compter de la délivrance de l'assignation introductive d'instance en fixation du prix, quand le bailleur est à l'origine de la procédure ; qu'en retenant, pour rejeter la demande présentée par l'exposante au titre des intérêts et de leur capitalisation, que le bail était assorti d'une clause d'échelle mobile permettant la variation automatique du loyer, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article 1155 du code civil, dans sa version applicable au litige. ECLI:FR:CCASS:2018:C300416
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