Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 22 mars 2018, 17-13.084 17-13.103, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Joint les pourvois n° Y 17-13.084 et U 17-13.103 ;

Sur le moyen unique ci-après annexé :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau,13 décembre 2016), que, depuis 2004, Mme Y... a consenti des baux successifs à Mme X..., chaque année d'avril à septembre, portant sur un local commercial ;qu'une ordonnance de référé du 2 juillet 2013 a condamné Mme Y... à procéder à l'enlèvement de tout obstacle susceptible d'empêcher l'accès aux lieux loués ; que, le 23 juin 2014, la bailleresse a assigné la locataire afin de déclarer prescrite l'action en requalification du bail saisonnier en bail commercial ; qu'à titre reconventionnel, Mme X... a revendiqué la propriété commerciale ;

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande ;

Mais attendu, d'une part, que Mme X... n'ayant pas soutenu, dans ses conclusions d'appel, qu'elle avait agi par voie d'exception et que la prescription biennale ne lui était pas opposable, le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit et, partant, irrecevable ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant, par des motifs non critiqués, relevé que Mme X... était en mesure de faire valoir son droit au statut des baux commerciaux à compter du 1er octobre 2004 et retenu que son action, qui devait être exercée avant le 1er octobre 2006, était prescrite, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne Mme X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... et la condamne à payer à Mme Y... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit aux pourvois n° Y 17-13.084 et U 17-13.103 par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour Mme X....

Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté Mme X... de sa demande tendant à voir juger qu'elle était titulaire d'un bail statutaire de neuf ans avec effet au 1er janvier 2014, constaté que son action tendant à voir requalifier le bail saisonnier en bail commercial était prescrite, et, en conséquence, déclaré irrecevable sa demande de requalification du bail, et D'AVOIR confirmé le jugement entrepris, en ce qu'il avait dit que Mme X... devait quitter le local sis [...]                                 sous astreinte de 50 € par jour de retard, sauf à préciser que ce délai d'astreinte commencera à courir dans le délai de quinze jours à compter de la signification du présent arrêt, et condamné Mme X... à payer à Mme Y... la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE l'article L. 145-5 du code de commerce, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce prévoit que les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à deux ans ; que si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre ; qu'il en est de même, à l'expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local ; que les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables s'il s'agit d'une location à caractère saisonnier ; qu'en l'espèce, les contrats conclus entre les parties, intitulés baux précaires à caractère saisonnier, sont - en tout cas pour ceux qui sont versés aux débats - tous rédigés sur le même modèle et comportent la clause suivante : " il est expressément convenu entre les parties que le présent bail revêt un caractère exclusivement saisonnier et qu'il se trouve de ce fait totalement exclu d'application du décret du 30 septembre 1953 sur la copropriété commerciale et qu'il serait conféré au preneur un droit quelconque à la propriété commerciale des lieux dont il s'agit, le premier renonce expressément à toutes revendications ultérieures à ce point" ; que tels qu'ils sont rédigés, ces contrats répondent à la définition d'une location à caractère saisonnier, visée par le dernier alinéa de l'article susvisé ; qu'au soutien de son action en requalification du bail, Mme X... prétend qu'en dépit des baux saisonniers successivement conclus, elle bénéficie en réalité de la jouissance continue du local depuis 2004 ; qu'elle affirme qu'elle y entrepose en permanence 80 % de son stock, qu'elle s'acquitte de toutes les charges de fonctionnement et de l'assurance à l'année, qu'elle effectue des ventes par internet en hiver et se fait livrer des marchandises au sein du local ; qu'elle est par ailleurs toujours restée en possession des clés ; qu'en application de l'article L. 145-60 du code de commerce, toutes les actions exercées en vertu du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans ; qu'il est constant que l'action en requalification d'un bail saisonnier en bail commercial est soumise à la prescription biennale prévue par ce texte ; que le délai de prescription court à compter du jour où le titulaire du droit peut exercer l'action ; que l'appelante considère que le point de départ de ce délai se situe à la date de conclusion du dernier contrat de bail, tandis que l'intimée soutient qu'il convient de retenir la date de conclusion du premier contrat ; que la première convention signée entre les parties n'est pas versée aux débats mais que son existence n'est pas contestée ; qu'il était convenu comme chaque année que la location saisonnière du local commencerait le 1er avril 2004 et se terminerait le 30 septembre 2004 ; que Mme X..., qui soutient avoir été maintenue en possession des lieux à l'issue de ce contrat, et ce de manière continue jusqu'à ce jour, était donc en mesure de faire valoir son droit au statut des baux commerciaux à compter du 1er octobre 2004 ; que son action aurait donc dû être exercée avant le 1er octobre 2006 ; que, pour s'opposer à cette prescription, l'appelante fait valoir encore qu'en vertu des dispositions nouvelles de l'article 145-15 du code de commerce, applicables à la date de l'assignation du 23 juin 2014, Mme Y... ne peut plus se prévaloir des conventions dérogatoires dont elle fait état, qui sont désormais "réputées non écrites" ; que la prescription ne peut pas courir à l'encontre de clauses non écrites ; qu'outre que cet article dans sa nouvelle rédaction n'est applicable qu'aux contrats conclus ou renouvelés postérieurement au 1er septembre 2014, en tout état de cause il ne concerne en aucune façon l'objet du présent litige puisqu'il a trait aux clauses qui ont pour effet de faire échec au droit au renouvellement ; que l'appelante invoque enfin l'existence d'une fraude, qui a pour effet de suspendre la prescription biennale ; qu'elle prétend en effet que les baux saisonniers lui ont été imposés afin d'échapper au statut protecteur des baux commerciaux ; qu'il est constant que l'on entend par le terme de fraude une opération qui n'est pas directement contraire à la loi mais qui revient à la tourner, par un artifice qui permet de se placer hors du champ d'application du texte que l'on veut éluder ; que la fraude suppose la réunion d'un élément matériel et d'un élément intentionnel ; que les contrats successivement conclus entre les parties comportaient une clause non équivoque, par laquelle il était clairement stipulé que Mme X... ne pouvait pas acquérir la propriété commerciale du local ; qu'elle n'a du reste jamais revendiqué une telle propriété avant le printemps 2013 ; que, pour que la fraude soit établie, il faudrait démontrer que Mme Y... a volontairement imposé à Mme X... une succession de baux à caractère saisonnier pour éluder l'application du statut, alors même que le local commercial faisait l'objet d'une exploitation continue et que la bailleresse en avait connaissance ; qu'en l'espèce, si Mme X... justifie de ce qu'elle paye un abonnement EDF à l'année pour le local et de ce que des factures lui sont adressées à l'adresse du magasin, y compris durant l'hiver, cependant elle n'établit pas qu'elle y aurait exploité le fonds d'une manière continue ; que M. Z..., pâtissier exerçant dans un atelier situé à proximité, affirme au contraire dans une attestation du 1er juin 2013 que depuis son installation en 2006, il a toujours constaté que le commerce de vêtements était fermé durant toute la saison hivernale ; qu'en tout état de cause, Mme X... ne démontre pas que la bailleresse aurait eu connaissance de cet état de fait, à le supposer établi ; qu'au contraire Mme Y... conteste avoir volontairement laissé les clés à Mme X..., ce pourquoi elle lui a fait sommation le 6 mars 2013 de lui restituer le double des clés, dont elle dit qu'il a été reproduit à son insu ; que les baux saisonniers successivement conclus s'inscrivent donc dans le cadre de la loi, et que l'existence d'une fraude susceptible d'interrompre la prescription biennale n'est nullement démontrée ; qu'il convient par conséquent de constater que l'action engagée est prescrite et d'infirmer le jugement déféré en ce sens ; que la décision entreprise sera en revanche confirmée en ce qu'elle a dit que Mme X... doit quitter le local sis [...]                                 sous astreinte de 50 € par jour de retard, sauf à préciser que le délai astreinte commencera à courir dans le délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt ;

1. ALORS QUE le preneur est recevable à invoquer le bénéfice de la propriété commerciale, par voie d'exception, après l'expiration du délai biennal de prescription prévu à l'article L. 145-60 du code de commerce, dès lors qu'il est assigné en expulsion (Civ. 3e, 1er juin 1994, inédit, pourvoi n° 92-12.186) ; qu'en décidant que Mme X... n'était plus recevable à invoquer le bénéfice de la propriété commerciale, après l'expiration du délai de deux ans qui avait commencé à courir à compter de l'expiration de la première convention saisonnière conclue du 1er avril 2004 au 30 septembre 2004, quand Mme X... avait agi en requalification des contrats de location saisonnière par voie d'exception, en défense à la demande du bailleur qui avait sollicité son expulsion, la cour d'appel a violé l'article L. 145-60 du code de commerce, ensemble l'article 4 du code de procédure civile ;

2. ALORS subsidiairement QUE la demande tendant à faire constater l'existence d'un bail soumis au statut des baux commerciaux, né du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire n'est pas soumise à la prescription biennale ; qu'en affirmant, pour déclarer irrecevable la demande de Mme X..., que chacun des contrats répondait à la définition d'une location à caractère saisonnier, après avoir constaté que chacun d'entre eux stipulait, en termes identiques, « que le présent bail revêt un caractère exclusivement saisonnier et qu'il se trouve de ce fait totalement exclu d'application du décret du 30 septembre 1953 sur la propriété commerciale », au lieu de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, même en l'absence de toute fraude, si Mme X... avait conservé la disposition des locaux durant toute l'année et si elle y entreposait des marchandises dans l'intervalle des périodes d'exploitation, nonobstant la fermeture des locaux à la clientèle pendant les périodes d'intersaison, la cour d'appel a violé les articles L. 145-5 et L. 145-60 du code de commerce ;

3. ALORS QU'il n'est pas au pouvoir du preneur de renoncer, par avance, à l'application du statut des baux commerciaux, le jour de la conclusion du contrat de location dit saisonnière, sans attendre son expiration ; qu'en se déterminant en considération de la stipulation précitée qui privait Mme X... du bénéfice du statut des baux commerciaux, le jour de la conclusion du bail dérogatoire, quand une telle renonciation était illicite, car prématurée, la cour d'appel qui s'est dispensée à tort de vérifier qu'il s'était opéré un bail soumis au statut des baux commerciaux, du fait du maintien en possession du preneur, quand bien même la boutique était fermée, a violé l'article 6 du code civil, ensemble les articles les articles L. 145-5 et L. 145-60 du code de commerce.ECLI:FR:CCASS:2018:C300279
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